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L’exil, l’autre enfer #3

flikr.com / Lee Haywood « Blue lights » CC BY-SA 2.0.

Le grand cauchemar


Un adage dit : « On n’est nulle part mieux que chez soi », mais certaines réalités ne nous laissent pas toujours le choix face au péril, à la menace et à l’insécurité. Billy est un défenseur des droits humains au Togo, un pays de l’Afrique de l’ouest qui vit sous un régime dictatorial de père en fils depuis plus de cinquante ans. Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, il nous livre le récit de son calvaire, depuis son pays jusqu’en Suisse où son vécu quotidien rime toujours avec angoisse et incertitude. Episode 3/3.

Je n’ai rien contre la Suisse, mon pays d’accueil; au contraire, j’y suis installé et protégé jusqu’à la fin de ma procédure d’asile. Cependant, les durs mécanismes des lois d’octroi de statut de réfugié peuvent s’avérer un enfer pour le requérant.
Le lundi 28 mai 2018, aux environs de 03h30 du matin, alors que je venais à peine de m’endormir, à cause de l’insomnie et des crampes nocturnes dont je souffrais, trois hommes firent irruption dans ma chambre après avoir donné un coup de poing à la porte : deux agents de la police et un infirmier. « Levez-vous monsieur et habillez-vous ! On va en Allemagne, où vous serez remis aux autorités »: me lança l’un d’eux. C’était comme dans un très mauvais rêve.

Secoué par la panique, je leur expliquai que je me déplaçais difficilement et que je venais à peine de rentrer d’une hospitalisation. « Nous allons vous aider » m’a répondu un des policiers.
Je cherchai un pantalon à enfiler quand je perdis l’équilibre et retombai sur mon lit, tout tremblant. J’entendis l’un des policiers dire : « Il simule » et lorsque je voulus lui répondre, j’eus la sensation de me mordre la langue. L’autre policier me donna des gifles et me pinça la cuisse comme pour me réveiller. Il me mit un stylo au travers de la bouche. L’urinal que je gardais près de mon lit était tombé et toute l’urine s’était déversée dans la chambre. Ils m’ont déposé sur mon duvet et m’ont traîné jusqu’au couloir, sous les regards effarés de mes voisins et voisines de chambre, à qui les agents de police intimèrent l’ordre de se taire et de retourner dans leurs chambres.
Finalement, ils appelèrent une ambulance ; après les premiers soins sur place, je fus admis aux urgences de l’hôpital de Monthey. À la sortie de l’ambulance, j’étais tout mouillé d’urine et je n’avais d’autres vêtements sur moi que le caleçon que j’avais mis avant mes convulsions.

Encore une déception

Je passai ma deuxième audition d’asile trois mois plus tard car il n’était plus question d’Allemagne, le délai de renvoi ayant expiré. La Suisse allait examiner mes motifs d’asile. J’étais vraiment sûr de moi car j’étais convaincu de la justesse de ma cause ; j’avais confiance, malgré l’angoisse que j’éprouvais encore en me remémorant mon calvaire. Malheureusement, deux mois après cette audition, à ma grande surprise, le SEM rendit une décision négative. J’ai introduit un recours auprès du Tribunal administratif fédéral et j’attends actuellement sa décision.

D’où viendra le secours ?

Jusqu’à ce jour, mon sommeil est troublé et mes nuits hantées par le film implacable de cet enfer de l’exil qui me couvre d’ombre de peur. A quand ma liberté ? A quand la fin de ce cauchemar ? Quand serai-je enfin libéré de cette prison? La prison de l’enfer de l’exil ?

Billy

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Les épisodes précédents:

L’exil, l’autre enfer #1 « De la défense des droits humains à la contrainte de l’exil ». Episode 1 publié le 17.02.2020

L’exil, l’autre enfer #2 « Des complications à l’aéroport de Frankfort ». Episode 2 publié le 04.03.2020




Revue de presse #3

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Au plus près de l’actualité internationale de la migration

Sympathisante de l’État islamique, elle risque de perdre sa nationalité suisse

24 heures, 04 février 2020

Ce serait la deuxième fois, depuis la Seconde Guerre mondiale, qu’une personne de nationalité suisse se verrait privée de sa nationalité. Il reste à voir si la femme concernée a déposé un recours en temps voulu auprès d’une ambassade à l’étranger. Dans le cas contraire, le retrait de ses droits civils deviendra effectif en début de semaine prochaine (le 17 février). Âgée de 30 ans, celle qui possède également la nationalité française est originaire de Berolle, petite commune vaudoise.
Juridiquement, le SEM (Secrétariat d’Etat aux Migrations) peut retirer la nationalité suisse à une personne ayant la double nationalité si elle a causé un préjudice aux intérêts ou à la réputation de la Suisse et met la sécurité du pays en danger. Le site internet du Tages-Anzeiger rapportait début janvier que la femme est née et a grandi à Genève. Elle est partie en 2016 en Syrie dans les territoires sous contrôle de l’organisation Etat islamique (EI) avec ses deux filles aînées à l’insu des deux pères. A noter que le retrait du passeport suisse n’est possible que si la personne concernée possède une autre nationalité. Dans le cas contraire, la Suisse créerait des apatrides, ce qui est interdit par le droit international.

L’accélération de la nouvelle procédure d’asile aux dépens de la qualité ?

Le Temps, 03 février 2020

Depuis mars 2019, les procédures d’asile sont mises en œuvre de manière accélérée au sein de six principaux centres fédéraux. Quel est le premier bilan et les chiffres de l’asile ? Dans une interview accordée au Temps, Miriam Behrens, directrice de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) – organisation qui a soutenu la nouvelle procédure accélérée, également approuvée par la population en 2016 – constate des dysfonctionnements. Après dix mois d’application, le nouveau système en place, plus rapide que le précédent, ne garantit pas un traitement équitable des demandes. Miriam Behrens relève notamment que le taux de renvois est actuellement de 16,8%, alors qu’il n’était que de 4,8% avant la réforme. L’OSAR s’occupe de la protection juridique des requérants dans quatre des six régions d’asile de Suisse. Dans chacune d’entre elles, un recours sur trois a été admis ou renvoyé au SEM. Selon l’OSAR, cela démontre de graves problèmes de qualité dans la procédure d’asile.

Toujours moins de requérants d’asile choisissent la Suisse

24 heures, 31 janvier 2020

Le recul de la migration par la Méditerranée centrale explique en partie la diminution du nombre de requérants qui demandent l’asile en Suisse. Au total, 14 269 demandes ont été déposées en 2019, soit 6,5% de moins que l’année précédente. Il s’agit du niveau le plus bas depuis douze ans. Avec 2899 demandes, l’Erythrée est le principal pays de provenance des requérants d’asile.
Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a traité 19 140 demandes en première instance et accordé l’asile à 5551 personnes.
Le taux de reconnaissance de la qualité de réfugié est en augmentation. Il est passé de 25,9% en 2018 à 31,2% en 2019.
Les cas en suspens se sont élevés à 8377, soit 3217 de moins que l’année précédente.
Les départs volontaires en 2019 ont légèrement augmenté à 1631, contre 1613 en 2018. A l’inverse, 2985 personnes ont été rapatriées vers leur Etat d’origine, ou renvoyés vers un Etat tiers, soit 281 personnes de moins qu’en 2018. Les transferts dans un Etat Dublin ont aussi légèrement baissé, passant de 1560 à 1521.
Pour 2020, le SEM table sur environ 15 000 nouvelles demandes.

Valmar / Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

Révision de la loi sur l’asile, article publié le 10 janvier 2019 sur Voix d’Exils

Des procédures d’asile accélérées dès le 1er mars, article publié le 21 février 2019 sur Voix d’Exils




Des œuvres d’art pour favoriser les rencontres

Expo Mo(t)biles au vent la jungle en hiver au Foyer EVAM de Ste-Croix. Photo: Oumalkaire / Voix d’Exils.

Exposition « Mo(t)biles au vent la jungle en hiver » au Foyer EVAM de Ste-Croix

A Sainte-Croix, il manque un espace d’échanges entre les habitants de la ville et les migrants hébergés dans le foyer EVAM. Pour leur permettre de se rencontrer, Christine Duina Ike, collaboratrice sociale à la Coopérative L’autre Temps, a eu l’idée de monter une exposition en faisant appel aux talents artistiques des migrants et à la participation d’habitants de la commune et des environs.

En tout, cet événement a mobilisé une trentaine de personnes d’ici et d’ailleurs qui, côte à côte, ont peint des œuvres et ont donné naissance à «Mo(t)biles au vent, la jungle en hiver», exposition de peintures et de tissus, installée entre les arbres de l’allée du foyer EVAM.

Les artistes en herbe ont également écrit sur ce que cette expérience leur a apporté. « Se libérer de ses peurs », « tout oublier », « s’apaiser », « la satisfaction de faire quelque chose de beau », peut-on lire.

Ouverte à toutes et à tous, l’exposition espère créer des liens amicaux et d’entraide entre les migrants et les gens de la région. On peut la visiter jusqu’au 20 février. D’autres œuvres sont accrochées dans l’annexe du cinéma Royal, avec des photos des différentes phases de cette belle expérience humaine. Entrée libre.

Oumalkaire
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Expo Mo(t)biles au vent la jungle en hiver. Photo: Oumalkaire / Voix d’Exils.

 

Expo Mo(t)biles au vent la jungle en hiver. Photo: Oumalkaire / Voix d’Exils.

 

Le Foyer EVAM de Ste-Croix. Photo: Oumalkaire / Voix d’Exils.

 




« La fondue, c’est bon et ça met de bonne humeur »

L’émoji fondue suisse, un des 117 nouveaux emojis qui arriveront en 2020. Source: emojipedia.org

La fondue: tradition suisse ou invention du marketing?

A l’heure où la fondue est consacrée comme le met national suisse par excellence avec la sortie prévue en 2020 de l’émoji fondue, il semble utile de revenir aux origines de ce plat mythique…

Jusque vers 1950, la fondue est presque inconnue en Suisse. Elle était consommée dans les régions montagneuses, là où les fromages à pâte dure étaient produits. La préparation consistait à mélanger du fromage fondu avec du lait et non pas du vin comme aujourd’hui.

Difficile à croire, mais le fromage n’est devenu une denrée courante en Suisse et même exportée jusqu’en Amérique, que depuis le milieu du 19ème siècle, ce grâce aux progrès de l’agriculture.

Pour la fondue, l’histoire est encore plus récente. Après la deuxième guerre mondiale,  face au surplus de production l’Union suisse du commerce du fromage (USCF) décide de lancer une vaste campagne publicitaire afin de promouvoir la consommation de fromage, en popularisant la fondue. Le succès est impressionnant. Un des slogans les plus populaires à l’époque était « La fondue, c’est bon et ça met de bonne humeur ».

Dans toutes les régions du pays, on s’est mis à manger de la fondue en variant les mélanges de fromages et les ingrédients. « Le succès rencontré par cette initiative s’explique en grande partie par la facilité de préparation de la fondue (…). Manger une fondue constituait un événement très convivial, dont la préparation s’est masculinisée, car elle était valorisée socialement. »

Voilà donc une tradition récente qui est plutôt le fruit d’une une campagne publicitaire efficace et qui est aujourd’hui un des symboles incontournable de la Suisse. Mais marketing ou pas, on ne peut que souscrire au fait que « La fondue, c’est bon et ça met de bonne humeur » !

Mamadi Diallo
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Source :

Le blog du Musée national suisse

Le musée national suisse

Le Musée national suisse (MNS) est l’unité administrative faîtière qui regroupe trois musées : Le Musée national Zurich, le Château de Prangins et le Forum de l’histoire suisse à Schwyz, ainsi que le centre des collections d’Affoltern am Albis. Les musées consacrent leurs expositions à l’histoire de la Suisse, depuis les époques les plus reculées jusqu’à aujourd’hui ; ils fournissent ainsi leur contribution à l’étude des identités suisses et des contrastes et de la variété qui marquent notre histoire et notre culture. Des expositions temporaires sur des sujets plus en prise sur l’actualité complètent leur offre.

 




« L’apprentissage de la langue locale est la clé de l’intégration »

Une classe de français à Ste-Croix. Photo: Oumalkaire / Voix d’Exils

Premiers pas vers l’autonomie financière et sociale

La Suisse, au même titre que les pays d’Europe qui accueillent des demandeurs d’asile, leur propose des cours de langue. Apprendre la langue du lieu c’est, pour les migrants, le premier pas d’un processus d’intégration qui comprend également la découverte d’une culture différente de celle de leur pays d’origine. Pour en savoir plus sur cet apprentissage, Voix d’Exils a interviewé Monsieur Hedy Ben Naceur, professeur de français à l’EVAM (Établissement vaudois d’accueil des migrants).

Voix d’Exils : Depuis combien de temps enseignez-vous le français à l’EVAM ?

Hedy Ben Naceur : Je travaille à l’EVAM depuis une quinzaine d’années.

Avez-vous du plaisir à enseigner la langue française à des personnes étrangères ?

Oui c’est très intéressant de faire de l’enseignement dans le cadre de l’EVAM parce que j’aide les personnes migrantes à apprendre la langue locale et me sens utile aussi.

La facilité ou la difficulté à apprendre le français sont-elles en lien avec la culture d’origine des apprenants ?

Je ne pense pas qu’il y ait un lien culturel. Tout le monde est capable d’apprendre. Par contre, le parcours de chacun, son état de santé, son âge, la détresse que vivent certains, peuvent être des facteurs de ralentissement de l’apprentissage.

Quelles méthodes utilisez-vous pour enseigner le français ?

La méthode suivie par l’EVAM est l’approche actionnelle. C’est une méthode qui est basée sur la mise en situation des apprenants.

Comment se déroulent les premiers cours de français donnés aux tout débutants ?

On enseigne d’une manière gestuelle avec des images. On leur apprend tout d’abord à se présenter, puis on étoffe progressivement la complexité des exercices.

Pourquoi l’apprentissage du français est-il prioritaire dans l’Agenda Intégration de la politique de l’asile ?

L’apprentissage de la langue est la clé de l’intégration parce que la langue permet de communiquer avec les autres. Parler la langue locale permet aussi de faire un apprentissage, d’apprendre un métier, puis de travailler, de gagner sa vie, d’avoir un salaire. Au bout du compte, parler la langue permet de devenir autonome pas seulement au niveau financier mais aussi socialement.

Quelles sont les conséquences pour les migrants qui n’apprennent pas la langue du lieu où ils habitent ?

Ceux qui n’apprennent pas la langue du pays d’accueil dépendront toujours de l’aide des autres et n’auront donc pas d’autonomie. Ils risquent l’isolement et leur intégration sera difficile.

Propos recueillis par :

Oumalkaire
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils