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Les Golems de l’asile

Illustration : Harith Ekneligoda

Ou l’expérience corrosive du permis F

C’est l’automne et le soleil tardif illumine de mille couleurs la nature en pleine métamorphose. Mes yeux contemplent, mon cœur se tourne vers lui-même et dans cet espace de silence, il devient mon seul interlocuteur. La belle mosaïque du paysage suisse comporte une grosse tache de peur, un petit point de joie et un grand rectangle de souffrances.

J’avais reçu un avis négatif du SEM à ma demande de protection. L’injonction de quitter le territoire m’avait été signifiée quelques jours après. Je me souviens même que je m’étais rapproché de service d’aide au départ volontaire et réfléchissais encore sur la pertinence de la décision finale à prendre car, entre temps, j’avais été diagnostiqué d’une maladie grave et incurable.

Des policiers à ma porte

Il était neuf heures du matin ce jour-là quand j’entendis frapper à ma porte. C’était la police valaisanne.

« Habillez-vous » me dit l’agent qui se tenait devant la porte « Nous avons pour mission de vous conduire à Berne ».

Aucun recours n’était possible.

En bas de l’immeuble, deux autres policiers en civil attendaient près d’un bus ; ils se présentèrent et me lurent leur ordre de mission. Le chef me demanda si j’avais auparavant reçu une convocation directe du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), je lui répondis tranquillement « non » . Il s’interrogea :

« Alors pourquoi réquisitionner la force ? Il n’y a manifestement pas refus d’obtempérer ». Ce détail sera important pour la suite des événements ce jour-là.

Arrivés à Berne et après la fouille au corps usuelle, l’agent bernois voulut me mettre en cellule et décharger l’ordre de mission de mon escorte en attendant mon audition.

Le policier valaisan, qui était resté silencieux jusque-là, opposa un refus ferme et dit :

« Vous n’avez jamais adressé de convocation à ce Monsieur. Vous ne pouvez donc pas le traiter comme s’il avait refusé de collaborer. Nous attendrons ensemble l’heure de l’audition et nous repartirons en Valais avec lui ». Et il en fut ainsi.

Un policier qui me soutient contre son collègue? Je n’en revenais pas.

La suite fut plus facile à assumer: même quand la délégation de l’ambassade de mon pays tenta de m’humilier, je restais attentif à mon combat. Le fonctionnaire du SEM mit fin à l’entretien en ces termes :

« Ce n’est pas à moi que reviens le mot final, mais laissez-moi vous dire que vous avez tout au plus un pour cent de chances de rester en Suisse ».

Je répondis « merci de ne pas m’avoir complètement fermé la porte ». Il fut très surpris par ma réaction.

Le permis F, oui mais…

Moins de deux semaines après, je reçois un courrier qui m’annonce que la Suisse m’a accordé un permis F. Une joie immense inonda alors mon cœur et que de projets…

Tout ceci fut de courte durée, quand on m’expliqua exactement quels étaient les contours du permis F (admission provisoire). Entre autres limites, je ne peux pas voyager hors de Suisse et n’ai pas la possibilité de faire venir ma famille en Suisse dans le cadre d’un regroupement familial.

Ainsi, depuis environ sept ans, je suis enfermé dans les limites de mon document de résidence en Suisse.

– Oui je suis reconnaissant à la Suisse.

– Oui je suis en vie.

– Oui j’ai un soutien pour vivre.

La Suisse est un très beau pays et sa population est globalement accueillante. Tout ceci fait sens, quand le système d’accueil ne transforme pas le contexte de notre existence en prison.

Depuis huit ans, j’ai quitté les miens: mon épouse et ma fille.

Aujourd’hui, les conditions de vie que m’accorde mon permis ont fait de moi un mari et un père indigne. J’ai déserté le foyer conjugal, laissant derrière moi une épouse éplorée et une jeune adolescente qui se sent abandonnée. Quels mots puis-je trouver face aux questions de mon enfant qui veut me faire comprendre sa douleur ? Que puis-je lui expliquer de la douleur et du mal qui me ronge la chair et l’âme ? Comment lui faire comprendre qu’elle n’est pas mon dernier choix, malgré les apparences ? Comment expliquer à chaque téléphone à mon épouse que mon absence n’est pas un divorce ?

Le permis F jour après jour fait son œuvre corrosive dans les liens sociaux.

L’alchimie du système d’asile en Suisse a ainsi fabriqué des centaines de milliers de Golems: espèces d’individus, apparemment vivants, qui traînent autour d’eux une tristesse qui tue et qui déshumanise.

On n’en parle pas assez, mais la société est-elle vraiment prête à assumer ce gâchis ? Comment peut-on offrir du miel avec un arrière-goût si amer ?

Jima

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




«La réouverture du Musée de l’immigration est vraiment un miracle»

Ernesto Ricou lors de l’inauguration du nouveau Musée de l’immigration le 18.03.2022. Omar Odermatt / Voix d’Exils.

Le Point d’Appui à Lausanne accueille le nouveau Musée de l’immigration

Le Musée de l’immigration a été fondé par Ernesto Ricou en 2005 à Lausanne à l’Avenue de Tivoli 14. Contraint de quitter les lieux, le musée a failli fermer définitivement ses portes. In extremis, il a trouvé des nouveaux locaux au Point d’Appui à Lausanne et a pu rouvrir ses portes le 18 mars de cette année.

Selon Ernesto Ricou, la réouverture du musée est vraiment « un miracle », ce après avoir presque perdu l’espoir de trouver un nouveau lieu pour accueillir sa grande collection d’objets qui sont très importants pour la mémoire de la migration.

Aux origines du musée

Cet endroit intéressant consacré à la mémoire de la migration a ouvert ses portes en 2005 dans un local à l’avenue de Tivoli 14 à Lausanne. La collection d’objets d’une grande valeur historique et sentimentale est notamment composée de valises, photos et coupures de presse qui témoignent des douloureuses trajectoires de la migration et de l’humanité des êtres qui quittent leur pays pour de multiples raisons.

Dix-sept ans après l’ouverture de cet endroit de mémoire de l’immigration, le musée était sur le point de disparaître car le local était voué à la démolition pour laisser la place à un logement social. En outre, depuis 2015, le musée ne reçoit plus d’aide financière de la Ville de Lausanne, car « le projet ne s’inscrit pas dans ses priorités culturelles »

La persévérance porte ses fruits

Cependant, Ernesto Ricou a toujours gardé l’espoir de trouver de nouveaux locaux pour le musée. Après le premier jour de fermeture, alors qu’il était presque résigné à perdre son projet, il reçoit la visite de Diane Barraud, la responsable du Point d’Appui qui est une structure d’accueil et de soutien aux personnes migrantes de l’Eglise catholique et de l’Eglise évangélique réformée vaudoise. Elle lui propose un nouveau lieu pour son musée et un nouveau refuge pour la mémoire des migrations. Lors de l’inauguration du nouveau Musée de l’immigration, le vendredi 18 mars dernier, Ernesto Ricou a organisé une visite des collections. Fière de son travail et de sa persévérance qui ont finalement porté leurs fruits, il est aujourd’hui heureux et soulagé d’avoir eu la chance d’avoir trouvé ce nouveau lieu. Mais surtout, il remercie toutes les personnes qui ont cru et soutenu son projet altruiste. Et d’ajouter :  « Ce qui me fait tenir le coup ? Mère Térésa, dont le portrait est toujours accroché en bonne place dans le musée ».

Renata Cabrales

Membre de la rédaction vaudoise du Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

Ecoutez un extrait de la visite du nouveau musée de l’immigration par Ernesto Ricou le 18 mars dernier:

Pour visiter le musée : rendez-vous au Point d’Appui qui se trouve, à la rue St- Martin 36, à Lausanne.

Le musée de l’immigration est à la recherche de nouveaux locaux. Voix d’Exils, le 5 juillet 2016

Musée de l’immigration – Lausanne Musées (lausanne-musees.ch)




Une traversée de l’enfer jusqu’en Suisse

Coast Guard News (CC BY-NC-ND 2.0)

Coast Guard News (CC BY-NC-ND 2.0)

 Le témoignage glaçant d’un Erythréen

Je suis membre de Voix d’Exils. Je viens d’Erythrée

J’étais étudiant au collège et j’avais des bons résultats à l’école. J’avais aussi le rêve de me former dans le domaine de l’électricité. Mais je n’ai pas pu continuer mes études à cause de l’intervention des autorités qui voulaient m’obliger à entrer dans la marine militaire. Je n’avais pas d’autre choix que d’obéir. Donc j’ai décidé de quitter mon pays pour diriger ma vie moi-même.

En juin 2014, moi et mon amie sommes partis pour nous rendre en Ethiopie. A cet instant-là, on avait énormément peur car il y avait des soldats à la frontière. S’ils nous trouvaient, on savait qu’ils allaient nous enfermer en prison pour un temps indéfini. On a donc effectué notre parcours pendant la nuit pour notre sécurité. Pendant la journée, on se cachait dans des endroits peu fréquentés. On a fait comme ça et la troisième nuit, nous sommes arrivés en Ethiopie.

De l’Ethiopie au Soudan

Nous sommes restés deux semaines là-bas, puis on a décidé de partir pour le Soudan. Mais comme ce parcours est dangereux, il fallait donc chercher un passeur car il y a des malfaiteurs pendant ce voyage. On a donc cherché un passeur et on l’a payé 1600 dollars. Il n’a pas travaillé tout seul, il avait des complices avec lui. Alors lui et ses complices sont venus nous chercher en pickup et ont chargé 25 personnes dans la banquette arrière vers minuit. Comme le pickup n’était pas assez grand, on s’est assis les uns sur les autres et on s’est même assis au bord du véhicule. Nous sommes partis dans la nuit sans prendre de route. Nous sommes passés par la forêt et on avait aussi effectué notre parcours en se cachant puisqu’il y avait des malfaiteurs avec des armes qui enlevaient des gens. Quand le pickup ne pouvait pas traverser le chemin ou quand il y avait des rivières, on descendait et on les passait à pieds en s’attachant des jerricanes autour de la taille. Des personnes ont été emportées par le courant et ont disparu. C’était vraiment dangereux. Comme la route qu’on devait suivre était dans la forêt et de nuit, des personnes ont été gravement blessées aux yeux et se sont déchiré le visage. Au bout du huitième jour, nous sommes arrivés au Soudan.

Du Soudan à la Libye

Nous sommes restés deux semaines là-bas. Ensuite, nous avons continué notre parcours en Libye. Nous sommes partis grâce à un passeur Erythréen et on l’a payé 1600 dollars. Nous étions 200 personnes qui sommes parties ensemble en camion et on était chargés les uns sur les autres. Ce n’était pas possible de placer 200 personnes dans ce petit camion dans le désert sans prendre de route. De plus, il y avait trop de soleil et le camion avançait à sa vitesse maximale. On a fait cinq jours dans le Sahara soudanais. On était très fatigués, stressés et on avait aussi terriblement faim et soif par-dessus tout. Beaucoup perdaient connaissance.

Le cinquième jour, des Libyens nous ont accueillis avec six pickups. On était 30 personnes à bord de chaque véhicule. Mais, comme ils n’étaient pas assez grands, ils ont décidé de jeter toutes nos affaires (nourriture, eau habits) en dehors.

C’est le plus mauvais souvenir de ma vie, car huit jours plus tard, sur 200 personnes on était plus que 160. Deux pickups ont eu un accident à cause des chauffeurs drogués qui roulaient trop vite. Ils se sont renversés et des gens ont été écrasés. D’autres sont morts de faim et de soif.

On a vécu deux mois en Libye dans un endroit fermé en ne mangeant qu’une fois par jour, on avait donc vraiment faim. De plus, les Libyens nous traitaient de manière très brutaleme et nous battaient. C’était surtout les femmes qui souffraient le plus, car elles étaient souvent violées. Des personnes étaient aussi enlevées et vendues à d’autres passeurs Libyens. C’était très difficile à tolérer. On a payé 2200 dollars pour traverser la mer méditerranée. Nous avons été chargés sur un bateau en plastique prévu pour 150 personnes alors que nous étions 500.

De la Libye à la Suisse

Le bateau était donc beaucoup trop petit pour le nombre de personnes que nous étions. On était vraiment en danger, mais on n’a rien fait et on est quand même partis. On avait très peur parce qu’on sentait le danger. Après cinq heures de voyage en mer, le bateau a commencé à se déchirer. A cet instant-là, la seule chose qu’on pouvait faire c’était de découper des bouteilles en plastique pour rejeter l’eau en dehors du bateau. On était tous découragés très inquiets et on commençait à couler. Soudain, un bateau italien est venu nous secourir et a remorqué notre bateau. Après sept heures, on a été sauvés et nous sommes enfin arrivés en Italie. Puis, avec mon amie, nous nous sommes rendus en Suisse. On est aujourd’hui rassurés et on habite en sécurité avec notre fils qui est né ici.

B.N.

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils