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FLASH INFOS #94

Bundesministerium für europäische und internationale Angelegenheiten / Flickr.com

Sous la loupe : Suisse : un référendum contre le financement de Frontex aboutit / Une enquête dévoile l’insalubrité des logements pour réfugié·e·s en Angleterre / Turquie : multiplication des appels à renvoyer les réfugié·e·s

Suisse : un référendum contre le financement de Frontex aboutit

Le Courrier, le 12.01.2022

En Suisse, la majorité de droite au parlement fédéral a décidé, en automne dernier, d’augmenter sa participation au budget de l’Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes – Frontex – afin de consolider les actions de celle-ci.

Cependant, cette décision met en danger la vie des réfugié·e·s qui traversent des frontières dangereuses, notamment en Méditerranée. En effet, Frontex viole régulièrement le principe de non-refoulement inscrit dans la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

Pour s’opposer à cette décision de parlement, le référendum « No Frontex » a été lancé le 12 octobre 2021 par l’association Migrant Solidarity Network. La nombre de signatures ayant été atteint en date du 20 janvier 2022, le référendum contre le financement de Frontex constitue donc une affaire à suivre…

Zahra Ahmadiyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Une enquête dévoile l’insalubrité des logements pour réfugié·e·s en Angleterre

infomigrants.net, le 11.01.2022

Le média britannique BBC a mené une enquête sur les conditions déplorables dans lesquelles se trouvent certains logements fournis aux demandeurs et demandeuses d’asile en Angleterre. Ces logements, dont certains ont vu leur plafond s’effondrer au cours des derniers mois, sont souvent décrits comme insalubres, voire dangereux.

Ce n’est pas la première fois que le traitement des réfugiés au Royaume-Uni suscite des inquiétudes. Dans son rapport, l’organisation Independent Monitoring Boards (IMB) signale que des plaintes sont rapportées par des réfugié·e·s à propos de leur logement presque toutes les semaines. L’organisation dénonce également le fait que les femmes violées ne sont pas « assez soutenues », que les blessures ne sont pas traitées et que les personnes migrantes sont obligées de dormir à même le sol lors de leur arrivée en Angleterre.

L. B.

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Turquie : multiplication des appels à renvoyer les réfugié·e·s

France 24, le 17.01.2022

En raison de la dégradation de la situation économique en Turquie, les appels à renvoyer les réfugié·e·s syrien·ne·s dans leur pays se font de plus en plus nombreux. C’est notamment le cas dans la ville de Bolu, au nord d’Ankara, où un maire nationaliste tente de faire passer des lois discriminatoires contre les étrangers et étrangères arabes.

Il est à noter que la Turquie compte le plus grand nombre d’immigrant·e·s au monde, la plupart étant des Syrien·ne·s qui sont soigné·e·s et soutenu·e·s gratuitement par la Turquie.

Zahra Ahmadiyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




FLASH INFOS #83

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Sous la loupe : Enquête sur l’ouverture à la diversité au sein de la société suisse / Atteinte aux droits fondamentaux des migrant.e.s en Suisse / Sauvetage de migrant.e.s au large de Dunkerque

Enquête sur l’ouverture à la diversité au sein de la société suisse

24 heures, le 28.10.2021

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a mené une enquête entre 2016 et 2020 sur la place des personnes migrantes dans la société suisse et l’ouverture de la population à la diversité. Alors que la population croît et se diversifie de plus en plus, l’enquête mentionne que les Suissesses et les Suisses seraient plutôt ouverts d’esprit ; 1,5% de la population adopterait des comportements racistes contre 70% qui les condamnerait. Les parcours de vie individuels seraient le principal facteur de discrimination, de racisme et de xénophobie.

Cependant, des tensions et des hostilités restent présentes, notamment autour de la communauté musulmane. Dans ce rapport, l’OFS mentionne que « c’est moins la personne elle-même que sa religion qui est la cible [des hostilités] ». La diversité au sein de la société suisse représente alors tant une richesse qu’un défi pour le vivre ensemble.

Zoé

Contributrice externe de Voix d’Exils

 

Atteinte aux droits fondamentaux des migrant.e.s en Suisse

Le Temps, le 25.10.2021

Tandis que la Suisse se prépare à la votation du 28 novembre 2021 concernant entre autres l’instauration durable du pass sanitaire et que les manifestations visant à garantir l’égalité de traitement se multiplient, le Parlement a récemment approuvé une mesure « agressive » à l’égard des personnes migrantes. Ces derniers ont l’obligation de se soumettre à un test Covid-19 sous contrainte policière afin de garantir leur renvoi vers le pays dans lequel ils ont transité.

Une politique de deux poids deux mesures qui remet en cause l’application du principe constitutionnel d’égalité faisant partie des droits fondamentaux universels pour toute personne vivant en Suisse.

Hawa Moussa

Contributrice externe de Voix d’Exils

 

Sauvetage de migrant.e.s au large de Dunkerque

24 heures, le 26.10.2021

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2021, deux opérations de sauvetage menées par un remorqueur français ont permis de secourir 71 personnes migrantes en France au large de Dunkerque, dans la Manche, alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Angleterre. Tous les naufragé.e.s ont été confié.e.s aux autorités locales.

Entre janvier et août 2021, quelques 15’400 personnes migrantes ont tenté de se rendre en Angleterre par cette voie maritime dangereuse, contre seulement 9’500 en 2020 et 2’300 en 2019. L’augmentation du phénomène de migration par la Manche est significative et démontre la détermination des personnes migrantes, ce malgré les mises en garde des autorités quant aux dangers encourus durant la traversée.

Rachel Blaser

Contributrice externe de Voix d’Exils

Nous remercions chaleureusement les étudiant.e.s de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL) pour leurs contributions à cette édition n°83 du Flash INFOS qui ont été réalisées à l’occasion d’un atelier dispensé par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils entre octobre et novembre 2021.

 




Grande manifestation à Milan en solidarité avec les migrants

 CC0 Public Domain

CC0 Public Domain

« Nous ne construirons pas avec les briques de l’intolérance, du racisme et de la peur de nouveaux murs »

Plusieurs dizaines de milliers de personnes, dont des personnalités politiques et le maire de la ville, ont défilé samedi 20 mai à Milan, dans le nord de l’Italie, pour manifester leur solidarité avec les migrants. Le cortège était précédé d’une banderole « Ensemble sans murs » selon le site d’information l’Essentiel

Malgré l’aggravation des conditions météorologiques en Méditerranée, l’afflux de migrants en Italie ne cesse de se renforcer et la capitale du pays a du mal à y faire face. Des centaines d’entre eux sont actuellement bloqués à Rome. Les autorités de la capitale italienne ont mis en place un réseau de centres d’accueil, mais il n’y avait pas assez de places disponibles pour abriter tout le monde.

Malgré ces conditions difficile, la grande manifestation de samedi dernier a eu lieu et a rassemblé beaucoup de monde dans les rues de Milan. Plusieurs personnalités se trouvaient à la tête du cortège, dont le président du Sénat Pietro Grasso, le maire de Milan Giuseppe Sala ou l’ex-commissaire européenne aux droits de l’Homme, Emma Bonino. M. Grasso, membre du Parti démocrate (PD, gauche), a assuré que depuis ce jour « nous avons commencé à respirer un nouvel air, un air de liberté et d’espérance ». « Aujourd’hui nous disons à voix haute, avec fermeté et sérénité, que nous ne ferons pas marche arrière, nous ne construirons pas avec les briques de l’intolérance, du racisme et de la peur de nouveaux murs et de nouvelles divisions », a poursuivi le président du Sénat. « Intégrer les étrangers qui ont le droit de vivre dans notre pays », c’est-à-dire en règle avec les papiers, « n’est pas un cadeau ou un geste de générosité, cela sert à rendre le pays plus fort », a conclu M. Grasso. Propos rapportés par L’essentiel

Commentaire

Face à la politisation de la question des migrants, leur stigmatisation et la xénophobie croissante créée par les politiciens et les médias occidentaux nous observons une autre tendance. Il y a une énorme solidarité grandissante avec les réfugiés et la prise de conscience par la population de ces pays que leurs problèmes sont le produit de la nouvelle politique colonialiste des États-Unis et d’autres pays occidentaux et que les réfugiés sont des victimes impuissantes de ces politiques qui ont besoin d’aide et de sympathie.

Hayro

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




«Le discours pour justifier l’exclusion est aujourd’hui plus sophistiqué et moins identifiable au racisme qu’auparavant»

Dr. Philippe Gottraux. Photo: André / Voix d'Exils

Dr. Philippe Gottraux. Photo: André / Voix d’Exils

Face à la montée de l’extrême droite en Europe et à l’adoption par le peuple suisse de l’initiative portée par l’Union Démocratique du Centre (UDC) dite « Contre l’immigration de masse », Voix d’Exils s’est penché sur le sujet avec Philippe Gottraux, politologue à l’Université de Lausanne, pour mieux comprendre le phénomène.

Voix d’Exils : Quelles sont les spécificités et caractères communs des idéologies d’extrême droite ?

Philippe Gottraux : Historiquement, l’extrême droite européenne est liée à des courants qui ont été marginalisés après la guerre – comme le fascisme et le nazisme -, mais qui ont continué à exister très marginalement dans la société. Ce qui est préoccupant ces derniers temps, c’est la recrudescence des courants d’extrême droite partout en Europe. On observe, bien sûr, des différences entre eux, même si les thématiques peuvent se ressembler. Ils partagent, par exemple, une espèce de phobie envers les étrangers ou, pour les groupes plus modérés comme l’UDC, une obsession du « problème » que représentent pour eux les étrangers. Mais ce n’est quand même pas la chasse à l’homme à coups de barre de fer, organisée par le mouvement grec Aube Dorée dans les rues d’Athènes, sous les yeux complaisants de la police…

Qu’est-ce qui différencie les mouvements d’extrême droite actuels par rapport à ceux des années 30-40 ?

Les mouvements des années 30-40 ont perdu la guerre, puis la bataille idéologique. Il y a eu un tabou – au sens politique et positif du terme – pour interdire le racisme. Il a fallu une modération des discours d’extrême droite dans ce nouveau contexte. S’en est suivi la désignation de nouveaux boucs émissaires. Alors que, tendanciellement, l’antisémitisme est devenu indicible, le racisme anti-Roms se porte bien. A droite, on agite aussi la menace de l’Islam, de l’islamisation de l’Europe, ou encore celle des migrations venant des sociétés du Sud.

Quelle est la vision du monde des mouvements d’extrême droite ?

C’est la construction d’une vision du monde qui est systématiquement organisée autour d’une opposition entre « Eux » et « Nous », d’une conception anti-égalitaire et hiérarchique de la société, ainsi que d’un nationalisme exacerbé. Pour ce qui nous concerne ici, le « Eux », c’est évidemment les étrangers, les « races », les cultures différentes de « Nous », avec lesquels il ne faut pas se mélanger. Prenez le débat qu’il y a eu en Suisse sur les minarets à l’occasion de la votation populaire nationale de novembre 2009. Le « Eux », c’était les musulmans avec leurs pratiques supposées incompatibles avec nos institutions. Il faut savoir qu’au 19ème siècle, une initiative fédérale acceptée par le peuple visait à interdire aux Juifs l’abattage rituel. C’était déjà les mêmes mécanismes : « On n’a rien contre les Juifs, on prend la défense des animaux. » Cette initiative avait bien sûr permis un déferlement de discours antisémites.

Ce refus de l’autre est-il un phénomène que l’on observe dans toutes les sociétés ?

Dans toutes les sociétés, il y a des « Eux » et des « Nous ». Une différenciation se fait entre le groupe d’appartenance comme la nation, la culture, et les « Autres ». La question est de savoir ce qu’on fait de cette différence. Il y a, bien sûr, des différences entre « Eux » et « Nous », mais doit-on les conflictualiser pour renforcer le « Nous » contre les « Autres » ? Je pense qu’un des fonds de commerce de l’extrême droite, c’est de faire une lecture de la réalité sociale sur cette base-là.

Comment les partis d’extrême droite justifient-ils le rejet des étrangers ?

Ce n’est pas nécessairement des étrangers, c’est des « Eux » qui sont la plupart du temps des étrangers ou issus de l’immigration. L’extrême droite a été marginalisée après-guerre, parce que ses arguments pour exclure les « Eux » – en l’occurrence les Juifs ou les Tsiganes – étaient des arguments radicaux qui ont conduit à des extrêmes comme l’extermination. Maintenant, le discours pour justifier l’exclusion des « Eux », ou la séparation avec les « Eux », est en général beaucoup plus modéré, plus sophistiqué, et donc moins rapidement identifiable au racisme. Les gens qui se revendiquent explicitement du racisme ou qui revendiquent explicitement la supériorité des Blancs sur les Noirs ou des Suisses sur les étrangers sont minoritaires. De fait, les arguments qui circulent ne sont ni méprisants ni haineux, ils sont plus subtils. Le danger, c’est que ces arguments plus subtils sont davantage recevables pour la société.

Est-ce le seul danger ?

Non. L’autre danger, c’est la réappropriation tactique par ces courants d’extrême droite de thématiques ou de valeurs qui sont historiquement de gauche. Par exemple, la défense de la laïcité. On entend : « L’Islam est incompatible avec nos valeurs parce qu’il est contre la laïcité. » ; « On ne veut pas de musulmans ou d’immigrés venant du Tiers Monde parce qu’ils traitent différemment leurs femmes que nous. » Sous-entendu : « Ils traitent mal leurs femmes, nous on les traite bien. » L’extrême droite se réapproprie les valeurs de la défense du droit des femmes pour justifier des formes de racisme subtiles. On entend ainsi Marine Le Pen défendre le droit des homosexuels, les droits des femmes, la laïcité, la République, etc. Pour quelqu’un qui est à la tête d’un parti d’extrême droite, c’est quand même nouveau !

Que faire pour contrer ce brouillage politique ?

Il est difficile de combattre ces idéologies d’extrême droite parce que justement elles brouillent les clivages. En gros, elles se réapproprient et dévoient des valeurs de gauche, à tel point que ça fait éclater une partie de la gauche sur ces questions. Sur la question de la laïcité, sur la question du port du voile en France etc. La gauche vole en morceaux. Mais, une autre partie de la gauche a conscience que c’est très dangereux de raisonner ainsi, parce que c’est une manière de faire de la place à ce racisme nouveau.

Les discours apparemment modérés cachent les vraies valeurs de l’extrême droite. Peut-on parler de discours masqués?

Pour le Front National c’est une stratégie politique. Il faut moderniser le discours, être trop franc ça ne passe plus. Sans compter le risque d’avoir des procès, car il existe des normes pénales antiracisme. Donc, pour une partie des acteurs, c’est du maquillage, c’est du calcul. Mais une partie des journalistes ne se rend pas non plus compte de ce que cache ce type de discours. On l’avait vu lors de l’initiative populaire de l’UDC sur les étrangers criminels soumise au peuple en novembre 2010. Du côté de la presse, personne n’osait attaquer de front la logique raciste qu’il y avait là derrière, dans sa logique de double peine qui consiste à punir différemment en rapport à la nationalité.

Comment expliquer la recrudescence des mouvements d’extrême droite actuellement en Europe ?

Il y a plusieurs explications qui tendent à dire que c’est lié à la crise économique, à une situation socio-économique qui se dégrade. C’est en partie vrai. Mais l’Espagne et le Portugal sont des pays qui subissent des politiques d’austérité phénoménales qui dégradent les conditions de vie des populations, qui créent de la misère, sans qu’on n’observe pour autant une montée significative des partis d’extrême droite. Donc, la situation économique dégradée ne suffit pas à elle seule à expliquer la montée de ces partis. La meilleurs preuve c’est qu’en Suisse l’UDC fait de très bons scores, mobilise sur des thématiques de rejet des étrangers, alors que la situation économique est bonne en comparaison internationale.

L’autre argument pour expliquer l’avancée de l’extrême droite, l’idée que la gauche et la droite – au sens gouvernemental – c’est du pareil au même. Les partis politiques de gauche ou de droite ne seraient plus suffisamment différents pour offrir des alternatives politiques claires aux citoyens. Ces derniers iraient chercher ailleurs, on le voit en France avec le Front National. Mais cette explication n’est pas suffisante non plus. J’ai l’impression qu’il faut une combinaison de facteurs explicatifs. Il faut regarder dans chaque situation, dans chaque pays, les éléments d’histoire. Dans l’histoire suisse, on a une tradition politique et culturelle, depuis le 20ème siècle, qui désigne les étrangers comme un « problème ». Dans la loi sur les étrangers datant du début des années 30, on se souciait déjà de l’Überfremdung, c’est-à-dire de « la surpopulation étrangère ». L’État suisse – pas l’extrême droite -, l’État est préoccupé depuis le 20ème siècle par le danger que représenterait la « surpopulation étrangère ».

En Suisse, qu’est-ce qui a changé depuis que l’UDC est devenu le premier parti politique ?

Ce qu’il faut regarder, ce n’est pas seulement les scores d’un parti d’extrême droite au niveau électoral, c’est en quoi ce parti arrive à faire bouger l’ensemble de l’échiquier politique vers la droite, et notamment vers des positions hostiles aux étrangers. Depuis 20-30 ans, en Europe, la situation s’est durcie à tous les niveaux, dans tous les pays. Même si l’extrême droite reste minoritaire – avec des scores électoraux oscillant entre 8% et 10% –, il y a des situations où elle devient le pivot qui tire l’ensemble de l’échiquier politique sur la droite, contre les étrangers. En Suisse, c’est particulièrement clair. Depuis que l’UDC progresse, les autres partis s’emparent des thèmes de l’UDC et font soit de la surenchère – parfois en essayant de la prendre de vitesse – ce qu’a essayé de faire le Parti libéral-radical, avec son initiative sur la mendicité (qu’il a maintenant retirée) ; soit ils proposent des solutions qui vont dans le même sens, mais qui sont un peu plus modérées. Mais ça va quand même dans le sens d’une stigmatisation des étrangers ou d’un renforcement de l’idée que les étrangers sont un problème.

Comment ces courants propagent-ils leurs discours ?

Prenons l’exemple des délits. Dans le discours dominant, on se pose systématiquement la question de savoir si c’est un étranger ou si c’est un Suisse qui l’a commis. Si c’est un Suisse, on va se poser la question de savoir si c’est un « vrai Suisse » avec tous les guillemets qu’il faut, ou si c’est un Suisse naturalisé. Il y a une espèce d’obsession, qui n’est pas seulement le signe de l’extrême droite. L’extrême droite joue à fond sur cet impensé nationaliste partagé, elle ne fait que le radicaliser, le systématiser. Ce qui ressort finalement renforcé, c’est l’idée que le clivage les Suisses / les Autres est une grille de lecture pertinente pour analyser n’importe quoi.

A titre personnel, qu’est-ce qui vous frappe dans ce phénomène ?

Je dirais que la force de l’extrême droite c’est sa force stratégique, alors que la gauche critique est sur ce plan dans les cordes. C’est aussi plus facile d’agiter les peurs que de faire appel à la raison, c’est peut-être ça le problème aussi… Pour finir sur un dernier exemple, celui des dealers, on néglige dans le débat public la plupart du temps les consommateurs, surtout si ce sont des personnes de la bonne société qui leur achètent de la drogue. Lorsque vous dites : « S’il y a des dealers, c’est qu’il y a des consommateurs », vous apparaissez déjà comme suspect !

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




«On ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur»

Mouhamed Basse. Photo: Voix d'Exils
Mouhamed Basse. Photo: Voix d’Exils.

Portrait

Suisse d’origine sénégalaise, Mouhamed Basse est installé dans le canton de Neuchâtel depuis 25 ans. Venu en Suisse comme étudiant, il s’est marié à une Suissesse et est père de deux enfants de 19 ans et 16 ans. Professeur de mathématiques et de sciences, il est le représentant des Africains qui vivent dans la partie basse du canton, par opposition aux villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, situées sur les montagnes neuchâteloises. Avec Voix d’Exils, il parle de son intégration dans son canton d’adoption et de son engagement en faveur de la communauté africaine. Interview.

Voix d’Exils: Que faites-vous concrètement pour les Africains du bas du canton de Neuchâtel?

Mouhamed Basse: C’est toujours complexe de dire ce que je fais concrètement. Je dirais que j’ai été nommé, il y a une année seulement, comme représentant des Africains du bas. Concrètement, on se réunit avec le bureau du Service de la cohésion multiculturelle (le COSM) quatre fois dans l’année et on discute des sujets qui concernent les communautés migrantes d’origine africaine et, suivant ce que l’on dit, je prends position sur certains thèmes. Dans la rue, il m’arrive d’avoir des discussions avec des migrants et de donner des conseils sur différents sujets.

Y a-t-il des problèmes qui sont spécifiques aux Africains?

Ce sont des problèmes qui, de manière générale, concernent l’ensemble des migrants. Ça peut être des problèmes liés à l’intégration, à l’emploi, à la xénophobie et au racisme. Ce sont des obstacles qu’un migrant peut rencontrer en arrivant en Suisse.

Parmi ces Africains, il y a aussi des requérants d’asile. Leur rendez-vous visite ou parlez-vous avec eux?

Pas du tout. On a un représentant des requérants d’asile, M. Luul Sebhatu, et c’est lui qui est en contact avec les requérants d’asile. Moi, je suis plutôt en contact avec des Africains établis à Neuchâtel et qui ont une autorisation de séjour de longue durée. Malgré tout, je suis très à l’écoute et surtout je suis très vigilant à ce qui se passe dans le milieu des requérants d’asile.

Vous disiez, il y a quelques années de cela, que «Neuchâtel est exemplaire dans sa politique d’ouverture envers les étrangers». Sur quoi fondez-vous cette affirmation?

Avec la présence du bureau du délégué aux étrangers, qui est le premier bureau du genre en Suisse, je dirais que ce n’est pas moi qui ai inventé ces propos. D’autres l’ont dit avant moi et d’autres le diront après moi aussi. Dans les années 90, quand on a mis en place ce bureau du délégué aux étrangers, d’autres cantons n’y pensaient pas. Beaucoup d’efforts sont faits pour aider les étrangers qui vivent ici à se sentir bien, comme s’ils étaient chez eux. Avec ce bureau, il y a une certaine écoute. Comme représentant des communautés africaines, c’est claire que s’il n’y avait pas ce service de la cohésion multiculturelle, il y aurait eu plutôt des regroupements purement informels et mon rôle ne serait pas officiel.

Vous disiez aussi que «quand on vous croise dans la rue, rien ne vous distingue de l’immigré fraîchement débarqué et que dans votre for intérieur, vous vous considérez comme un immigré qui a su s’intégrer sans difficultés». Peut-on savoir ce qui a facilité votre intégration?

Je pense que le fait de suivre des études m’a permis d’avoir du recul par rapport à certains aspects de l’immigration. Je suis fier d’être ce que je suis : Africain. Je me suis toujours déplacé en été avec des boubous sénégalais et des gens me regardaient souvent dans la rue comme ça. Et puis, je me suis rendu compte que ce n’était pas des regards de méfiance, mais plutôt des regards d’admiration par rapport à ce que je portais. Le fait de montrer que j’avais cette identité-là et que je n’avais pas le complexe de m’habiller en Africain dans les rues de Neuchâtel, pour moi, c’est quelque chose d’hyper important.

25 ans de vie en Suisse, comptez-vous un jour retourner au Sénégal pour finir vos jours?

Le rêve de tout immigré, c’est ça. Moi, je ne sais pas si on doit en faire un rêve. Pourquoi on décide qu’il faut retourner? Retourner, c’est revivre sur une longue durée dans son pays d’origine. Je suis marié à une Européenne, une Suissesse. Ayant des enfants métis, est-ce que je vais prendre mes cliques et mes claques et décider un jour de m’établir définitivement au Sénégal ? Je dirais plutôt que le jour ou j’arrive à la retraite et que je peux vivre entre la Suisse et le Sénégal, je n’hésiterai pas, parce qu’à ce moment-là, mes enfants auront probablement à leur tour des enfants. Je ne dirai pas que la Suisse est le pays où je vais vivre toute ma vie, mais quand j’aurai la possibilité d’avoir des séjours beaucoup plus longs au Sénégal, je n’hésiterai pas. Actuellement, chaque année, je pars à Dakar un mois pendant l’été.

Avec le recul, 25 ans après, si votre chemin était à refaire, le referiez-vous?

Le fait d’avoir quitté le Sénégal et de décider de vivre en Suisse n’a jamais été mon objectif de départ. Quand on vient en tant qu’étudiant, on laisse toute sa famille. Pour moi, les choses ont  toujours été claires : étudier et repartir. Mais, la situation a fait que je suis resté dans le pays. Je n’ai aucun regret. S’il fallait refaire la même chose, je l’aurai refait parce qu’à présent, je vis cet exil très bien. J’ai gardé mes racines et le fait de revoir chaque année ma famille ou quand c’est la famille qui vient me voir en Suisse, c’est quand même réjouissant.

Vous vous considérez Suisse, Sénégalais, ou les deux à la fois?

Je me considère d’abord Sénégalais et si je devais renoncer à la nationalité sénégalaise pour devenir Suisse, j’aurais gardé ma nationalité sénégalaise. Pour moi, c’est logique. Même si je me déplace avec le passeport suisse pour des raisons de commodités, mais j’ai encore mes papiers sénégalais sur moi. Au Sénégal, la double nationalité est acceptée.

On vous attribue ces propos: «je n’aime pas subir les décisions des autres». Pourquoi?

Ne pas subir les décisions des autres, je veux dire que, pour moi, il faut participer là où les décisions se prennent. C’est par un concours de circonstances que je me suis retrouvé au Parti socialiste. Je me reconnais comme étant de gauche, raison pour laquelle, je suis fier d’être dans le Parti socialiste. J’entre ces prochains jours au Conseil général de la ville de Neuchâtel.

Votre parcours peut être considéré de modèle, avez-vous un mot à dire aux requérants d’asile?

Être requérant d’asile, c’est quelque chose d’extrêmement difficile. J’ai regardé le film Vol spécial de Fernand Melgar et c’est vraiment difficile. On ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur pour arriver dans un autre pays. Quand on est requérant d’asile, il faut tout faire pour qu’on ne colle pas à votre étiquette quelqu’un qui est là pour créer la pagaille. La plupart des requérants d’asile vivent une situation difficile, de par ce statut-là. Ce sont des gens qui vivent avec dignité et qui espèrent un jour avoir les papiers en ordre pour pouvoir rester ici et je pense que, parmi les requérants d’asile, il y en a beaucoup qui, demain, si dans leurs pays d’origine la situation redevient tout à fait normale, voudraient repartir. J’encourage les requérants d’asile à rester vigilants et, surtout, à ne pas fréquenter les milieux où ils peuvent se retrouver dans les ennuis.

Que pensez-vous de Voix d’Exils?

J’ai découvert Voix d’Exils récemment, j’ai jeté un coup d’œil et il y a des articles intéressants et très diversifiés. C’est toujours difficile d’entretenir  un journal en ligne, mais j’espère que ce blog va continuer à toucher le maximum de personnes au niveau de la population, parce que quand je vois des requérants d’asile écrire dans ce blog et dire qu’ils sont bien et se sentent utiles et qu’on voit qu’ils ont des compétences, je vous dis chapeau! En espérant que ce blog sera de plus en plus connu et que ça serve d’exemple, surtout pour donner une image positive de la présence des migrants d’origine africaine sur le sol neuchâtelois et sur le sol suisse.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Informations

lire à ce sujet un autre article de Voix d’Exils: «Au COSM, nous offrons un service d’accompagnement et de soutien aux requérants d’asile»