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FLASH INFOS #99

Photo: Voix d’Exils

Sous la loupe : Polémique autour d’un projet de centre sécuritaire à la gare de Lausanne / L’exposition « Quitter la Suisse » à découvrir au Musée national / Des travailleur·euse·s migrant·e·s dénoncent des violences dans une usine en Malaisie

Polémique autour d’un projet de centre sécuritaire à la gare de Lausanne

RTS, le 19.02.2002

Depuis le lundi 21 février, le collectif « Droit de rester » et des personnalités des milieux culturels, associatifs et politiques lausannois manifestent leur opposition au nouveau projet de grand centre sécuritaire à la gare de Lausanne. Ce projet vise à construire un centre de 3’000 m2 sous les rails qui réunirait les administrations de la douane, de la police des transports et un bureau de la police cantonale.

Les opposant·e·s au projet craignent une possible augmentation des renvois ainsi que la mise en place de cellules de rétention et de salles d’audition. La conseillère d’Etat vaudoise en charge de la Sécurité – Béatrice Métraux – a pris la parole suite à ces oppositions et a déclaré que le projet ne prévoyait pas la construction de cellules pour renvoyer des personnes migrantes.

Une lettre ouverte à signer du collectif « Droit de rester » est accessible en ligne à l’adresse suivante: https://chng.it/25GynJXY

L. B.

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

L’exposition « Quitter la Suisse » à découvrir au Musée national

RTS, 18.02.2022

Ouverte jusqu’au 24 avril au Musée national Suisse à Zurich, l’exposition « Quitter la Suisse » expose les récits de personnes qui sont parties du pays à la recherche de meilleures conditions de vie. Elle rend compte de la façon dont la famine et le climat ont rythmé l’exil des Suisses.

La Suisse étant réputée être un pays où l’on s’établit et où l’émigration est rare, l’exposition a l’avantage de mettre en lumière qu’en réalité plus d’un dixième de la population part s’installer à l’étranger.

L. B.

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Des travailleur·euse·s migrant·e·s dénoncent des violences dans une usine en Malaisie

Centre de Ressources sur les Entreprises et Les Droits de l’Homme, le 21.02.2022

En Malaisie, des travailleurs et travailleuses migrant·e·s d’une usine fabriquant des produits Dyson ont décrit à la chaîne britannique Channel 4 News les conditions de travail difficiles et les abus qu’ils subissent.

Ces derniers sont notamment amenés à travailler de longues heures, (parfois 18 heures par jour). De plus, nombre d’entre eux vivent dans des conditions insalubres et des logements surpeuplés, avec dans certains cas 80 personnes dans une chambre.

Zahra AHMADIYAN

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




FLASH INFOS #85

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Sous la loupe : Résultats de l’enquête sur la violence dans les centres d’asile / Des milliers de migrants piégés entre la Pologne et la Biélorussie / Frontex sous le feu des accusations

Résultats de l’enquête sur l’usage de la violence dans les centres d’asile

Le Nouvelliste, le 18.10.2021

L’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer, mandaté par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour mener une enquête administrative concernant l’usage de la violence dans les centres d’asile, confirme qu’il y a certains dysfonctionnements dans la gestion des centres, mais que l’usage de la violence n’est pas systématique et concerne, d’après lui, quelques cas isolés.

Niklaus Oberholzer émet différentes recommandations à l’adresse du SEM. Il s’agit notamment de vérifier et d’améliorer la formation des agent.e.s de sécurité ainsi que de placer les collaboratrices et collaborateurs du SEM possédant une formation policière à certains postes-clés.

Amnesty International, de son côté, salue ces recommandations, mais demande de recourir à des mesures plus ambitieuses. Selon l’organisation « ce qui manque, c’est un dispositif opérationnel et une protection efficace pour les lanceurs d’alerte qui signalent des abus dans les centres ». Elle insiste en plus sur la mise en place d’un « mécanisme de plainte véritablement indépendant pour les victimes de violences ».

Maureen Zimmermann

Contributrice externe de Voix d’Exils

 

Des milliers de personnes migrants piégées en zone interdite entre la Pologne et la Biélorussie

Franceinfo, le 04.11.2021

Des milliers de personnes exilées se trouvent, depuis cet été, prises au piège dans une zone interdite établie par les autorités polonaises le long de la frontière avec la Biélorussie. La mise en place de contrôles de police et la mobilisation des douanes et de l’armée bloquent complètement l’accès à la zone, y compris pour les associations d’aide humanitaire telle que la Croix-Rouge Internationale. Depuis le 10 août 2021, 10 morts sont officiellement recensés dans la zone de non-droit. Un rescapé des lieux témoigne de la situation :  insulté, battu, il s’est retrouvé sans nourriture et sans eau et a passé plusieurs jours sans dormir.

Les personnes migrantes souhaitant accéder à la Pologne se trouvent systématiquement refoulées malgré le principe fondamental du non-refoulement faisant partie de la Convention de l’ONU de 1951 sur le statut des réfugiés signée tant par la Pologne que par la Biélorussie.

Joachim

Contributeur externe de Voix d’Exils

 

Frontex sous le feu des accusations

Le Point, le 31.10.21

Selon une enquête du Monde publiée le 31 octobre 2021, l’agence européenne Frontex aiderait la Libye dans la bataille de sauvetage qui se déroule dans la « zone de recherche et de sauvetage » (Search and Rescue ; SAR) en renvoyant des personnes migrantes sur ses terres précaires plutôt qu’en Europe. Cette zone de 300 km2 se divise en trois parties qui sont sous la responsabilité respective de l’Italie, de Malte et de la Libye. L’enquête révèle que la partie libyenne de la zone, créée en 2017, serait la plus surveillée par Frontex qui mobilise des drones pour surveiller la région et pour renvoyer les personnes migrants en Libye, où ils sont soumis à la torture par les garde-côtes. Il est à noter que ce pays est reconnu comme dangereux pour les personnes migrantes par la Commission européenne.

Rachid Boukhamis

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Nous remercions chaleureusement les étudiant.e.s de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL) pour leurs contributions à cette édition n°85 du Flash INFOS qui ont été réalisées à l’occasion d’un atelier dispensé par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils entre octobre et novembre 2021.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 

 

 




FLASH INFOS #83

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Sous la loupe : Enquête sur l’ouverture à la diversité au sein de la société suisse / Atteinte aux droits fondamentaux des migrant.e.s en Suisse / Sauvetage de migrant.e.s au large de Dunkerque

Enquête sur l’ouverture à la diversité au sein de la société suisse

24 heures, le 28.10.2021

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a mené une enquête entre 2016 et 2020 sur la place des personnes migrantes dans la société suisse et l’ouverture de la population à la diversité. Alors que la population croît et se diversifie de plus en plus, l’enquête mentionne que les Suissesses et les Suisses seraient plutôt ouverts d’esprit ; 1,5% de la population adopterait des comportements racistes contre 70% qui les condamnerait. Les parcours de vie individuels seraient le principal facteur de discrimination, de racisme et de xénophobie.

Cependant, des tensions et des hostilités restent présentes, notamment autour de la communauté musulmane. Dans ce rapport, l’OFS mentionne que « c’est moins la personne elle-même que sa religion qui est la cible [des hostilités] ». La diversité au sein de la société suisse représente alors tant une richesse qu’un défi pour le vivre ensemble.

Zoé

Contributrice externe de Voix d’Exils

 

Atteinte aux droits fondamentaux des migrant.e.s en Suisse

Le Temps, le 25.10.2021

Tandis que la Suisse se prépare à la votation du 28 novembre 2021 concernant entre autres l’instauration durable du pass sanitaire et que les manifestations visant à garantir l’égalité de traitement se multiplient, le Parlement a récemment approuvé une mesure « agressive » à l’égard des personnes migrantes. Ces derniers ont l’obligation de se soumettre à un test Covid-19 sous contrainte policière afin de garantir leur renvoi vers le pays dans lequel ils ont transité.

Une politique de deux poids deux mesures qui remet en cause l’application du principe constitutionnel d’égalité faisant partie des droits fondamentaux universels pour toute personne vivant en Suisse.

Hawa Moussa

Contributrice externe de Voix d’Exils

 

Sauvetage de migrant.e.s au large de Dunkerque

24 heures, le 26.10.2021

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2021, deux opérations de sauvetage menées par un remorqueur français ont permis de secourir 71 personnes migrantes en France au large de Dunkerque, dans la Manche, alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Angleterre. Tous les naufragé.e.s ont été confié.e.s aux autorités locales.

Entre janvier et août 2021, quelques 15’400 personnes migrantes ont tenté de se rendre en Angleterre par cette voie maritime dangereuse, contre seulement 9’500 en 2020 et 2’300 en 2019. L’augmentation du phénomène de migration par la Manche est significative et démontre la détermination des personnes migrantes, ce malgré les mises en garde des autorités quant aux dangers encourus durant la traversée.

Rachel Blaser

Contributrice externe de Voix d’Exils

Nous remercions chaleureusement les étudiant.e.s de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL) pour leurs contributions à cette édition n°83 du Flash INFOS qui ont été réalisées à l’occasion d’un atelier dispensé par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils entre octobre et novembre 2021.

 




Les Kurdes: un peuple fier de sa culture qui se bat pour survivre

Célébration de Norouze : la fête du printemps par les Kurdes d’Iran. Source: Telegram.

« En Iran, nous sommes traités comme des citoyens de seconde zone »

Ils ont beau partager le même passeport, tout différencie les Kurdes de leurs compatriotes Iraniens : leurs coutumes, leur langue, leurs noms, leur religion (sunnite dans un pays à majorité chiite), leurs habits traditionnels, leur fête nationale… Considérés comme des citoyennes et citoyens de seconde zone par les Iraniens, ils se battent pour sauver leur culture. Zahra, rédactrice irano-kurde de Voix d’Exils, témoigne des difficultés vécues par son peuple.

Alors que les Iraniens travaillent dans les services officiels contrôlés par l’État, comme par exemple les hôpitaux, les écoles, l’administration et tout ce qui concerne la gestion politique, nous devons pour notre part nous contenter des métiers peu prestigieux et galérer pour survivre.

Les jolis équipements scolaires, les terrains de sport, les parcs aménagés pour les enfants sont réservés aux Iraniens. Nous, les Kurdes, dès notre plus tendre enfance, nous devons nous contenter des miettes qu’ils veulent bien nous laisser.

Chacun d’entre nous rencontre des difficultés à tous les niveaux de l’existence. Personnellement, comme beaucoup de jeunes, j’ai subi la discrimination à l’embauche à la fin de mes études.

Il faut préciser qu’il y a trois universités en Iran. Une gratuite, réservée essentiellement aux Iraniennes et Iraniens, et deux autres payantes.

Grâce au soutien de ma famille qui a fait des sacrifices pour m’offrir des études, j’ai brillamment obtenu mon diplôme de comptabilité à l’université islamique d’Azad, dans la petite ville de Sardasht, située au nord-ouest du pays.

Les Kurdes sont considérés comme dangereux

J’ai ensuite postulé dans un hôpital de l’État et dans une entreprise de fabrication de vaisselle en plastique appartenant également à l’État. J’avais largement les compétences nécessaires pour les postes proposés, mais j’ai été recalée sous des prétextes fallacieux : ils m’ont notamment dit que le fait d’avoir grandi dans une famille marquée par la politique, mon engagement constituerait un danger pour leur entreprise.

Mais à quel danger faisaient-ils allusion ? Mon père, peintre en bâtiments, donnait aussi des leçons de langue kurde aux enfants du quartier. Or, pour les Iraniens, cette activité d’enseignant était considérée comme une activité politique ! Quant à mon frère et à mes oncles, c’est vrai qu’ils étaient membres du parti démocrate kurde qui gérait la moitié kurde de la ville de Sardasht (46’000 habitant.e.s). Mais moi, je ne faisais pas de politique et j’estimais que les choix des hommes de ma famille ne me concernaient pas. En tant qu’adulte, je suivais mon propre chemin.

Condamnés à l’illégalité pour gagner leur vie

Pour la majorité des femmes kurdes, ne pas avoir de travail n’est pas un problème, elles peuvent être entretenues par leur père, leurs frères, leur mari. Mais les hommes, eux, n’ont pas le choix. Ceux qui ne trouvent pas de travail et qui ont une famille à nourrir, se replient sur toutes sortes de trafics et de petits boulots pénibles, mal payés et même dangereux. Certains font de la contrebande de marchandises. Ils transportent à dos d’homme des vêtements, de la nourriture, des équipements de maison, des ordinateurs… Les charges sont lourdes et les chemins de montagne à destination de l’Irak très escarpés. Les plus chanceux font porter la marchandise à des chevaux. Mais cela reste un travail très dangereux, car les passeurs risquent de chuter dans le vide ou d’être abattus par les garde-frontières iraniens. Il faut préciser qu’un petit nombre de femmes qui sont célibataires ou veuves, et qui ne peuvent pas compter sur un soutien familial, n’ont souvent d’autre choix que de faire aussi de la contrebande en montagne.

La culture kurde menacée

Travailler, étudier, avoir des loisirs, faire de la politique, vivre, tout est plus compliqué pour les Kurdes. Les Iraniens ont clairement comme objectif de nous assimiler en nous éloignant de notre culture et de nos coutumes. Je vous donne un exemple : l’une de nos plus anciennes célébrations s’appelle Newroz, elle a lieu chaque année le 21 mars pour fêter le retour du printemps. Nous sortons dans la rue pour danser habillés de nos vêtements traditionnels, nous chantons l’hymne du Kurdistan, et nous brandissons des flambeaux autour d’un grand feu central.

En 2712 – c’est-à-dire en 2012 pour les Occidentaux – les habitant.e.s de la ville de Sardasht célébraient joyeusement Newroz dans la rue, lorsque la police est brutalement intervenue et a interrompu la fête. Les organisateurs ont été emprisonnés. Par la suite, les familles ont continué de fêter Newroz, mais secrètement, à la maison.

Pas d’avenir pour les jeunes

Les Iraniens ne nous aiment pas, ils se moquent de savoir si nous sommes intelligents, formés, compétents, si nous avons du talent…

Dans notre ville, leur politique consiste à étouffer progressivement notre communauté en facilitant l’établissement des Iraniens non kurdes et aussi de Turcs. Ali Khamenei, l’actuel guide suprême de la Révolution, a des origines turques qui expliquent cette volonté d’intégrer ceux qu’il considère comme des compatriotes.

Le résultat de cette politique anti kurdes, c’est que les jeunes de notre communauté ne trouvent pas leur place en Iran et ne peuvent s’y construire un avenir.

Révoltés par le traitement qui leur est réservé, de jeunes Kurdes commettent des attentats contre les Iraniens travaillant aux douanes, ils distribuent des tracts politiques anti Iraniens et envoient des messages de sécession sur les réseaux sociaux.

Ceux qui sont dans le collimateur de l’Etat iranien sont contraints de quitter le pays. Ils rejoignent alors des groupes d’opposition essentiellement basés en Irak. Certains sont arrêtés, emprisonnés, d’autres se suicident…

L’histoire des Kurdes d’Iran, ainsi que celle de leurs frères et sœurs kurdes vivant en Irak, en Turquie et en Syrie, est tragique, mais ce peuple est tenace, il résiste à l’oppression et ne cède pas devant les menaces et les violences qui lui sont faites.

Zahra

Membre de la rédaction vaudoise de voix d’Exils 

Un peuple, quatre pays

Les Kurdes se répartissent en 4 pays : l’est de la Turquie, le nord-ouest de l’Iran, le nord de l’Irak et l’est de la Syrie. Une importante diaspora kurde est également présente dans les pays de l’ex-URSS, en Europe, aux Etats-Unis et en Australie.

Si le terme Kurdistan – littéralement « pays des Kurdes » – est régulièrement employé, le Kurdistan en tant qu’Etat unifié aux frontières internationalement reconnues n’existe pas.

Combien sont-ils ? On ne connaît pas leur nombre exact, mais le chiffre de 35 millions est le plus souvent avancé.

Quelles sont leurs religions ? Le 80% des Kurdes sont musulmans sunnites. Les autres se partagent entre le chiisme et l’alévisme, une dissidence du chiisme très vivace en Turquie islamique.

Quelles langues parlent-ils ? Les Kurdes ont deux dialectes principaux, différents mais proches et compréhensibles l’un par l’autre:

  • Le kurmandji, principal ensemble linguistique kurde, surtout parlé dans le Nord, en Turquie et Syrie, mais aussi dans le nord du Kurdistan d’Irak et du Kurdistan d’Iran
  • Le sorani, un dialecte qui s’écrit en alphabet arabe. Il est surtout parlé dans le sud du Kurdistan d’Irak et d’Iran.

Source : https://www.lemonde.fr/lesdecodeurs/article/2014/09/09/qui-sont-les-kurdes_4484311_4355770.html




Le racisme ordinaire

Pixabay licence.

Un des nombreux visages du racisme

Construit sur des préjugés, le racisme ordinaire se présente comme un ensemble de discriminations répétées qui peuvent sembler insignifiantes ou banales à celles et ceux qui en sont les auteurs. Il s’avère, par contre, extrêmement blessant pour celles et ceux qui en sont les victimes. Cette analyse vous est proposée par notre rédactrice Marie-Cécile Inarukundo pour s’associer à La Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale d’aujourd’hui, point d’orgue de la Semaine d’actions contre le racisme lausannoise qui a pour thème cette année  « Les mécanismes du racisme  »

L’article que nous vous proposons vise à mettre en lumière comment le racisme ordinaire se manifeste en pensée, en action, par la parole, et de manière plus ou moins consciente. Il met en perspective ce « poison social » à travers des témoignages explicites et poignants d’hommes et de femmes qui ont en commun de le subir et d’en souffrir.

Les épreuves du bus et de l’ascenseur

« Il est insupportable pour celui qui le subit. Invisible pour celui qui le fait subir», souligne Kareen Guiock, journaliste, née d’un père guadeloupéen et d’une mère martiniquaise, à propos du racisme ordinaire dans le cadre d’un entretien accordé pour Madame Figaro.

C’est une forme de ségrégation qui ne se perçoit pas directement, puisqu’elle ne s’accompagne pas forcément de mots ou d’actions. Mais elle fouette quand même la personne concernée, comme le raconte à Voix d’Exils Magdalena Nduwimana, requérante d’asile Burundaise : « Tu es là dans un bus bondé, où même une place debout est un rêve… Tu es assise près de la fenêtre, la place à côté de toi et celles d’en face sont vides ! Pourquoi ? Parce que, après avoir balayé le wagon du regard, beaucoup préfèrent rester debout. Parfois, il y en a un qui se jette à l’eau et vient s’asseoir à côté ou en face de toi. Alors, et seulement alors, d’autres osent s’aventurer ! Le côté positif ? C’est que quand les autres passagers préfèrent rester debout, tu as autant d’espace qu’en première classe pour un billet de deuxième ! »

Jonathan Gasana, d’origine rwandaise, commercial dans les assurances, dans le cadre d’un témoignage diffusé sur la Radio Télévision Suisse (RTS) fait remarquer, « [ qu’] en Suisse, c’est subtil, ce sont les petits gestes, les petites remarques comme quand on est dans un ascenseur et que les gens s’accrochent à leur sac, ou quand on y entre et que certains sortent. » Alors que les gestes, peut-être inconscients, sont visibles, les pensées, celles qui poussent certains à mettre leur sac en sécurité à l’approche d’un autre individu ou à ne pas prendre la seule place assise libre dans un train bondé, sont invisibles mais pas moins blessantes pour autant.

Des plaisanteries faussement légères

« J’ai une formation d’infirmière et je travaillais comme stagiaire avec une sage-femme. Nous avions une patiente prête à accoucher, qui devait subir une césarienne, témoigne pour Voix d’Exils Meserete Sélassié, Éthiopienne. On l’a préparée pour l’emmener dans la salle d’opération. Arrivées dans la salle des soins intensifs, la dame qui y travaillait s’est exclamée en me voyant « Voyons, voyons, cette fois-ci, on t’a achetée pour combien en Afrique ? » Tout le monde était choqué et gêné. Ses collègues l’ont interpellée et elle a répondu en riant que c’était une blague. Personnellement, je bouillais, mais je n’ai pas réagi, car il y avait 5 patientes dans la salle en plus de nous. »

Les plaisanteries de ce type, qui peuvent être perçues comme anodines et banales par la personne qui les prononce, font explicitement référence au passé colonial des pays occidentaux, aux ancêtres des personnes victimes de cette forme de racisme et au statut réducteur d’esclave. Par conséquent, le ressenti ne peut être compris de manière semblable entre les personnes qui font des blagues racistes et celles qui en sont les cibles. A titre de comparaison, qui oserait « pour rire », lâcher une blague saignante à une personne qui a perdu un proche dans un attentat terroriste ou à quelqu’un dont la famille a été décimée durant la Shoah ?

Être noir et professeur, oui c’est possible !

« Moi, j’avoue, quand je croise une personne noire en bas de mon boulot, mon premier réflexe, c’est de penser qu’elle vient consulter une de nos permanences juridiques ou sociales. Pas qu’elle est peut-être la patronne de la société informatique qui vient réparer notre réseau ou une journaliste qui vient couvrir une conférence de presse » reconnaît Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au CSP Genève, dans le cadre d’une réflexion personnelle.

Il semblerait que les raccourcis objectivés par Monsieur Brina sont – inconsciemment – utilisés par d’autres. Le racisme ordinaire touche beaucoup plus de personnes qu’on ne le pense, et même celles et ceux qui sont au sommet de l’échelle socio-professionnelle.

L’éminent chirurgien et Professeur Mitiku Belachew, originaire d’Éthiopie et ayant la nationalité belge, partage sur la Radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF), une expérience vécue alors qu’il s’apprêtait à donner une conférence : « Je monte sur le podium préparé dans la salle de conférence et on se met à m’interpeller « Monsieur, Monsieur, nous n’avons pas de problème technique ! », pensant que je viens régler les micros… J’ai l’habitude, alors je souris et je réponds « Je viens donner ma conférence » ».

Le Professeur Belachew ne le précise pas dans son témoignage, mais on peut imaginer qu’il ne portait pas une salopette de manutention en arrivant dans la salle, mais plutôt un costume ou une blouse de travail. Malgré cela, son interpellation est automatique, spontanée et probablement sans aucune mauvaise intention. Presque un réflexe de Pavlov : on voit une personne, on constate qu’elle est de peau sombre, on la catégorise. Les cases sont prédéfinies. On ne va pas au-delà, on n’y réfléchit pas. Oui, il n’y a sûrement aucune mauvaise intention derrière l’interpellation du Professeur Belachew, mais l’expression du préjugé réducteur et raciste selon lequel un homme de couleur, présent dans une salle où vont se réunir des scientifiques, ne peut être qu’un réparateur.

Le « coupable » est blanc, mais l’ « accusé » est noir

« Le préjugé s’appuie sur une observation biaisée de la réalité, il repose notamment sur la construction de stéréotypes et l’identification de boucs émissaires », affirme Jérôme Jamin, Professeur de science politique à l’Université de Liège dans « Racisme ordinaire : entre préjugés, stéréotypes et boucs émissaires »

L’émission Infrarouge, diffusée le 10 juin 2020 sur la RTS, raconte l’histoire de Jonathan Gasana qui est de sortie avec un ami valaisan de pure souche. Une voiture de police passe. Son ami, imite le bruit de la sirène d’une voiture de police qui passe à côté d’eux. La voiture s’arrête, un policier, visiblement en colère, en sort, se dirige vers Jonathan et l’apostrophe : « Est-ce que tu as besoin d’aide, est-ce que tu veux que je t’apprenne à chanter ? » De fait, le policier ne pose pas de questions. C’est jugé d’avance. Il va de soi qu’entre les deux hommes, celui qui chahute les policiers dans la rue est forcément le plus basané, le Suisse venu d’ailleurs. Car Jonathan a un passeport suisse depuis son plus jeune âge. Pour le policier, il n’est pas inscrit sur le visage de Jonathan qu’il est suisse et qu’il s’agit peut-être d’un homme, d’un époux, d’un étudiant, d’un frère ou d’un père exemplaire. Cette histoire fait également écho aux contrôles au faciès qui pourraient à eux seuls donner lieu à un article entier.

Faire reconnaître ses compétences ? Le parcours du combattant…

« L’expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique », lit-on dans l’article 1.1 de la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Meserete Sélassié, permis B, raconte à Voix d’Exils les difficultés qu’elle a rencontrées pour faire reconnaître en Suisse le diplôme d’infirmière qu’elle a obtenu dans son pays : « Ça m’a pris du temps pour convaincre mon assistante sociale du Centre social d’intégration des réfugiés (CSIR) de commencer cette démarche. Elle résistait et me disait de faire le premier travail qui me tomberait sous la main. Moi, je lui répondais que j’avais plusieurs années d’expérience en tant qu’infirmière et que je ne voulais pas changer de métier. Elle insistait pour que je laisse tomber mes démarches pour obtenir l’équivalence, en prétextant que c’était compliqué et que ça coûtait cher. Après 6 mois sans parvenir à nous mettre d’accord, elle m’a envoyé au CICR où j’ai été suivie par une assistante sociale qui a soutenu mon idée. Et c’est avec elle que j’ai enfin pu commencer les démarches. »

Gagner la confiance, pas si simple…

« Le caractère systémique et institutionnalisé du racisme lui permet de continuer à opérer; il culmine par des violences policières et par des processus de ségrégation, de discrimination et d’exclusion », souligne Ibrahima Guissé, sociologue, dans le cadre d’un article du journal Le Courrier.

A la fin de procédures administratives, l’infirmière Meserete Sélassié reçoit une lettre de confirmation de son stage à la maternité, qui précise les dates, le service attribué et la personne de contact. Quand la cheffe de service apprend que Meserete est là pour un stage, elle crie littéralement « Noooon ! Qui vous a donné la place de stage ? » Surprise, Meserete lui montre la lettre de convocation. Mais la cheffe reste sur ses positions, il n’y a pas de place, pas de programme, et absolument rien ne peut être fait pour Meserete. Elle lui fait clairement comprendre qu’elle devra se débrouiller et se soumettre au bon vouloir des praticiennes. Aucune indication ne lui est donnée ni sur le fonctionnement, ni sur les horaires, les pauses, etc. Abasourdie, mais bien décidée à faire son stage, Meserete passe ses journées à demander aux sages-femmes qui veut bien d’elle, et parfois elle s’occupe comme elle peut parce qu’aucune n’est disponible. Pendant ce temps, les stagiaires françaises, portugaises et suissesses mènent bon train leur expérience. « Même si elles ne le disaient pas verbalement, les sages-femmes avaient du mal à m’accepter dans leurs équipes et à me faire confiance », soupire Meserete.

Les exemples mentionnés dans cet article mettent en lumière les expressions du racisme ordinaire. Bien que d’un autre âge, ce phénomène est tellement ancré dans la culture individuelle ou sociétale que, parfois, ceux qui dénigrent, discriminent, excluent, se méfient, ou se moquent de leurs semblables au prétexte que leur peau a davantage de pigments foncés, n’ont même pas conscience d’être des racistes ordinaires.

Marie-Cécile Inarukundo

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

Lire l’article « La semaine d’actions contre le racisme débute aujourd’hui » paru dans Voix d’Exils le 15 mars 2021.