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Aider les réfugiés bloqués dans les camps grecs

 

Bo (casquette sur la tête) et son équipe animent un atelier de cuisine dans le camp de réfugiés de Serrès.

Une idée généreuse qui se termine en queue de poisson

Début 2020, une poignée d’amis alémaniques aménagent et chargent un camion avant de mettre le cap sur la Grèce. Leur objectif est triple : venir en aide aux réfugiés coincés dans des camps insalubres en montant à leur intention une cuisine collective, leur projeter des films et coproduire avec eux un documentaire sur la base des documents conservés dans leurs téléphones portables. Mais sur place, rien ne se passera comme prévu. Les chicanes administratives grecques, les répressions policières et finalement l’épidémie de Covid-19 ne laisseront d’autre choix à l’équipe de bénévoles, pourtant ultra motivés, que de rentrer à la maison.

L’idée va germer en été 2019. Bo, trentenaire zurichois, rencontre de jeunes Allemands qui ont décidé de se rendre au camp de requérants d’asile situé sur l’île grecque de Lesbos. Dans leurs bagages, ils vont emporter un cinéma mobile, le « Rolling Cinema », destiné à distraire les migrants, ces hommes, femmes et enfants qui vivent dans un environnement précaire, pauvre en stimulations culturelles et sociales. En collaborant avec les organisations locales, ils vont également projeter sous une grande tente des films tous publics sans paroles et sans limite d’âge. En parallèle, s’inspirant des actions menées à travers le monde par l’association « Cuisine sans frontières », ils veulent aussi mettre sur pied une cuisine destinée aux réfugiés où tous pourront mettre la main à la pâte pour préparer des repas et les partager en toute convivialité.

Venir en aide à des migrants en détresse, en nourrissant les corps et les esprits… Les promesses du projet allemand séduisent Bo. Il connaît déjà la misère des camps grecs pour y avoir travaillé comme bénévole en 2016. Il va y retourner. Aidé par des amis, il organise une grande fête dans un squat zurichois et récolte les fonds nécessaires pour financer l’opération.

Le 2 février, un camion chargé d’une cuisine, de matériel de projection et d’habits de seconde main part de Zurich à destination de la Grèce. Débordant d’énergie et d’enthousiasme, les trois garçons et les deux filles qui ont pris la route vont très vite déchanter comme le raconte Bo.

Bo et ses 4 acolytes déchargent les habits et les souliers destinés aux migrants.

« J’étais en Grèce en 2016. A l’époque, le problème des réfugiés – qui vivaient déjà une situation très difficile -, était largement médiatisé. Les humanitaires avaient une plus grande marge de manœuvre qu’aujourd’hui. Mon projet, en 2020, était d’emmener avec moi d’autres personnes pour voir ce qui avait changé et rapporter des informations sur ce qui se passait dans les camps de réfugiés. Outre le cinéma et la cuisine, on pensait coproduire un documentaire avec les réfugiés en se basant sur ce qu’ils avaient eux-mêmes filmé et conservé dans leurs téléphones portables.

En chemin vers la Grèce, on a appris que certaines ONG avaient loué des terrains sur l’île de Lesbos. Elles acceptaient de nous accueillir tout en nous avertissant que la situation avait beaucoup changé depuis 2016 et qu’on aurait des ennuis avec les autorités. On a alors réalisé que ce serait très difficile de réaliser notre projet car le gouvernement grec mettait beaucoup de pression sur les bénévoles qui venaient pour aider les réfugiés. Malgré ces informations inquiétantes, on a décidé de continuer la route. On verrait une fois sur place qu’elle est notre marge de manœuvre, quitte à réduire la voilure si nécessaire.

Comme première étape, on a choisi la ville de Ioannina, proche de la frontière albanaise, qui accueille un camp de réfugiés. Une ONG allemande avait loué un terrain juste à côté et construit une cuisine qui leur était destinée. Elle leur proposait aussi des ateliers de création sur bois et sur métal.

Après avoir pris connaissance du travail effectué par les Allemands à Ioannina, on est partis à Thessalonique, ville portuaire du nord-est de la Grèce. On y a passé une semaine à chercher un moyen pour se rendre sur les îles. Toutes les personnes consultées nous ont déconseillé de le faire et nous ont prédit beaucoup d’ennuis. On est alors partis plus au nord, à destination de la ville de Serrès dans laquelle il y avait un camp de 1200 réfugiés Yézidis. On a pu y installer une cuisine et un cinéma, mais pour le reste, on n’avait pas la liberté d’aller où on voulait. On devait toujours s’en remettre aux ONG locales pour bénéficier de leur protection. Notre séjour à Serrès a marqué un tournant dans notre périple. En peu de temps, la situation s’est tendue : la Turquie menaçait d’ouvrir ses frontières pour laisser passer les migrants, la pression exercée par la police grecque sur les camps s’est encore accentuée et des groupes de droite ont exigé le refoulement des réfugiés. Et par là-dessus est venu s’ajouter la pandémie du coronavirus !

L’équipe de bénévoles alémaniques est chaleureusement accueillie par les requérants du camp de Serrès.

Avec un des gars du groupe, on a décidé de nous rendre sur l’île de Samos, proche des côtes turques, qui abrite un camp de 8000 réfugiés. Pour éviter d’être repérés par la police, on a laissé le camion à Serrès et loué une voiture de tourisme en emportant juste nos affaires personnelles. Dans les îles, si tu arrives avec de la nourriture ou des vêtements ou quelque chose susceptible d’être transmis aux réfugiés, tu es considéré comme une ONG et tu dois payer des taxes. Si tu n’es pas une ONG enregistrée, et que tu te fais attraper, ils prennent ta voiture et tu paies une grosse somme pour pouvoir la récupérer.

Notre plan était d’aller Samos pour discuter avec les réfugiés et rapporter des informations sur la situation dans l’île. Mais cela s’est avéré très difficile parce que la situation était catastrophique. Dès notre arrivée, la police a fouillé la voiture et nous a demandé de nous déshabiller pour voir si on cachait quelque chose… On a été relâchés, mais pendant tout notre séjour sur l’île, on s’est sentis surveillés.

La situation à Samos était complètement folle. Il faut savoir que l’île compte 7000 habitants et 8000 réfugiés parqués dans un camp prévu pour 680 personnes ! On a constaté qu’un quart des maisons étaient vides, qu’il n’y avait plus de touristes et que l’économie était en panne. Les réfugiés n’avaient pour ainsi dire aucun accès aux soins médicaux, n’avaient pas d’eau courante, pas de lumière ni d’électricité. Le camp et ses alentours étaient boueux et beaucoup de réfugiés étaient malades. Certains étaient là depuis longtemps, comme cet Afghan qui y vivotait depuis deux ans et demi sans aucun revenu, dans une petite tente au-dessus du camp. Les réfugiés n’avaient d’autre solution que d’abattre de vieux oliviers pour avoir du combustible. La situation était bien pire qu’en 2016, lors de mon premier passage. Il y avait notamment moins de bénévoles parce que leur action était mal vue par les autorités.

Une autre chose qui m’a frappé lors de ce second voyage, c’est l’état d’esprit des résidents de l’île. En 2016, on avait reçu beaucoup d’aide et de soutien de la part des Grecs, mais cette fois-ci, ça n’a pas été le cas, il y avait trop de tensions. En plus de la surpopulation dans le camp de réfugiés, un autre thème faisait polémique. Le précédent gouvernement avait prévu de construire un nouveau camp à côté de l’actuel, mais le nouveau gouvernement avait décidé de construire une prison destinée à enfermer les migrants arrivants avant de les expulser. Pour ce faire, il avait réquisitionné des terres appartenant à des fermiers locaux. Résultats, les résidents de l’île étaient vent debout contre ce projet. A gauche comme à droite, quel que soit leur bord politique, tous voulaient empêcher la construction de cette prison. Des policiers envoyés par l’État étaient venus mater cette révolte. Ils avaient matraqué les contestataires et écrasé les véhicules de ceux qui bloquaient le chemin censé mener à la future prison. La situation était chaotique dans tout Samos.

A Samos, un grand bidonville de tentes en plastique héberge les migrants.

Les violences se sont enchaînées, celles du gouvernement grec contre les résidents de l’île, les violences des résidents de l’île contre les réfugiés et les ONG, ainsi que les violences des réfugiés entre eux, en raison de la forte pression due au manque de nourriture, d’eau, de soins, d’espace… Le 29 février, la Turquie a mis ses menaces à exécution et a ouvert ses frontières vers l’Europe. Des milliers de réfugiés sont alors entrés en Grèce.

Dans cette période de folie, le Covid-19 est devenu une pandémie, ce qui a encore aggravé la situation. Or, dans tous les camps que nous avons visités, les réfugiés n’avaient aucun moyen de se protéger du coronavirus. A Samos, par exemple, il y avait seulement un médecin pour 8000 personnes et ce médecin ne faisait rien d’autre que de séparer les malades en disant : « Oui, vous pouvez aller à l’hôpital… » ou : « Non, vous ne pouvez pas aller à l’hôpital… » Il y avait bien des pharmacies où il était possible d’obtenir des médicaments même sans ordonnance, mais à quoi bon puisque les réfugiés n’avaient pas d’argent ?

Entre les pressions policières, le chaos local et l’arrivée du Covid-19, on n’avait plus d’autre choix que de rentrer à la maison.

Dans toute cette folie et cette noirceur, je garde le souvenir lumineux de cet Afghan qui avait construit une école sur une colline de Samos pour enseigner l’anglais aux réfugiés enfermés dans le camp. Il organisait des cours et avait demandé à d’autres réfugiés qui parlaient aussi l’anglais de lui donner un coup de main. Cette volonté d’aller de l’avant malgré une situation catastrophique m’a beaucoup impressionné. »

Propos recueillis par Damon

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils