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La migration: un choix plutôt qu’une croix

Les espoirs des femmes migrantes colombiennes

Les femmes migrantes colombiennes quittent leur pays pour des raisons telles que la violence sexiste, la persécution politique, le chômage et, dans certains cas, les menaces de groupes armés illégaux, pour avoir enfin une vie décente dans un autre pays. Avec l’élection récente d’un président progressiste en Colombie, la situation des femmes pourra peut-être enfin changer.

Avec l’accession de Gustavo Petro à la présidence le 19 juin dernier, la Colombie vient de virer à gauche pour la première fois de son histoire. Une nouvelle ère pour le peuple colombien et surtout pour les femmes. Si le programme du nouveau gouvernement de la coalition électorale du Pacte historique se réalise, il garantira une vraie amélioration de la situation des femmes comme l’affirme Gustavo Petro : « J’ai proposé la création du Ministère de l’Égalité avec comme objectifs immédiats : 1. Atteindre l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.  2. Reconnaître le temps des femmes passé à l’entretien du foyer comme du temps de travail comptabilisé pour leur retraite ».

De même, la vice-présidente, Francia Marquez, promet que « la première mesure est l’égalité pour les femmes en Colombie car nous voulons que les femmes aient une autonomie économique, nous voulons que les femmes aient une autonomie politique, nous voulons que les femmes aient des droits garantis. Nous voulons l’égalité et des opportunités pour les jeunes femmes ».

La mobilité de la population colombienne

Depuis des décennies, la Colombie enregistre une grande mobilité de la population, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de ses frontières. Selon la chancellerie de Colombie, dans le cas de la mobilité externe, trois vagues migratoires ont été enregistrées durant trois périodes : la première, dans les années soixante, en direction des États-Unis ; la deuxième, la décennie des années huitante, en direction du Venezuela ; et la troisième vague, la décennie des années nonante, vers l’Espagne et d’autres pays européens. « Les conflits pour le contrôle des terres, la recherche de meilleures conditions de vie et les persécutions pour des raisons idéologiques ou politiques ont été des facteurs de déplacements de la population » explique José Francisco Niño Pavajeau, doctorant en géographie humaine à l’Université de Barcelone, dans une étude parue en 1999.

La migration a un genre

Les femmes représentent désormais près de la moitié de la population migrante dans le monde. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU) le nombre de personnes migrantes de par le monde recensé le plus récemment est de 272 millions, dont 52% d’hommes et 48% de femmes (OIM, 2020), ce qui révèle que la migration sous l’angle des sexes est aujourd’hui presque symétrique. L‘inégalité, l’exclusion, la violence politique et la violence machiste qu’elles subissent en tant que femme sont des causes importantes qui augmentent la migration féminine.

La migration à un genre. Malgré le fait que les conditions de la migration sont généralement difficiles pour toute personne de n’importe quel pays, il est nécessaire de faire une distinction de genre, en tenant compte des différentes causes pour lesquelles les femmes décident de quitter leur pays, ceci à un niveau général, pour ensuite mener une réflexion plus spécifique sur le cas des femmes colombiennes.

Les raisons qui expliquent les migrations féminines dans le monde sont semblables dans les différents pays que quittent les femmes migrantes.  Les femmes migrantes colombiennes quittent leur pays pour des raisons telles que la violence, la persécution politique, les menaces de groupes armés illégaux. A cela s’ajoute une autre cause qui est le facteur économique, avec le désir d’améliorer la qualité de vie et d’accéder à des études supérieures dans d’autres pays. Les femmes migrantes souffrent de la censure, des coutumes patriarcales ou du manque d’égalité dans leur pays d’origine et même de destination. De même, elles migrent également pour fuir la violence, pour des raisons de discrimination ou de genre. L’identité de genre est un facteur qui contrait les femmes colombiennes à migrer.

Ainsi, lorsqu’elles décident de migrer, les femmes peuvent être confrontées à une plus grande discrimination. Elles sont plus vulnérables aux abus et subissent une double discrimination en tant que femmes et migrantes. Par exemple, elles se font manipuler par des personnes qui profitent de leur vulnérabilité dans leur pays de destination et qui les obligent à travailler dans des conditions très difficiles. Dans le pire des cas, on leur fait miroiter des emplois bien rémunérés et elles finissent par être victimes de traite des êtres humains et de prostitution.

Témoignages

Voici trois migrantes colombiennes qui ont été accepté de témoigner des raisons qui les ont poussées à quitter leur pays:

Sara Garcia, journaliste, habite sur l’Île de Malte depuis quatre mois : « J’ai décidé de migrer vers un autre pays pour étudier et commencer une nouvelle vie. Dans mon lieu de travail, je n’ai pas subi de violence machiste, mais j’ai été témoin de harcèlements sexuels dont ont été victimes certaines de mes collègues féminines que j’ai dû défendre, car la plupart d’entre elles ne parlent pas bien la langue. Ici, les femmes latines sont également très demandées sur les réseaux sociaux, principalement pour le travail d’escorte, c’est-à-dire pour travailler soi-disant comme dames d’honneur pour certains hommes fortunés, mais en réalité il s’agit d’une sorte de prostitution ».

S’il est vrai que la migration dans sa globalité n’est pas forcée, comme c’est le cas de Sara Garcia, cette option doit également être libre et se faire avec toutes les garanties, c’est-à-dire que les droits des femmes ne soient pas violés afin qu’elles puissent se déplacer sur tous les territoires sans craindre d’être victimes de toutes sortes de violences.

Lina M. Figueredo, sociologue, habite à Genève en Suisse : « Après avoir vécu 10 ans en Suisse, je commence aujourd’hui à relancer l’idée d’aller en Colombie. Je dis « aller », parce que pour moi, en raison de l’histoire particulière de ma vie, mais aussi de la façon dont je vois ce qui se prépare pour la société colombienne avec ce nouveau gouvernement, il ne s’agit plus de « retourner », mais d’aller en Colombie. Un gouvernement ne peut pas faire tous les changements fondamentaux qui sont nécessaires, mais il peut fournir des bonnes conditions de vie. C’est de cela que je parle. Au-delà des promesses concrètes, je parle d’une Colombie dans laquelle nous pouvons proposer, créer et imaginer d’autres façons de vivre sans peur. Une façon savoureuse de vivre ».

Laura Sanchez, réfugiée politique, habite en Suisse depuis huit mois : « J’ai décidé de quitter la Colombie à cause de la persécution des militantes syndicalistes, la stigmatisation dont je fais l’objet, les menaces contre ma vie ne me permettaient plus de vivre en paix dans mon pays. Si je n’avais pas quitté pas mon pays, j’irais en prison ou au cimetière ».

Laura a décidé de venir en Suisse pour demander l’asile politique afin de sauver sa vie. Elle a dû fuir son pays du jour au lendemain en laissant tout derrière elle. Et la chose la plus triste, c’est qu’elle a dû partir sans ses deux petits enfants. Cependant, malgré le nouveau gouvernement du Pacte Historique, Laura ne veux pas retourner en Colombie car pour elle il n’y a toujours pas la garantie d’une vie sans danger et sans violence.

La migration sera un choix

Espérons que la migration ne sera plus une obligation mais un choix comme le mentionne Karmen Ramirez qui a dû demander l’asile en Suisse il y a onze ans et qui est actuellement membre de la chambre des représentants du Pacte Historique en Colombie : « Les femmes colombiennes dans le monde seront protégées et construiront notre histoire. Je promouvrai une migration sûre, libre et volontaire pour les femmes, en luttant pour une participation égale dans toutes les sphères de la vie. Je travaillerai à l’élimination de la violence sexiste dans la communauté colombienne à l’intérieur et à l’extérieur du pays par le biais, par exemple, de programmes de formation sur le genre pour les migrants destinés aux fonctionnaires des ambassades et des consulats ».

Renata Cabrales

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Pour approfondir le sujet: 

« Vous devez partir immédiatement, ils vont vous tuer », article publié dans Voix d’Exils le 17.05.2021.




FLASH INFOS #102

Centre fédéral pour réquréants d’asile de Zürich / SEM / Twitter

Sous la loupe : En Suisse, les centres fédéraux d’asile sont débordés / Allemagne : les femmes et les enfants ukrainiens exposés au risque de trafic humain / « Le mur de la honte » : une stratégie superficielle face à la migration algérienne



En Suisse, les centres fédéraux d’asile sont déjà débordés

RTS, le 16.03.2022

Le 15 mars dernier, la Suisse comptait plus de 5’000 réfugié·e·s ukrainien·ne·s arrivé·e·s dans le pays. Face à cette situation, les Centres fédéraux d’asile se sont retrouvés débordés, entrainant notamment de longues files d’attente au Centre fédéral de Zurich où les réfugié·e·s se sont rendu·e·s pour obtenir un permis S.

Le Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) a par ailleurs assuré que « Personne n’est laissé à la rue ». Dans cette optique, la Municipalité de Zurich a décidé d’ouvrir une grande salle sportive pour les personnes en attente d’un permis S. La Confédération a, quant à elle, annoncé vouloir favoriser les enregistrements numériques pour soulager les Centres fédéraux.

Karthik

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Allemagne : Les femmes et les enfants ukrainiens exposés au risque de trafic humain

infomigrants.net, le 11.03.2022

Depuis le début de la crise migratoire liée à la guerre en Ukraine, la gare centrale de Berlin est devenue un point de passage important pour des milliers d’ukrainien·ne·s, en majorité des femmes et des enfants. La vulnérabilité de cette population augmente leur risque d’être la cible de réseaux de trafic humain et de prostitution.

En effet, d’après la police allemande, des femmes et des mineurs non accompagnés voyageant seuls ont été approchés à la gare centrale par des personnes leur proposant de l’argent pour les loger dans leur demeure.

L. B.

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

« Le mur de la honte » : une stratégie superficielle face à la migration algérienne

infomigrants.net, le 10.03.2022

Depuis la fin du mois de février, des murs d’environ quatre mètres de haut cloisonnent plusieurs plages d’Aïn el Turk, une ville côtière située à l’ouest d’Oran.

Des sources proches de l’administration de la ville ont déclaré à Algérie Part Plus que « ces murs en béton font partie d’une stratégie globale décidée par les autorités locales » pour « bloquer définitivement l’accès aux plages d’Oran aux réseaux de migrants » qui tentent de traverser la Méditerranée. Certains parlent d’un « mur de la honte » et affirment qu’il sera difficile d’arrêter les citoyen·ne·s algérien·ne·s qui bravent chaque jour la haute mer dans leurs petits bateaux pour fuir le désespoir de leur situation actuelle.

Le phénomène migratoire n’est pas nouveau en Algérie et s’est particulièrement amplifié depuis l’année dernière dans cette région qui est le point de départ de la totalité des exilé·e·s de l’ouest algérien.

Renata Cabrales

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




«Séquestrée et contrainte à me prostituer en Suisse»

Galerie de Ira Gelb. (CC BY-ND 2.0)

Photo: galerie d’Ira Gelb. (CC BY-ND 2.0)

Certaines « filles de joie » essaient d’échapper à la spirale de la prostitution. Tant bien que mal. C’est le cas de Sonia, que nous avions rencontré l’année passée dans le cadre de notre enquête sur la prostitution et ses dangereuses illusions. Aujourd’hui, Sonia n’est plus dans la rue. Elle est sortie de cet enfer et se bat pour ne plus y sombrer à nouveau. Témoignage d’une difficile reconversion.

Il y a un monde où les femmes ne sont pas considérées comme des êtres humains, mais comme de simples objets, presque comme des papiers hygiéniques. « Utilisées » par toutes sortes d’hommes : mariés, célibataires, riches, pauvres, intellos, malades mentaux et autres. Ce monde, c’est celui des maisons closes, aussi appelées bordels. Ces bordels cachent une réalité sociale aussi ancienne qu’invisible.  Les maîtresses authentiques de ces corps qui se déshabillent pour de l’argent sont emplies de sentiments et de souffrances; de cauchemars et de rêves, de désirs et d’amour. Elles se retrouvent, parfois malgré elles, dans un monde impitoyable fait de masques, toutes seules. Un monde dans lequel il est beaucoup plus facile d’y entrer que d’en sortir… Mais Sonia a réussi à s’extraire de ce cauchemar et nous raconte son histoire.

« Seule dans la rue, la nuit, avec mon fils de cinq ans »

 « Mon cauchemar n’a pas commencé dans un trottoir pour prostituées, mais dans un centre de demandeurs d’asile en Suisse. Un jour, alors que j’étais sur le point de me rendre à l’hôpital, car j’avais rendez-vous avec le médecin de mon fils de cinq ans qui était malade, je reçois un coup de fil de mon avocat. Il me dit « d’être prête » car à tout moment je risquais d’être expulsée. En effet, l’ambassade de mon pays avait signé un « laissez-passer » : le document permettant mon expulsion de Suisse. Sur le coup, je me suis sentie sonnée, abattue, dépassée par la situation. La nuit tombée, sans réfléchir, j’ai pris mon fils sous le bras et nous sommes partis sans savoir où nous allions nous rendre. Une fois dans la rue, le froid, la fatigue de mon fils qui était convalescent, la peur d’être interpellée par une patrouille de police, tellement de sentiments différents, mélangés en une seule et même nuit, que j’ai songé à me suicider. Mais, le fait d’abandonner mon fils, qui n’avait pas demandé à venir dans ce monde, m’avait dissuadée de commettre l’irréparable ».

« J’aurais pu en tuer un. Je me voyais avec un couteau »

« Alors que ces pensées noires me taraudaient l’esprit, J’ai vu une voiture garée. Un monsieur en sort et me demande ce que nous faisons mon fils et moi en pleine rue, tard dans la nuit. Je lui explique brièvement notre situation et il nous emmène dans un café. Il nous offre à boire et me propose de nous héberger chez lui, le temps qu’il faut. Sans réfléchir, j’accepte. C’est en réalité le début d’un autre calvaire. Ce monsieur va me forcer à me prostituer. Il va aller jusqu’à me menacer de me livrer à la police ou de tuer mon fils, si je n’accepte pas de me prostituer pour lui. Il exige alors que je le lui ramène au moins 2000 francs suisse par jour. Je me retrouve donc séquestrée et contrainte à me prostituer, malgré moi, pour ensuite lui remettre cet argent. Lui, il reste à la maison avec mon fils. Il me dépose les premières nuits « là où ça se passe ». Entre le quartier des Pâquis à Genève et la rue de Genève à Lausanne et même parfois à Zurich.

Je découvre alors l’univers du trottoir, la violence, les agressions par des clients, les vols, la concurrence entre les filles, le déchaînement des passants… Chacune d’entre nous – les prostituées – garde en mémoire une poignée d’agressions qui lui a marqué le cœur ou la peau. Mais très peu d’entre nous les racontent, ou les dénoncent. La plupart préfèrent se terrer dans le silence. La prostitution, c’est un gigantesque mensonge : la prostituée ment, le client ment. L’ouvrier devient patron et le mari célibataire. Il faut se « livrer à tous », y compris à des malfrats, à des assassins, des drogués et autres. On a envie de leur dire que ce sont des abrutis, mais on est obligées de leur faire des compliments. De devoir supporter ces types, ça me prenait aux tripes. J’aurais pu en tuer un. Je me voyais avec un couteau ».

 

« Je vis aujourd’hui avec le minimum, mais je suis en accord avec moi-même »

« C’était terrible, je n’en pouvais plus. Je pleurais, j’implorais mon Dieu. Un jour, une dame, Mme Mbog, qui distribuait souvent des préservatifs aux prostituées m’a demandé de lui dire pourquoi je pleure tout le temps. Face à mon hésitation, elle s’est montrée très convaincante et digne de confiance. M’assurant notamment qu’elle dirigeait une ONG, qu’elle pouvait m’aider et qu’elle était là pour ça. Je lui ai alors raconté mon histoire. Elle m’a demandé si mon fils était toujours là-bas, chez le proxénète. La réponse était oui. Elle m’a demandé de rentrer, comme si de rien n’était, tout en prenant mon adresse complète (ou plutôt l’adresse de mon proxénète puisque je vivais chez lui avec mon fils). Mme Mbog est arrivée le lendemain accompagnée de deux autres personnes. Heureusement ou malheureusement, le proxénète était absent. Je ne voulais pas qu’elle appelle la police, car j’avais peur d’être rapatriée. Elle nous a alors amené chez elle en France.

Elle m’a aidé à trouver un logement, mon fils est scolarisé, je travaille et suit une formation en informatique. J’essaie d’oublier cet enfer, mais ce n’est pas facile. Pendant toutes ces années, j’ai vu des psychologues, je suis allée aux centres pour personnes dépendantes car je buvais pas mal. Mais je trouvais des excuses bidons et racontais des faux problèmes, parce que je ne pouvais pas dire que j’étais une prostituée. En fait, je me rends compte maintenant que je lançais des appels au secours en permanence. Mais les réponses, les aides, on ne les obtient pas, parce qu’on ne peut pas dire l’essentiel. J’ai toujours eu honte de ce passé. Il n’y a personne pour le comprendre, pour le déchiffrer. Mais, Mme Mbog elle est toujours là, bien qu’elle ne puisse pas m’aider en tout, vu qu’elle suit aussi d’autres filles et qu’elle dispose de moyens limités. J’ai eu des problèmes de retards de loyer et j’ai été menacée d’expulsion par le propriétaire de mon logement ; car des gens ont raconté que je menais des activités de prostitution dans mon appartement, alors que je ne recevais jamais personne. J’avais commis l’erreur de parler de mon passé en Suisse à une voisine que je considérais comme une amie. Elle a alors raconté cela aux autres voisines. Tout le quartier sait désormais que j’étais une prostituée. Elle n’a rien compris et c’est très dur à vivre. Je n’aurais jamais imaginé que même le concierge où je vis allait s’en servir pour tenter de me détruire. Certaines croient que j’ai de l’argent, car j’ai été une prostituée en Suisse. Mon passé douloureux dans ce pays me suit jusqu’ici. Tout est un combat. Si on avait de l’argent, on n’irait pas se prostituer. Aujourd’hui, je suis dans une situation très précaire financièrement. Mais je n’y retournerai pas. C’est irréversible. Je réapprends à vivre. Je travaille. Je suis contente de toucher un salaire, même si je gagnais en deux jours ce que je gagne aujourd’hui en deux semaines. Mais je donnais presque tout à mon proxénète, et même si c’était pour moi, je considère ça comme de l’argent sale. Je vis actuellement avec le minimum, mais je suis en accord avec moi-même ».

Propos recueillis par :

FBradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Lire aussi: « Les dangereuses illusions de la prostitution », article publié sur Voix d’Exils le  27.04.2012, en cliquant ici




Les dangereuses illusions de la prostitution

La prostitution: un chemin semé d’embûches.

«Je suis une mère célibataire au bénéfice de l’aide d’urgence. Je survis avec moins de trois cents francs suisse par mois. Je me prostitue pour pouvoir subvenir à mes besoins et à ceux de mes enfants. Je suis en Suisse depuis dix ans et je ne suis pas autorisée à y travailler, que faire d’autre ?» questionne Anouchka, requérante d’asile déboutée et mère de quatre enfants.

L’histoire d’Anouchka illustre les «raisons» qui poussent certaines immigrées à entrer dans l’univers impitoyable de la prostitution. Un monde tentaculaire, un cercle vicieux dans lequel Voix d’Exils a pu pénétrer. Enquête.


La prostitution : un marché très lucratif 

En Suisse, 90% des prostituées sont des étrangères en situation irrégulière et le plus souvent victimes de réseaux. La réalité est que la plupart d’entre elles sont en situation d’esclavage: elles souffrent d’extorsion, de menaces, de séquestration, elles ont été piégées et sont exploitées par des réseaux mafieux très bien organisés.

La prostitution est une activité lucrative qui, selon l’ONU, génère 5 à 7 milliards de dollars par année, affecte 4 millions de victimes et est sous le contrôle des mafias criminelles transnationales qui organisent le trafic des femmes de la même manière que celui des armes ou de la drogue.

La prostitution en Suisse se caractérise par le fait que la plupart des prostituées sont originaires d’Europe de l’Est, d’Amérique latine et d’Afrique. Ces femmes sont issues de l’immigration et sont majoritairement des «sans-papiers» qui vivent dans la clandestinité ou dans les centres d’aide d’urgences.

L’abondance de prostituées étrangères s’explique par deux «avantages» caractéristiques de ce «secteur informel» : des horaires de travail variables et la non nécessité de maîtriser parfaitement les langues pour pouvoir exercer cette activité. Les prostituées sont généralement jeunes, sans éducation et en majorité des femmes. Il s’agit d’une main-d’œuvre peu qualifiée.

Un voyage en enfer 

Bon nombre des travailleuses du sexe que nous avons rencontrées disent clairement qu’elles ont fui les contraintes sociales, politiques et économiques qu’elles subissent dans leur pays, et qu’elles ont préféré partir même si elles sont diplômées ou qualifiées.

La plupart des Africaines sont passées par l’Espagne ou l’Italie, après un périple dans différents pays d’Afrique subsaharienne qui les ont menées au Maroc. D’autres ont eu la « chance » de pouvoir prendre un avion depuis une ville africaine et sont arrivées dans une capitale européenne. Elles ont en majorité moins de vingt-cinq ans. Leur décision de quitter leur pays d’origine s’est faite pour les unes pour des raisons politiques ou pour échapper à un mariage forcé avec un « vieux », pour les autres parce qu’elles ont été piégées par des réseaux mafieux via internet ou par le biais d’annonces dans des magazines.

Certaines sont parties en sachant qu’elles allaient travailler dans l’industrie du sexe en Europe ; tandis que d’autres ont été abusées sur la nature du travail qu’elles allaient devoir effectuer. C’est le cas de la plupart des Nigérianes, mais aussi des Camerounaises, Sénégalaises et Congolaises que nous avons rencontrées à la rue de Genève ou à la rue de Berne, leur « quartier général », respectivement à Lausanne et à Genève.

Monique et Sonia* tiennent plus ou moins le même discours: elles disent travailler sous la contrainte pour se libérer des réseaux mafieux à qui elles doivent payer des sommes colossales. D’autres comme Anouchka, citée ci-dessus, disent le faire par nécessité.

Une fois arrivées en Suisse, elles doivent rembourser une lourde dette. Nombre d’entre elles s’acquittent de la seule partie de la dette qu’elles estiment acceptable, puis s’arrangent pour disparaître de l’entourage de leur créancier.

Quant aux prostituées originaires d’Europe de l’Est que nous avons rencontrées, elles disent négocier leur voyage essentiellement avec des agences de passeurs qui ont pignon sur rue dans leur pays d’origine. Certaines ont des liens d’amitié ou de solidarité avec ceux que la loi désigne comme leur proxénète, d’autres ont été trompées par des individus isolés qui profitent du contexte favorable aux trafics, d’autres, encore, sont parties avec un fiancé en qui elles avaient confiance…

«J’ai été obligée d’avoir des rapports sexuels avec des animaux»

Certaines de ces femmes expriment de la satisfaction à être en Suisse au regard des conditions de vie qu’elles ont laissées. Mais d’autres déplorent les

La souffrance derrière les apparences.

conséquences désastreuses sur le long terme. Sonia, originaire d’Afrique, regrette amèrement ce que sa vie est devenue après de longues années dans la prostitution. «Je me suis échappée d’un centre d’aide d’urgence, car quelques jours plus tôt j’avais été informée qu’un laissez-passer avait été signé par l’ambassadeur de mon pays en Suisse et donc j’étais expulsable à tout moment. Désespérée, je me suis retrouvée dans la rue, et pour survivre je n’avais pas d’autre choix que de me prostituer, n’ayant nulle part où aller et ne connaissant personne ici en Suisse. Quelques jours plus tard, j’ai fait la connaissance d’un Monsieur qui me proposait un travail digne dans une autre ville et un toit. En fait, cela a été le début d’un autre calvaire qui n’a pas de nom !», dit Sonia, avec un sourire douloureux qui en dit long sur ce qu’elle a subi en acceptant de suivre cet inconnu qui était en réalité un proxénète redoutable et impitoyable. «Une fois arrivée chez lui, il m’a droguée, battue, violée pendant des semaines et m’a vendue à un autre pervers qui a un bordel. Celui-ci, un vieux Suisse, me confie à sa compagne, une vieille femme africaine qui me fait comprendre que je suis leur esclave et que j’ai coûté très cher. J’apprends que j’ai une dette de 40’000 francs suisses, ce qui équivaut à 5 années de travail à plein temps. Elle me demande de me préparer pour la nuit. Pendant 5 ans, je vais travailler pendant des heures dans leur bordel avec d’autres filles. Comme une chienne. Des dizaines de clients à satisfaire par jour, la douleur au fond des entrailles, la violence, l’alcool, la drogue pour tenir le rythme infernal imposé par la cadence des clients… J’ai été forcée à pratiquer la scatologie (manger des excréments, ndlr) et la zoophilie (avoir des rapports sexuels avec des animaux, ndlr) pour assouvir les désirs sexuels de certains clients : des pervers sexuels européens de la pire espèce! Je me sentais sale, une machine à foutre, une poubelle, une vraie merde, je n’avais plus de larmes, ni de force, c’est dans la drogue que je me réfugiais. Aujourd’hui, j’essaie de tourner la page, malgré les séquelles. Ce n’est pas facile, c’est une blessure qui, je crois, ne pourra jamais cicatriser. J’ai fait la connaissance de Madame Mbog et son association m’ont aidés à tourner la page avec des soutiens psychologiques, un accompagnement et une réinsertion entre autres. Madame Mbog redonne une dignité aux femmes prostituées si souvent méprisées. Même si le combat n’est de loin pas encore gagné ».

Une issue possible ?

Mme Mbog Gemaine Epoula, est une Camerounaise qui a créé l’association «Femme, berceau de l’humanité malgré tout ». Son principal but? «Sortir les filles du trottoir et les aider à se réinsérer. Nous sommes installées en France, mais voyageons un peu partout en Europe, où se trouvent le plus de prostituées Africaines», nous explique la fondatrice que nous avons rencontrée à Genève. «Au départ, les femmes venaient vers nous pour les préservatifs et nous en avons profité pour leur poser des questions. Avec certaines, nous avons commencé à réfléchir à une stratégie commune pour les sensibiliser et les sortir de la rue», nous explique t-elle. Cette avocate de profession, a abandonné sa carrière pour se consacrer à plein temps à son association. «Toutes n’arrivent pas à tenir le coup. Seule une minorité écoute la sensibilisation et ne retourne pas dans la rue. La majorité y retourne, en expliquant que c’est la pauvreté qui les pousse, qu’elles doivent gagner de quoi nourrir leur famille entre autres. Par contre, elles promettent que si on leur propose une source de revenus, elles sont prêtes à quitter définitivement la prostitution», poursuit Mme Mbog, qui avoue n’avoir jamais imaginé qu’un jour elle laisserait tomber son métier pour inciter les travailleuses du sexe à se trouver une autre profession. Elle dit avoir pris «cette décision un jour… par hasard…», car, dans le cadre d’une enquête, elle découvre avec horreur qu’une mère prostituée, pour «garder» ses clients pervers, accepte l’offre que lui font ces derniers de sodomiser son fils de deux ans. Malheureusement, le fils ne résiste pas et meurt suite au viol. Mme Mbog, très marquée par cette horrible histoire, décide alors «de comprendre ce qui pousse les prostituées à accepter de subir tout ce qu’elles subissent! ».

Visiblement marquée, Mme Mbog interpelle avec une voix d’ange tous les concernés : «J’aimerais attirer l’attention sur le trafic d’êtres humains et communiquer deux messages. Le premier est que l’Afrique, en matière de prostitution, est en train de prendre tout ce que l’Europe a de plus sale pour miser ses espoirs là-dessus. Il faut expliquer aux gens que la vie est dure, mais que ce n’est que la solidarité qui nous fera dépasser les obstacles. Le deuxième message est pour les parents qui ont démissionné de leur rôle. On fait un enfant en essayant de lui donner les moyens d’aller plus haut. Ce sont les valeurs qu’on donne à un enfant aujourd’hui qui feront de lui la femme ou l’homme qu’il sera demain. Si on apprend à un enfant qu’il doit se prostituer pour avoir de l’argent, il pensera que son corps est sa seule source de revenus. Alors qu’il peut travailler. Même si c’est difficile. Nous pouvons encore arrêter les choses. Le message est aussi de demander aux gouvernements de trouver des solutions pour que les enfants aillent à l’école, que les gens soient protégés et, que les lois de l’asile et de l’immigration soit plus souples vis-à-vis des couches vulnérables, comme les femmes, parce que c’est quand elles traînent dans les rues qu’elles sont en danger », conclut-elle.

Fbradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

*Prénoms d’emprunt