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A quoi ressemble le quotidien des requérants vivant en foyer ?

Zahra Ahmadiyan devant le foyer de Sainte-Croix
Photo: Voix d’Exils

« Le manque d’intimité, c’est le plus difficile à supporter ! »

À son arrivée en Suisse, notre rédactrice iranienne Zahra découvre les difficultés de la vie en foyer. Seule, désorientée, elle va lutter pour acquérir les codes de cet univers inconnu qui heurte sa sensibilité mais lui réserve aussi de beaux moments de solidarité. Son témoignage.

« J’ai d’abord été hébergée dans le Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, dans le canton de Vaud. A la réception, un homme m’a demandé de remplir une fiche traduite en farsi, ma langue maternelle, avec les informations habituelles : nom, prénom, date de naissance, langues… Une femme m’a ensuite fouillée de la tête aux pieds et a contrôlé mon sac à dos.

Puis, j’ai attendu, assise sur un banc, sans que personne ne s’occupe de moi ou ne me donne une quelconque explication. J’étais tétanisée à l’idée qu’on me renvoie en Iran. Après une demi-heure, un homme est venu me chercher, m’a accompagnée jusqu’à la chambre qui m’avait été attribuée et m’a donné une couverture, un oreiller et des articles de toilette.

Dans la chambre, il y avait six lits superposés, et cinq femmes de plusieurs nationalités qui me regardaient. Leurs visages me semblaient étranges… J’avais 24 ans, et c’était la première fois que je quittais mon pays. Je n’avais jamais vu de peau noire, de cheveux aussi blonds, d’yeux bridés, même leurs habits étaient bizarres… Tout dans ce Centre était nouveau et désécurisant. J’ai éclaté en sanglots.

Par chance, deux jeunes Afghanes qui parlaient le dari, une langue proche du farsi, m’ont servi de guides et ont partagé leur repas avec moi. Elles m’ont aussi appris que plusieurs rumeurs circulaient dans le Centre. Par exemple, certains migrants pensaient que les petits capteurs anti-incendie installés dans toutes les chambres étaient en fait des caméras qui nous espionnaient. Moi, je n’y ai pas cru une seconde et j’en ris encore quand j’y repense aujourd’hui !

La peur d’être expulsée

Le lit collé au mien était occupé par une vieille femme malade qui toussait sur moi et s’essuyait le nez avec ma couverture. Elle se levait au milieu de la nuit, déroulait un petit tapis et faisait ses prières. J’étais très énervée contre elle, car elle m’empêchait de dormir.

On avait toutes et tous un espace personnel dans l’armoire disponible dans chaque chambre, mais on ne pouvait rien mettre sous clé. Les Securitas avaient le droit de fouiller en tout temps les armoires pour vérifier qu’on n’y cachait pas des marchandises interdites. Parfois, les migrants se volaient des affaires entre eux.

Le matin, on déjeunait rapidement entre 7h00 et 7h30 au réfectoire. C’était bon, il y avait du pain, du beurre, de la confiture, des cornflakes, du lait, du thé et du café. Le midi et le soir, il y avait aussi des horaires stricts à respecter. A tous les repas, des Securitas surveillaient que personne n’emporte un fruit ou du pain pour aller les manger ailleurs ou les apporter à quelqu’un.

On recevait 21 francs par semaine pour nos achats personnels : cigarettes, friandises, produits de toilette, etc. Mais on avait l’interdiction de ramener de la nourriture au Centre.

Après 13 jours à Vallorbe, j’ai été transférée dans un foyer de l’Établissement Vaudois d’Accueil des Migrants (EVAM) à Sainte-Croix. J’ai quitté le Centre à 8h30 et je suis arrivée à ma nouvelle adresse 12 heures plus tard complètement épuisée car j’avais passé la journée à prendre des trains, des bus, à marcher, à me perdre…

Lorsque je suis arrivée à mon premier rendez-vous, au Service de la population (SPOP) à Lausanne, j’ai croisé dans la salle d’attente des Afghans qui m’ont dit « Ici c’est le Centre de renvoi ! » J’ai pensé qu’on allait m’expulser et j’ai beaucoup pleuré. Finalement, on m’a donné des papiers d’identité et on m’a demandé de passer à un bureau de l’EVAM situé à l’autre bout de la ville.

Quand j’ai enfin trouvé cette nouvelle adresse, c’était pour qu’on m’explique que je devais traverser tout le canton pour rejoindre le foyer de Sainte-Croix. Quelle journée horrible ! Je me sentais complètement perdue, j’avais peur et je n’avais mangé qu’un biscuit et bu un peu de thé de toute la journée.

Des tensions entre requérants

A mon arrivée au foyer de Sainte-Croix, on m’a fourni un matelas, des draps, un oreiller et des ustensiles de cuisine, puis on m’a conduite jusqu’à ma chambre. Elle était occupée par trois femmes.

En me promenant pour faire connaissance avec mon nouvel environnement, j’ai vu que l’évier de la cuisine était bouché par des eaux usées et des déchets. Les toilettes et les salles de bain aussi étaient sales. J’ai découvert par la suite que les espaces publics du foyer étaient correctement entretenus au quotidien, mais la propreté ne durait pas longtemps. Chaque jour, il y avait des disputes parce que certains migrants qui avaient sali la cuisine ou les salles de bains ne voulaient pas les nettoyer et cela créait beaucoup de tensions entre nous.

Le jour de mon arrivée, je n’avais qu’une envie c’était de quitter ce foyer, j’avais le ventre vide et j’ai commencé à pleurer. Heureusement, une jeune Afghane qui habitait là depuis quelque temps a eu pitié de moi et m’a invitée à partager son repas.

Contrairement à Vallorbe, il n’y avait pas de réfectoire à Sainte-Croix. En soi, c’était plutôt une bonne chose, car ça nous occupait de faire les courses et de préparer à manger. Et c’était aussi agréable de pouvoir préparer des plats de notre pays natal. Mais, avec une seule cuisinière pour 19 personnes c’était compliqué, et puis il fallait aussi trouver une place pour manger à la petite table disponible dans chaque chambre.

Le studio, oasis de tranquillité et de paix

Une de mes trois voisines de chambre passait l’essentiel de son temps sur son lit en compagnie de son copain. Ils discutaient, écoutaient de la musique, mangeaient ensemble. Parfois, elle invitait d’autre filles et garçons à venir les rejoindre. Ils occupaient tout l’espace et faisaient beaucoup de bruit, je ne pouvais pas changer d’habits ou me reposer, sans compter que le manque d’intimité me rendait dingue !

Le règlement interdisait d’amener des hommes dans la chambre, et je me suis plainte à plusieurs reprises auprès de mon assistante sociale qui, à chaque fois, a demandé à un Securitas de passer et de mettre les intrus à la porte. Le Securitas faisait le travail et ma chambre retrouvait un peu de calme pendant deux ou trois jours, mais après le cirque recommençait.

Parfois, ma voisine sortait le soir pour rejoindre son copain à l’extérieur. Quand elle revenait, elle nous réveillait en faisant du bruit et en allumant la lampe. Elle s’excusait en riant…

Après une année et deux mois de vie au foyer, j’ai enfin emménagé dans un petit studio à Grandson. J’y ai découvert le bonheur de me reposer, me laver, me préparer à manger dans un environnement sain et paisible ! »

Zahra

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Les violences faites aux Iraniennes

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Le suicide, le divorce ou l’exil

Dans la société conservatrice et patriarcale des petites villes et des campagnes iraniennes, les hommes ont quasi tous les droits sur les femmes de leur famille. Ils peuvent se montrer cruels et violents avec leurs épouses, leurs sœurs et leurs filles sans être inquiétés. Zahra, rédactrice iranienne de Voix d’Exils illustre les épreuves vécues par ses compatriotes en partageant une histoire vraie.

« Mon amie Soraya m’a raconté l’histoire épouvantable de son cousin Mohamad*. Né dans une famille riche et puissante, fils aîné d’une fratrie de cinq sœurs et trois frères, Mohamad est un homme brutal qui sait se montrer généreux avec ceux qui lui obéissent et ferment les yeux sur ses exactions.

Âgé de 40 ans, Mohamad s’est marié trois fois. A sa première épouse, Fatima, il a infligé de terribles violences physiques et morales. Après des années de mauvais traitements, épuisée, désespérée, ne voyant pas d’échappatoire, Fatima s’est étranglée avec un long foulard alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant. Lors des nombreux séjours hospitaliers de Fatima pour soigner les blessures infligées par son mari, la mère de Soraya lui a apporté des médicaments, des repas, elle a essayé de la réconforter. Malheureusement, Fatima n’en pouvait plus de sa vie faite d’humiliations et de souffrances. Rien n’a pu la retenir de commettre l’irréparable, pas même le bébé qu’elle portait ou sa petite fille Shilan.

Dans la ville où il habite, tout le monde savait que Mohamad maltraitait sa femme et qu’elle s’était suicidée. Pourtant, il n’a pas été inquiété.

Une fillette détruite

Comme beaucoup d’Iraniens, Mohamad estime que la place des femmes est à la maison. Elles doivent se consacrer aux tâches ménagères, à leur mari et à l’éducation des enfants. Hors des grandes villes, les Iraniennes n’ont pas le droit de quitter leur domicile si elles ne sont pas accompagnées par un homme de la famille, que ce soit leur mari, leur père, ou un frère… La scolarité, le travail et la vie sociale à l’extérieur, sont réservés aux hommes.

Malgré les idées rétrogrades de son père, et grâce à la protection de sa tante maternelle, Shilan a tout de même pu aller à l’école jusqu’à l’âge de onze ans. Après, elle a dû arrêter pour s’occuper de son demi-frère né du second mariage de son père. Après la fin tragique de Fatima, l’histoire va se répéter avec Shilan. Terrorisée par un père qui l’étouffe avec ses interdits et ne lui pardonne rien, la malheureuse s’est suicidée à l’âge de 13 ans en se pendant avec son foulard, comme sa mère avant elle. Le jour de son suicide, Shilan avait été battue par son père car son petit frère, dont elle avait la garde, s’était légèrement blessé la main pendant qu’ils jouaient ensemble.

Des sœurs tyrannisées

Amina, la deuxième femme de Mohamad, a demandé le divorce après cinq ans de mariage. Une décision difficile car elle est partie en laissant son fils avec son père. Mohamad aurait voulu punir cette femme qui préférait l’abandonner, mais il ne l’a pas retenue parce qu’il craignait qu’elle se suicide elle aussi s’il l’obligeait à rester avec lui. Il aurait alors pris le risque que la police se montre un peu plus curieuse que lors des deux précédents suicides et se sente obligée d’intervenir.

Après le départ d’Amina, Mohamad s’est marié une nouvelle fois et a eu trois enfants avec sa troisième femme. Il la maltraite aussi, mais comme elle vient d’un milieu pauvre elle subit et elle se tait. En tout cas pour le moment. Mohamad se montre prudent, il achète son silence et celui de sa belle-famille par des cadeaux et des versements d’argent.

Non content de tyranniser ses épouses et ses filles, Mohamad s’en prend aussi à ses sœurs. Quatre d’entre elles sont mariées, et on pourrait penser que leurs maris les protègent. Mais, comme ils ont très peur de leur beau-frère, ils prennent son parti et insistent pour que leurs épouses lui obéisse quelles que soient ses exigences.

Choisir l’exil ou mourir

Marjane, sa sœur célibataire, est la seule qui a osé lui résister. Avec le soutien de ses parents, elle avait terminé des études de comptabilité et avait un travail intéressant à la municipalité de sa ville avant de devoir prendre le chemin de l’exil. Elle aussi avait supporté pendant des années les reproches et les sarcasmes de son grand frère. A partir de l’âge de 16 ans, elle avait même fait plusieurs tentatives de suicide, heureusement sans succès.

Dernièrement, Mohamad avait carrément menacé de la tuer si elle ne se mariait pas au plus tard cet automne avec un homme âgé qu’il avait lui-même choisi et qui avait déjà quatre femmes.

Ne pouvant plus supporter les pressions et les menaces, sachant que ses parents ne pourraient pas la protéger plus longtemps, Marjane a pris la décision de quitter son pays. Elle a d’abord donné son congé à la municipalité, puis, lors de son dernier jour de travail, elle a mis le feu à son foulard. Avec l’argent versé par son employeur, elle est partie en juin dernier et a demandé l’asile en Allemagne.

Malgré les milliers de kilomètres qu’elle a mis entre son frère et elle, elle a toujours peur qu’il la retrouve et la tue. »

Zahra Ahmadyan

Membre de la rédaction vaudoise de voix d’Exils

*Tous les prénoms ont été modifiés

 




En Iran, les fumeuses risquent des insultes, des coups, et même la prison

Ahmad Mohammad / Voix d’Exils.

La liberté de fumer : un marqueur d’égalité hommes – femmes

« Lorsque je suis arrivée en Suisse, il y a 5 ans, j’ai été très surprise de voir des femmes fumer dans l’espace public » confie Zahra, rédactrice à Voix d’Exils. « Je me suis posée beaucoup de questions : Ça ne dérange pas les hommes que les femmes fument ? Leurs familles ne leur disent rien ? Les femmes sont-elles vraiment libres de fumer ?

Je viens d’une petite ville au nord-ouest de l’Iran. Dans mon pays, il y a plusieurs cultures, chacune a sa langue – le farsi, le turc, l’arabe et le kurde -, sa cuisine, sa musique, ses traditions. Le point commun entre ces différentes cultures, c’est que les femmes ne sont pas libres.

« Après la révolution islamique, les femmes n’ont plus eu le droit de fumer »

Prenons l’exemple des fumeuses… Depuis la Révolution islamique de 1979, les femmes ont l’interdiction de fumer. A l’époque du Shah, entre 1941 et 1979, la situation était différente. Ma grand-mère, qui a toujours fumé, m’a raconté qu’elle avait grandi dans une société qui laissait beaucoup de liberté aux femmes. Elles avaient le droit de fumer, de porter des minijupes, de ne pas se voiler, de voter… comme en Europe.

Ma grand-mère était une femme de caractère qui avait élevé 15 enfants. Elle avait planté du tabac dans le potager de la ferme pour la consommation familiale. Ma mère était la petite dernière de la fratrie, elle fumait elle aussi avant de se marier.

Après la révolution islamique de 1979 menée par l’ayatollah Khomeini, les femmes n’ont plus eu le droit de fumer. Dans les grandes villes, celles qui ne respectaient pas cet interdit étaient sévèrement punies. Là où habitait ma grand-mère, la situation était un peu différente. Dans la société rurale, fumer était considéré comme une activité de détente qui n’était pas réservée aux hommes.

« Les femmes qui fument se font traiter de prostituées »

Lorsque ma mère s’est mariée, elle est allée habiter en ville et mon père lui a demandé d’arrêter de fumer. Mon père, qui était lui-même un homme ouvert d’esprit, n’avait pas d’autre choix. Si ma mère avait continué de fumer, elle aurait été considérée comme une femme de mauvaise vie, une citoyenne qui ne respecte pas les lois islamiques.

Aujourd’hui certaines Iraniennes fument en cachette. Malheur à celle qui allume une cigarette dans l’espace public : elle se fera insulter, se verra traiter de putain et pourra même recevoir des coups donnés par des hommes que ce geste – perçu comme une provocation – rend complètement fous. Dans certains cas, ce comportement considéré comme « déviant » peut occasionner une dénonciation auprès de la police et la « fautive » risque alors l’emprisonnement.

Il y a pourtant une catégorie de femmes qui échappent à cette interdiction. Ce sont les femmes âgées, que leur ancienneté protège, et qui peuvent fumer sans porter préjudice à l’honneur familial.

« L’interdiction de fumer est une oppression parmi tant d’autres »

En Iran, le système patriarcal et religieux décide de ce qui est bon pour les femmes et les traite comme des citoyens de second plan. L’interdiction de fumer n’est finalement qu’une oppression parmi tant d’autres. Mais ce système injuste suscite toujours plus de mécontentement. Aujourd’hui, les Iraniennes sont nombreuses à contester des lois sexistes qui les privent de leurs droits fondamentaux. Elles en ont assez de ne pas pouvoir choisir leurs habits, de devoir obligatoirement porter le voile, elles veulent penser par elles-mêmes, travailler, être indépendantes.

Elles sont courageuses, mais le chemin vers la liberté est encore long. »

 

Zahra AHMADIYAN

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils