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Le périple de mon exil 

Le périple de mon exil 

Photo prise en Slovénie par Yahya Nkunzimana durant son périple

Un témoignage de Yahya Nkunzimana, originaire du Burundi

Qu’ils fuient la guerre, la misère ou cherchent simplement un avenir meilleur, des milliers de personnes empruntent chaque année des routes incertaines vers l’Europe. Derrière les statistiques et les discours politiques, il y a des histoires humaines faites d’espoirs, d’épreuves et de résilience. Cet article retrace l’expérience du périple de l’exil d’une personne parmi tant d’autres qui, malgré les obstacles, refuse de renoncer à sa dignité.

Quitter le Burundi ma terre natale, là où j’ai construit ma vie, n’a pas été un choix mais une nécessité. Persécuté, menacé, j’ai dû prendre une décision qui allait bouleverser ma vie et celle de ma famille. Ma femme et mes deux enfants, mon fils de six ans et ma fille de trois ans resteraient derrière moi, et chaque pas que je ferais loin d’eux, me déchirerait le cœur.

Le 12 septembre 2022, le jour de mon départ, était chargé d’émotions. Mon vol de 18h30 pour Istanbul était censé être une porte vers la sécurité, mais l’angoisse me paralysait. J’étais stressé, perdu dans mes pensées, et j’ai failli rater mon vol. Je suis arrivé à Istanbul vers 5h50 du matin. Le lendemain matin, j’ai pris un autre avion à destination de Belgrade, la capitale de la Serbie. C’est là que mon voyage terrestre a commencé : une marche interminable vers l’inconnu.

Le parcours de Yahya illustré par Dariia Daineko

De la Serbie à la Bosnie : une marche épuisante et terrifiante

Arrivé à Belgrade, j’ai compris que mon corps allait être mis à l’épreuve comme jamais il ne l’a été auparavant. Nous avons quitté la capitale vers 19h, dirigés par des passeurs qui, sous un air de froide assurance, cachaient une brutalité sans nom. Ils ne voyaient pas des personnes en nous mais simplement des billets de banque. Les malheureux qui n’en avaient pas assez étaient laissés derrière, abandonnés sans pitié. La peur de tomber sous leur emprise était constante et un simple regard de travers pouvait suffire pour qu’ils nous brutalisent. La marche vers la Bosnie était une torture physique. Nous avancions dans l’obscurité, épuisés mais forcés de suivre les ordres des passeurs. Chaque pas était un combat contre la douleur, la faim et la fatigue. J’ai cru que mon corps allait lâcher, que j’allais m’écrouler là sans force pour continuer.

La Bosnie : l’humanité au milieu de la souffrance

Enfin, nous avons atteint la Bosnie et tout a changé. Nous étions exténués, affamés, fragiles après des jours de marche sans fin. Nos corps étaient usés et nos esprits fatigués de lutter contre l’incertitude. Et pourtant, sur les routes de Bosnie une lumière inattendue est apparue. Les habitants ne nous voyaient pas comme des étrangers à ignorer mais comme des êtres humains. Sur le bord des routes et dans les villages que nous traversions, ils s’approchaient de nous avec des sourires sincères, des gestes d’une incroyable générosité. Sans rien attendre en retour, ils nous offraient des fruits, des jus et de quoi reprendre des forces, comme si nous étions des invités et non des personnes migrantes.

Arrivés à Sarajevo, nous avons trouvé refuge dans un camp rudimentaire. Les conditions étaient terribles : pas assez de nourriture, pas assez d’eau potable, pas de couvertures et des abris précaires. Mais, c’est ici que j’ai découvert quelque chose de puissant. Nous étions des étrangers, venus de pays différents, poussés sur les routes par des souffrances uniques et, pourtant, nous étions soudés. La solidarité entre nous était bouleversante. Nous partagions le peu que nous avions et nous nous soutenions mutuellement dans les moments de doute et d’épuisement. Ces liens tissés dans l’adversité sont peut-être l’un des rares rayons de lumière de ce voyage.

La Croatie: la brutalité d’un pays où l’accueil n’existe pas

Lorsque nous avons quitté ce pays pour tenter d’entrer dans le suivant, le cauchemar a commencé. Les passeurs, plus violents qu’auparavant, nous traitaient comme des marchandises. Ils n’avaient aucun remord, aucune compassion. Les personnes qui avaient le malheur de ralentir le groupe étaient frappées et insultées. Mais les forces de l’ordre locales étaient bien pires. À la première tentative, ils nous ont refoulé violemment, nous sommant de  retourner chez nous, comme si nous n’étions rien d’autre que des ombres indésirables.

La deuxième tentative a été encore plus humiliante. Des insultes racistes, des regards pleins de mépris. C’est comme si nous étions une menace plutôt qu’un groupe d’êtres humains cherchant simplement la sécurité et un avenir plus sûr. Au troisième essai, nous avons enfin réussi à franchir la frontière. Mais ce pays ne nous laissait pas tranquilles. Ils nous ont pris nos empreintes digitales contre notre gré. Nous avons demandé la raison de cet acte et ils nous ont simplement répondu par la menace d’un énième refoulement. Nous avons alors reçu un papier nous ordonnant de quitter la région sous sept jours.

La traversée de la Slovénie : un cauchemar sous la pluie

Nous avons alors quitté Lupoglav puis avons marché sept heures sous une pluie glaciale et incessante. Cette pluie s’abattait sur moi comme un poids supplémentaire. Elle est restée en moi ancrée comme un souvenir indélébile. Pendant onze mois, une simple douche me ramenait à cette douleur. Je revivais ces heures de marche, trempé jusqu’aux os avec mes jambes qui étaient incapables de marcher. Mais malgré tout, nous avons été accueillis avec dignité contrairement aux frontières précédentes. Et enfin, après plusieurs jours, j’ai réussi à dormir correctement en m’endormant comme un nourrisson. Après quatre jours, j’ai continué ma route.

 Gorizia : un instant de répit au milieu de l’enfer

Après quatre jours à Ljubljana, je suis arrivé à Gorizia, en Italie. Une ville magnifique qui, pour un instant, m’a offert un souffle de répit. Mais il était 2h du matin et j’étais seul et épuisé. Finalement, je me suis endormi sur un banc dans un arrêt de bus. Un jeune homme est venu à 6h du matin et m’a acheté un café et un croissant. Un geste si banal pour lui alors que pour moi, après tant de privations, c’était en réalité une bouffée de chaleur humaine.

Tout au long du voyage, une pensée ne me quittait jamais : mes enfants.

Chaque nuit, je me demandais si je faisais le bon choix, si je n’étais pas en train de les abandonner. La culpabilité me rongeait et elle me hanterait pendant des mois. Même si je savais qu’ils étaient entre de bonnes mains, leur mère, l’amour de ma vie, rien ne pouvait soulager ce poids. J’aurais voulu les protéger, les serrer contre moi, leur dire que tout ira bien. Mais j’étais loin et cette douleur ne me quittait jamais.

De Milan à la Suisse : un dernier obstacle

Enfin, je suis arrivé à Milan après être passé par Vérone, admirant les paysages italiens malgré l’épuisement. Après avoir passé une nuit dans cette ville, j’ai pris un train pour la Suisse. Ironie du sort, trop fatigué, j’ai sauté dans le wagon de première classe sans m’en rendre compte et ma première journée en Suisse s’est soldée par une amende.

Ce voyage a été à la fois une épreuve et une expérience de résilience. J’ai découvert la cruauté mais également la bonté humaine dans ses formes les plus inattendues. Aujourd’hui, chaque goutte de pluie me rappelle cette lutte, mais aussi la force qui m’a permis d’arriver jusqu’ici.    

Yahya Nkunzimana

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

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