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Harcèlement sexuel dans l’espace public

Photo: Ahmad Mohammad / Voix d’Exils

Le ras-le-bol des femmes d’ici et d’ailleurs

Hors de leur foyer, les jeunes Iraniennes courent le risque de se faire lourdement draguer, insulter, voire agresser par des hommes qui règnent en maîtres dans l’espace public. Leurs comportements déplacés et violents pèsent sur la liberté de mouvement des femmes et leur équilibre psychique. Moins touchée, la Suisse n’est pourtant pas épargnée par ce phénomène. Notre rédactrice iranienne Zahra raconte.

En Iran, les hommes se sentent supérieurs aux femmes. Ils nous embêtent soi-disant pour rire et pour le plaisir. Ils prétendent que ce qu’ils appellent des « taquineries » sont un moyen de communiquer avec nous et que nous aimons être taquinées. De notre point de vue, c’est complètement faux ! Les hommes n’ont rien à gagner avec des comportements sexuellement agressifs et des paroles déplacées. Mais ils ne nous écoutent pas ! Pour eux, la parole des femmes ne compte pas. Pour illustrer cette réalité, je vais vous raconter trois situations vécues par des amies et par moi-même.

Zahra, 15 ans, victime d’un violent attouchement dans la rue

J’habitais la ville iranienne de Sardasht. C’était la fin de l’année scolaire et, après avoir passé un examen, je rentrais à la maison à pied en compagnie d’une camarade. Nous étions deux adolescentes sans histoires et complices qui papotent tout en marchant. Alors qu’on traversait une ruelle, deux garçons à moto nous ont dépassées et le passager m’a frappée sur les fesses. Cet acte à la fois sexuel et violent m’a profondément choquée. Après, j’en ai longtemps tremblé de peur.

En arrivant chez moi, je n’ai pas osé parler avec mes parents de ce qui m’était arrivé. Je n’avais rien fait et pourtant je me sentais coupable. J’avais peur qu’ils se fâchent et me grondent… C’était inutile aussi de dénoncer ces violences à la police. En Iran, la police prend généralement le parti des agresseurs: « Si tu t’étais bien comportée et si tes habits t’avaient couverte décemment le corps, alors il ne te serait rien arrivé… », voilà la réaction habituelle.

On attendrait de la police qu’elle se montre compréhensive, qu’elle soutienne les femmes qui portent plainte, qu’elle dise que les hommes qui les harcèlent sont des malades, qu’ils n’ont pas d’éducation, mais la plupart des policiers ne valent pas mieux que les harceleurs.

Personnellement, je n’avais rien à me reprocher, je n’étais pas provocante du tout, j’étais habillée avec une longue robe et je portais le voile. Cela n’a pas empêché un inconnu de se sentir autorisé à me donner une fessée. Après cet épisode, je me suis sentie très vulnérable. A chaque fois que je sortais dans la rue, je regardais autour de moi pour m’assurer que je n’allais pas à nouveau me faire agresser.

Farzaneh, 25 ans, victime d’un rodéo-drague sur l’autoroute

Les hommes de mon pays se font un plaisir de harceler aussi les femmes qui conduisent. Il y a quelques temps, mon amie Farzaneh, qui habite dans la ville d’Ouromiye, avait pris sa voiture pour se rendre au travail.

En entrant sur l’autoroute, elle s’est aperçue qu’un homme la suivait. Il se comportait comme s’il était fou : pendant tout le trajet, il se déplaçait à sa hauteur sur la piste de dépassement, lui faisait de grands gestes obscènes et puis revenait derrière elle en la collant pare-chocs contre pare-chocs, il allumait et éteignait ses phares, il la klaxonnait…

Au début, elle a juste pensé que c’était une mauvaise plaisanterie sans importance, puis le comportement et les gestes de cet homme lui ont vraiment fait peur. Elle s’est sentie en danger. En sortant de l’autoroute près de son travail, elle a pensé qu’il allait laisser tomber. En fait, il l’avait suivie discrètement dans les ruelles et lorsqu’elle s’est garée, elle l’a vu surgir devant sa voiture.

A ce moment-là, elle s’est sentie impuissante, elle ne savait pas comment réagir. Et puis, elle s’est reprise, elle a fait marche arrière et elle est partie. Cette fois, l’homme ne l’a pas suivie. Il avait probablement atteint son objectif : lui faire peur et lui montrer qu’il était le plus fort…

Mon amie n’a même pas pensé à noter la plaque de la voiture de cet homme pour le dénoncer à la police. De toute façon, ça n’aurait probablement servi à rien.

Bafrin, 22 ans, victime de gestes déplacés dans un taxi

Alors qu’elle rentrait à la maison en taxi, Bafrin, étudiante à l’université de Khoy a vécu une mésaventure particulièrement stressante.

C’était le début des vacances scolaires et, après 6 heures de bus elle était enfin arrivée à la gare principale. Elle avait encore un peu de chemin à faire et elle a opté pour le taxi. Il était 19h, il faisait déjà sombre en cette fin d’après-midi d’automne et elle ne voulait pas marcher seule dans la rue. Elle pensait être en sécurité à l’arrière du taxi dans lequel elle était montée. Mais lorsque le chauffeur a démarré, il a commencé à lui caresser la jambe et lui a proposé des relations sexuelles.

Heureusement, Bafrin n’a pas perdu tous ses moyens. Elle a eu le réflexe d’appeler discrètement son père et de mettre sur haut-parleur sa conversation avec le chauffeur sans que ce dernier ne s’en rende compte.

Le père, qui entendait tout ce qui se disait dans le taxi, a compris que sa fille était en danger. Il a pris sa voiture et sur la base des indications que sa fille lui donnait indirectement, – elle citait les lieux par lesquels le taxi passait -, il a pu les retrouver.

Quand le chauffeur de taxi s’est rendu compte qu’il était suivi, il a aussitôt fait descendre Bafrin. Mais son père avait eu le temps de noter le numéro de plaque et il a porté plainte au commissariat au nom de sa fille. D’homme à hommes, le courant est passé. La police a pris la situation de ce père outragé au sérieux. Elle a arrêté le chauffeur et l’a emprisonné en attente de sa comparution devant le juge.

Lors de son jugement, il a prétendu qu’il était innocent, mais le père de Bafrin qui avait enregistré la discussion dans le taxi a pu prouver le contraire. Comme le chauffeur avait menti, il a été frappé en plein tribunal devant Bafrin… Pour elle, cette pénible expérience suivie par des actes de violence jusque dans un tribunal ont été très traumatisantes. Elle n’est plus jamais montée seule dans un taxi.

En Suisse aussi…

En parlant autour de moi de cet article sur le harcèlement dans l’espace public vécu par mes compatriotes, j’ai réalisé que cette problématique dépassait le cadre de mon pays. A Lausanne, mon amie Julie a, elle aussi, été victime de harcèlement. Elle a accepté de témoigner d’un épisode qui l’a durablement marquée.

Julie, 18 ans, victime d’un harceleur au petit matin

Après avoir fait la fête à Lausanne, Julie descendait seule la rue très pentue du Petit-Chêne en direction de la gare. A un moment, elle a senti une présence derrière elle. Elle s’est retournée, elle a vu un homme et s’est demandée avec un début d’inquiétude s’il avait l’intention de la draguer. Elle a continué sa route en se disant qu’elle se faisait un film dans sa tête et qu’elle ne risquait rien.

A cette heure avancée – il devait être près de 3 heures du matin – le seul souhait de Julie était de pouvoir prendre son train sans être molestée et de rentrer à la maison.

Mais, en continuant son chemin, elle a compris que cet inconnu la suivait réellement. Il s’était rapproché d’elle et lui faisait des propositions sexuelles. Elle avait beau lui répondre qu’elle n’était pas intéressée en espérant qu’il allait laisser tomber, il insistait.

Plus elle avançait, et plus il se rapprochait. Elle accélérait, il faisait de même. Ils étaient seuls dans la rue. Elle avait tellement peur qu’elle s’est mise à courir jusqu’à la gare pour rejoindre un endroit avec du passage et des personnes qui pourraient éventuellement l’aider.

Arrivée à la gare, elle avait constaté que l’individu ne la suivait plus. Aujourd’hui encore, elle se souvient du tremblement de ses mains et de son cœur battant. Pour trouver du réconfort, elle avait appelé un ami qui était avec elle en ville ce soir-là. Elle avait besoin de lui raconter sa mésaventure et de lui demander de la rejoindre au plus vite afin d’être rassurée.

Zahra Ahmadyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

EyesUp: une application pour lutter contre le harcèlement

Le harcèlement sexuel s’invite partout : dans la rue, dans le bus, en soirée, mais également à la salle de sport ou au travail. Et ses victimes sont nombreuses. A titre d’exemple, 72 % des jeunes Lausannoises ont été confrontées, au moins une fois, à un épisode de harcèlement de rue au cours des 12 derniers mois.

La plupart du temps, pour les femmes harcelées, il est impossible de réagir sans se mettre en danger. Elles baissent les yeux, rasent les murs, accélèrent le pas et tentent d’oublier au plus vite ces pénibles moments… D’où des sentiments d’injustice, de colère et d’impuissance.

Pour aider les femmes à relever la tête, un groupe de bénévoles Lausannois a mis au point EyesUp: une application pour smartphones qui permet de signaler les comportements déplacés à caractère sexuel, tout en restant anonyme. Plus largement, l’objectif de EyesUp est de documenter, sur la base des signalements reçus, le phénomène du harcèlement pour que les pouvoirs publics réalisent son niveau de gravité et prennent des mesures pour en libérer les femmes.

Sur son site, EyesUp regroupe des ressources pour soutenir, informer et sensibiliser. Elle rassemble des articles de vulgarisation scientifique, des fiches d’informations, des astuces ainsi qu’un recueil des associations actives dans les domaines pouvant toucher au harcèlement sexuel.

Z.A

Pour aller plus loin :

Consultez le site internet de Eyesup:

eyesup – l application contre le harcèlement (eyesupapp.ch)

 

 




Le racisme ordinaire

Pixabay licence.

Un des nombreux visages du racisme

Construit sur des préjugés, le racisme ordinaire se présente comme un ensemble de discriminations répétées qui peuvent sembler insignifiantes ou banales à celles et ceux qui en sont les auteurs. Il s’avère, par contre, extrêmement blessant pour celles et ceux qui en sont les victimes. Cette analyse vous est proposée par notre rédactrice Marie-Cécile Inarukundo pour s’associer à La Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale d’aujourd’hui, point d’orgue de la Semaine d’actions contre le racisme lausannoise qui a pour thème cette année  « Les mécanismes du racisme  »

L’article que nous vous proposons vise à mettre en lumière comment le racisme ordinaire se manifeste en pensée, en action, par la parole, et de manière plus ou moins consciente. Il met en perspective ce « poison social » à travers des témoignages explicites et poignants d’hommes et de femmes qui ont en commun de le subir et d’en souffrir.

Les épreuves du bus et de l’ascenseur

« Il est insupportable pour celui qui le subit. Invisible pour celui qui le fait subir», souligne Kareen Guiock, journaliste, née d’un père guadeloupéen et d’une mère martiniquaise, à propos du racisme ordinaire dans le cadre d’un entretien accordé pour Madame Figaro.

C’est une forme de ségrégation qui ne se perçoit pas directement, puisqu’elle ne s’accompagne pas forcément de mots ou d’actions. Mais elle fouette quand même la personne concernée, comme le raconte à Voix d’Exils Magdalena Nduwimana, requérante d’asile Burundaise : « Tu es là dans un bus bondé, où même une place debout est un rêve… Tu es assise près de la fenêtre, la place à côté de toi et celles d’en face sont vides ! Pourquoi ? Parce que, après avoir balayé le wagon du regard, beaucoup préfèrent rester debout. Parfois, il y en a un qui se jette à l’eau et vient s’asseoir à côté ou en face de toi. Alors, et seulement alors, d’autres osent s’aventurer ! Le côté positif ? C’est que quand les autres passagers préfèrent rester debout, tu as autant d’espace qu’en première classe pour un billet de deuxième ! »

Jonathan Gasana, d’origine rwandaise, commercial dans les assurances, dans le cadre d’un témoignage diffusé sur la Radio Télévision Suisse (RTS) fait remarquer, « [ qu’] en Suisse, c’est subtil, ce sont les petits gestes, les petites remarques comme quand on est dans un ascenseur et que les gens s’accrochent à leur sac, ou quand on y entre et que certains sortent. » Alors que les gestes, peut-être inconscients, sont visibles, les pensées, celles qui poussent certains à mettre leur sac en sécurité à l’approche d’un autre individu ou à ne pas prendre la seule place assise libre dans un train bondé, sont invisibles mais pas moins blessantes pour autant.

Des plaisanteries faussement légères

« J’ai une formation d’infirmière et je travaillais comme stagiaire avec une sage-femme. Nous avions une patiente prête à accoucher, qui devait subir une césarienne, témoigne pour Voix d’Exils Meserete Sélassié, Éthiopienne. On l’a préparée pour l’emmener dans la salle d’opération. Arrivées dans la salle des soins intensifs, la dame qui y travaillait s’est exclamée en me voyant « Voyons, voyons, cette fois-ci, on t’a achetée pour combien en Afrique ? » Tout le monde était choqué et gêné. Ses collègues l’ont interpellée et elle a répondu en riant que c’était une blague. Personnellement, je bouillais, mais je n’ai pas réagi, car il y avait 5 patientes dans la salle en plus de nous. »

Les plaisanteries de ce type, qui peuvent être perçues comme anodines et banales par la personne qui les prononce, font explicitement référence au passé colonial des pays occidentaux, aux ancêtres des personnes victimes de cette forme de racisme et au statut réducteur d’esclave. Par conséquent, le ressenti ne peut être compris de manière semblable entre les personnes qui font des blagues racistes et celles qui en sont les cibles. A titre de comparaison, qui oserait « pour rire », lâcher une blague saignante à une personne qui a perdu un proche dans un attentat terroriste ou à quelqu’un dont la famille a été décimée durant la Shoah ?

Être noir et professeur, oui c’est possible !

« Moi, j’avoue, quand je croise une personne noire en bas de mon boulot, mon premier réflexe, c’est de penser qu’elle vient consulter une de nos permanences juridiques ou sociales. Pas qu’elle est peut-être la patronne de la société informatique qui vient réparer notre réseau ou une journaliste qui vient couvrir une conférence de presse » reconnaît Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au CSP Genève, dans le cadre d’une réflexion personnelle.

Il semblerait que les raccourcis objectivés par Monsieur Brina sont – inconsciemment – utilisés par d’autres. Le racisme ordinaire touche beaucoup plus de personnes qu’on ne le pense, et même celles et ceux qui sont au sommet de l’échelle socio-professionnelle.

L’éminent chirurgien et Professeur Mitiku Belachew, originaire d’Éthiopie et ayant la nationalité belge, partage sur la Radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF), une expérience vécue alors qu’il s’apprêtait à donner une conférence : « Je monte sur le podium préparé dans la salle de conférence et on se met à m’interpeller « Monsieur, Monsieur, nous n’avons pas de problème technique ! », pensant que je viens régler les micros… J’ai l’habitude, alors je souris et je réponds « Je viens donner ma conférence » ».

Le Professeur Belachew ne le précise pas dans son témoignage, mais on peut imaginer qu’il ne portait pas une salopette de manutention en arrivant dans la salle, mais plutôt un costume ou une blouse de travail. Malgré cela, son interpellation est automatique, spontanée et probablement sans aucune mauvaise intention. Presque un réflexe de Pavlov : on voit une personne, on constate qu’elle est de peau sombre, on la catégorise. Les cases sont prédéfinies. On ne va pas au-delà, on n’y réfléchit pas. Oui, il n’y a sûrement aucune mauvaise intention derrière l’interpellation du Professeur Belachew, mais l’expression du préjugé réducteur et raciste selon lequel un homme de couleur, présent dans une salle où vont se réunir des scientifiques, ne peut être qu’un réparateur.

Le « coupable » est blanc, mais l’ « accusé » est noir

« Le préjugé s’appuie sur une observation biaisée de la réalité, il repose notamment sur la construction de stéréotypes et l’identification de boucs émissaires », affirme Jérôme Jamin, Professeur de science politique à l’Université de Liège dans « Racisme ordinaire : entre préjugés, stéréotypes et boucs émissaires »

L’émission Infrarouge, diffusée le 10 juin 2020 sur la RTS, raconte l’histoire de Jonathan Gasana qui est de sortie avec un ami valaisan de pure souche. Une voiture de police passe. Son ami, imite le bruit de la sirène d’une voiture de police qui passe à côté d’eux. La voiture s’arrête, un policier, visiblement en colère, en sort, se dirige vers Jonathan et l’apostrophe : « Est-ce que tu as besoin d’aide, est-ce que tu veux que je t’apprenne à chanter ? » De fait, le policier ne pose pas de questions. C’est jugé d’avance. Il va de soi qu’entre les deux hommes, celui qui chahute les policiers dans la rue est forcément le plus basané, le Suisse venu d’ailleurs. Car Jonathan a un passeport suisse depuis son plus jeune âge. Pour le policier, il n’est pas inscrit sur le visage de Jonathan qu’il est suisse et qu’il s’agit peut-être d’un homme, d’un époux, d’un étudiant, d’un frère ou d’un père exemplaire. Cette histoire fait également écho aux contrôles au faciès qui pourraient à eux seuls donner lieu à un article entier.

Faire reconnaître ses compétences ? Le parcours du combattant…

« L’expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique », lit-on dans l’article 1.1 de la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Meserete Sélassié, permis B, raconte à Voix d’Exils les difficultés qu’elle a rencontrées pour faire reconnaître en Suisse le diplôme d’infirmière qu’elle a obtenu dans son pays : « Ça m’a pris du temps pour convaincre mon assistante sociale du Centre social d’intégration des réfugiés (CSIR) de commencer cette démarche. Elle résistait et me disait de faire le premier travail qui me tomberait sous la main. Moi, je lui répondais que j’avais plusieurs années d’expérience en tant qu’infirmière et que je ne voulais pas changer de métier. Elle insistait pour que je laisse tomber mes démarches pour obtenir l’équivalence, en prétextant que c’était compliqué et que ça coûtait cher. Après 6 mois sans parvenir à nous mettre d’accord, elle m’a envoyé au CICR où j’ai été suivie par une assistante sociale qui a soutenu mon idée. Et c’est avec elle que j’ai enfin pu commencer les démarches. »

Gagner la confiance, pas si simple…

« Le caractère systémique et institutionnalisé du racisme lui permet de continuer à opérer; il culmine par des violences policières et par des processus de ségrégation, de discrimination et d’exclusion », souligne Ibrahima Guissé, sociologue, dans le cadre d’un article du journal Le Courrier.

A la fin de procédures administratives, l’infirmière Meserete Sélassié reçoit une lettre de confirmation de son stage à la maternité, qui précise les dates, le service attribué et la personne de contact. Quand la cheffe de service apprend que Meserete est là pour un stage, elle crie littéralement « Noooon ! Qui vous a donné la place de stage ? » Surprise, Meserete lui montre la lettre de convocation. Mais la cheffe reste sur ses positions, il n’y a pas de place, pas de programme, et absolument rien ne peut être fait pour Meserete. Elle lui fait clairement comprendre qu’elle devra se débrouiller et se soumettre au bon vouloir des praticiennes. Aucune indication ne lui est donnée ni sur le fonctionnement, ni sur les horaires, les pauses, etc. Abasourdie, mais bien décidée à faire son stage, Meserete passe ses journées à demander aux sages-femmes qui veut bien d’elle, et parfois elle s’occupe comme elle peut parce qu’aucune n’est disponible. Pendant ce temps, les stagiaires françaises, portugaises et suissesses mènent bon train leur expérience. « Même si elles ne le disaient pas verbalement, les sages-femmes avaient du mal à m’accepter dans leurs équipes et à me faire confiance », soupire Meserete.

Les exemples mentionnés dans cet article mettent en lumière les expressions du racisme ordinaire. Bien que d’un autre âge, ce phénomène est tellement ancré dans la culture individuelle ou sociétale que, parfois, ceux qui dénigrent, discriminent, excluent, se méfient, ou se moquent de leurs semblables au prétexte que leur peau a davantage de pigments foncés, n’ont même pas conscience d’être des racistes ordinaires.

Marie-Cécile Inarukundo

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

Lire l’article « La semaine d’actions contre le racisme débute aujourd’hui » paru dans Voix d’Exils le 15 mars 2021.

 




Être journaliste en Syrie «c’est comme marcher sur un champ de mines»

Le photo-journaliste canadien Ali Mustapha assassiné en 2014 à proximité d'Alep. Auteur: DC Protests  (CC BY-NC-SA 2.0)

Le photojournaliste canadien Ali Mustapha assassiné en 2014 à proximité d’Alep. Auteur: DC Protests (CC BY-NC-SA 2.0)

Témoignages exclusifs de reporters de guerre syriens

Il est de plus en plus difficile de couvrir le conflit qui s’envenime en Syrie, pays à feu et à sang considéré par Reporters sans frontières comme le plus dangereux au monde pour les journalistes et les citoyens-journalistes. Voix d’Exils a réussi à entrer en contact avec quelques reporters de guerre syriens pour recueillir leurs témoignages à propos de leur travail au quotidien*. Immersion dans les coulisses des médias de l’État Syrien.

Avant le soulèvement contre le régime de Bachar el-Assad en 2011, Mazen Darwish, Président du Centre syrien des médias et de la liberté d’expression (SCM), avait décrit son travail en tant que journaliste en Syrie de la manière suivante : «quand vous êtes journaliste en Syrie, c’est comme si vous marchez sur un champ de mines». Cette situation était celle de dizaines de journalistes syriens qui dura pendant plusieurs décennies caractérisées par un droit d’expression largement bafoué et un harcèlement sans répit des services secrets à leur égard. Leur quotidien était marqué par la peur au ventre de se retrouver, un jour, sujet d’une arrestation et d’accusations montées de toutes pièces. Tout dépendait, en fait, de l’humeur du corps responsable de la surveillance et du contrôle de l’information et des services de sûreté du régime syrien. Cette situation a eu, bien entendu, des conséquences néfastes sur la qualité de l’écriture journalistique: on voyait les mêmes communiqués de presse et les mêmes sujets, les mêmes approches voire les mêmes titres dans Al Ba’athALThawra et Tishreen, les trois journaux officiels du gouvernement qui sont totalement contrôlés par l’Agence Arabe syrienne d’Information (SANA), qui était l’unique source incontournable pour les informations politiques.

La journaliste japonaise Mika Yamamoto assassinée en Syrie en août 2012. Son image est projetée sur un écran à Tokyo. Auteur Robert Huffsutter. (CC BY 2.0)

La journaliste japonaise Mika Yamamoto assassinée en Syrie en août 2012. Son image est projetée sur un écran à Tokyo. Auteur Robert Huffsutter (CC BY 2.0)

Les journalistes étaient devenus, au début de la crise en Syrie, la cible privilégiée de l’armée syrienne qui tentait de les empêcher de couvrir les manifestations anti-régime. Actuellement, les journalistes étrangers et syriens se trouvent pris entre le marteau de l’armée et l’enclume des groupes armées; et il est aujourd’hui facile de distinguer deux catégories de média en Syrie: ceux du régime et ceux de la révolution et des groupes armés.

Le contrôle de l’information a pris de l’ampleur dans tous les domaines: il touche presque tous les niveaux et les régions qu’elles soient dominées par l’armée du régime syrienne ou par les rebelles. La couverture des événements devient alors très dangereuse. Les correspondants de guerre sont continuellement exposés au risque d’enlèvements et de mort. Ce danger a encore augmenté avec l’émergence des groupes extrémistes comme celui de l’État Islamique en Irak et dans le al-Sham (Daesh) qui considèrent les journalistes comme une monnaie d’échange. Pour Christophe Deloire, Secrétaire général de Reporters sans frontières, réagissant à la décapitation de Steven Sotloff par l’État Islamique en septembre 2014, il s’agit d’un «crime de guerre effarant, ignoble et dément qui devrait être condamné par la justice internationale». La conséquence désastreuse de cette situation est qu’il «n’est plus possible de couvrir les conflits dans les régions qui sont sous le contrôle de Daesh». Dès lors, il ne reste pour les journalistes que les sources d’information indirectes avec le risque de manipuler les vérités et de changer ainsi le déroulement des événements.»

Les journalistes : «un bataillon de l’armée»

En Syrie, les médias sont complètement régis par l’État. Lors d’une interview du journal syrien Al-Watan, en date du 27 juillet 2014, Le ministre syrien de l’information – Omran El Zohbi – a indiqué que «les médias sont en principe tenus de garder la neutralité». Mais il précise que «maintenant, en état de guerre, nous ne sommes certainement pas neutres! Nous faisons partie de l’État et soutenons nos forces armées. D’ailleurs, je l’ai toujours dit (aux journalistes ndlr) de se considérer comme un bataillon de l’armée et nous avons, au niveau du gouvernement, œuvré et agi sur cette base.»

Bothaina**, journaliste syrienne, confirme les propos du ministre et précise que «nous formons, en fait, un même bloc avec les forces armées. En leur présence, nous ne sentons pas la peur!». Elle explique que «les membres de l’armée sont soit l’un de nos proches ou l’un des habitants de notre ville. Raison pour laquelle, nous nous sentons en sécurité en compagnie des fils de notre pays.» La couverture des nouvelles se limite aux zones pro-régime dans le but de «documenter le travail de l’armée». Elle affirme néanmoins que «les journalistes arrivent à relater les choses avec assez de transparence.»

Ali**, également journaliste syrien, mentionne que «la plupart des batailles sont couvertes par les correspondants de guerre des chaînes de l’État qui accompagnent les opérations de l’armée syrienne et qui deviennent, ainsi, une cible de la partie adverse». Il ajoute que «les sujets sont systématiquement contrôlés par les chefs de rédaction en service. Pour les évènements les plus importants, c’est le directeur de la chaîne qui effectue en personne ce contrôle. Les reportages sur le terrain sont eux gérés directement par l’organe politique responsable du média de l’armée qui supervise le contenu et jouit de tous les droits pour refuser ou accepter telle ou telle séquence».

Une femme se tient das les débris de sa maison qui a été détruite par l'Armée syrienne à Al-Qsair. Auteur: freedonhouse (CC BY 2.0)

Une femme se tient das les débris de sa maison qui a été détruite par l’Armée syrienne à Al-Qsair. Auteur: freedonmhouse (CC BY 2.0)

Pour les zones sous le contrôle de l’opposition et des rebelles, il est difficile pour les chaînes de l’État d’y accéder, de couvrir les évènements sur le terrain et de s’y documenter. «Le travail des médias d’État reste, par conséquent, concentré sur ce qui pourrait ternir l’image de l’opposition et des résistants aux yeux de l’opinion publique».

Selon Bothaina «Il y a toujours une certaine liberté et les massacres perpétrés dans les zones pro-régime sont assez bien couvertes avec une très bonne documentation. Cela diffère beaucoup avec les zones de l’opposition. Pour les médias syriens, les attaques de l’armée visent uniquement les rebelles et non pas les civils. C’est une des lignes rouges qu’il ne faut pas dépasser!» précise-t-elle. Elle mentionne également que les pertes de l’armée ne sont pas du tout relatées dans les médias. La raison étant d’éviter de saper le moral de l’opinion publique et d’augmenter ainsi la crainte de la population. Pour elle, cette réticence à couvrir objectivement les différents évènements dans le pays fait perdre les médias en crédibilité «On ne parle pas du tout des défaites de l’armée ni des territoires tombés dans les mains des rebelles. On ne parle même pas des difficultés rencontrées au quotidien par les citoyens par peur de remonter l’opinion publique face à l’incapacité du gouvernement» martèle-t-elle.

Des membres des rebelles syriens en février 2012 à al-Qsair. Auteur: Freedom House (CC BY 2.0)

Des membres des rebelles syriens en février 2012 à al-Qsair. Auteur: Freedom House (CC BY 2.0)

«Des vidéos appellent à notre assassinat»

Selon Bothaina, la douleur pour les correspondants de guerre travaillant pour les médias syriens est double: voir, d’un côté, leur propre pays vivre de tels évènements et vivre, de l’autre, un manque immense de reconnaissance à leur égard en voyant, par exemple, leur propre média accorder davantage d’importance aux correspondants étrangers pour la couverture des événements sur le terrain, ce qui les démotive considérablement. Au début de la crise, «l’enthousiasme était le premier motif pour aller sur le terrain sans aucune idée du danger qui nous attendait» précise Bothaina, qui pense que les journalistes syriens «ont pu, quand même, acquérir de l’expérience sur le tas et bénéficier de l’expérience des correspondants étrangers présents sur le terrain». Elle souligne que les journalistes sont «exposés, sur le terrain, à deux types de risques : le manque de formation et la médiocrité des équipements techniques et de protections comme le casque et le gilet pare-balles». Elle ajoute que «malgré tous les obstacles et les sérieuses menaces qui les guettent, les journalistes arrivent à produire une bonne qualité d’information».

Dans les zones contrôlées par les groupes extrémistes, les correspondants de guerre deviennent malheureusement le sujet des nouvelles à la place d’en être la source. Ils se transforment donc après leur capture en un butin précieux.

Bothaina a à plusieurs reprises failli compter parmi les victimes du conflit syrien. En octobre 2012, elle était en mission pour couvrir la visite d’observateurs étrangers dans un territoire sous contrôle des rebelles. Cette mission aurait pu tourner au vinaigre lorsque les rebelles avaient appris que Bothaina et son équipe appartenaient à une chaîne pro-régime: «insultes, accusations et appels pour nous tuer ont alors fusé». Une manifestation s’est vite constituée réclamant notre condamnation ! Heureusement, un homme armé faisant partie des leurs est intervenu et a pu convaincre ses camarades de respecter les visiteurs et de montrer ainsi une meilleure image devant les médias internationaux ; geste qui nous a permis, ce jour-là, de sortir sains et saufs de la foule». Elle ajoute que «les menaces sont devenues presque quotidiennes et se propagent à travers divers moyens de communication comme: les mails, les appels et les SMS. Même des pages Internet annonçant l’arrivée de notre dernière heure existent! À tel point que l’on peut même facilement visionner sur Youtube des séquences vidéo appelant à votre assassinat!» s’exclame-t-elle.

Des rebelles syriens observent les positons ennemies en octobre 2012 à proximité d'Alep. Auteur: Freedom House (CC BY 2.0)

Des rebelles syriens observent les positons ennemies en octobre 2012 à proximité d’Alep. Auteur: Freedom House (CC BY 2.0)

«Notre mission est très dangereuse» affirme Bothaina, qui précise que «la chance joue, parfois, un grand rôle». C’est ainsi qu’elle a failli laisser sa peau lors de la couverture d’événements se déroulant à proximité de Homs: «j’ai couru 50 mètres sous les tirs des snipers. Les éclats frappaient ma tête et mon corps. Je saignais de partout comme si je baignais dans mon sang de la tête aux pieds. Deux militaires m’accompagnaient et assuraient ma protection. J’ai commencé à crier lorsque l’un d’eux a été blessé. Heureusement, nous avons pu nous en tirer». Elle enchaîne en ajoutant que «lorsque nous avons terminé notre mission, je me suis installée dans une autre voiture que mon véhicule professionnel et, à ma grande surprise, j’ai vu le siège que j’utilisais habituellement soudainement criblé de balles tirées par les snipers. Ce jour-là, la chance était avec moi une deuxième fois» soupire-t-elle.

Pour résumer son propos, Bothaina compare son quotidien de correspondante de guerre en Syrie à une personne morte à la recherche d’une preuve qu’elle est encore en vie. Une course permanente avec la mort!

*Le déroulement de certains événements a été légèrement modifié afin de protéger nos sources d’informations

** Noms d’emprunts

Amra

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Bilan des journalistes victimes du conflit syrien depuis 2011

43 journalistes assassinés

13 journalistes emprisonnés

17 net-citoyens emprisonnés

130 net-citoyens et citoyens-journalistes tués

Source: Reporters sans frontières

Une liste exhaustive des journalistes assassinés en Syrie peut être consultée en cliquant ici




Plus de 100’000 sans-papiers sont discrètement exploités en Suisse

Martin Sharman  "So on into life" (CC BY-NC-SA 2.0)

Martin Sharman
« So on into life »
(CC BY-NC-SA 2.0)

Témoignages de cinq femmes sans-papiers employées dans l’économie domestique

Ils viennent d’un peu partout : du Maghreb, d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Afrique et même parfois d’Europe. Les sans-papiers sont généralement des femmes, mais il y a aussi des hommes. Certains vivent et travaillent en Suisse depuis de longues années. Voix d’Exils est allé à la rencontre de ces travailleurs et travailleuses de l’ombre exploités par des patrons peu scrupuleux.

Il est ardu de dénombrer les sans papiers car cette population est quasi invisible. Les chiffres avancés par différentes sources varient parfois considérablement entre 90’000 et 300’000. Selon le Centre de Contact Suisses-Immigrés Genève (le CSSI), ils seraient environ 150’000 actuellement. Ils sont généralement actifs dans des emplois peu qualifiés dans les secteurs de l’économie domestique, la construction, le déménagement, l’agriculture, l’hôtellerie et la restauration.

La plupart d’entre eux paient des cotisations AVS. Très discrets, ils endurent des horaires, des conditions de vie et de traitement dignes de l’esclavagisme. Ils supportent en silence le stress d’une vie dans l’ombre, sans certitudes sur l’avenir. Ils sont confrontés à toutes sortes d’abus : exploitation, escroquerie, harcèlement sexuel… Les sans-papiers sont loin de leur famille et, malheureusement, tout cela contribue à dégrader leur santé.

Bien que l’économie suisse ait besoin de ces travailleurs de l’ombre, leur grand problème est la quasi-impossibilité d’obtenir un permis de travail. Pour les ressortissants en dehors de l’Union Européenne, le seul moyen de régulariser leur situation est le mariage.

«Quand sa femme n’était pas là, mon patron posait sa main sur mon épaule et me faisait savoir que je lui plaisais et qu’il voulait aller plus loin…»

Stewart Leiwakabessy  "Narrow" (CC BY-NC-SA 2.0)

Stewart Leiwakabessy
« Narrow »
(CC BY-NC-SA 2.0)

Amal, Algérienne, 34 ans, en Suisse depuis quatorze ans

 «Une dame, dont les parents habitaient à côté de chez moi, en Algérie, m’a vendu un visa pour Frs. 2000.-. Elle a fait une demande au Contrôle des habitants, en prétendant que j’étais une parente et qu’elle m’invitait à passer un mois de vacances chez elle, en Suisse. Elle m’a hébergée quelques jours, puis une copine à elle m’a trouvé du travail.

J’ai été engagée par un couple de Suisses qui avaient deux enfants et une grande maison sur trois étages avec une piscine. Moi, j’avais une chambre à la cave, sans fenêtre. Ma patronne était très sévère et maniaque. Elle contrôlait tout ce que je faisais à la loupe. Je commençais mon travail à six heures du matin en préparant le petit déjeuner de toute la famille. J’aidais les enfants à s’habiller, à manger, je préparais leur cartable et je les emmenais à l’école. Après, je retournais à la maison, je faisais le ménage, je nettoyais les vitres des salles de bains, car ma patronne était très exigeante. Je mettais en marche les machines à laver le linge et la vaisselle, je faisais la liste des choses à acheter et je partais faire les courses. Ensuite, je retournais en courant à la maison, car je devais préparer le repas pour les petits, les chercher à l’école et leur donner à manger. Enfin, je m’accordais une pause pour me nourrir et je reprenais le ménage car la maison était très grande et je devais tout nettoyer. A, 16h00, j’allais chercher les enfants, je leur donnais le goûter et nous partions en promenade. A 18h00, c’était l’heure du bain, puis la préparation du souper pour les enfants. Je les aidais à faire leurs devoirs et les mettais au lit. Mais ma journée de travail n’était pas encore finie. Je rangeais la cuisine, je mangeais et je descendais faire le repassage. Vers 22h00, je pouvais enfin regagner ma chambre et me reposer.

Je travaillais six jours sur sept. Le dimanche, malgré que c’était mon jour de repos, je devais tout ranger et préparer à manger avant de sortir. J’étais jeune et jolie. Quand sa femme n’était pas là, mon patron posait sa main sur mon épaule et me faisait savoir que je lui plaisais et qu’il voulait aller plus loin… Mais moi, je lui répondais que cela ne m’intéressait pas même si j’avais peur de perdre ma place. Mon salaire était de Frs 1200.- par mois. Il était déclaré, sauf que la famille ne déclarait pas toutes mes heures de travail. »

Nick Kenrick, (CC BY-NC-SA 2.0)

Nick Kenrick, (CC BY-NC-SA 2.0)

«On m’a donné un petit coin dans une cave, alors qu’il y avait des pièces non occupées dans la maison»

Ilda, Brésilienne, 27 ans, en Suisse depuis trois ans

«J’ai trois enfants que j’ai laissés au pays. Je suis sans statut légal. Au Brésil, il y a un réseau qui vend des visas. C’est le couple qui m’a engagée qui m’a procuré un visa et l’a payé. Ma patronne m’a fait passer pour sa nièce qu’elle invitait pour des vacances en Suisse. J’ai travaillé dans cette famille brésilienne avec trois enfants. Ils habitaient une grande maison et m’ont donné un petit coin dans une cave, alors qu’il y avait des pièces non occupées. Ma journée commençait à 6h00 du matin par la préparation du petit déjeuner. J’aidais les deux filles de 5 et 8 ans à s’habiller, je leur préparais le goûter, car elles restaient à l’école jusqu’à 16 heures. A 07:30, le bus de l’école privée venait les chercher. Après je m’occupais de la petite dernière, un bébé de 8 mois. Ma journée entière était consacrée aux enfants, à la maison qui comptait douze chambres et trois salles de bains. Le soir, coiffer et sécher les cheveux des filles me prenait beaucoup de temps. Les enfants mangeaient à la cuisine et les parents dans la salle à manger. Après le souper, les parents s’occupaient un peu de leurs enfants pendant que je rangeais, lavais, repassais… Je gagnais 1000 francs déclarés. Sauf que mes patrons ne déclaraient pas l’intégralité des mes heures. J’ai quitté la famille après une année, en espérant trouver de meilleures conditions de travail ailleurs.»

« J’étais maltraitée, mais comme ils m’avaient confisqué mon passeport, j’étais piégée »

.pipi. « window » (CC BY-NC-SA 2.0)

.pipi. « Window » (CC BY-NC-SA 2.0)

Afa, Tunisienne, 35 ans, en Suisse depuis 10 ans

 «Une cousine m’a fait un visa pour la France, elle avait une amie qui habitait en Suisse et elle m’a mis en contact avec elle. Comme je n’avais pas de travail et que je vivais dans une grande précarité, je me suis dit que j’allais tenter ma chance en Suisse. J’avais 25 ans, ça fait dix ans, que je suis là.

J’ai fait des petits boulots à gauche et à droite. Déjà, c’est très difficile de trouver un travail à cause de ma nationalité. Quand j’en trouvais un, c’était toujours très mal payé et les conditions étaient très difficiles. J’ai travaillé pour un couple. Monsieur était Suisse et travaillait dans une banque et Madame était Italienne et travaillait dans une société. Ils avaient trois enfants. Ils me donnaient Frs. 800.- par mois. J’étais ni nourrie, ni logée. Je partageais une chambre avec une autre dame portugaise. Je travaillais 6 jours sur 7 et ils ne me payaient pas le transport. Le matin, j’arrivais à 07:30, je préparais le grand, je l’accompagnais à l’école et je retournais à la maison pour m’occuper des deux petits et du ménage. Je faisais tout le travail de maison. Le mercredi et le samedi, j’allais faire les courses au marché, parce que Monsieur et Madame avaient des goûts de luxe. J’étais maltraitée, mais comme mes patrons m’avaient confisqué mon passeport, j’étais piégée. Parfois, je restais jusqu’à une heure du matin pour garder les enfants, pendant que les parents avaient une invitation. Je suis restée quatre ans dans cette situation, car j’avais peur qu’on me dénonce si jamais je partais. Avec l’argent que je touchais, je pouvais seulement payer mon loyer et mes transports. Je n’avais même pas assez d’argent pour me nourrir, et je ne pouvais pas me soigner. A l’époque il n’y avait pas de service à l’hôpital cantonal qui soigne les sans-papiers gratuitement comme c’est le cas actuellement. Ma vie de sans-papiers est très compliquée. Pour chaque petite chose, je dois demander à un tiers : pour un abonnement de portable, pour le logement… Je ne suis pas libre et ce n’est pas facile de vivre dans ces conditions de précarité. Le seul moyen de régulariser ma situation, c’est le mariage»

«Je me suis trouvée à la rue sans argent après six années de travail»

Fabiana Zonca, Shadow of a woman - the light at the end of the tunnel, (CC BY-NC-SA 2.0)

Fabiana Zonca, « Shadow of a woman – the light at the end of the tunnel », (CC BY-NC-SA 2.0)

Remziya, Turque de 40 ans

Je suis arrivée en Suisse à l’âge de 20 ans. C’est ma cousine qui m a fait un visa touristique pour un mois, mais je ne suis jamais repartie car elle avait besoin de moi pour l’aider à la maison avec ses enfants. Je ne parlais pas un mot de français et je n’avais pas de contact avec l’extérieur. Je suis restée dans cette situation quatorze ans et ma cousine ne m’a jamais rien payé. Elle disait que chez elle j’avais besoin de rien car j’étais nourrie, logée et blanchie.

Ensuite, j’ai travaillé dans une famille suisse, et comme je ne pouvais plus loger chez ma cousine, ils ont pris un appartement à leur nom. Pour la caution, ils prélevaient chaque mois Frs. 50.- en plus du loyer qui était de Frs. 700.-. J’ai travaillé chez eux pendant six ans. Je me suis occupée de leurs quatre enfants. Le couple était froid. Je faisais partie des meubles. Tous les matins, je me réveillais à 05:00. Je me préparais pour allez travailler. Je sortais de chez moi a six heure et je devais changer à trois reprises de bus, car la famille habitait la compagne genevoise. J’arrivais vers 07:30 quand le couple partait au travail. Ils travaillaient les deux dans le secteur bancaire. Je commençais le travail en préparant le petit déjeuner de la grande, et les biberons des trois petits. Les enfants étaient adorables. J’avais toujours un accueil très chaleureux avec des câlins et des bisous. Je m’occupais d’eux jusqu’à dix-huit heures jusqu’à ce que les parents rentrent à la maison. La sixième année, la dame est tombée malade d’un cancer, malheureusement. J’étais très attachée à leurs enfants, mais la vie était devenue impossible, car il y avait beaucoup de violence au sein du couple. Puis, comme l’état de santé de la maman s’était dégradé, je devais alors m’occuper de leurs enfants 24 heures sur 24, 6 jours sur 7. Pendant une année, mon salaire est resté le même de Frs. 1000.- et mon loyer de Frs. 700.- malgré les heures de travail supplémentaires que je faisais. Mais, malheureusement, l’appartement était à leur nom. Ils m’ont alors mise dehors et ils ont pris une jeune fille au-pair canadienne, qu’ils allaient payer seulement Frs. 600.-. Ils m’ont expliqué que, soi-disant, la dame ne travaillait plus et ils n’avaient plus assez d’argent pour me payer. J’avais donné une caution de trois mois de loyer qu’ils ne m’ont jamais remboursé et je me suis retrouvée a la rue, sans argent, après six ans de travail. Les gens ont toujours des astuces pour profiter de la vulnérabilité des sans-papiers.

« Je gagnais 100 francs par mois et pendant des mois je n’ai plus rien reçu »

João Almeida  "Blurry silhouette" (CC BY-NC-SA 2.0)

João Almeida
« Blurry silhouette »
(CC BY-NC-SA 2.0)

 Najat, Marocaine de 40 ans

 Je travaillais pour une dame marocaine comme nounou au Maroc. Cette dame s’est mariée avec un Suisse et elle est venue s’installer à Genève, avec ses enfants. Comme j’étais attachée à ses enfants et que les enfants étaient aussi attachés à moi, un ami de cette dame m’a fait un visa. Je ne sais pas vraiment comment il a réussi à l’avoir. Mon salaire est resté le même : 100 francs par mois et pendant des mois je n’ai plus rien reçu.

Une autre dame marocaine m’a proposé du travail chez elle. Ma journée commençait à six heures du matin au restaurant de la dame. Je devais nettoyer et éplucher les légumes. A dix heures, elle arrivait pour commencer à préparer le menu et vers onze heures je devais me rendre à la maison pour récupérer les enfants et leur préparer à manger. Vers 13:00, je les amenais à l’école, puis je retournais à la maison pour tout nettoyer, ranger et faire le repassage. A 16:00, je devais chercher les enfants à l’école et m’occuper d’eux jusqu’à 18:00. Une jeune fille prenait après la relève et je devais retourner au restaurant pour aider Madame jusqu’à la fermeture. Ensuite, Madame partait avec des amis faire la fête. Quand je rentrais à la maison, la personne qui venait garder les enfants rentrait chez elle et moi, je prenais la relève. Madame rentrait en général à 05:00 du matin avec Monsieur. Elle ne m’a pas payé pendant plusieurs mois en prétextant que son restaurant ne fonctionnait pas bien et comme je ne parlais pas un mot de français et que je dépendais vraiment d’eux, j’acceptais la situation.

Sandra

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos :

Cliquez ici pour accéder à la plate-forme nationale pour les soins médicaux aux sans-papiers




L’Auditoire publie les témoignages de membres de Voix d’Exils

www.voixdexils.ch

Le journal des étudiants et des étudiantes de l’Université de Lausanne l’Auditoire – a recueilli les témoignages de quelques membres des rédactions vaudoise et valaisanne de Voix d’Exils. Intitulé « L’Europe, à tout prix », l’article de Valentine Zenker questionne l’expérience de l’exil.

Cliquez ici pour télécharger l’Auditoire du mois de novembre 2012. L’article se trouve à la page 8.

www.auditoire.ch