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Flash Infos #173

Sous la loupe : Des manquements médicaux lors de renvois de personnes migrantes par avion / Aux îles Canaries, près de 1500 personnes migrantes sont arrivées en l’espace de deux jours / Le Soudan est confronté à la plus grande crise de déplacement interne au monde

Nos sources:

 

Des manquements médicaux lors de renvois de personnes migrantes par avion

20 min, le 17.10.2023

 

Aux îles Canaries, près de 1500 personnes migrantes sont arrivées entre samedi et dimanche

RTS, le 22.10.2023

 

Le Soudan est confronté à la plus grande crise de déplacement interne au monde

OIM, 16 octobre 2023

 

Réalisation du Flash infos #173

A la technique : Eddy-Claude Nininahazwe et Malcolm Bohnet 

Au micro : Tsering et Arienne-Maria Medici

A la production : Julia Ryzhuk, Tsering, Elvana Tufa et Malcolm Bohnet.

 

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Les Golems de l’asile

Illustration : Harith Ekneligoda

Ou l’expérience corrosive du permis F

C’est l’automne et le soleil tardif illumine de mille couleurs la nature en pleine métamorphose. Mes yeux contemplent, mon cœur se tourne vers lui-même et dans cet espace de silence, il devient mon seul interlocuteur. La belle mosaïque du paysage suisse comporte une grosse tache de peur, un petit point de joie et un grand rectangle de souffrances.

J’avais reçu un avis négatif du SEM à ma demande de protection. L’injonction de quitter le territoire m’avait été signifiée quelques jours après. Je me souviens même que je m’étais rapproché de service d’aide au départ volontaire et réfléchissais encore sur la pertinence de la décision finale à prendre car, entre temps, j’avais été diagnostiqué d’une maladie grave et incurable.

Des policiers à ma porte

Il était neuf heures du matin ce jour-là quand j’entendis frapper à ma porte. C’était la police valaisanne.

« Habillez-vous » me dit l’agent qui se tenait devant la porte « Nous avons pour mission de vous conduire à Berne ».

Aucun recours n’était possible.

En bas de l’immeuble, deux autres policiers en civil attendaient près d’un bus ; ils se présentèrent et me lurent leur ordre de mission. Le chef me demanda si j’avais auparavant reçu une convocation directe du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), je lui répondis tranquillement « non » . Il s’interrogea :

« Alors pourquoi réquisitionner la force ? Il n’y a manifestement pas refus d’obtempérer ». Ce détail sera important pour la suite des événements ce jour-là.

Arrivés à Berne et après la fouille au corps usuelle, l’agent bernois voulut me mettre en cellule et décharger l’ordre de mission de mon escorte en attendant mon audition.

Le policier valaisan, qui était resté silencieux jusque-là, opposa un refus ferme et dit :

« Vous n’avez jamais adressé de convocation à ce Monsieur. Vous ne pouvez donc pas le traiter comme s’il avait refusé de collaborer. Nous attendrons ensemble l’heure de l’audition et nous repartirons en Valais avec lui ». Et il en fut ainsi.

Un policier qui me soutient contre son collègue? Je n’en revenais pas.

La suite fut plus facile à assumer: même quand la délégation de l’ambassade de mon pays tenta de m’humilier, je restais attentif à mon combat. Le fonctionnaire du SEM mit fin à l’entretien en ces termes :

« Ce n’est pas à moi que reviens le mot final, mais laissez-moi vous dire que vous avez tout au plus un pour cent de chances de rester en Suisse ».

Je répondis « merci de ne pas m’avoir complètement fermé la porte ». Il fut très surpris par ma réaction.

Le permis F, oui mais…

Moins de deux semaines après, je reçois un courrier qui m’annonce que la Suisse m’a accordé un permis F. Une joie immense inonda alors mon cœur et que de projets…

Tout ceci fut de courte durée, quand on m’expliqua exactement quels étaient les contours du permis F (admission provisoire). Entre autres limites, je ne peux pas voyager hors de Suisse et n’ai pas la possibilité de faire venir ma famille en Suisse dans le cadre d’un regroupement familial.

Ainsi, depuis environ sept ans, je suis enfermé dans les limites de mon document de résidence en Suisse.

– Oui je suis reconnaissant à la Suisse.

– Oui je suis en vie.

– Oui j’ai un soutien pour vivre.

La Suisse est un très beau pays et sa population est globalement accueillante. Tout ceci fait sens, quand le système d’accueil ne transforme pas le contexte de notre existence en prison.

Depuis huit ans, j’ai quitté les miens: mon épouse et ma fille.

Aujourd’hui, les conditions de vie que m’accorde mon permis ont fait de moi un mari et un père indigne. J’ai déserté le foyer conjugal, laissant derrière moi une épouse éplorée et une jeune adolescente qui se sent abandonnée. Quels mots puis-je trouver face aux questions de mon enfant qui veut me faire comprendre sa douleur ? Que puis-je lui expliquer de la douleur et du mal qui me ronge la chair et l’âme ? Comment lui faire comprendre qu’elle n’est pas mon dernier choix, malgré les apparences ? Comment expliquer à chaque téléphone à mon épouse que mon absence n’est pas un divorce ?

Le permis F jour après jour fait son œuvre corrosive dans les liens sociaux.

L’alchimie du système d’asile en Suisse a ainsi fabriqué des centaines de milliers de Golems: espèces d’individus, apparemment vivants, qui traînent autour d’eux une tristesse qui tue et qui déshumanise.

On n’en parle pas assez, mais la société est-elle vraiment prête à assumer ce gâchis ? Comment peut-on offrir du miel avec un arrière-goût si amer ?

Jima

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Revue de presse #47

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils

Sous la loupe : De plus en plus de personnes issues de l’asile intégrées sur le marché du travail vaudois / Frontex suspend ses activités en Hongrie / Un vol spécial pour l’Éthiopie malgré une mobilisation citoyenne / Génération identitaire sur la sellette ?

De plus en plus de personnes issues de l’asile intégrées sur le marché du travail vaudois

swissinfo.ch, le 27 janvier 2021

Lors d’une conférence de presse en ligne qui s’est tenue le 27 janvier, Erich Dürst – directeur de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (l’EVAM) – s’est réjoui de la progression sur le marché du travail des personnes détentrices d’un permis F (personnes au bénéfice d’une admission provisoire). Si la dynamique est positive depuis plusieurs années, les répercussions du Covid-19 sur leur prise d’emploi s’avèrent quant à elles marginales. Selon M. Dürst, l’an dernier, 1’038 personnes (37%) au bénéfice d’un permis F exerçaient une activité lucrative, contre 990 (35,9%) en 2019. Or, elles n’étaient que 588 (25,7%) il y a trois ans.

Dans la même lignée, le directeur de l’EVAM a souligné que 41% des personnes arrivées en Suisse en 2014 (et même 47% de celles arrivées en 2015 et 2016) ont aujourd’hui un emploi. Les autres cantons constatent des hausses similaires. Ces résultats positifs ont un effet bénéfique important sur l’intégration de ces personnes, mais aussi sur les finances publiques, a également affirmé M. Dürst. L’un des objectifs de l’Agenda Intégration Suisse de la Confédération est donc en voie d’être atteint. En effet, la Confédération a fixé aux cantons un objectif lié à l’emploi : sept ans après leur arrivée en Suisse et le dépôt de leur demande d’asile, 50% des personnes adultes détentrices d’un permis F doivent être durablement intégrées sur le marché du travail. Toutefois, « Si ces chiffres sont positifs, il reste beaucoup à faire » a averti Erich Dürst.

Frontex ne veut pas être complice de la politique migratoire hongroise

Le 24 Heures, le 27 janvier 2021

Le 27 janvier 2021, l’agence de surveillance des frontières de l’Union européenne – Frontex – a suspendu toutes ses activités opérationnelles sur le terrain en Hongrie. Cette décision fait suite au constat établi en décembre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne qui soutenait l’existence de nombreuses failles dans les procédures d’asile du pays. A cet effet, Andras Lederer, membre du Comité Helsinki hongrois (HHC) – un organisme de surveillance non gouvernemental – a déclaré que la décision de Frontex est importante puisque l’agence n’a jamais suspendu ses activités auparavant. M. Lederer estime que Frontex a été forcée de suspendre ses opérations en Hongrie car elle risquait d’être tenue pour « complice » de la politique migratoire hongroise.

Un vol spécial pour l’Éthiopie diligenté malgré une mobilisation citoyenne

RTN, le 28 janvier 2021  

La mobilisation en Suisse pour empêcher le renvoi forcé de plusieurs personnes en procédure d’asile déboutées vers l’Éthiopie n’a pas suffi. Le 27 janvier dernier, les principaux concernés (cinq requérants d’asile selon plusieurs organisations) ont pris un vol spécial en direction de l’Éthiopie. L’un d’eux vivait dans le canton de Vaud depuis plusieurs années et y était bien intégré, a relevé Élise Epiney de l’association Stop Renvoi. Du côté du Secrétariat d’état aux migrations (le SEM), on souligne que ce vol spécial était publiquement connu et que plusieurs personnes ont été renvoyées à bord de ce dernier. Alors que le départ du vol était imminent, plusieurs ONG humanitaires ont demandé l’arrêt immédiat des rapatriements forcés depuis la Suisse vers l’Éthiopie. En effet, la situation du pays est jugée particulièrement précaire par de multiples organisations rappelle la section vaudoise de la Ligue suisse des droits de l’Homme. Le SEM estime pour sa part que les voyages de retour de requérants d’asile déboutés restent possibles malgré la pandémie. L’exécution des renvois n’est donc pas stoppée, mais cela dépend toutefois fortement du pays concerné.

Génération identitaire sur la sellette ?

Le 24 Heures, le 26 janvier 2021

En évoquant la possibilité d’une dissolution de « Génération Identitaire » (GI), le ministre français de l’Intérieur – Gérald Darmanin – a condamné publiquement les agissements du groupe militant. Pour rappel, fin janvier, une trentaine de militants de GI se sont installées au Col du Portillon et ont utilisé un drone pour surveiller la frontière franco-espagnole. Selon un message posté sur les réseaux sociaux de GI, cette action entendait lutter contre le « risque terroriste et migratoire dans les Pyrénées ». Ce mouvement politique a également fait parler de lui en multipliant les démonstrations d’hostilité envers les personnes migrantes à la frontière franco-italienne. A cet effet, plusieurs élus du sud-ouest de la France, dont la présidente socialiste de la région, Carole Delga, avaient demandé au ministère de l’Intérieur la dissolution du groupuscule.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




Fortuna

Photo: Voix d'Exils

Interview de Germinal Roaux par la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils.

« Fortuna » est le nouveau film du cinéaste franco-suisse Germinal Roaux qui sortira en salle en 2017. Rencontre avec le réalisateur sur le plateau du tournage.

Depuis plusieurs années, le monde du cinéma s’intéresse à la problématique de l’asile. Après La forteresse, Vol spécial ou encore l’Abri de Fernand Melgar qui documente les parcours semés d’embuches des requérants d’asile en Suisse; « Fortuna », du photographe et cinéaste franco-suisse Germinal Roaux, est un long métrage qui interroge notamment la valeur helvétique de l’accueil: « Ouvrir les portes pour accueillir les réfugiés qu’est-ce que cela signifie ? »

Qui est cet artiste dont l’observation et la sensibilité portent aujourd’hui sur la question de la migration ? Germinal Roaux est né le 8 août 1975 à Lausanne, d’un père français et d’une mère suissesse. Il a un frère ainsi que deux sœurs adoptive d’origine africaine. Prenant de la graine chez son oncle photographe, il devient autodidacte en photographie noir/blanc et en cinéma. À 17 ans, il se rend au Burkina Faso avec l’association Nouvelle Planète pour son travail de fin d’étude qui porte sur le problème de la désertification dans ce pays du Sahel. Il réalise alors son premier documentaire intitulé « Une pluie et des hommes ». Il y reviendra une année après, avec un ami, à bord d’une vieille Land Rover et ils profiteront de leur périple pour visiter plusieurs pays du Nord-Ouest africain. « […] c’est en traversant ainsi l’Afrique que j’ai rencontré pour la première fois les problèmes de l’exil, en écoutant des jeunes qui voulaient partir pour l’Europe, la tête pleine de rêves. Mais moi, je mesurais le décalage avec la réalité d’ici ».

C’est par l’intermédiaire de Claudia, sa compagne, qui travaille avec des réfugiés à Lausanne, qu’il rencontre des mineurs non accompagnés et qu’il aura l’occasion de partager leur quotidien; et de ces échanges éclot l’idée d’écrire une histoire qui relate de leur drame existentiel. « Mon idée était alors d’écrire une histoire sur une jeune Erythréenne ou Ethiopienne qui passerait son premier hiver en Suisse avec en arrière-plan la question de l’accueil ». Finalement, son choix se portera sur une Ethiopienne pour plusieurs raisons, notamment le fait que l’Éthiopie est considérée comme le berceau de l’humanité avec la découverte du plus vieux squelette humain «Lucy ».

Photo: Voix d'Exils

Interview de Germinal Roaux par Etienne de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils

À travers son film Fortuna, Germinal essaie de montrer la difficulté que l’être humain éprouve à faire le pas vers l’autre. Il fait aussi remarquer la résilience du peuple africain car « […] malgré les difficultés de l’existence ici, il y a cette force de vie que nous perdons souvent. C’est comme le sourire, on voit des africains qui ont traversé les difficultés du monde et […] qui arrivent ici avec un sourire qui illumine. J’ai eu envie de montrer cette énergie, cette force, cette connexion au réel ainsi que ce lien à la nature et au monde qui permet aussi de se ressourcer».

Le tournage s’est déroulé à l’Hospice du Simplon en Valais. pendant 37 jours, les claps et les scènes se sont succédés faisant jouer environ 40 acteurs et figurants à 2000 mètres d’altitude. Tourner un film n’est jamais facile car, selon Germinal, « pour le réalisateur, c’est du deuil quotidien et, en même temps, une invention permanente pour rebondir et trouver des choses. C’est dur et gratifiant à la fois, parce que la vie nous amène toujours quelque chose de nouveau qu’on n’avait pas imaginé au départ et qui peut être très beau aussi, souvent plus beau que ce qu’on a pu écrire… ». En définitive, l’artiste est satisfait de son travail et il espère que son film permettra au public d’avoir une meilleure compréhension des problèmes liés à l’asile. Quel est le message du cinéaste à travers Fortuna? « ce qui m’intéresse le plus, c’est le parcours singulier des hommes, qui est une école du vivre ensemble. Si cela peut nous apprendre à nous tendre la main, c’est une bonne chose ». Et quelle est la valeur à laquelle le cinéaste tient le plus ? « La valeur la plus chère pour moi ? C’est évidement l’amour! Si on peut s’aimer les uns les autres, si on peut travailler ensemble, […], le partage vient de fait et puis la paix aussi ».

Le film met donc en valeur la rencontre spirituelle et humaine. Fortuna n’est pas seulement une requérante d’asile, elle est aussi en quête de foi, d’amour, de paix et de partage. Finalement, ses aspirations rejoignent celles des chanoines de l’Hospice du Simplon car pour eux: accueillir c’est aimer.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Aram Karim : le miraculé de Dublin ?

Renens, mardi 3 mai 2016 Portrait d'Aram Karim, photojournaliste irakien et réfugié en suisse à Renens Quotidien de La Côte / Sigfredo Haro

Renens, mardi 3 mai 2016
Portrait d’Aram Karim, photojournaliste irakien et réfugié en suisse à Renens
Quotidien de La Côte / Sigfredo Haro

Le photojournaliste kurde-irakien Aram Karim devait quitter la Suisse lundi 10 mai, pour la France. Mais son vol spécial ne l’a finalement pas emporté dans les airs. Intervention divine ou couac organisationnel ? A chacun sa réponse.

A la fin du mois de mars, Aram Karim reçoit une lettre le sommant de retourner en France : pays où il a déposé sa première demande d’asile, ce conformément aux accords de Dublin. Un plan de vol est organisé par le Service de la population du Canton de Vaud (SPOP) qui prévoit de le parachuter à Marseille avec une escale à… Bruxelles.

Retour à la case départ

Lundi 10 mai, deux policiers en civil viennent comme prévu à 4 heure 30 du matin pour embarquer Aram Karim et l’emmener à l’aéroport de Genève-Cointrin, sans toutefois le menotter. Or, une fois sur place et après une longue attente, il apprend que l’Etat Belge refuse de le laisser entrer sur son territoire. Ne pouvant embarquer dans l’avion, il est alors renvoyé seul au Service de la population du Canton de Vaud (SPOP) pour recevoir un nouveau « papier blanc » d’une validité de quelques jours et un nouveau plan de vol pour Marseille au départ de Zürich prévu demain, le jeudi 20 mai. Aram aura à peine le temps de fermer l’œil cette nuit car les agents l’embarqueront à 2 heures du matin.

Aram le miraculé de Dublin. Auteur: Giorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils

Aram le miraculé de Dublin. Auteur: Giorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Un autre destin que Dublin ?

Aujourd’hui, Karim Aram se sent toujours dans une insécurité absolue face à son avenir. « J’ai peur, car si la Suisse me renvoie à Marseille, la France va ensuite me déporter en Irak où j’ai des gros problèmes. » Néanmoins, ce couak miraculeux lui permet de continuer nourrir le rêve d’un meilleur destin que celui qui lui a été tracé par les accords de Dublin : « J’espère toujours rester ici en Suisse, parce que j’aime ce pays et j’ai déjà des amis ici qui ne veulent pas me voir quitter la Suisse. Je souhaite que le Secrétariat d’Etat aux migrations revienne maintenant sur sa décision de m’expulser en France.»

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Aram Karim. Photo: Omar Odermatt

Aram Karim. Photo: Omar Odermatt