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Pour chaque début, il y a une fin

La tristesse de la séparation

Quand le moment des adieux de mes enfants est arrivé et que les câlins ont pris fin, tout est devenu amer.  Je ne pouvais même pas lever la main pour leur dire au revoir.

 Il y a des années, je les ai embrassés et leur ai laissé mon cœur.

J’y ai laissé mes sentiments et mes souvenirs d’une belle période. Ma vie avec eux ressemble à un rêve. Le jour du départ est arrivé et j’ai dit au revoir à tout ce qui était en eux, les cœurs, la nostalgie, les larmes et l’espoir.

Le voyage du matin à l’école, les stylos à bille, les sacs à dos, le nœud dans les cheveux et les câlins me manquent.

Oh combien j’ai envie de ces moments, leur odeur, leurs émeutes, leurs sourires, le toucher de leurs joues et leurs baisers. J’ai essayé de ne pas les adorer de peur de m’attacher puis de m’éloigner d’eux mais j’ai échoué.

Je déteste les cérémonies d’adieu. Pour celles et ceux qu’on aime on ne dit pas au revoir car en fait ils restent en nous et on ne les quitte pas. Les adieux sont créés pour les étrangers et non pour les êtres chers.

Mes proches, pourquoi étiez-vous pressés de partir ? La tristesse de l’adieu ne changera pas le goût amer d’un mot ou d’un pur baiser, ou d’une chaude larme, ou d’un signe de l’échelle de l’avion.

Oh mes oiseaux migrateurs et mon rêve dispersé.

Quand ils sont partis, j’ai récupéré leurs jouets, papiers et cahiers et les ai mis dans le sac des souvenirs. Je n’occupais plus mes pensées à réviser les leçons de l’école, ni le type de frites chaudes, ni le prix du chocolat que j’avais l’habitude d’acheter pour elles. J’ai cessé de m’occuper de faire des pizzas ou des gâteaux, car aucune bouche ne le mérite après leur départ.

Et me voilà après des années à essayer d’écrire à leur sujet. Mais que puis-je écrire ?? Tous les mots seraient idiots !!

Quand le cœur éprouve la tristesse de la séparation, les gémissements se dessèchent dans la bouche, le langage engloutit ses mots et la mémoire perd ses expressions. Demain est un nouveau jour, un nouveau désir, une nouvelle tristesse et un espoir lointain.

Wael Afana

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Le silence est dangereux

Illustration: Harith Ekneligoda / rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Libérer la parole pour s’émanciper de l’oppression

En opposition à de nombreux proverbes ou phrases bibliques qui invitent au silence, déclarant qu’il est sage de se taire, aujourd’hui nous devons clamer haut et fort que le silence est aussi dangereux!

Selon Clint Smith, professeur et écrivain américain, « le silence est le résultat de la peur et peut parfois être si nocif qu’il peut causer de graves problèmes sociaux tels que l’oppression, la discrimination, la violence et même les guerres. »

Combattre la peur seul nous mène à une défaite certaine mais, lorsque nous racontons notre peur à d’autres, cette peur s’estompe.

Pendant de nombreuses années, le silence a été utilisé comme une arme de soumission : au temps de l’esclavage, les esclaves devaient garder le silence face à l’humiliation et aux mauvais traitements de leur maître. Dire quelque chose, se plaindre ou ne pas se soumettre aux ordres du maître signifiait l’immédiate violence des coups de fouet et même la mort, non seulement pour celles et ceux qui osaient rompre le silence, mais aussi pour toute leur famille.

Dans le passé, les femmes ont été victimes de soumission : elles devaient se taire face aux abus de leur mari, de leurs parents, de leurs frères ; elles devaient se taire devant la société. On pourrait dire que le silence était l’allié de la peur, de la soumission et du manque de droits des femmes, jusqu’au jour où certaines d’entre elles, dont l’histoire a retenu les noms, ont décidé de briser ce silence et d’affronter leur peur. Elles ont alors commencé à écrire, parler, raconter ce qui se passait et à revendiquer les droits qui leur revenaient en tant que membres à part entière de la société.

Des peurs qui durent longtemps et qui finissent par être destructrices

Mais ne regardons pas seulement le passé : aujourd’hui encore, combien de femmes sont maltraitées et n’osent pas dénoncer leur agresseur, situations qui se terminent régulièrement par un féminicide ? Combien de filles et de garçons sont victimes d’abus sexuels commis par leurs proches, sans oser les dénoncer ? Combien d’enfants qui subissent du harcèlement à l’école n’osent pas dire ce qui leur arrive et finissent par se suicider ?

Les personnes qui demandent l’asile, elles aussi, souffrent du silence. Elles ont déjà essayé d’échapper à des traumatismes en fuyant leur pays et se retrouvent pourtant en dépression ou en clinique psychiatrique à cause de la pression et de nombreuses injustices, discriminations, abus d’autorité, racisme… provenance parfois des autorités d’asile qui les accueillent.

Un silence qui n’est plus que peur et totale soumission permet de perpétuer les abus et les mauvais traitements. Et à la fin, tous les abus cachés à la connaissance du public remplissent une boîte à secrets appelée « Silence » dans laquelle sont conservés les larmes, les cris, la rage et la souffrance.

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils.




La vie en noir de Masha

Kristine Kostava / Voix d’Exils.

« Elle ne connaitra jamais le visage de sa mère, ni les couleurs de l’arc-en-ciel… »

Masha est une petite fille migrante aveugle que j’ai côtoyée dans un foyer de l’Établissement Vaudois d’Accueil des Migrants (EVAM). J’ai personnellement traversé beaucoup de souffrances dues à un handicap physique qui m’empêche de me déplacer normalement. J’ai souvent perdu l’espoir et le goût de vivre. Mais quand je pense à Masha, je me dis que le plus terrible, c’est de ne pas voir les gens que l’on aime et les couleurs du monde.

Quand j’ai rencontré Masha, elle avait 6 ans et habitait avec Katya, sa maman, dans un foyer EVAM. Alors que la petite avait 2 ans, des médecins ukrainiens lui ont diagnostiqué une tumeur cancéreuse à un œil qu’il fallait opérer le plus rapidement possible, faute de quoi elle perdrait la vision. Comme il n’y avait pas de chirurgiens formés pour ce type d’intervention en Ukraine, Masha devait se faire soigner à l’étranger.

C’était une période très dure. Le père de Masha avait abandonné sa femme et sa fille et les avait laissées sans ressources. Katya a alors dû vendre la maison familiale pour emmener Masha en Allemagne et payer les chirurgiens qui l’ont opérée mais qui n’ont toutefois pas réussi à sauver son œil. C’était une époque très difficile pour Katya et Masha car, entretemps, une tumeur était apparue sur l’œil sain de la petite.

Désespérée à l’idée que sa fille perde la vue, et déçue par le travail des chirurgiens allemands, Katya a décidé de la faire soigner en Suisse. Comme elle n’avait plus les moyens de payer cette nouvelle intervention, elle a posé une demande d’asile. Malheureusement, en Suisse non plus, les chirurgiens n’ont rien pu faire et Masha est devenue aveugle.

« Maman, à quoi ressemble le monde ? »

Comme nous habitions dans le même foyer, je pouvais constater à quel point la vie quotidienne de cette maman et de sa fillette était difficile et compliquée. J’entendais Masha pleurer sans arrêt. Elle était très tyrannique avec sa mère. Elle voulait qu’elle soit en permanence à ses côtés et ne parle qu’à elle, elle l’empêchait même de manger.

Elle posait aussi sans arrêt des questions :

  • Maman, de quelle couleur est le ciel ?
  • A quoi ressemble le soleil ?
  • Pourquoi je ne vois pas comme toi tu vois ?
  • Maman, à quoi ressemble le monde ?

Je voyais combien Katya souffrait pour sa fille et je sentais sa tristesse de ne pas pouvoir l’aider davantage.

Malgré les deux interventions chirurgicales destinées à enlever les tumeurs optiques, Masha n’était pas hors de danger. Elle devait encore subir une chimiothérapie pour éviter que le cancer ne se généralise. Après chaque séance, elle ne dormait pas la nuit, ne mangeait rien, pleurait sans cesse et demandait constamment de l’aide à sa maman.

Une enfance sans insouciance

Mon cœur se serrait de ne pouvoir rien faire pour la soulager et de savoir qu’elle vivait dans le noir complet. En tant que graphiste, je suis très sensible aux couleurs, aux images, au monde qui m’entoure. Chez moi, la vue est le sens qui est le plus développé et je trouve particulièrement handicapant et frustrant d’en être privé.

Ça me déprimait de penser que, contrairement aux autres enfants, Masha ne connaîtrait jamais l’insouciance de jouer librement. Qu’elle ne connaitrait jamais le visage de sa mère et les couleurs de l’arc-en-ciel, qu’elle ne pourrait pas cueillir de fleurs, compter les oiseaux et courir dans la cour. Pour elle, la beauté et le bonheur de l’enfance n’existaient pas. Elle vivait dans un abîme noir, dont la vie s’était retirée.

Chaque jour, je pleurais avec Katya, et j’étais en colère contre la vie qui se montrait si dure envers cette femme courageuse et sa petite fille. Je me posais beaucoup de questions sur l’injustice dont elles étaient les victimes, mais sans jamais trouver de réponse. Je ne voyais qu’une réalité amère contre laquelle je ne pouvais pas me battre. J’étais impuissante…

Nous avons passé un an ensemble dans le même foyer, à nous épauler, à nous encourager. Puis, nous avons changé de lieu de résidence et nous avons été séparées. De temps en temps, je reçois de leurs nouvelles. Rien n’a vraiment changé, mais Katya regarde vers l’avenir avec l’espoir qu’un jour une greffe de l’œil soit possible et permette à Masha de voir la beauté du monde!

Kristine

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




Les réponses négatives

Photo: Ahmad Mohammad / Voix d’Exils.

Comment une toute petite phrase peut voler nos rêves

Je pourrais raconter d’innombrables expériences vécues au jour le jour, les miennes et celles des autres qui d’ailleurs à la fin cessent d’être celles des autres et font partie de nous. Nous les intégrons tellement nous en arrivons à nous identifier avec nos pairs dans les mêmes conditions avec leur tristesse, leurs joies, leurs angoisses et leurs peurs.

Cet article a été écrit pour raconter une expérience marquante qui montre comment une toute petite phrase peut voler nos rêves.

Les réponses négatives – ces « NON » – que l’on reçoit la plupart du temps déguisés sous des allures compatissantes comme des mots doucereux  sont des agressions qui volent nos rêves. Lorsque vous écoutez ces mots, ils entrent en vous comme des lances acérées et pénètrent aussi loin que possible au plus profond de votre être. Ces « NON » sont des poisons qui pénètrent par vos oreilles, se nichent dans la gorge et la poitrine et forment un nœud qui étouffe l’espoir.

A ce moment-là, une mer irrépressible essaie de déborder de vos yeux. Vous essayez de la contenir, de cacher la tragédie qui vient à vous et que personne ne perçoit.

Et vous essayez de rester debout.

Mais à l’intérieur, vous sentez comment votre force s’effondre. A l’intérieur, il y a un fleuve de douleur, d’angoisse, de déception, d’oppression, qui vous met à genoux.

Et vous vous demandez si cela vaut vraiment la peine de continuer ou s’il vaut mieux s’arrêter, laisser vos rêves mourir lentement au fur et à mesure que votre vie disparaît.

Chaque disqualification que nous recevons maltraite notre être.

 Martha CAMPO

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




«La place d’une femme parfaite est au foyer de son mari ou dans sa tombe»

Crédit: voiceofdjibouti.com

Dévalorisées, excisées, soumises à leur mari, les Djiboutiennes souffrent en silence

Dans le monde patriarcal de Djibouti, petit pays situé sur la Corne de l’Afrique, le destin des femmes s’accomplit dans l’obéissance à leur mari et leur capacité à mettre au monde des enfants mâles. Faisant taire sa pudeur et sa discrétion, Sarah, Djiboutienne exilée en Belgique, a accepté d’évoquer cette douloureuse réalité pour Voix d’Exils.

Djibouti. Source: Wikipédia.org (CC BY-SA 3.0)

«La place d’une femme parfaite est au foyer de son mari ou dans sa tombe». Ce dicton, effrayant raccourci de la vie des Djiboutiennes, Sarah l’a souvent entendu citer. Pour les femmes, hors le mariage point de salut et cela jusqu’à ce que la mort libère les épouses des liens maritaux qui les condamnent à se mettre totalement au service de leur mari et de leur belle-famille.
Mariée et mère de deux jeunes enfants, Sarah connaît ce modèle de l’intérieur. Depuis la Belgique où elle a émigré, elle profite de sa liberté d’expression toute neuve pour briser le silence et dénoncer les abus et les injustices dont sont victimes ses compatriotes.

Mal aimées dès la naissance

A Djibouti, malheur aux hommes qui n’ont pas de descendance masculine. Dans une société machiste qui survalorise les garçons, les pères qui n’ont que des filles sont considérés comme des hommes sans valeur et sans pouvoir. Pour retrouver leur dignité, la société les incite à se remarier dans l’espoir que cette nouvelle union répare l’affront. Du moment que l’islam les y autorise, rares sont les hommes qui se contentent de n’avoir que des filles et ne fondent pas une nouvelle famille.
Par conséquent, les femmes n’ayant pas enfanté de garçon sont fragilisées. Elles peuvent être répudiées et en cas de décès du mari, elles n’ont aucun droit à l’héritage.

Excisées malgré l’interdiction légale

Entre 8 et 11 ans, toutes les fillettes subissent des mutilations génitales. Pratiquée par une exciseuse ou une sage-femme, cette intervention cruelle a lieu à la maison, en présence de la mère ou d’une tante. L’excision est considérée par la société djiboutienne comme une étape primordiale qui éloignera les jeunes femmes des relations sexuelles hors mariage. Il est vital qu’elles arrivent vierges au mariage, et l’excision est censée protéger leur « pureté ».
Théoriquement, les lois de l’État interdisent ces pratiques d’un autre âge qui sèment la mort et la souffrance. Mais la coutume a la vie dure et la plupart des familles s’y conforment.

Entravées dans leurs mouvements

L’éducation des filles est totalement différente de celle de leurs frères. Par exemple, elles n’ont pas l’autorisation de sortir de la maison familiale sans être accompagnées, en particulier lorsqu’elles atteignent l’âge adulte. Les parents conjurent ainsi la crainte qu’elles se fassent agresser sexuellement et perdent leur virginité. Si cela devait arriver, elles ne trouveraient pas de mari et leur famille serait déshonorée.

Empêchées dans leur scolarité

A Djibouti, l’école est obligatoire mais la position des familles face à la scolarité n’est pas la même selon le sexe des enfants. Alors que les garçons sont encouragés à faire des études, les filles apprennent rapidement que leur avenir de femme et leur réussite dépendront de leur mari et non pas de leurs études.
A leur retour de l’école, pendant que les garçons vont jouer à l’extérieur, puis rentrent faire les devoirs, les filles sont assignées aux tâches ménagères et aux soins à donner aux petits enfants de la maisonnée. Non seulement, elles n’ont pas le temps de faire leurs devoirs, mais en plus elles et se font reprocher d’avoir de moins bon résultats que leurs frères.
Si elles décident d’arrêter l’école, c’est un soulagement pour la famille, parce que les filles éduquées ne seront pas dociles. Elles risquent de prendre leur liberté et de vivre comme bon leur semble, des comportements de femmes modernes qui vont à l’encontre du rôle qui leur est dévolu dans la société traditionnelle.

Malmenées par des traditions archaïques

Même s’il faut relever que ces dix dernières années, les mentalités ont évolué dans les villes, les femmes sont cependant toujours dans l’obligation de fonder un foyer pour être respectées. Les zones rurales, en particulier, restent attachées à leurs archaïsmes. Les fillettes y sont toujours considérées comme des citoyennes de seconde zone et la naissance d’un bébé fille y est vécue comme une honte.

Des pionnières courageuses

A partir des années 2000, Djibouti a connu quelques changements grâce à la persévérance d’une poignée de femmes qui ont eu le courage et la persévérance de finir leurs études dans les années 1970 à 1990. Selon Sarah, ces pionnières ont bénéficié du soutien de leurs parents qui avaient eux-mêmes reçu une bonne éducation lors de l’époque coloniale. Le résultat c’est qu’elles occupent de nos jours des postes à responsabilités dans le monde social et politique, ce qui ne les empêche aucunement d’avoir aussi une famille.

Exilées et libérées

Alors qu’au pays les femmes n’ont, dans leur grande majorité, d’autres droits que celui de se taire, celles de la diaspora qui ne sont pas soumises à la censure s’expriment volontiers sur Facebook et sur Twitter. Vivant en Belgique, en France ou au Canada, les Djiboutiennes exilées surmontent leur pudeur héritée d’une société coutumière pour partager leurs expériences et leurs traumatismes avec leurs sœurs d’infortune. L’anonymat propre aux réseaux sociaux leur donne le courage d’aborder tous les sujets, même les plus tabous. A elle seule, cette libération de la parole démontre qu’il y a un changement possible, qu’il est nécessaire et qu’il est ardemment souhaité par les principales intéressées.

Témoignage recueilli par:

Oumalkaire

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils