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Revue de presse #36

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils

Sous la loupe: Procédure d’asile trop rapide et problèmes de traduction lors des auditions / Une double peine frappe les personnes sans passeport suisse / La pandémie a accru la vulnérabilité des migrants / L’OIM dénonce l’incapacité des Etats à décider d’un dispositif de secours en Méditerranée

Présidente d’ASYLEX, Léa Hungerbühler : procédure d’asile trop rapide et problèmes de traduction lors des auditions

Le Temps, le 4 novembre 2020

Léa Hungerbühler préside ASYLEX, une association spécialisée dans l’assistance juridique en ligne. En pleine pandémie, les conseils en ligne ont explosé et l’association a gagné cette année de nombreux recours au Tribunal fédéral en faveur de personnes enfermées à Zürich au Centre de détention administrative. Possédant des antennes à Bâle, Berne Zurich en Suisse romane et au Tessin, l’association parvient à aider les requérants d’asile grâce à un vase réseau de juriste et d’avocats bénévoles. En outre, l’organisation est soutenue par de nombreux experts en droit des réfugiés et de la migration.

Publié le 07 octobre 2020, un rapport de la Coalition des juristes indépendants a révélé de nombreux problèmes dans la nouvelle procédure accélérée pratiquée depuis le mois de mars 2019. A ce sujet, dans le cadre d’une interview accordé au Temps, la présidente de l’association a souligné : « je pense, comme beaucoup d’autres juristes que la procédure est trop rapide, trop superficielle. Il y a des problèmes de qualité des traductions durant les auditions d’asile, il y a des employés racistes, il y a un énorme problème avec l’isolement des requérants d’asile dans les centres fédéraux qui y subissent une quasi-détention. »

Au sujet des problèmes de traduction lors des auditions, la présidente de l’organisation soutien qu’il y a des interprètes qui se positionnent du côté du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) ce qui a pour effet de rendre les requérants d’asile moins à l’aise et moins ouverts. « Durant les auditions beaucoup d’interprètes ne font pas une traduction fidèle et ne sont pas compétents, elles ou ils utilisent des termes qui ne conviennent pas. Ensuite il peut arriver, selon les situations, que la première audition se fasse en français, puis la deuxième en allemand alors que la décision finale soit en italien. Cela rend la compréhension des procès-verbaux et de la décision souvent difficile. De l’information précise peut se diluer à chaque fois qu’on utilise plusieurs traducteurs sur un dossier unique » conclu-t-elle.

Une double peine frappe les personnes sans passeport suisse

L’Événement syndical, le 18 novembre 2020

Le 31 octobre 2020, lors de la conférence des migrations d’Unia qui s’est tenue à Berne, les délégués ont réclamé une plus grande protection des travailleurs immigrés particulièrement fragilisés par la pandémie du Covid-19. En soulignant que les salariés sans passeport suisse travaillent principalement dans les métiers essentiels où les salaires sont bas et les conditions de travail précaires, le syndicat a mis en lumière qu’en période de fermeture d’entreprises et de licenciements, les migrants sont exposés à un double danger : le risque de perdre leur emploi et leur permis de séjour. Les délégués ont demandé la suppression de cette double peine qui est imposée aux salariés sans passeport suisse. Selon le syndicat, le fait de bénéficier de l’aide sociale pendant et en raison de la crise du coronavirus ne peut pas être interprété par les autorités comme le signe d’une intégration insuffisante. Et les personnes doivent avoir accès aux assurances sociales sans encourir de sanctions sur le plan du droit des étrangers.

Les délégués exigent également l’accueil immédiat de réfugiés vivant dans les camps des îles grecques et en Grèce continentale, et ce indépendamment de leur âge ou de leurs liens avec la Suisse. Selon le syndicat, le Conseil fédéral doit s’engager pour la création de routes migratoires sûres, et contre les renvois forcés illégaux aux frontières extérieures de l’UE. De plus, les procédures d’asile doivent être conduites dans le respect des personnes, avec une réelle reconnaissance des motifs de fuite spécifiques aux femmes.

La pandémie a accru la vulnérabilité des migrants

ONU Info, le 10 novembre 2020

Selon un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies, publié le 10 novembre 2020, la pandémie du Covid-19 a aggravé l’insécurité alimentaire et a accru la vulnérabilité des migrants ainsi que des familles qui dépendent des envois de fonds. Les communautés contraintes de quitter leur foyer en raison de conflits, de violences et de catastrophes sont également concernées.

Les deux agences des Nations Unies avertissent que le bilan social et économique de la pandémie pourrait être dévastateur. Selon le rapport, les 164 millions de travailleurs migrants dans le monde, en particulier ceux qui travaillent dans le secteur informel, sont parmi les plus touchés par la pandémie. Ces derniers travaillent souvent dans des secteurs temporaires ou saisonniers pour de faibles salaires sans avoir accès aux systèmes de protection sociale. En période de crise économique, ces populations sont souvent les premières à perdre leur emploi. Sans revenu durable, le rapport avertit donc que de nombreux migrants seront non seulement poussés à rentrer chez eux, mais qu’ils provoqueront également une baisse temporaire des envois de fonds dans leur pays d’origine. « Les envois de fonds des travailleurs à l’étranger vers leurs familles au pays se sont également taris, ce qui a entraîné d’immenses difficultés. En conséquence, les taux de sous-alimentation montent en flèche dans le monde entier », a fait valoir M. António Vitorino, chef de l’OIM. Comme pour aggraver ces projections, le PAM prévoit que d’ici à la fin de 2021, au moins 33 millions de personnes supplémentaires pourraient être poussées vers la famine en raison de la seule baisse prévue des envois de fonds.

D’une manière générale, « l’impact de la pandémie sur la façon dont les gens se déplacent est sans précédent ». En effet, les mesures et les restrictions mises en place dans plus de 220 pays, territoires ou zones pour contenir la propagation du coronavirus ont limité la mobilité humaine, les possibilités de travailler et de gagner un revenu. Une situation qui a mis à rude épreuve la capacité des personnes migrantes et déplacées à se procurer de la nourriture et à satisfaire d’autres besoins fondamentaux. Les deux agences appellent la communauté internationale à faire en sorte que tous les efforts soient faits pour limiter l’impact immédiat sur les plus vulnérables, tout en assurant des investissements à plus long terme qui garantissent une voie vers la reprise. « L’impact de la crise de Covid-19 sur la santé et la mobilité humaine menace de faire reculer les engagements mondiaux, notamment pour le Pacte mondial sur les migrations, et d’entraver les efforts en cours pour soutenir ceux qui ont besoin d’aide », a conclu António Vitorino.

L’OIM dénonce l’incapacité des Etats à décider d’un dispositif de secours en Méditerranée

Le Nouvelliste, le 12 novembre 2020

Au moins 74 migrants sont décédés dans un naufrage survenu le 12 novembre au large de la Libye. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), l’embarcation transportait plus de 120 personnes. Les autorités libyennes et des pêcheurs ont pu ramener 47 rescapés à terre. A cet effet, L’OIM a une fois de plus dénoncé l’incapacité des Etats à décider d’un dispositif de secours en Méditerranée. Elle souhaite un mécanisme clair de débarquement dans des ports sûrs. Selon l’organisation, depuis janvier, au moins 900 personnes sont décédées dans ces naufrages. Des milliers d’autres ont été ramenées en Libye où elles font face à des détentions arbitraires et des menaces de violations des droits de l’homme identifiées par l’Organisation des Nations Unies (ONU). En outre, l’OIM a observé une augmentation récente des départs depuis la Libye (près de 3000 depuis un peu plus d’un mois). Les conditions de détention des migrants dans des centres surchargés se détériorent, selon l’OIM. Par ailleurs, l’agence onusienne appelle également à lever les restrictions contre les ONG qui œuvrent en mer. A cet effet, elle demande de réévaluer la zone de sauvetage libyenne pour permettre à des acteurs internationaux d’aider les personnes en difficulté.

Masar Hoti 

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Des révolutions à coups de clics

Une victime du régime Ben Ali

Une victime du régime de Ben Ali

Facebook, Twitter et les blogs ont joués un rôle incontestable dans les révolutions tunisienne et égyptienne. Alors que les manifestations étaient interdites et que la blogosphère était surveillée, ceci n’a pas empêché la jeunesse de s’organiser sur les réseaux sociaux. Chaouki Darouaoui, ancien requérant s’asile tunisien et ex rédacteur de Voix d’Exils, habitant Prilly, nous raconte son épopée de « cyberrévolutionnaire ».

Simplement inimaginable. Tout commence à Sidi Bouzid, une petite ville située au centre de la Tunisie, lorsque les agents communaux saisissent la marchandise de Mohamed Bouazizi, ce jeune vendeur de légumes et de fruits qui, par un acte mêlant à la fois révolte extrême et désespoir, s’immole par le feu ce qui provoque le ras-le-bol de toute une jeunesse. A défaut d’être sur place, certains écrivent leur désespoir sur le mur virtuel de Facebook pour exiger le départ du tyran Ben Ali et en finir, par la même, avec l’hégémonie de son régime dictatorial après vingt trois ans de colères contenues, de libertés bâillonnées et d’opposants censurés.

C’est ainsi que, Chaouki Daraoui, en Suisse depuis trois ans, et ses confrères de la diaspora tunisienne ont créés un réseau Facebook. Il se remémore les premiers jours de la révolution qui ont été déterminants dans son engagement : « J’ai réactivé, dès début des manifestations, mon compte Facebook que je n’avais pas utilisé depuis deux ans et j’ai créé avec des amis résidant en France, en Italie, en Allemagne et au Canada.  Notre réseau travaillait 24 heures sur 24. Chaque heure, quelqu’un prenait la relève. Cette personne devait publier sur le compte lorsqu’il était informé que des personnes étaient décédées lors de manifestations par exemple en illustrant les publications avec des photos. Je préparais aussi des vidéos avec des chansons et de la musique révolutionnaires ».

Quand des objets virtuels défient la réalité

A l’heure ou les grandes nations du monde commencent à s’atteler à la guerre technologique, l’éclatement fin décembre 2010 du scandale WikiLeaks et la découverte par le peuple tunisien de certains commentaires acerbes des diplomates américains décrivant leur pays comme « gangrené » par la corruption et partagé entre deux clans change quelque peu la donne. Le président Ben Ali, qui avait bien compris le pouvoir des nouveaux médias, menait d’ailleurs une guerre de plus en plus ouverte contre Internet. Dès lors, l’accès a été bloqué vers les sites de partage de vidéos et photos comme Youtube, Viméo, Flickr et Dailymotion. Or, les tunisiens étaient déjà si familiers avec la censure qu’ils appelaient ironiquement  « Ammar 404 » en référence à la fameuse « Erreur 404 » qui apparaissait dès qu’ils voulaient accéder à un site bloqué.

Revenons maintenant en début janvier 2011, période lors de laquelle il y a eu une avalanche d’événements. La « révolution 2.0 », comme certains la désignent, ou encore  l’appellation « révolution du jasmin » (qui a d’ailleurs été inventée par un jeune bloggeur), n’a certes pas été déclenchée par Internet mais bien par l’acte exaspéré de Mohanmed Bouazizi face à l’arbitraire dont il était victime. C’est alors que la nouvelle s’est propagée comme l’éclair au sein de la population et a fini par mettre le feu aux poudres en Tunisie. Le canal de circulation de cette information était Internet, et plus précisément Facebook, avec près de deux millions de comptes en Tunisie, devenu la seule plate-forme d’échanges d’informations non censurée du pays. Un « territoire virtuel » au sein duquel se disait et se montrait tout ce qui pouvait déplaire au régime de Ben Ali, ce malgré le fait que plusieurs bloggeurs tunisiens avaient été arrêtés.

On assistait en parallèle à l’attaque des sites institutionnels tunisiens par les « Anonymous », un collectif de pirates informatiques, en signe de soutien aux manifestants de Sidi Bouzid.

Une Cyberguerre contre la censure 

Les échanges en ligne grâce aux réseaux sociaux ont alors commencé à alimenter les manifestations. Et si, selon Reporteurs Sans Frontières, plus de cent pages relatives à la récente contestation avaient été bloquées, des vidéos et des informations avaient néanmoins pu circuler. Car sur Facebook, il suffit qu’un « ami » poste un film pour que ses amis et les amis de ses amis puissent y avoir accès. Une fois lancé, ce tourbillon a du mal à être arrêté, puisque tout le monde a accès à l’information qui devient incontrôlable dès sa publication. C’est ainsi que la contestation se généralise lorsque les premières images choquantes des manifestations et de la répression qui s’en est suivie ont commencé à circuler. Elles ont ainsi trouvé sur Facebook le vecteur idéal. Particulièrement lorsque sont apparues les vidéos tournées à l’hôpital de Kasserine, la ville située à l’ouest de la Tunisie qui a connu le plus de victimes, avec des corps atteints par balles à la tête, et la panique dans l’établissement débordé par l’afflux de victimes. Ces images ont sans doute représenté le point de non-retour pour cette crise sociale devenue révolution politique, qui est incontestablement la résultante d’un « effet Facebook ». Ici encore, l’infatigable cyberrévolutionnaire de Prilly raconte : « C’est moi qui ai publié les images choquantes du massacre de Kasserine que j’ai reçu via la page Tunis-Tunisia. J’ai ainsi monté des dizaines de vidéos qui révélaient les crimes de ce régime, parfois mixées avec de la musique et accompagnées de textes ». 

L’impossible « black out numérique »

Internet a non seulement contribué à mobiliser ces jeunes plus rapidement, mais a aussi permis de contourner la censure par la diffusion d’informations parallèles, non officielles, qui ne pouvaient circuler autrement. De fil en aiguille, des espaces d’échanges et de nombreuses pages ont été créées sur Facebook pour réunir, non seulement les tunisiens de Tunisie et des tunisiens issus de la diaspora, mais plus généralement les jeunesses maghrébines et internationales. « Tunisia Today », « Printemps du Jasmin tunisien », « Liberté Tunisie », « Tunisien de France et d’ailleurs », « Pour la liberté en Tunisie », « A nos héros tunisiens tombés pour notre liberté »… sont quelques exemples parmi tant d’autres. Notre héros de la révolution tunisienne de Suisse souligne toutefois que son engagement n’était pas uniquement sur le front virtuel : « En plus ma participation à l’organisation des manifestations à Lausanne, à Genève et à Berne, j’ai assisté aux réunions de sensibilisation et de mobilisation, j’ai participé par téléphone aux contestations dans mon pays la Tunisie et j’ai activement soutenu l’Union générale des travailleurs Tunisiens (UGTT), un syndicat qui a joué un rôle très important dans la blogosphère ».

L’effet domino des réseaux sociaux

Tout le monde se rappelle des « Boteillòn », ces apéros géants organisés notamment en France via Facebook, dont les rassemblements de masse posaient de sérieux problèmes aux forces de police. Dans le cadre de la révolte Tunisienne, Twitter et Facebook ont cette fois-ci servi à l’organisation des manifestations politiques. Ce sont des outils gratuits, rapides, interactifs, à la portée de tout le monde car simples d’utilisation et efficaces étant donné qu’ils ciblent le plus grand nombre et, en majorité, les jeunes générations. Twitter en particulier était devenu la principale source d’information via laquelle on pouvait suivre tous les événements tunisiens en direct grâce aux liens vers des photos, vidéos, articles dans toutes les langues et aussi les cartes qui relayaient les informations sur les zones de tirs et de pillages. Une efficacité qui a même pris de cours la plupart des médias traditionnels qui ont, pour ainsi dire, été dépassés par la vitesse des événements ; ce à l’exception de quelques grands medias comme : Al Jazeera, Le Monde, ou The Guardian, qui ont su « surfer sur la vague ».

Inspirée par la révolution du jasmin en Tunisie, la jeunesse égyptienne s’est lancée à son tour dans la chasse aux vieux démons. Or, le régime d’Hosni Moubarak, fort de l’expérience de son prédécesseur, a totalement coupé l’accès au réseau social Facebook, qui comptait alors cinq millions d’inscrits en Egypte dans l’espoir d’endiguer le mouvement de révolte. Google avait alors lancé la possibilité de « tweetter » par téléphone, ce qui permettait de contourner le blocage en question. Il suffisait aux opposants d’appeler un numéro de téléphone pour laisser des messages vocaux qui étaient aussitôt retransmis sur Tweetter. Et c’est ainsi que le « black out numérique » du régime égyptien sur les évènements a été contourné. A cela s’ajoute encore l’arrestation de Wael Ghonim, le responsable marketing de Google au Proche-Orient (qui sera porté en triomphe sur la place Tahrir après sa libération) qui se révéla alors totalement inadaptée à la situation.

Malgré les multiples tentatives du régime de Moubarak de passer sous silence les événements en cherchant à se débarrasser des témoins gênants, en persécutant les journalistes qui couvraient les manifestations et en essayant de couper l’accès à internet là encore, le web semble par nature incontrôlable car cette coupure n’a pas pu empêcher la chute du « rais » despote.

Aujourd’hui, le reste des pays du Maghreb et les monarchies moyen-orientales semblent connaître le début d’un compte à rebours et les appels à faire disparaître les régimes autocratiques doivent pousser les dinosaures à se mettre sur leurs gardes et à se poser la question « à qui le tour ? ». Et si le processus révolutionnaire est de prime à bord l’œuvre du peuple et en particulier de la jeunesse, sans oublier les martyrs, les exilés, les journalistes et les prisonniers politiques ; il ne faut pas oublier que ces nouveaux médias ont incontestablement joués un rôle majeur, car Facebook et Tweetter se sont avérés être des outils déterminants pour permettre à ces pays de tourner les pages sanglantes de leurs histoires pour enfin aspirer à un avenir meilleur.

Gervais NJIONGO DONGMO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils