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Féminicide : de la violence à l’homicide

Auteure: L.B. / Voix d’Exils

Mieux comprendre ce fléau à l’occasion de la  journée internationale des droits des femmes

Quelle que soit la définition retenue, le féminicide est un terme employé pour décrire le meurtre de femmes. Ce terme vise à attirer l’attention sur la violence omniprésente et extrême dont les femmes sont victimes, en grande partie infligée par des hommes. Si une société considère la violence comme normale, les agressions contre les femmes sont plus facilement banalisées. Voici une analyse proposée par L.B. à l’occasion de la  journée internationale des droits des femmes.

Premièrement, il est important de comprendre que le « féminicide » est un terme fréquemment utilisé pour décrire des situations très différentes et que différents types de causes peuvent mener à cette forme de violence. Les différentes raisons d’agression peuvent aller de l’abus d’alcool aux troubles de la personnalité, en passant par des violences subies dans le passé et difficilement supportées. Par ailleurs, si la femme s’oppose ou fixe des limites à une forme de contrôle que l’homme cherche à imposer, ce dernier peut penser qu’elle remet en question ce qu’il considère comme son autorité et réagit alors par la violence.

Les cas d’homicides constituent une manifestation extrême de ces violences qui mènent un homme à tuer sa compagne et dans ces cas aussi, les causes d’un tel acte sont également multifactorielles. L’homicide peut être provoqué comme conséquence des violences conjugales mais également au nom de « l’honneur », généralement commis lorsque la femme a transgressé des lois morales, fréquenté un garçon sans accord, ou après avoir subi un viol. Le féminicide lié à la dot est l’homicide d’une femme commis par sa belle-famille, lors d’un mariage dont la dot est insuffisante. D’autres raisons peuvent être en causes, comme l’orientation sexuelle des femmes ou le féminicide non-intime commis par un inconnu ou une connaissance en dehors d’une relation intime avec la victime.

Ces différentes causes laisse penser que le féminicide intervient dans des situations intimes particulières et qu’il fait suite à une dégradation des relations entre deux individus. En ce sens, la violence contre les femmes est encore souvent traitée comme une affaire privée et les rares articles sur ce sujet le décrivent comme étant un « drame familial », un « crime passionnel », une « tragédie relationnelle » ou comme « un incident reclus ».  Cependant, en Suisse, toutes les deux semaines, une femme meurt sous les coups d’un de ses proches ou d’un inconnu. Cette problématique est donc générale et ne peut être considérée uniquement dans son versant intime.

L’origine du terme « féminicide »

Avant que le terme féminicide entre progressivement dans l’usage commun, l’activiste sud-africaine, militante féministe de la violence contre les femmes, Diana Russell a été l’une des premières à employer ce terme publiquement en 1976, pour attirer l’attention sur la violence et la discrimination systémique à l’égard des femmes. C’est devant le  Tribunal international des crimes contre les femmes, qu’elle définit le mot féminicide comme étant le meurtre de femmes commis par des hommes pour la simple raison d’être… des femmes. 

Le féminicide dans le monde

Le féminicide touche les femmes issues de tous les continents. Un rapport de l’ONU Femmes permet d’évaluer le nombre de féminicides commis par continents en 2017. Les chiffres sont marquants :  20 000 femmes assassinées en Asie, 19 000 en Afrique – où le taux de risque d’assassinat est le plus élevé -, 8 000 en Amérique, 3 000 en Europe et enfin 300 en Océanie.

Source : Féminicides : état des lieux de la situation dans le monde — ONU Femmes France

Dans le contexte de la migration

Dans des conditions de guerre, de déplacements forcés ou de migration, les personnes étrangères sont exposées à un risque plus important d’être victimes de violence domestique, mais aussi de l’exercer.                                                         

Généralement confrontées à des sociétés extrêmement inégalitaires, où la violence est considérée comme normale et plus facilement tolérée, les femmes peuvent être amenées à fuir leur pays en recherche d’un lieu plus sûr où vivre à l’abri des violences. La violence contre les femmes constitue ainsi une des causes des mouvements migratoires.

Cependant, l’arrivée dans un autre pays ne garantit en rien une quelconque sécurité. En ce sens, la violence contre les femmes peut également être une conséquence de la migration. En effet, des actes de violences peuvent être déclenchés par la précarité et par l’isolement engendrés par l’exil qui amène souvent les femmes à être coupées de tout liens sociaux et de certains droits fondamentaux.

De plus, l’absence de connaissance des possibilités de soutien, la barrière des langues ou, encore, la crainte d’être renvoyées dans leur pays peuvent rendre l’accès aux différentes propositions d’aide plus difficile pour les femmes migrantes et les freiner à entreprendre des démarches pour obtenir du soutien.

En somme, d’innombrables situations peuvent compliquer leur parcours migratoire ainsi que leur arrivée dans le pays de destination. Ces différents éléments montrent à quel point la violence contre les femmes, de manière générale, et le féminicide plus précisément, sont corrélés à des phénomènes socio-politiques globaux, tels que la migration.

Sortir du silence est un pas essentiel

Il apparait ainsi que les violences faites aux femmes sont présentes dans toutes les sociétés et que toutes les femmes et les filles y sont exposées.

Face à ce problème général qui concerne chacune d’entre nous, il est important de se tourner vers des solutions qui peuvent nous apporter soutien et accompagnement. N’acceptez plus de vivre ce cycle infernal et sortez de cet isolement pesant.

L.B.

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Liens d’aide et d’accompagnement en Suisse

Violence que faire – Adresses utiles

Stop Femizid

État de Vaud – Lutte et prévention de la violence

Mouvement actuels en lien avec le sujet

Mouvement MeToo

Balancetonporc

Offensive contre les féminicides




« Vous devez partir immédiatement, ils vont vous tuer »

Martha Campo en campagne électorale en 2015 lors des élections municipales de Palmira Valle.

Tout quitter pour avoir une chance de vivre en paix

C’était en août 2018. Je ne me souviens plus du jour. Je me souviens juste qu’il faisait très chaud comme d’habitude dans mon pays. C’était une journée de travail, je quittais les bureaux de la Cour situés sur la Carrera 32 à Palmira Valle, ma ville natale en Colombie. En marchant dans le couloir, j’ai croisé un homme en uniforme militaire. Je ne l’ai pas reconnu jusqu’à ce qu’il soit très proche de moi : c’était le commandant de la police de sécurité.

Une semaine auparavant, je l’avais déjà vu à l’entrée du parc des expositions ; il s’était approché du véhicule dans lequel je me trouvais. C’était la première fois que je le voyais. Il a demandé à l’un de mes gardes du corps si j’étais Martha Campo et s’il pouvait me parler. Avec leur permission, il s’est approché de moi et m’a dit qu’il devait absolument me parler. Il m’a donné un rendez-vous pour le lendemain auquel je ne me suis pas rendue. A l’époque, je vivais comme dans une grande paranoïa car j’avais fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinats et je savais que les autorités étaient impliquées. Donc, je préférais les éviter et les ignorer.

De gauche à droite: Andrés Villamizar, Jairo Carrillo & Martha Campo, PLC, Colombie, session du conseil de l’Internationale socialiste à l’ONU, New York, 11-12 juillet 2017. Source: https://www.internacionalsocialista.org/consejos/nueva-york-2017/#gallery-48

« Il faut que nous parlions de toute urgence »

A la Cour, il s’est à nouveau approché de moi et m’a dit: « Venez dans mon bureau, il se trouve devant la Cour, il faut que nous parlions de toute urgence ». J’ai terminé ma procédure devant le tribunal, puis j’ai demandé à l’un de mes gardes du corps de m’accompagner de l’autre côté de la rue pour me rendre au bureau du commandant. A mon arrivée, il m’a priée de m’asseoir et a demandé à sa secrétaire de quitter le bureau. Il m’a dit qu’il allait me révéler ce qu’il s’organisait contre moi mais, avant de commencer, il m’a demandé de ne pas divulguer son nom, car dans ce cas, il se ferait sûrement tuer ou on s’en prendrait à sa famille. Les premiers mots qu’il m’a dit ont été : « Vous devez partir immédiatement d’ici, ils vont vous tuer ». Puis il m’a expliqué qui étaient impliqués, que de hauts fonctionnaires, des colonels et des policiers avaient donné des ordres, qu’ils avaient l’intention de libérer des criminels et de les engager pour commettre mon meurtre. Il m’a également informée qu’il ne faisait pas confiance à l’unité de protection nationale car c’était de là qu’était venu l’ordre du colonel en chef qui disait que mes plaintes étaient infondées, que tout allait bien, qu’il n’y avait pas d’attaques contre moi et que toutes les plaintes que j’avais déposées allaient être supprimées. Leur plan était d’entrer chez moi pour m’assassiner en faisant comme s’il s’agissait d’un cambriolage ou d’un fait divers.

Martha Campo en campagne électorale en 2015 lors des élections municipales de Palmira Valle.

« Je ressentais de la terreur à chaque feu rouge »

Avertie et mortellement effrayée, je suis partie et j’ai averti mes gardes du corps de ce qui se passait. C’étaient des jours difficiles. Je ne pouvais plus trouver le sommeil, je ressentais de la terreur à chaque feu rouge qui stoppait mon véhicule. Je ne savais pas quoi faire pour protéger ma famille; en particulier Daniel, mon plus jeune fils, qui avait alors dix ans. Cela a duré environ un mois.

Le 10 septembre de la même année 2018, je suis allée travailler comme d’habitude. En tant que journaliste, j’étais fortement liée à la politique sociale de ma commune. J’avais aussi travaillé comme chancelière départementale à la défense et à la représentation des femmes. Dans ce cadre, j’ai porté de vives plaintes contre la corruption du gouvernement, et surtout au sujet d’une grande fraude électorale qui s’est produite lors des élections à la mairie de Palmira Valle de 2015.

Martha Campo représente l’internationale socialiste des femmes pour la Colombie.

« Mes souvenirs se sont bloqués »

Je suis rentrée chez mon père où je vivais depuis un mois et demi à cause d’autres tentatives d’assassinats qui visaient ma personne. C’était un quartier familier où tous les voisins me connaissaient depuis que j’étais enfant. À l’heure du déjeuner, mes gardes du corps m’ont laissée à l’intérieur de la maison. Ils se sont assurés que tout allait bien et sont partis pour manger. 15 minutes se sont écoulées, mes filles aînées étaient en visite avec leurs enfants et nous déjeunions ensemble. Une de mes filles est sortie pour faire du shopping mais s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas… Quand elle a essayé de rentrer, on lui a tiré dessus. Elle a alors couru en s’efforçant de refermer la porte. A ce moment-là, un des tueurs à gage a donné de forts coups de pied contre la porte pour l’enfoncer. Mon autre fille est alors venue l’aider à maintenir la porte… Je me souviens du bruit des coups de feu qui résonnent dans ma tête comme un écho, des cris assourdissants de mes filles me demandant d’appeler les gardes du corps, ou la police, qu’ils allaient me tuer. A ce moment-là la porte a été détruite et mes souvenirs se sont bloqués.

Il n’y a alors que du silence dans mon esprit. Je ne vois rien, je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne sais pas comment nous avons été libérés. L’impact était si grand que peu importe combien j’essaie de me souvenir de ce moment je ne trouve pas. Je me souviens seulement avoir regardé la rue pour me rendre compte que ma maison était bouclée par des équipes de la police judiciaire ; un de mes gardes du corps se tenait debout à l’extérieur et parlait avec un policier ; il y avait du verre brisé et du sang par terre.

Annonce de la tentative d’assassinat de Martha Campo sur le média colombien N & D, le 12 septembre 2018.

« Fuir pour sauver ma famille »

L’une de mes filles a été kidnappée, torturée puis violée et l’autre a frôlé la mort en recevant une balle dans la jambe. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de fuir mes terres pour sauver ma famille. En prenant d’abord mon fils – Daniel – nous nous sommes réfugiés à Bogota, la capitale, puis quelques jours plus tard nous avons pris la direction de la Suisse.

Cela fait partie de mon histoire parce que j’ai émigré de mon pays, parce que je suis maintenant réfugiée en Suisse. Mais il y a des milliers d’autres histoires – peut-être plus terribles encore que la mienne – qui forcent des personnes à abandonner leur maison, leur vie, tout ce qu’ils ont construit, et qui les obligent à tout quitter pour chercher une nouvelle destination et avoir une chance de vivre en paix.

 

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

Biographie de Martha Campo

Je m’appelle Martha Cecilia Campo Millan. En Colombie, avant mon exil, j’ai exercé plusieurs fonctions et emplois à la fois dans le domaine de la politique – notamment la politique des femmes – et en tant qu’entrepreneuse en communication.

Je suis une professionnelle en journalisme et droits de l’homme, également professionnelle de l’administration, écrivaine et poète. Dans ma carrière politique je suis représentante internationale des femmes de l’organisation nationale des femmes colombiennes et membre de l’internationale socialiste des femmes, représentante de l’assemblée générale des femmes du département de Valle del Cauca, vice-présidente du parti socialiste libéral de la vallée de Palmira.

Je suis aussi une femme d’affaires dans le domaine des communications, ancienne directrice de plusieurs chaînes radio et télévision comme television CNC, radio en Caracol ou radio palmira.

J’ai dû m’exiler de Colombie car j’ai dénoncé des fraudes électorales survenues lors des élections à la mairie de Palmira Valle en 2015. J’ai dénoncé des actes de corruption et j’ai été victime de plusieurs attentats. Le Ministère de la protection m’a affecté des gardes du corps et une camionnette blindée et je devais en permanence porter un gilet pare-balles pour me protéger.