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L’exil, l’autre enfer #2

L’aéroport de Frankfort. Source: wikipedia.org

Des complications à l’aéroport de Frankfort

Un adage dit : « On n’est nulle part mieux que chez soi », mais certaines réalités ne nous laissent pas toujours le choix face au péril, à la menace et à l’insécurité. Billy est un défenseur des droits humains au Togo, un pays de l’Afrique de l’ouest qui vit sous un régime dictatorial de père en fils depuis plus de cinquante ans. Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, il nous livre le récit de son calvaire, depuis son pays jusqu’en Suisse où son vécu quotidien rime toujours avec angoisse et incertitude. Episode 2/3.

Je débarquai à l’aéroport de Frankfort. Très peu renseigné sur les usages de l’exil, je savais toutefois que je devais demander l’asile à l’aéroport. J’ai salué un Africain et lui ai exposé mon problème. L’homme, sans doute un Nigérian, me répondit en anglais « You are in the right place ». Il passa un coup de fil et quelques instants après Stone, un de ses complices, vint me récupérer pour « m’aider à remplir les formalités de demande d’asile ».

Je me suis retrouvé dans un appartement de trois chambres et un grand salon où je m’installai. Stone me demanda mon passeport et s’enquit de la somme d’argent que j’avais sur moi. Je lui remis 500 euros des 1500 que j’avais. « Dans quoi me suis-je fourré? » pensais-je. J’étais interdit de toute sortie « pour ne pas me faire appréhender par la police et jeter en prison » comme Stone me l’avait expliqué dès mon entrée dans l’appartement. J’étais très fatigué et très malade. Les jours passaient, Stone me promettait que je pourrai bientôt entrer dans le camp d’enregistrement. Au bout de quelques jours, il vint me demander 500 euros de plus que je lui remis. Il ne me restait donc que le tiers de l’argent. J’ai passé en tout deux semaines chez mes ravisseurs, témoin de va-et-vient interminables de Blancs et de Noirs qui défilaient chaque jour chez Stone. Au lendemain de l’expiration de mon visa, il me dit: « Ton visa a expiré hier et tu ne m’en as pas informé ? » J’ai répliqué avec colère : « you have my passport and my visa is Inside! ». Il me fit comprendre que désormais, les choses allaient être difficiles et qu’il avait besoin du reste de mon argent ; et il promit que le lendemain nous partirions déposer ma demande d’asile.

Quelques jours plus tard, le 2 décembre 2017, nous nous mîmes en chemin vers je ne sais où ; j’étais avec Stone et une autre personne qui venait souvent à la maison. D’après eux, nous allions au camp de réfugiés. Le trajet fut très long, environ quatre ou cinq heures, après quoi, nous arrivâmes près d’une gare. Je lus le nom de la ville sur la façade : j’étais à Bâle. Stone me fit descendre du véhicule et me dit de me rendre à Vallorbe dans le canton de Vaud. Le temps de descendre du véhicule et de chercher à récupérer ma valise dans le coffre arrière, je ne vis que de la fumée : ils étaient partis à vive allure avec mon bagage et toutes mes affaires, dont mon passeport. Je suis resté hagard avec mon sac à dos.

Une femme dont j’ai gardé le prénom en mémoire – Eliane – avait assisté à la scène et m’approcha. Je lui racontai comment ces bandits m’avaient arnaqué. Je tremblais de froid et d’effroi. Elle pensa tout d’abord à alerter la police puis elle me dit qu’elle allait m’aider à rejoindre Vallorbe car elle y allait justement. J’étais dépouillé jusqu’au dernier centime. Eliane paya mon billet de train et, après une correspondance à Lausanne, nous arrivâmes à Vallorbe. Eliane m’accompagna jusqu’à la porte du centre d’enregistrement et me laissa sur ces mots : « Tout de bon, cher Billy, sois prudent et ne te laisse plus jamais avoir ! ». Après son départ, je tremblais toujours. Deux jours plus tard, ma tension artérielle s’éleva au point où je fus admis aux urgences de l’hôpital Saint-Loup à Yverdon-les-Bains.

Les terribles accords de Dublin

Huit jours après mon enregistrement au centre d’accueil de Vallorbe, je passais ma première audition. On me signifia que je devais retourner en Allemagne car c’était le pays responsable de ma demande d’asile selon les accords de Dublin. La Suisse n’entrait donc pas en matière sur ma demande d’asile. J’essayais d’objecter que je ne pourrai pas retourner en Allemagne et racontai ma mésaventure ; j’étais très fatigué et désespéré, la mort dans l’âme. J’avais aussi peur que lorsque j’étais dans mon pays.

Un mois plus tard, je fus transféré dans le canton du Valais, attendant le sort que me réservaient les fameux accords de Dublin. Je subissais des crises à répétition dues aux lésions de ma moelle épinière. Des associations, qui avaient assisté à l’une de mes crises lors d’une retraite spirituelle organisée à l’intention des refugiés et requérants d’asile, adressèrent plusieurs courriers au Secrétariat d’Etat aux migrations aux fins de surseoir à mon renvoi vers l’Allemagne, sans succès. Je reçus avec angoisse les réponses qui, toutes, exigeaient mon retour en Allemagne.

Billy

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Les épisodes précédents:

L’exil, l’autre enfer  « De la défense des droits humains à la contrainte de l’exil » épisode 1, article publié le 17.02.2020

 




L’exil, l’autre enfer #1

unsplash.com / Auteur: Spenser

De la défense des droits humains à la contrainte de l’exil

Un adage dit : « On n’est nulle part mieux que chez soi », mais certaines réalités ne nous laissent pas toujours le choix face au péril, à la menace et à l’insécurité.

Billy est un défenseur des droits humains au Togo, un pays de l’Afrique de l’ouest qui vit sous un régime dictatorial de père en fils depuis plus de cinquante ans. Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, il nous livre le récit de son calvaire, depuis son pays jusqu’en Suisse où son vécu quotidien rime toujours avec angoisse et incertitude. Episode 1/3.

« C’était le matin du 13 juin 2012, le deuxième jour d’une série de manifestations qui ont vu une marée humaine envahir les rues de Lomé. Les Togolais réclamaient des réformes institutionnelles, constitutionnelles et électorales devant normalement déboucher sur une alternance du pouvoir. J’étais au sein de la manifestation pour faire du monitoring. Alors que la foule se dirigeait vers un carrefour dénommé Déckon où elle prévoyait faire un sit-in, l’armée débarqua, faisant usage de gaz lacrymogènes et même de tirs à balles réelles. Après une course-poursuite, je suis tombé aux mains des militaires et la seule chose dont je me souviens encore est cette phrase : « ôtez-lui la camera » ; j’ai pris un coup à la nuque et me suis effondré. Je me suis réveillé en fin de journée dans une clinique de la ville avec des hématomes et des douleurs atroces tout au long de la colonne vertébrale.

Au bout de six mois, il m’était difficile de marcher et comme les hôpitaux de mon pays sont des mouroirs, j’ai dû me rendre au Maroc en 2013 pour me faire opérer d’une fracture de la colonne au niveau cervical avec un arrachement de tissus osseux.

Togo. Source: Wikipedia.

La lutte continue

De retour du Maroc, j’ai créé une association visant à impliquer les chrétiens dans la lutte pour la libération du peuple. Notre objectif était de défendre les droits humains aux côtés des autres organisations de la société civile togolaise.

En août 2016, lors d’une campagne organisée par une association en faveur des victimes de 2005, j’ai dénoncé les violations des droits humains dans mon pays lors d’une interview à la radio, relayée aussi en langue Ewé. Mes propos me valurent des messages de félicitations mais aussi de nombreuses menaces de mort. C’est ainsi qu’en 2017, lorsque le peuple descendit à nouveau dans les rues des villes du Togo pour réclamer le départ du régime, je fus ciblé et battu par des milices armées par le pouvoir. A terre, sous les coups de bottes de quatre forcenés, j’ai pensé que mon dernier jour était arrivé. Heureusement, j’eus la vie sauve grâce à l’intervention de témoins qui hurlèrent : « lâchez-le, lâchez-le ! ». Mes agresseurs montèrent à bord de leur pick-up et partirent en trombe. On me fit asseoir ; je voulus informer ma femme de ce qui m’était arrivé et elle me conjura de ne pas rentrer, car les mêmes individus étaient passés à la maison et l’avaient menacée, lui demandant où je me trouvais. « Ils n’ont pas quitté le quartier, ils sont là et attendent que tu rentres ! »

Je dus me réfugier pendant environ deux semaines dans un orphelinat dirigé par un confrère engagé en faveur des droits des enfants.

Un visa pour l’Europe

Une invitation à participer à la conférence de la COP23 de 2017 à Bonn en Allemagne me permit d’avoir un visa. Sortir du pays restait un problème à résoudre. Comment échapper aux contrôles à l’aéroport ? De plus, j’étais très mal en point, je marchais désormais avec deux cannes depuis mon agression. Mon ami directeur de l’orphelinat persuada un officier de l’armée de me faire passer jusqu’à bord de l’avion. Était-ce la fin du cauchemar ? »

Billy

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils