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Travailleur en Suisse ou pas ?

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Accès au marché suisse du travail facilité pour les titulaires des permis F et N

Trois modifications récentes de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration prévoient de faciliter l’intégration sur le marché du travail des personnes admises provisoirement et, dans une moindre mesure, des requérants d’asile. L’analyse comparative des statistiques montre une amélioration de l’accès au marché du travail pour ces personnes.

Trois modifications récentes de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEtr) et d’autres actes législatifs connexes prévoient de faciliter l’intégration au marché du travail des personnes admises à titre provisoire[i] (permis F) et, dans une moindre mesure, des requérants d’asile (permis N). Avant de préciser ce que ces modifications sont et ce qu’elles apportent, il est utile de résumer le contexte dans lequel elles ont été introduites.

Situation avant les modifications

Tout d’abord, il faut noter qu’il y avait la taxe spéciale de 10% imposée sur l’activité lucrative des titulaires des permis F et N jusqu’à fin 2017. De plus, Anne-Laurence Graf et Pascal Mahon[ii], de la faculté de droit de l’Université de Neuchâtel, décrivent le reste des conditions pour les personnes relevant du domaine de l’asile dans un article sur l’accès au marché du travail (section 1.2.3.). Les titulaires des permis F et N n’avaient pas droit à une autorisation de travail, autrement dit, ils n’étaient pas considérés comme « travailleurs en Suisse » au sens de la LEtr. Néanmoins, à titre dérogatoire, ils pouvaient avoir temporairement accès au marché du travail si : une demande avait été déposée par un employeur ; la situation économique et de l’emploi le permettait ; les conditions de rémunération et de travail étaient remplies ; et aucun « travailleur en Suisse » n’avait pu être trouvé (ordre de priorité).

Il faut noter que, selon Anne-Laurence Graf et Pascal Mahon, même si les conditions susmentionnées étaient remplies, les autorités cantonales n’étaient pas obligées d’accorder une autorisation d’exercer une activité lucrative. Pour avoir une idée de la situation, prenons l’exemple du canton de Vaud durant la période 2013-2017. Les statistiques que nous a fourni le Service de l’emploi du canton montrent que :

  • Pour les titulaires du permis F, avec ou sans la qualité de réfugié, le nombre moyen annuel des demandes d’autorisation était de 337. Le nombre moyen annuel des autorisations accordées était de 313.
  • Pour les titulaires du permis N, le nombre moyen annuel des demandes d’autorisation était de 92, et le nombre moyen annuel des autorisations accordées était de 80.

Situation après les modifications

Plus loin dans leur article (section 3.2.), Anne-Laurence Graf et Pascal Mahon décrivent les modifications de la LEtr et d’autres actes législatifs connexes s’agissant de personnes relevant du domaine de l’asile :

1.Depuis le 1er janvier 2018, la taxe spéciale sur le revenu de l’activité lucrative est supprimée pour les titulaires des permis F et N (article 88 de la LEtr). Pour une évaluation approximative[iii] de l’impact sur l’accès au marché vaudois du travail en 2018, les statistiques que nous avons reçues du Service de l’emploi du canton de Vaud montrent que :

  • Pour les titulaires du permis F, sans ou avec la qualité de réfugié, le nombre des demandes d’autorisation d’exercer une activité lucrative était de 723. Le nombre des autorisations accordées était de 678.
  • Pour les titulaires du permis N, le nombre des demandes d’autorisation était de 209, et le nombre des autorisations accordées était de 190.

Donc, le nombre de demandes et d’autorisations a plus que doublé par rapport au nombre moyen annuel durant la période 2013-2017.

2. Depuis le 1er juillet 2018, les autorités cantonales d’aide sociale annoncent aux services de l’emploi cantonaux les titulaires du permis F qui sont « sans emploi » (article 53 de la LEtr). Les titulaires du permis F bénéficient également du principe du recrutement prioritaire par rapport aux autres ressortissants d’Etats tiers : ils sont donc considérés comme « travailleurs en Suisse » (article 21 de la LEtr).

3. Depuis le 1er janvier 2019, les employeurs ne doivent plus demander une autorisation pour les titulaires du permis F pour que ces derniers puissent exercer une activité lucrative. Il suffit d’annoncer cette activité à l’autorité cantonale si les conditions de rémunération et de travail sont respectées (article 85a de la LEtr). Cette simple procédure d’annonce crée effectivement un droit d’exercer une activité lucrative. Pour une évaluation approximative de l’impact sur l’accès au marché vaudois du travail pendant les premiers deux mois de 2019, les statistiques que nous avons reçues du Service de l’emploi du canton de Vaud montrent que :

  • Pour les titulaires du permis F, avec ou sans la qualité de réfugié, le nombre total des annonces et des autorisations (les demandes déjà déposées en 2018) d’exercer une activité lucrative était de 221.

Donc, cela représente presque un tiers du nombre des autorisations accordées à cette catégorie de personnes pendant toute l’année 2018.

En résumé, les modifications de la base légale de l’intégration sur le marché suisse du travail ont placé les personnes admises provisoirement (permis F) sur un pied d’égalité avec les autres « travailleurs en Suisse ». Par contre, les requérants d’asile (permis N) restent toujours sans droit à une autorisation de travail, bien qu’ils puissent avoir temporairement accès au marché du travail et qu’ils bénéficient quand-même de la suppression globale de la taxe spéciale sur l’activité lucrative. Pour chaque catégorie de personnes relevant du domaine de l’asile, les statistiques montrent des effets importants des nouvelles mesures pour l’accès au marché du travail dans le canton de Vaud. Notamment, la suppression de la taxe spéciale a plus que doublé le nombre des demandes et des autorisations d’exercer une activité lucrative, et la procédure d’annonce a créé une dynamique positive supplémentaire.

MHER

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Remerciements et notes :

Je tiens à remercier Monsieur Laurent Beck, Adjoint, Chef de la section juridique et administrative du Service de l’emploi du canton de Vaud.

[i] Concernant les personnes admises provisoirement, l’article examine les titulaires des permis F sans la qualité de réfugié, s’il n’est pas mentionné autrement.

[ii] Anne-Laurence Graf est post-doctorante et Pascal Mahon est professeur ordinaire à la faculté de droit de l’Université de Neuchâtel. L’article a été publié par Jusletter, une revue juridique, et republié par le Centre suisse de compétence pour les droits humains en août 2018.

[iii] Ici et ailleurs dans le texte nous ignorons les autres facteurs qui pourraient influencer le nombre des demandes d’autorisation ou des annonces, tels que : le nombre des attributions des requérants d’asile au canton de Vaud ou le nombre des permis F accordés.




Le prix de l’intégration

CC0 Public Domain

CC0 Public Domain.

 

Les parcours des requérants d’asile et la taxe spéciale SEM  

Après être passés par le centre d’enregistrement et de procédure (CEP) suite à leur arrivée en Suisse, les demandeurs d’asile sont attribués à un canton qui dispose d’une politique en matière d’accueil des migrants différente de celles des autres cantons. Dans le cas où ils exercent une activité lucrative, une taxe de 10% est prélevée sur le revenu pour couvrir les coûts d’assistance qu’ils recouvrent.

Dans le canton de Vaud, les requérants d’asile sont envoyés au service cantonal de la population (SPOP) pour l’enregistrement et l’attribution d’un permis selon leur statut à l’arrivée. Ils sont ensuite redirigés vers l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), qui, mandaté par le canton de Vaud, a pour mission selon la loi fédérale sur l’asile (LAsi) d’accueillir les requérants d’asile et les personnes admises à titre provisoire. Mais aussi de délivrer l’aide d’urgence aux personnes en situation irrégulière. Ses missions dépendent de la loi sur l’aide aux requérants d’asile et à certaines catégories d’étrangers (LARA), adoptée par le Grand Conseil vaudois le 7 mars 2006. Cette loi demande notamment à l’Etablissement d’organiser l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA) dans un centre spécialisé.

Les premiers pas dans le canton de Vaud

Après un premier entretien à l’EVAM, les requérants sont envoyés dans un centre d’accueil et socialisation pour les adultes et les familles ou dans un centre spécialisé pour les mineurs non accompagnés (MNA) où leur est octroyée une assistance financière, un droit accordé conformément à la loi. Ainsi qu’une couverture d’assurance maladie et accident de base, obligatoire, pour toute personne résidant en Suisse. Les requérants d’asile ne parlant pas la langue française, doivent suivre des cours de français jusqu’à atteindre un niveau de communication leur permettant d’être autonome. Une phase qui a pour but d’informer les requérants sur la vie en Suisse et de les préparer à la suite de leur séjour. Ils ont dès lors, l’autorisation de chercher un emploi, et dans la mesure du possible, d’avoir un appartement. L’hébergement des demandeurs d’asile est organisé en fonction de la durée de leur séjour sur le territoire cantonal, de l’état de la procédure d’asile et de leur capacité à se prendre en charge dans leur société d’accueil. La priorité est cependant accordée aux bénéficiaires qui exercent une activité lucrative ou qui suivent une formation.

Plus d’informations figurent sur le guide d’assistance de l’EVAM 2014, qui est en ligne ici

La retenue des salaires en Suisse

Depuis 2002, la nouvelle ordonnance de la Confédération helvétique recommande aux cantons d’obliger les employeurs à retenir une taxe spéciale de 10 % sur le salaire brut des requérants d’asile et les personnes admises à titre provisoire, qui exercent une activité lucrative. Les valeurs patrimoniales des personnes sont également soumises à cette taxe et peuvent aussi être saisies. La somme retenue est versée sur un compte dénommé «compte de sureté» à Berne. Elle sert à rembourser les frais d’assistance si ces derniers dépassent un montant forfaitaire majoré de quelques frais particuliers, à savoir les frais médicaux non assurés et les frais de rapatriement en particulier. Lorsque la procédure se termine par l’obtention d’une autorisation de séjour ou par un départ, un décompte est établi et la Confédération rembourse le surplus. Mis en place le 24 septembre 2006 après acceptation par voie populaire, ce système est couvert par plusieurs ordonnances, dont celle de 2002  qui plafonne à 15’000.- le montant à retenir. Tout surplus retenu fait ensuite l’objet du remboursement. Ne comprenant rien à la gestion de leur argent, de nombreux et nombreuses requérants et requérantes d’asile n’ont sans doute jamais osé demander à récupérer ce qui leur revenait.

Le décompte de revenu par l’EVAM pour le détenteur de permis N du demandeur d’asile et du permis F d’admission provisoire

Chaque bénéficiaire doit se rendre à l’EVAM, une fois tous les deux mois sur demande de la CAF (Commande d’assistance financière) pour être évalué au niveau de leur situation financière personnelle. Auparavant, c’était une fois par mois, cela a changé pour une question d’afflux.  Dans le cas où un bénéficiaire accède à un emploi, habite dans un appartement et dispose de l’assurance maladie et accident de base, il a l’obligation de s’acquitter de son loyer et de l’assurance maladie et accident de base. L’Evam a pour mandat de faire la saisie du salaire auprès de l’employeur et de faire le décompte pour le payement de loyer et de l’assurance maladie. Néanmoins, cette situation a changé pour supprimer les entraves à l’embauche pour les employeurs et alléger les bénéficiaires. Désormais, cette saisie sera supprimée pour les bénéficiaires après 6 mois d’autonomie, soit dès le 7ème mois. Le bénéficiaire recevra toutefois encore les factures concernant les prestations hébergement et aura une assurance individuelle comme c’est déjà le cas. La cession totale sera désactivée uniquement pour les bénéficiaires autonomes et la cession sera réactivée en cas de non-paiement des factures.

S’informer

Beaucoup de requérants d’asile du canton de Vaud sont dans l’ignorance et pensent que l’EVAM saisit les salaires indûment. Pourtant, il est obligatoire de payer le loyer et l’assurance maladie et accident, lorsque l’on dispose d’un salaire, à ne toutefois pas confondre avec la taxe spéciale de 10 % de Berne. Ainsi, après qu’un requérant ait obtenu un emploi pour son intérêt propre, il est nécessaire qu’il le signale auprès de l’organisme de contrôle afin de ne pas se mettre dans une situation défavorable. Ce de surcroît avec l’entrée en vigueur de la loi qui matérialise l’initiative pour le renvoi des étrangers criminels qui assimile tout abus de l’aide sociale à un délit passible d’un renvoi.

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Les éléments de base d’une fiche de salaire des personnes ayant un permis N ou F

 

Salaire brut

13éme salaire (dernier mois de l’année)

Indemnités vacances

Indemnités pour jour fériés

 

Retenues

 

Taxe spéciale SEM 10% (Sûretés OCRA)

Allocation familiale

Cotisation  AVS/AI/APG

Chômage

APG Maladie

Accident non-professionnel

Accident complémentaire

Retenue PC Familles   (prestations complémentaires)

Cotisation  Assurance chômage

Cotisation LPP

Contribution professionnelle

Retenue impôt à la source

Salaire mensuel

 

Impôt à la source

Ce sont le statut et le canton de travail qui déterminent si un requérant doit payer ses impôts en Suisse et donc l’impôt à la source. Dans le cas échéant, le futur employeur prélèvera un impôt tous les mois et présent sur la fiche de salaire.

Les abréviations :

AVS : Assurance Vieillesse et Survivants

AI : Assurance Invalidité

APG : Assurance perte de gain

LPP : la Loi sur la prévoyance professionnelle

Niangu Nginamau

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils