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« J’obtiendrai mon permis B quand je serai au paradis »

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Les travaux herculéens pour l’obtention du précieux sésame

« Il semble que j’obtiendrai mon permis B quand je serai au paradis! » me rétorque sur un ton à moitié sarcastique Monsieur Karim*, âgé de 70 ans, ancien professeur de sciences et directeur adjoint de l’une des plus grandes écoles secondaires de Damas.

C’est un groupe de Syriens, titulaires de permis F, admission provisoire humanitaire 1. La plupart d’entre eux ont plus de 60 ans et sont arrivés en Suisse presque à la même période, il y a cinq ou six ans, à la suite de la guerre civile dévastatrice en Syrie.

Le déracinement

Ces personnes ont vécu et travaillé dur toute leur vie dans leur pays. Comme un arbre immense, elles ont étendu leurs racines et leurs feuilles, construit un vaste réseau de relations sociales, familiales et professionnelles au fil des ans, puis en un tour de main , elle ont été déracinés et jetés sur des rivages étrangers.

Beaucoup d’entre elles menaient une vie relativement confortable avant la guerre. L’idée de s’installer en Suisse ne leur avait jamais traversé l’esprit. Elles pensaient que leur séjour serait court et qu’elles retourneraient dans leur pays lorsque la guerre arrivera à son terme! Maintenant, après sept ans de guerre destructrice, il n’y a pas aucune lumière au bout du tunnel.

La marginalisation

Ici, en Suisse, la majorité de ces personnes ont vu leur demande d’asile rejetée. Stigmatisées et marginalisées comme « vielles et âgées », elles ont été privées du droit de voyager pour voir leurs proches dispersés dans les pays voisins, de travailler (sans compter qu’à cet âge, il est presque impossible de trouver du travail!), et exclues de presque tous les programmes d’intégration comme étant inaptes au marché du travail!

Khaled*, un homme dans la soixantaine, qui n’a jamais cessé de travailler dans son pays, raconte avec exaspération comment chaque fois qu’il demande à son assistant social de l’inscrire dans un cours de français ou dans un travail bénévole, il reçoit la même réponse : « vous êtes une personne âgée ».

Les travaux herculéen du permis B

Je ne veux pas soulever ici la question des raisons pour lesquelles ces personnes qui ont fait face à une menace imminente pour leur vie dans leur pays n’ont pas obtenu le statut de réfugié et la protection durable et stable garantie par le Haut Commissariat au Réfugiés des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Mais, je voudrais plutôt dire que, confrontées à toutes ces restrictions et barrières, ces personnes sont obligées de passer par des tâches herculéennes afin d’obtenir le permis B! La première: être indépendant, c’est-à-dire ne pas être au bénéfice de l’assistance sociale. La deuxième : être socialement, professionnellement et linguistiquement intégré! Ce en plus d’une longue liste d’autres conditions et demandes…

C’est un véritable dilemme !

Donc, il semble que M. Karim, l’ancien professeur de sciences, ait bien calculé sa chance, en supposant qu’il pourrait probablement obtenir son permis B après 15 ans de séjour en Suisse, ou beaucoup plus tôt, Comme il l’avait prédit ci-dessus !

*Noms d’emprunt

Hayro

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Notes :

1- Le permis F peuvent varier selon s’il s’agit d’une admission provisoire avec la qualité de réfugié ou d’une admission provisoire humanitaire.

2- Différentes instances internationales comme le HCR se sont prononcées sur le statut des personnes admises à titre provisoire. Elles ont émis des critiques et des recommandations sur le sort qui leur est réservé




«Le fichage ADN des requérants d’asile serait une mesure stigmatisante voire discriminatoire»

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l'information du canton de Vaud.

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud.

S’appuyant sur les statistiques policières de huit cantons qui établissent une augmentation de la criminalité depuis le Printemps arabe sur le sol suisse, Christophe Darbellay – président du Parti démocrate-chrétien et conseiller national – a déposé une motion intitulée «Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité» qui a été adoptée par le Conseil national le 17 avril 2013. Cette motion permettrait d’établir des profils ADN de manière préventive et systématique de certaines catégories de personnes pouvant potentiellement commettre des délits. Si le Conseil des États valide la motion, le Conseil fédéral devra créer une loi pour la concrétiser. Voix d’Exils a souhaité mettre en perspective les enjeux d’une telle motion en donnant la parole à Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Interview.

Pouvez-vous commencer par présenter votre fonction et votre travail 

Je suis préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Nous sommes trois personnes à travailler dans l’équipe. Nous avons une double casquette : l’une porte sur la protection des données et l’autre sur la transparence. Du côté de la protection des données, il y a une loi cantonale qui s’applique aux administrations cantonales et communales, et des organismes comme l’EVAM par exemple. Nous sommes en étroite collaboration avec les autorités tout en veillant au respect de la loi ainsi qu’aux installations de vidéosurveillance exploitées par les communes ou le canton. Cependant, nos actions ne couvrent pas le traitement des données des établissements privés, comme par exemple l’installation d’une caméra par la Coop, ou encore la Migros avec la carte Cumulus. Ceci n’entre pas du tout dans notre champ de compétences, mais dans celui du préposé fédéral à la protection des données.

Nous sommes aussi l’instance de recours contre des décisions que pourraient prendre les autorités cantonales ou communales en matière de protection des données sur une tierce personne.

Comment l’utilisation de l’ADN est-elle encadrée juridiquement actuellement ?

Le Code de procédure pénale suisse autorise le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN pour élucider un crime ou un délit. Un tribunal peut aussi ordonner l’établissement d’un profil ADN lorsqu’une personne est condamnée pour des délits d’une certaine gravité. La loi sur les profils ADN impose des règles sur la manière de procéder; elle prévoit aussi la création d’une base de données centralisée. Les profils ADN des personnes mises hors de cause, acquittées ou bénéficiant d’un non-lieu sont retirés de la base de données. Il en va de même pour les personnes condamnées après des durées fixées par la loi. Seul l’Office fédéral de la police peut faire le lien entre un profil et une identité.

La motion de Monsieur Darbellay concernant le test ADN de certains  requérants d’asile, notamment à titre préventif, a été adoptée par le Conseil national en avril 2013. Quel est votre avis à ce sujet?

Il est à noter ici que prendre les empreintes digitales ou l’ADN de quelqu’un constitue, du point de vue de la construction juridique, une atteinte à la personnalité. Considérée comme une atteinte grave par certains et anodine par d’autres, elle constitue dans tous les cas une atteinte au droit de la personne, donc à un droit fondamental. C’est pourquoi on peut le faire, mais à certaines conditions, notamment des conditions de restrictions des droits fondamentaux. Cela nécessite une base légale, il faut aussi qu’il y ait un intérêt public qui justifie cette restriction et que la restriction du droit fondamental soit proportionnelle à l’intérêt public considéré. Après, il y a aussi des choix politiques qui sont faits par le législateur qui a un large pouvoir d’adopter ou pas ce type de mesures (la prise d’ADN), sachant aussi qu’en Suisse, il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois. Une des questions que soulève ce projet est la discrimination d’un groupe ciblé de la population. Un groupe évalué selon certains critères est jugé particulièrement à risques, et tous les membres de ce groupe sont considérés comme suspects potentiels, en tout cas plus suspects que le reste de la population. Donc, c’est clairement une mesure qui est stigmatisante voire discriminatoire. Avec une remise en cause d’un principe qui est fondamental dans l’Etat de droit : la présomption d’innocence. Après, ce sont des choix politiques qui doivent être faits. Et ces questions soulèvent aussi des problèmes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a une position plutôt restrictive s’agissant du fichage préventif. On admet le fichage ADN de manière générale pour les personnes qui ont été condamnées; mais il y aurait un pas de franchi si on l’autorisait a priori sur des personnes jugées à risques.

Selon l’article 33 de la loi fédérale sur l’analyse de la génétique humaine, le prélèvement nécessite notamment le consentement écrit de la personne. Au cas où la personne ne veut ou ne peut pas écrire ce consentement, que se passerait-il ?

Le prélèvement peut se baser soit sur une base légale, soit sur le consentement de la personne. Donc on peut tout à fait imaginer une base légale qui oblige les personnes à donner leur ADN par un frottis ou un autre procédé sans qu’elles aient la possibilité de s’y opposer. On peut passer outre le consentement si on a une base légale suffisamment claire qui le permet. Après, du point de vue de l’intérêt public, on peut considérer qu’on va lutter contre la criminalité et que cela constitue donc un intérêt public. On peut être d’accord que cet intérêt public existe, mais la question est celle de la proportionnalité d’une telle mesure. Donc, par rapport aux entorses que la mesure porte aux droits fondamentaux de la personne, cela pose problème. Est-ce que vraiment ça se justifie ? Est-ce que le but qu’on veut atteindre, à savoir résoudre un certains nombre de délits, dont la plupart sont mineurs et commis par des délinquants venus du Printemps arabe ? On n’est pas en règle générale dans le grand banditisme. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre, mais là on a un problème qu’on veut résoudre, et on propose un moyen pour le résoudre. Est-ce que ce moyen qu’est le fichage ADN est vraiment proportionnel par rapport au problème de criminalité qui se pose ? Là est la question.

Cette motion respecte-t-elle la Constitution suisse? Est-elle applicable ?

Elle ne doit pas impérativement respecter la Constitution suisse. Le système juridique suisse n’a pas de Cour constitutionnelle au niveau de la Confédération. Le Parlement peut adopter des lois qui constituent des entorses aux principes constitutionnels voire qui s’y opposent. Dans le canton de Vaud, on a une Cour constitutionnelle, mais au niveau de la Confédération non. Du coup, si cette motion poursuit son chemin parlementaire, il va y avoir d’innombrables débats pour savoir si la mesure est constitutionnelle ou non. Mais, même si elle ne l’était pas, on ne peut pas exclure qu’elle soit adoptée. Après, c’est un choix politique encore une fois qui, en Suisse, ne peut pas être remis en cause par un tribunal. Ce qui pourrait arriver c’est une remise en cause par une instance internationale comme, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme.

Les requérants d’asile doivent déjà donner leurs empreintes digitales lors de leur arrivée en Suisse. Comment cela est-il encadré ? Et en quoi la prise d’ADN serait-elle différente ?

Les empreintes digitales des requérants d’asile sont prises pour s’assurer que les requérants n’ont pas déjà déposé une demande ailleurs, c’est le cas avec l’accord Schengen et de Dublin. On est vraiment ici dans des finalités qui ne sont pas les mêmes que la finalité proposée par la motion Darbellay qui est policière et répressive.

Du coup, les empreintes digitales des requérants d’asile prises selon la législation Schengen pourraient être utilisées dans le cadre d’enquêtes policières ?

Les empreintes digitales sont stockées dans le système EURODAC dans le but de déterminer l’Etat qui est responsable de la demande d’asile. A l’origine, il n’était pas prévu de pouvoir utiliser ces données à des fins répressives. Toutefois, le Parlement européen vient sauf erreur d’adopter des modifications réglementaires qui permettront d’accéder à ces informations pour l’élucidation de crimes graves.

Concrètement, pensez-vous que le fichage ADN soit une mesure utile pour lutter contre la criminalité de certains requérants d’asile ?

Je précise évidemment que je ne suis pas policier. Après, j’ai de la peine à me rendre compte, mais rappelons par exemple que lorsqu’on a commencé à récolter les empreintes dans le cadre d’enquêtes policières, les criminels ont commencé à porter des gants. Maintenant, si on met l’ADN, qu’en sera-t-il ? J’imagine que dans un certain nombre d’enquêtes, cela peut-être utile. Après il y a des choix politiques qui doivent être faits. Donc, il y a aurait une certaine efficacité, c’est très probable, mais avec des effets négatifs, dont une inégalité de traitement entre certains ressortissants d’un pays qui seront soumis au fichage et d’autres non.

Où vont être rangés les fichiers s’il y a la prise d’ADN pour certains requérants d’asile ?

Cela dépend du niveau de la juridiction cantonale ou fédérale. Les deux étant envisageables. Mais j’imagine que ça serait plutôt au niveau fédéral, avec une possibilité d’accès pour les autorités cantonales. Après, pour l’accès, cela concernerait les normes usuelles : les données seraient très protégées dans des systèmes très sécurisés. Il faut rappeler que la sécurité absolue n’existe pas, et c’est un des problèmes avec l’informatisation croissante, mais les bases de données publiques sont en général très bien sécurisées. Après, la faiblesse est humaine. Les banques en savent quelque chose. Ce peut aussi être une défaillance au niveau de la sécurité des données. C’est pour cela aussi qu’au niveau de la collecte des données, un principe veut que l’on collecte le minimum de données nécessaires pour minimiser les risques. Sachant qu’une fois qu’une base de données existe, elle suscite, en général, un certain nombre de convoitises.

Si dans 10 ans toute la population devait donner ses empreintes ADN, comment qualifieriez-vous le monde dans lequel nous vivrions ?

La motion Darbellay pose une question de principe : si le législateur pense que c’est justifié de créer une base de données à titre préventif visant une partie de la population, on met alors le doigt dans un engrenage. Si on le fait pour ce type de population, pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas pour d’autres groupes de population ? Au hasard, les personnes de sexe masculin entre 18 et 25 ans qui sont célibataires, qui sont parmi les groupes de populations les plus criminogènes, les plus susceptibles de commettre des délits. On peut identifier un certain nombre de groupes, dont d’ailleurs vous (nous, les deux journalistes de Voix d’Exils) feriez partie. Alors après pourquoi pas vous ? Ou pourquoi pas tous les oncles ? Parce qu’on considère que c’est surtout les oncles qui commettent des abus sexuels sur les enfants, ou tous ceux qui travaillent avec la finance, et après on peut tout imaginer.

Personnellement, je préférerais la situation dans laquelle l’ensemble de la population serait fichée plutôt que des groupes cibles. Cela ne veut pas dire que je souhaiterais que l’ensemble de la population soit fichée. Mais, quitte à le faire, soyons cohérents et allons jusqu’au bout. Mais cela ne serait pas une société qui me réjouit particulièrement, où par principe on suspecte les personnes plutôt que de faire primer la présomption d’innocence. Mais là aussi, quels sont les intérêts que l’on considère comme étant prépondérants ? A ce propos, le débat autour des services secrets américains : la National Security Agency (NSA) avec l’affaire Snowden est intéressant. Beaucoup de personnes considèrent que l’atteinte à leur sphère privée se justifie vu le bien qu’on veut atteindre, c’est-à-dire une sécurité maximum. Et du coup certains disent «mais est-ce que les terroristes n’ont pas déjà gagné ?», vu que l’on remet en cause les acquis essentiels au sein de nos sociétés démocratiques. Donc, à titre personnel, je ne suis pas pour cette tendance de surveillance accrue. Mais cette tendance de placer l’aspect sécuritaire avant tout est là. Pour revenir aux caméras de vidéosurveillance, on peut mettre des caméras partout, et probablement que cela va résoudre un certain nombre de délits et d’infractions. Mais au vu des atteintes que cela constitue pour l’ensemble de la population, est-ce que ça se justifie ? A mon sens non.

On est ainsi face à des choix de société. Nous sommes dans une société démocratique, mais on ne sait pas comment sera la Suisse ou l’Europe dans 40 ou 50 ans. On peut se dire aussi que certains outils de surveillance sont acceptables quand ils sont dans les mains de dirigeants en démocratie, et qu’ils le sont moins dans des régimes non démocratiques. Là aussi, il y a un principe de prudence à respecter. Et qui peut prévoir l’évolution d’une société sur 50 ans ? Personne, je pense.

Propos recueillis par :

Cédric Dépraz et El Sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour consulter la motion de Christophe Darbellay « Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité » cliquez ici

 




Exclues du monde du travail à cause d’un voile

Table-ronde organisée à l'occasion de la journée mondiale de la femme du 8 mars par l'UVAM et le le CCML. Photo: Voix d'Exils

Table-ronde organisée à l’occasion de la journée mondiale de la femme du 8 mars par l’UVAM et le le CCML. Photo: Voix d’Exils.

Le 8 mars dernier – journée internationale de la femme – a été pour les musulmanes de Lausanne une journée particulièrement importante. Elles étaient invitées à participer à une table-ronde organisée par le Complexe Culturel des Musulmans de Lausanne (le CCML) et l’Union Vaudoise des Associations Musulmanes l’UVAM, à la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne, sur le thème : « Femmes musulmanes et vie professionnelle ». Compte-rendu des échanges qui ont eu lieu à cette occasion.

Des discussions entre les six intervenantes et le public sur le thème des discriminations subies par les femmes musulmanes qui portent le foulard, il ressort que celles-ci sont discriminées dans leurs recherches d’emploi et sur leur lieu de travail. Souvent, elles doivent renoncer à leurs projets professionnels. Il en est d’ailleurs de même pour les femmes nées en Suisse qui décident de porter le voile après s’être converties à l’islam et qui, de ce fait, doivent arrêter de travailler ou se voient obligées d’enlever leur voile sur leur lieu de travail.

Selon une étude menée par Patricia Roux, Professeure en Études genre à l’Université de Lausanne, et intervenante lors de la table-ronde, l’Islam est perçu comme une religion rétrograde et sexiste. Seul 44% des Suisses sont favorables au port du foulard. 70% des Suisses pensent que les musulmans ne peuvent pas s’intégrer culturellement car 65% des musulmanes sont voilées et considérées comme moins émancipées que les Suissesses. D’une façon générale, les musulmanes voilées sont la cible d’un regard particulier qui frôle l’exclusion sociale. Le port du foulard est considéré comme une atteinte aux normes sociales.

Cependant, la question n’est pas de s’interroger seulement sur l’islam ou sur les musulmans et les musulmanes, mais plutôt sur les pratiques de ces femmes dans les milieux urbain, social et professionnel. Certaines d’entre elles ont pris des initiatives, elles ont mis en place un collectif qui a pour objectifs la visibilité religieuse, la lutte contre la stigmatisation, la mobilisation contre le racisme et le sexisme.

El Sam et Samir

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 « Le port du foulard m’a carrément isolée de la société » Témoignage

Safwa Aïssa, Vice-présidente de l’UVAM. Photo: Voix d'Exils

Safwa Aïssa, Vice-présidente de l’UVAM. Photo: Voix d’Exils

Originaire de Tunisie, Safwa Aïssa est la Vice-présidente de l’UVAM et formatrice en communication interculturelle. Elle témoigne de son vécu en tant que femme voilée.

« Après avoir suivi une formation en journalisme, j’ai travaillé dans ce domaine pendant plusieurs années en Tunisie. Suite à des circonstances privées, j’ai dû quitter mon pays. Je suis arrivée en Suisse en 1999, où j’ai cru pouvoir continuer dans le journalisme, je comptais sur mes diplômes et mes compétences acquises dans l’exercice de ce métier. J’ai vite renoncé à ce rêve, car la Suisse n’était pas ce à quoi je m’attendais. Le port du foulard m’a conduit à tirer trois pistes de réflexion : Comment les gens perçoivent-ils le foulard ? Quel est le rapport entre la différence et la normalité ? Quel est l’impact du foulard sur le travail ?

J’ai postulé dans plusieurs entreprises et sociétés de la place, mais c’était du temps perdu. Les remarques qui m’ont été faites étaient presque toutes focalisées sur mon foulard. Je me suis alors redirigée dans le secrétariat. J’ai travaillé dans la migration interculturelle dans le canton de Vaud. Dans l’un des services, où j’ai par ailleurs été bien accueillie, quelques collègues me tenaient des propos racistes et contestaient ma présence. Ce qui m’a le plus marquée tout au long de ma vie est cette phrase d’un collègue qui disait : « Pourquoi engage-t-on des femmes qui nous rappellent le Moyen Âge ? ». Au fil des années j’ai développé un comportement qui m’a permis de me libérer de la peur des critiques, de ce que peuvent penser les gens sur mon foulard. Pour moi, le foulard c’est le témoignage de ma foi en Dieu. Mes collèges ont fini par comprendre que je suis une femme ordinaire. Au final, j’ai fait un Master en communication interculturelle à l’Université de Lugano pour renforcer mes compétences dans le domaine de la santé. Bref, grâce à ma persévérance, je suis parvenue à mon but. Aujourd’hui, je suis fière d’être musulmane, de porter le foulard et déterminée à lutter pour promouvoir l’égalité des musulmanes voilées par rapport aux autres femmes. »

Propos recueillis par El Sam et Samir




Edito. Africain ? Alors dealer !

Capture d'écran de l'émission de Temps Présent du 14.03.2013. Source: nsalomon.blogspot.com

Capture d’écran de l’émission de Temps Présent du 14.03.2013. Source: nsalomon.blogspot.com

Il y a déjà certains endroits à Lausanne où je n’ose plus mettre les pieds de peur de me faire arrêter. Mais la cerise a été déposée sur le gâteau jeudi 14 mars 2013. J’étais confortablement installé chez moi dans mon canapé, entouré d’amis Européens, pour visionner l’émission de Temps Présent diffusée sur la chaîne nationale suisse RTS 1 intitulée « Guerre aux dealers ». Et tout d’un coup, j’ai vraiment eu envie de disparaître, tellement j’avais honte de mon africanité. Le lendemain, grâce au recul de la réflexion, j’ai voulu désapprouver publiquement ce sentiment de honte en m’exprimant sur Voix d’Exils.

Il est vrai que certains Africains sont des dealers. Mais est-ce vraiment raisonnable de généraliser en associant le deal à tous les Africains? N’y a-t-il pas des Africains préoccupés à vivre décemment, en sécurité et en paix ? N’y a-t-il pas des Africains qui contribuent à la marche sociale et économique de la Suisse ; notamment dans des secteurs d’activités – parfois boudés par les autochtones – comme la santé ?

Une grande partie de la population prend pour argent comptant ce qu’elle voit à la télévision. Donc il faut faire attention, à fortiori lorsqu’on est une chaîne nationale comme la Radio Télévision Suisse et quand on appartient au corps de police, aux messages qu’on véhicule. Lors de cette émission de Temps Présent, j’ai été choqué d’entendre à de nombreuses reprises des policiers qui nommaient les dealers « les Africains ».  Tout court. Au risque de faire une fois de plus croire à l’opinion publique que le trafic de drogue est une activité propre aux Africains. Les « gros bonnets » sont-ils tous des Africains ? L’on sait bien pourtant que les cerveaux des opérations dans le milieu de la drogue ne sont pas ceux qui arpentent les rues, en été comme en hiver, en menant leur petit business à la sauvette. Si la drogue est un marché si florissant, il doit bien y avoir des acheteurs à quelque part. Les acheteurs sont-ils tous des Africains ? Force est de constater que l’on parle finalement assez peu des gros bonnets et des consommateurs. Le trafic de drogue est un cercle vicieux, dont il ne sert pas à grand chose de désigner la couleur ou les origines des coupables et de s’attaquer à ses manifestations les plus visibles pour tenter de l’éradiquer. Hormis si l’on souhaite uniquement rassurer la population en lui signifiant qu’on affronte vraiment le problème.

Il est très dangereux de réduire la question du deal à d’un côté : les Blancs et de l’autre : les Noirs. La réalité n’est pas manichéenne et le mal est bien plus profond, bien plus complexe que cela…La misère, ainsi que la quête des gains faciles pour certains. La jouissance instantanée ou la dépendance pour d’autres. Pour ne citer que quelques facteurs. Mais soyons clairs, je ne cherche pas ici à excuser mes compatriotes Africains qui s’adonnent au trafic de drogue, même si l’indigence peut inciter certains à sombrer dans la spirale du deal. Dans toutes les situations, nous avons la capacité de faire des choix pour que cela ne porte pas préjudice à soi comme aux autres.

Un proverbe africain dit que « tous les moutons se promènent ensemble, mais ils n’ont pas les mêmes valeurs ». Dealer n’est pas synonyme d’Africain, de même que pédophile n’est pas synonyme d’Européen. Il faut savoir faire la part des choses et ne pas confondre la minorité avec la majorité en mettant tout le monde dans le même panier. Au risque de renforcer d’autres phénomènes aussi dangereux, voire encore plus dangereux que celui du trafic de drogue, comme celui de la haine raciale.

André

Relecture : El sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Comprendre les trajectoires individuelles et la régulation politique des problèmes d’exclusion »

Une famille vivant dans le squat. Photo: Nasser Tafferant

Des chercheurs du Pôle de recherche national suisse LIVES ont analysé et retracé l’histoire d’un squat urbain peuplé de migrants situé dans la région lausannoise. Cette recherche a donné lieu en parallèle à une exposition. Pour mieux comprendre les enjeux sociaux et politiques du phénomène étudié, nous avons interviewé M. Nasser Tafferant, chercheur au Pôle national de recherche LIVES et membre de l’équipe ayant investigué sur le squat.

Au plus fort de l’hiver, durant les premiers mois de l’année 2012 jusqu’à l’expulsion de ses habitants par les autorités en avril, une équipe du Pôle de recherche LIVES « surmonter la vulnérabilité : Perspective du parcours de vie » a mené une enquête en investiguant sur les cercles de relations amicales, familiales et de couples des habitants du squat des jardins familiaux de Vidy à Lausanne en Suisse. Cette recherche avait pour objectif de mieux comprendre les trajectoires des migrants vivant dans ces cabanons de fortune et les modes de régulation politique des problèmes d’exclusion sociale. L’enquête a, en parallèle, donné lieu à une exposition intitulée « LIVING THE SQUAT, Countdown of an Expulsion », qui s’est tenue à l’Université de Genève du 15 au 29 juin 2012 et à la Haute école de travail social et de santé de Lausanne du 1er octobre au 1er novembre 2012. Elle visait à montrer au public la vie matérielle et sociale du squat à l’approche de son évacuation, tout en retraçant les parcours de vie de ses habitants à la croisée de deux regards : celui du chercheur et celui du photographe.

Voix d’Exils : Vous avez présenté une exposition intitulée « Living the squat » à Lausanne, en octobre dernier. Son sujet était la vie des migrants qui ont squatté les jardins familiaux de Vidy de janvier à avril 2012. Pouvez-vous nous dire quel était l’objectif de cette exposition ?

M. Nasser Tafferant : L’objectif de cette exposition a été de rapporter des éléments d’information concernant l’expérience vécue par certains migrants d’un squat à ciel ouvert, sous le regard des passants ordinaires, à proximité du quartier de la Bourdonnette. Il importe de signaler que nos observations ne portaient pas exclusivement sur les Roms, mais aussi sur d’autres individus en provenance de pays d’Europe et d’Amérique latine et du Sud (ces derniers migrants ayant d’abord transité par l’Espagne). Cela a son importance, puisque la stigmatisation des Roms était, entre autres formes, consécutive aux effets d’annonce de certains médias locaux qui associaient systématiquement les mots « squat » et « Roms » dans quelques articles, encourageant, par-là, certains lecteurs anonymes à rendre public un discours anti-Roms.

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La récupération. Photo: Nasser Tafferant

L’exposition rend compte de hétérogénéité des parcours de vie et de l’épreuve commune d’un squat urbain. Nous avons passé quatre mois – de janvier à avril 2012 – sur le terrain parmi les migrants et quelques suisses cohabitant dans les jardins familiaux de Vidy – du collectif de la Bourdache – jusqu’à leur expulsion définitive. Notre approche se voulait compréhensive, c’est-à-dire que nous voulions saisir les interprétations personnelles et collectives des (més)aventures au quotidien dans et hors du squat. Nous avons mobilisé des techniques sociologiques de recueil d’information en procédant, avec leur accord, à l’enregistrement de témoignages, à des observations distancées et en situation de vie dans les jardins. Nous avons, en outre, pris plusieurs photos témoignant des modalités d’ancrage dans le squat, d’une part, par la façon d’occuper et d’aménager les cabanons, d’autre part, par les formes de sociabilité (liens de famille, de couple, de camaraderie propices à l’entraide, mais aussi rapports de méfiance et, parfois, de tension virulente).

Enfin, l’affaire des jardins familiaux de Vidy ayant fait grand bruit au gré des circonstances liées aux mesures d’expulsion, nous avons porté notre attention sur la manière dont le squat des jardins familiaux de Vidy a été traité politiquement, médiatiquement et perçu par quelques riverains.

Pour quelle raison vous êtes-vous intéressé à ce mode de vie ?

Avant tout, je ferai preuve de prudence avec l’expression « mode de vie », qui ne colle pas du tout à la réalité des destinées individuelles et familiales des migrants que nous avons rencontrés dans le squat. Autrement dit, les habitants des cabanons ne mènent pas une vie de squatteur. C’est le squat qui s’est imposé à eux, par chance d’abord, puisque les cabanons étaient inhabités, par stratégie de survie ensuite, à l’approche des saisons d’automne et d’hiver qui furent rigoureuses. Il a fallu aux habitants beaucoup d’audace, d’inventivité, de confiance en soi et d’entraide pour faire l’expérience du squat dans ces conditions. Certains ont enduré cette épreuve jusqu’à leur expulsion définitive (soit presque une année passée dans les jardins familiaux), d’autres ont pris la route un matin, sans jamais revenir sur leurs pas, en quête d’une situation moins inconfortable ailleurs en Suisse ou à l’étranger. Comprendre leur sensibilité, la manière dont se dessinent les trajectoires, la régulation politique des problèmes d’exclusion sociale…, ce sont là des thèmes qui intéressent chacun des membres de l’équipe ayant participé à cette étude (Raul Burgos Paredes, Emmanuelle Marendaz Colle, et moi-même*) et, par extension, les équipes du Pôle de recherche nationale Lives – « Surmonter la vulnérabilité : perspective du parcours de vie » dont nous sommes membres.

L’exposition a-t-elle suscité une prise de conscience auprès du public et auprès des politiques qui l’ont vue ?

Si nous nous intéressons aux personnes ayant effectué le déplacement pour voir l’exposition – les riverains, les anciens occupants des jardins familiaux, les chercheurs et les étudiants intéressés par la question –, alors je réponds oui. Car l’exposition montre clairement comment, à plusieurs reprises, le traitement politique de l’expulsion du squat a été dysfonctionnel. Concernant la réception de l’exposition par les acteurs politiques, je ne peux faire de commentaires, ne les ayant pas rencontrés, aussi bien dans les moments de vernissage que lors des visites guidées. Il faut aussi dire que l’exposition n’a pas fait l’objet d’une grande visibilité. En 2012 il y a eu deux installations, une à l’Université de Genève, une autre à l’EESP de Lausanne. Nous espérons que 2013 sera propice à une plus grande visibilité.

Que sont devenus les migrants avec lesquels vous avez été en contact pour votre étude ?

La destruction du squat. Photo: Hugues Siegenthaler

La destruction du squat. Photo: Nasser Tafferant.

Entre janvier et avril 2012, nous avions tissé des liens étroits avec une quinzaine d’individus. Au cours de cette période, certains ont pris la route vers l’étranger soit pour retrouver leur ville d’origine ainsi que leur famille – Roumanie, Espagne –, soit pour bénéficier d’un dispositif d’accueil plus efficace, des actions de solidarité (notamment associatives) et nourrir l’espoir de gagner plus d’argent – dans ce cas la France était une piste privilégiée. S’agissant des personnes qui sont restées jusqu’au terme de l’avis d’expulsion, la perspective de certains a été de se maintenir à Lausanne sans qu’aucune mesure tangible de relogement ne leur soit proposée. Nous avons donc perdu leur trace pour l’ensemble, et avons croisé une personne en situation d’errance urbaine et de mendicité au centre ville.

Parmi les migrants, il y a une majorité de Roms. Quelles sont les structures d’accueil officielles accueillant les Roms pendant la saison hivernale ?

Les structures d’accueil officielles renvoient à celles déjà existantes, lesquelles proposent leurs services aux plus démunis. On peut citer le Sleep-in qui offre un gîte pour la nuit, la Soupe populaire qui offre le repas du soir et le Point d’eau qui permet de laver son linge et de faire sa toilette. Au cours de l’hiver 2012, les occupants des jardins familiaux ont notamment eu recours à la Soupe populaire et au Point d’eau. Ils ont cependant affiché une réticence à se rendre au Sleep-in, préférant le confort relatif des cabanons et un entre soi plus rassurant. Il existe, enfin, l’association de solidarité Opre Rrom, dont le siège se trouve à Lausanne, et qui œuvre à assister les Roms dans leurs combats quotidien contre l’exclusion et leur quête de reconnaissance. Ces acteurs associatifs ont suivi de près l’affaire des jardins familiaux de Vidy, manifestant un soutien indéfectible.

En tant que chercheur, avez-vous des pistes à suggérer pour améliorer les conditions de vie des Roms, améliorer leur image au sein de la population et permettre ainsi d’éviter leur exclusion ?

Aussi modeste que fut notre travail de terrain, notre objectif a été de sensibiliser les citoyens à la question du traitement politique des Roms et des migrants qui ont occupé les jardins familiaux de Vidy. Porter un regard différent, tendre l’oreille, se rendre sur place, s’informer auprès d’associations vouées à accompagner ces communautés laissées pour compte, ce sont là des touches d’attention qui contribuent à briser les jugements de valeur et à faire un grand pas. Je peux citer le cas d’un riverain qui m’avait accueilli à son domicile pour témoigner de la situation du squat dans les jardins familiaux de Vidy. La vue de son balcon donnait sur les cabanons. La proximité des occupants le dérangeait et, comme bon nombre de ses voisins, il perdait patience face à l’expulsion qui tardait à venir. Les choses prirent une nouvelle tournure lorsque la municipalité autorisa les occupants du squat à y passer l’hiver. La personne décida alors de changer de perspective sur la situation de ces voisins d’en bas. Depuis sa fenêtre, il prit le temps de bien les observer. La présence d’enfants dans le froid cinglant de l’hiver le heurta péniblement. Il prit alors la décision d’aller à la rencontre d’une famille et de leur faire don de vêtements chauds, de couvertures et de denrées alimentaires. La famille le remercia chaleureusement et ils finirent par tisser des liens, multipliant les rencontres, les deux parties pouvant communiquer en espagnol. Son jugement devint ainsi plus objectif au fil des semaines. Ce n’était plus la présence des squatteurs qui le gênait, mais les conditions dans lesquelles ils étaient maintenus ici, livrés à eux-mêmes, dans l’indifférence de tous. Il tint alors les décideurs politiques pour responsables de cette situation, il ne fut pas le seul d’ailleurs, d’autres riverains ont manifesté leur désarroi. Certes, l’homme en question souhaitait voir les occupants des cabanons quitter les lieux à la venue du printemps, mais dans le respect de leur dignité. C’est sans doute là un exemple manifeste de compréhension et de sagesse, dans la limite de moyens d’action de chacun.

*Au sein du pôle de recherche NCCR LIVES, Raul Burgos est doctorant, Emmanuelle Marendaz Colle est conseillère en communication, tandis que Nasser Tafferant est post-doc senior.

Lamin

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Un cycle de conférences sur le thème de la vulnérabilité dans les parcours de vie est organisé par le Pôle de recherche national LIVES et l’Institut d’études démographiques et du parcours de vie de l’Université de Genève les jeudis du 21 février au 23 mai 2013.

Ces conférences sont ouvertes au public et l’entrée libre.

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