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Une traversée de l’enfer jusqu’en Suisse

Coast Guard News (CC BY-NC-ND 2.0)

Coast Guard News (CC BY-NC-ND 2.0)

 Le témoignage glaçant d’un Erythréen

Je suis membre de Voix d’Exils. Je viens d’Erythrée

J’étais étudiant au collège et j’avais des bons résultats à l’école. J’avais aussi le rêve de me former dans le domaine de l’électricité. Mais je n’ai pas pu continuer mes études à cause de l’intervention des autorités qui voulaient m’obliger à entrer dans la marine militaire. Je n’avais pas d’autre choix que d’obéir. Donc j’ai décidé de quitter mon pays pour diriger ma vie moi-même.

En juin 2014, moi et mon amie sommes partis pour nous rendre en Ethiopie. A cet instant-là, on avait énormément peur car il y avait des soldats à la frontière. S’ils nous trouvaient, on savait qu’ils allaient nous enfermer en prison pour un temps indéfini. On a donc effectué notre parcours pendant la nuit pour notre sécurité. Pendant la journée, on se cachait dans des endroits peu fréquentés. On a fait comme ça et la troisième nuit, nous sommes arrivés en Ethiopie.

De l’Ethiopie au Soudan

Nous sommes restés deux semaines là-bas, puis on a décidé de partir pour le Soudan. Mais comme ce parcours est dangereux, il fallait donc chercher un passeur car il y a des malfaiteurs pendant ce voyage. On a donc cherché un passeur et on l’a payé 1600 dollars. Il n’a pas travaillé tout seul, il avait des complices avec lui. Alors lui et ses complices sont venus nous chercher en pickup et ont chargé 25 personnes dans la banquette arrière vers minuit. Comme le pickup n’était pas assez grand, on s’est assis les uns sur les autres et on s’est même assis au bord du véhicule. Nous sommes partis dans la nuit sans prendre de route. Nous sommes passés par la forêt et on avait aussi effectué notre parcours en se cachant puisqu’il y avait des malfaiteurs avec des armes qui enlevaient des gens. Quand le pickup ne pouvait pas traverser le chemin ou quand il y avait des rivières, on descendait et on les passait à pieds en s’attachant des jerricanes autour de la taille. Des personnes ont été emportées par le courant et ont disparu. C’était vraiment dangereux. Comme la route qu’on devait suivre était dans la forêt et de nuit, des personnes ont été gravement blessées aux yeux et se sont déchiré le visage. Au bout du huitième jour, nous sommes arrivés au Soudan.

Du Soudan à la Libye

Nous sommes restés deux semaines là-bas. Ensuite, nous avons continué notre parcours en Libye. Nous sommes partis grâce à un passeur Erythréen et on l’a payé 1600 dollars. Nous étions 200 personnes qui sommes parties ensemble en camion et on était chargés les uns sur les autres. Ce n’était pas possible de placer 200 personnes dans ce petit camion dans le désert sans prendre de route. De plus, il y avait trop de soleil et le camion avançait à sa vitesse maximale. On a fait cinq jours dans le Sahara soudanais. On était très fatigués, stressés et on avait aussi terriblement faim et soif par-dessus tout. Beaucoup perdaient connaissance.

Le cinquième jour, des Libyens nous ont accueillis avec six pickups. On était 30 personnes à bord de chaque véhicule. Mais, comme ils n’étaient pas assez grands, ils ont décidé de jeter toutes nos affaires (nourriture, eau habits) en dehors.

C’est le plus mauvais souvenir de ma vie, car huit jours plus tard, sur 200 personnes on était plus que 160. Deux pickups ont eu un accident à cause des chauffeurs drogués qui roulaient trop vite. Ils se sont renversés et des gens ont été écrasés. D’autres sont morts de faim et de soif.

On a vécu deux mois en Libye dans un endroit fermé en ne mangeant qu’une fois par jour, on avait donc vraiment faim. De plus, les Libyens nous traitaient de manière très brutaleme et nous battaient. C’était surtout les femmes qui souffraient le plus, car elles étaient souvent violées. Des personnes étaient aussi enlevées et vendues à d’autres passeurs Libyens. C’était très difficile à tolérer. On a payé 2200 dollars pour traverser la mer méditerranée. Nous avons été chargés sur un bateau en plastique prévu pour 150 personnes alors que nous étions 500.

De la Libye à la Suisse

Le bateau était donc beaucoup trop petit pour le nombre de personnes que nous étions. On était vraiment en danger, mais on n’a rien fait et on est quand même partis. On avait très peur parce qu’on sentait le danger. Après cinq heures de voyage en mer, le bateau a commencé à se déchirer. A cet instant-là, la seule chose qu’on pouvait faire c’était de découper des bouteilles en plastique pour rejeter l’eau en dehors du bateau. On était tous découragés très inquiets et on commençait à couler. Soudain, un bateau italien est venu nous secourir et a remorqué notre bateau. Après sept heures, on a été sauvés et nous sommes enfin arrivés en Italie. Puis, avec mon amie, nous nous sommes rendus en Suisse. On est aujourd’hui rassurés et on habite en sécurité avec notre fils qui est né ici.

B.N.

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




Le tragique « Rêve d’Olympe» de Samia Yusuf Omar

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles. Page de couverture.

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles. Page de couverture.

Ou lorsqu’un rêve se fracasse sur les récifs de la réalité

Alors que les médias de monde entiers s’agglutinent à Rio pour suivre d’au plus près les Jeux olympiques (JO), Voix d’Exils a choisi de mettre le projecteur sur une bande dessinée qui vient de paraître et qui relate du destin tragique – et malheureusement réel – de Samia Yusuf Omar, une jeune athlète Somalienne, qui périt en mer alors qu’elle tentait de se rendre aux derniers jeux Olympiques de 2012 à Londres. L’histoire de Samia a pu être reconstituée sur la base des nombreuses publications qu’elle a posté sur sa page Facebook à l’intention de sa famille et de ses amis restés au pays durant son périple.

Cela fait à présent quatre jours que les jeux Olympiques 2016 ont débutés. Les athlètes du monde entier affluent à Rio pour se surpasser. Mais il y en a aussi un certain nombre qui n’y arriveront jamais, l’instar des précédents JO de Londres en 2012 lors desquels une athlète n’a pas pu disputer « son épreuve ». Non pas pour un retard de vol, un problème de dopage ou de claquage musculaire, mais en raison de sa quête de liberté qui lui a été fatale.

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles p.25

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles p.25

Le rêve d’une adolescente sportive

L’histoire relatée dans « Rêves d’Olympe » nous projette dans les jeux Olympiques de Pékin de 2008. La jeune coureuse Samia Yusuf Omar, alors âgée de 17 ans, représente son pays – la Somalie – aux épreuves éliminatoires du 200 mètres féminin. Bien qu’elle n’arrive qu’en dernière place de la course, elle bat néanmoins son propre record ce qui lui vaut des généreuses ovations du public. De retour en Somalie, sa famille et ses amis viennent l’accueillir à l’aéroport de Mogadiscio comme une vraie championne et font la fête jusque tard la nuit. Ce soir-là, elle retrouve ses copines et elles parlent de sujets et d’autres mais aussi du futur. C’est alors que Samia se met pour la première fois à rêver des Jeux Olympiques de Londres de 2012.

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles p.22

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles p.22

Braver les interdits

Ce qu’elle venait de vivre à Pékin la remplissait de courage, voyant son échec comme une motivation supplémentaire pour s’entrainer encore plus dur pour se dépasser. Or, dans les pays musulmans où l’on pratique la Charia – ce qui est le cas de la Somalie – s’entrainer correctement est impossible car les Al-Shabbaab – les fondamentalistes musulmans – n’autorisent pas les femmes pratiquer des activités sportives. Bon gré malgré, elle décide de faire fi de ces règles liberticides et c’est alors que Samia se retrouve à jouer cache-cache avec des miliciens d’Al-Shebbaab qui patrouillent dans les rues de Mogadiscio avec la peur au ventre, ne sachant si elle rentrerait vivante à la maison. Malgré les interdits et les menaces de mort qu’elle reçoit sur son portable, Samia multiplie les entrainements sur une piste truffée de mini-cratères creusés par les bombes et réussit à améliorer son temps sur le 200 mètres.

Un beau jour, un membre du ministère du sport lui propose de représenter la Somalie aux Jeux Olympiques de Londres sans passer par la qualification et de rejoindre ainsi directement l’équipe nationale qui se trouve à Addis Abeba, la capital de l’Ethiopie. Tante Mariam vient la chercher à l’aéroport.

A l’entrainement avec l’équipe nationale, la jeune femme était loin d’être dans sa meilleure forme physique pour les JO de l’avis de son entraineur. De plus, en Somalie, il faut les bons appuis pour évoluer…Son autorisation n’est alors pas reconduite et les autorités Ethiopiennes refusent de prolonger la validité de ses papiers.

Le commencement d’une périlleuse odyssée

C’est alors que débute son calvaire clandestin. Nous sommes au mois de juillet 2011 et il ne reste qu’un an avant le début des JO de Londres. La jeune femme, alors à peine âgée de 20 ans, décide de s’aventurer sur la route périlleuse de l’immigration clandestine pour rejoindre l’Europe. Elle quitte Addis Abeba en bus avec sa tante Mariam qui se joint à elle dans son périple. Arrivées à la frontière, elles se font déjà arrêter par la police faute de papiers valables. Mais Samia parvient néanmoins à s’échapper alors que sa tante est renvoyée à Addis Abeba.

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles p.55

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles p.55

Samia arrive donc seule au rendez-vous du passeur. Ce dernier est un horrible personnage arrogant qui lui demande d’aller rejoindre le groupe assis par terre dans l’attente de recevoir ses ordres. Après une demi-journée de marche dans le désert sous un soleil de plomb, le groupe rejoint un camion qui ressemble à une espèce de container à marchandise qui est surchargé de voyageurs assoiffés et affamés et qui les conduit jusqu’à Khartoum, la capitale du Soudan. Elle passe plusieurs jours à Khartoum dans un camp et, avec l’aide de membres de sa communauté sur place, elle trouve un autre passeur. Ce dernier leur annonce qu’il y a un véhicule qui partira pour Tripoli, la capital de la Lybie. Sur la route, ils se font braquer et dépouiller de tous leurs biens et, pour s’en sortir, elle doit  s’acquitter d’une somme conséquente. Elle demande alors l’aide de sa sœur qui vit en Finlande et qui lui achemine l’argent par le biais d’une agence. En échange, elle promet de la rembourser une fois installée en Europe.

Illustration: Georgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Illustration: Georgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

La route de tous les dangers

A peine sortie de prison, elle entame une longue marche. La jeune athlète arrive dans un camp de réfugiés situé dans la capitale libyenne Tripoli où elle rencontre des membres de sa communauté. Les jeux olympiques sont dans 6 mois, il lui faut se dépêcher d’arriver en Europe. La première tentative de traversée par bateau en Italie échoue. Dans la nuit, ils se font arrêter par les garde-côtes libyens et Samia est renvoyée en prison. A sa sortie, elle retourne au camp où elle se trouvait au départ et, dans la nuit, elle entend une voix l’appeler « Samia »… « Samia » ! Et là, ce fut un moment de joie extraordinaire car c’était tante Miriam qui l’avait retrouvée par hasard. Toutes les deux allèrent trouver le passeur qui leur demande une somme exorbitante qu’elle doit recevoir encore de sa sœur de Finlande pour financer le voyage.

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles p.108

« Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles p.108

Cette nuit-là le calme règne dans le camp et, soudain, retentit l’appel. C’est l’heure de se rendre sur la plage mais le bateau pneumatique à moteur est trop petit pour le nombre de voyageurs, et plusieurs personnes refusent d’embarquer. Or, plus moyens de faire marche arrière! Les passeurs sont nerveux avec leurs armes à la main et ils les obligent coûte que coûte à monter dans l’embarcation dans laquelle se trouvaient des hommes, des femmes et aussi des enfants. L’histoire nous dit que personne n’arriva jamais en Italie.

Rendons hommage à Samia Yusuf Omar, à sa tante Miriam, à toutes les personnes qui se trouvaient dans ce bateau qui a chaviré, mais aussi aux 3000 migrants qui, en quête d’une vie meilleure, se sont noyés en Méditerranée depuis janvier 2016.

 Niangu Nginamau

 Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Une équipe composée d’athlètes réfugiés participe aux Jeux olympique de Rio

Peut-être que le périple tragique de Yusuf Omar a inspiré le Comité International Olympique qui a formé, pour la première fois, une délégation spéciale regroupant une dizaine d’athlètes frappés par la crise mondiale des réfugiés pour participer aux jeux de Rio 2016. Cette équipe internationale, portant le drapeau Olympique, contribue à faire reconnaître la problématique de la migration forcée comme un fléau d’envergure mondial qui n’est que l’expression de l’instabilité du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Un problème global qui nécessite de toute urgence une réponse coordonnée de l’ensemble de la communauté internationale!

N.N.

Infos

Source : « Rêve d’Olympe » de Reinhard Kleist paru en juin 2016 aux éditions : La Boîte à Bulles

Pour commander « Rêve d’Olympe » cliquer ici

 




Il échappe à Daesh mais pas au SEM

Said. Photo: rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Said. Photo: rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Témoignage saisissant de Saïd ⃰, un jeune Erythréen qui raconte son périple jusqu’en Suisse. Emprisonné dans son pays pour avoir déserté l’armée, il s’enfuit et gagne la Libye. Traité comme du bétail par les passeurs qui lui promettent la traversée de la Méditerranée, il croise le chemin des troupes de Daech. Il leur échappera de justesse et continuera sa route jusqu’en Suisse où il espère enfin trouver la paix. Ses espoirs seront vite déçus : le SEM (Secrétariat d’Etat aux migrations) prononce à son encontre une décision de non entrée en matière.

Voix d’Exils (VE): Voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Saïd : Je suis né en septembre 1993 à Asmara, en Érythrée, où vivent encore deux de mes frères ; le troisième est au Soudan. J’ai une sœur, également requérante d’asile,  qui vit à Saint-Gall ; Ma mère est en Israël et mon père est militaire en Erythrée.

VE: Quand est-ce que vous avez quitté votre pays? Et pourquoi l’avez-vous fait?

Saïd : En Erythrée, le service militaire est obligatoire. En 2011, j’ai été appelé. Comme j’avais eu un accident et reçu une balle dans la main gauche, je pensais que je serais dispensé. Mais ils m’ont retenu et j’ai dû continuer jusqu’à la fin. Après cela, j’ai été affecté à un régiment du renseignement militaire. Une semaine après, j’ai quitté mon poste et je suis rentré chez moi. Les autorités se sont mises à ma recherche. J’ai essayé de m’enfuir en traversant la frontière avec l’Ethiopie, mais j’ai été vite rattrapé et jeté en prison. C’est là-bas que j’ai rencontré ma femme. Dès que je suis sorti de prison, j’ai essayé à nouveau de quitter le pays et cette fois-ci j’ai réussi en passant par la frontière soudanaise.

VE: Comment s’est déroulé votre périple ?

Saïd : Je suis parti seul ; ma femme m’a rejoint plus tard au Soudan. A ce moment-là, elle était déjà enceinte. En compagnie de neuf amis d’enfance, nous avons traversé la frontière libyenne sans aucun problème jusqu’à Ajdabiya, une ville contrôlée par les trafiquants qui vous retiennent en otage jusqu’au paiement des frais de traversée de la mer. Ma femme n’ayant pas assez d’argent pour continuer le voyage, ils ont décidé de nous séparer. Ils m’ont envoyé vers un lieu où étaient regroupés ceux qui s’étaient déjà acquittés de leurs frais. Mes nuits se sont alors peuplées de cauchemars et de toutes sortes de frayeurs. Au mois de mars 2015, à Tripoli, un certain Monsieur Aman nous a conduits chez lui, nous informant qu’il y avait un groupe de personnes prêtes à faire le voyage en mer. Comme je n’avais aucune nouvelle de ma femme, j’ai refusé d’embarquer. Après un mois environ, j’ai pu la joindre. Nous sommes alors partis dans le même bateau pour l’Italie. Après deux jours, nous avons continué notre voyage pour la Suisse.

VE: Avez-vous été retenu par Daesh⃰⃰  ⃰  en Libye?

Saïd: Je n’ai pas été capturé personnellement par les terroristes. Mais le lendemain de mon arrivée à Ajdabiya, les trafiquants, profitant de notre détresse, nous (138 personnes) ont entassés dans de gros containeurs sur des camions remorques. Ils ont d’abord fait entrer les femmes en rangs bien serrés et, enfin, les hommes, en nous obligeant à rester debout. Il n’y avait ni eau ni nourriture ; certains ont perdu connaissance à cause du manque d’air. Nous avons crié pour faire arrêter le camion mais en vain. A environ trois heures du matin, ils ont décidé de nous transborder du camion vers des véhicules plus petits. Au bout d’un certain temps, nous sommes arrivés à une route montant sur une colline au bas de laquelle, nous ne l’avions pas remarqué, la route était bloquée par Daesh. Nous descendions, lorsque soudain, des coups de feu éclatèrent, accompagnés de cris nous intimant l’ordre de nous arrêter. Les véhicules étant lancés à toute vitesse, ils ne pouvaient plus s’arrêter. Nous avons essuyé des tirs ; certains d’entre nous furent blessés. Soudain, notre voiture s’est arrêtée, j’ai sauté dehors avec quatre autres compagnons et nous avons couru aussi vite qu’on pouvait. Tout le monde criait et pleurait ; notre voiture a explosé sous un tir de roquette en une boule de feu gigantesque. Caché derrière de gros rochers sur le sommet de la colline, j’ai essayé de voir ce qui se passait mais je n’entendais que les cris « Allahou Akbar, Allahou Akbar » des terroristes. Tous les véhicules étaient en flammes. Ce souvenir reste encore vivant dans mon esprit et continue à me hanter. J’étais sûr que j’allais mourir là-bas.

VE: Comment avez-vous échappé aux griffes de l’EI ⃰  ⃰  ⃰ ?

Saïd: Nous n’étions que quatre survivants et les terroristes n’ont pas tardé à se mettre à notre recherche à l’aide de lampes torches. Finalement, ils sont retournés à leurs voitures et sont partis en nous laissant sous le choc. Vite ressaisis, nous avons poursuivi notre course dans le sens opposé à celui pris par les terroristes de l’EI. Le lendemain, nous avons rencontré des fermiers ; Lorsque leur patron est venu, il nous a donné à boire et à manger. Nous sommes restés trois jours chez lui et nous avons pu joindre Tripoli en taxi avec son frère.

VE: Qu’arrivait-il à ceux qui se faisaient prendre par Daesh ?

Saïd: Ceux qui ont eu le malheur de se faire prendre m’ont raconté les sévices qu’ils ont subis. Au début, il y avait un grand nombre de prisonniers aux mains de l’Etat islamique. L’un des geôliers a commencé à marquer certains avec des signes sur le bras. Il a pris ceux qu’il n’avait pas marqués et a laissé les autres. Il y avait deux frères parmi ces victimes de l’EI, qui étaient mes amis. Un a été marqué et l’autre non. Ceux qui n’avaient pas été marqués étaient très jeunes et subissaient un endoctrinement intensif de Daesh (changement de nom, apprentissage du coran, entrainement à la décapitation,…). Un jour, ils ont décapité le groupe dans lequel se trouvait le frère qui avait été marqué. L’autre frère ne pouvait pas pleurer ni montrer son chagrin devant ses geôliers. Il a fait comme s’il n’était pas du tout affecté par l’exécution de son propre frère. Bien sûr, la nuit, aucun d’entre eux ne pouvait s’empêcher de laisser sortir sa peine en pleurant. Cependant, le fait d’avoir apparemment accepté leur sort leur a fait gagner la confiance de leurs bourreaux et une certaine liberté de mouvement. Dès que la chance s’est montrée, ils se sont échappés. Malgré les moyens que les terroristes ont déployés pour les capturer, ils ont pu s’éloigner. La décapitation du frère de mon ami et de ses compagnons d’infortune s’est passée le 7 mars 2015.

VE: À l’issue de ce périple de tous les dangers, quels sont vos sentiments?

Saïd: La seule chose que je souhaite dire c’est que ma femme a accouché, il y a de cela cinq mois. Mais notre demande d’asile, à tous les trois, a été rejetée. J’ai fait tout ce chemin, bravant tous les dangers, dans l’espoir qu’en arrivant en Suisse notre enfant puisse avoir une vie moins tumultueuse que la nôtre. Hélas, jusqu’ici, on ne m’a même pas donné la chance de dire ce que j’ai vécu. J’étais au centre d’enregistrement de Bâle et pendant la première interview on ne m’a questionné que sur le moment où j’ai quitté mon pays, sur les routes que j’ai empruntées et sur les circonstances de mon arrivée en Suisse. Je n’ai pas eu l’opportunité d’exposer les conditions qui m’ont poussé à quitter mon pays. Je voudrais profiter de cette tribune pour dire que j’ai réellement besoin d’être aidé car nous souffrons énormément. Au moment où je vous parle, ma femme et moi avons un statut de NEM (Non Entrée en Matière).

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils ⃰ Nom d’emprunt ⃰⃰  ⃰ l’Etat Islamique en arabe ⃰  ⃰  ⃰ Acronyme de l’Etat Islamique




Un défilé de mode haut en couleurs au Botza

Photo: David Crittin, Voix d'Exils

Photo: David Crittin, Voix d’Exils.

Le 11 juin 2013 fut une journée spéciale pour la communauté du Botza, le principal centre de formation et d’occupation du Valais. Le bruit habituel des outils et des machines a cessé pour laisser la place à d’autres sons comme de la musique, des rires et le claquement des talons hauts: c’était le jour de la mode.

Les femmes qui ont participé aux ateliers de couture de Rarogne, Ardon, Martigny et Saint-Gingolph

Photo: David Crittin, Voix d'Exils.

Photo: David Crittin, Voix d’Exils.

étaient fières de présenter leurs productions lors d’un véritable défilé. Pour une journée – leur journée – elles ont toutes été transformées en top modèles, avec de lumineux maquillages, des coiffures sophistiquées et des robes incroyables.

Les origines de ces femmes, qui viennent de pays tels que la Somalie, l’Erythrée, le Sri Lanka, le Nigeria, le Soudan, la Russie, le Kosovo, la Turquie et le Tibet ont donné une diversité unique aux œuvres présentées. Par ailleurs, une petite fille et deux mannequins hommes ont pris part au spectacle et ont reçu, plus particulièrement la petite fille, bien sûr, de grands applaudissements.

Le programme était un enchantement autant pour les tops modèles d’un jour que pour le public. «C’était merveilleux de voir ces costumes et le style des femmes qui défilaient sur le podium», a déclaré un spectateur érythréen. Un autre observateur provenant du Gabon s’est exclamé: «je voudrais voir un événement aussi surprenant encore et encore ! Cela m’a fait plaisir et je me suis souvenu des robes traditionnelles de mon pays. »

Photo: David Crittin, Voix d'Exils.

Photo: David Crittin, Voix d’Exils.

De même, deux travailleuses sociales, Marylin Duc et Sarah Kesteloot, ont déclaré que le spectacle était une bonne initiative et un moyen d’intégrer les gens dans la société.
Victoria, un modèle nigérian, a souligné que «depuis toute jeune, j’avais le souhait de travailler dans la mode. Étonnamment, mon rêve a commencé à devenir réalité aujourd’hui. C’est la première fois que je faisais face au public dans un défilé de mode et, pourtant, je crois avoir réalisé une bonne performance. J’ai surtout appris que j’avais encore une vie en attendant le résultat de ma procédure de demande d’asile. Je suis vraiment heureuse de cela. »

La top modèle érythréenne Ayesha nous a fièrement dit que: «C’était très stimulant. J’ai passé un bon moment. Je n’oublierai jamais cet événement et le sentiment que j’ai ressenti pendant la manifestation. » Selamawit, une autre top model  érythréenne, a confié que: «C’était une première et cela a changé quelque chose en moi. Je suis maintenant plus confiante et la couture va être mon hobby. Ce fut une bonne expérience pour moi. »

Tous les mannequins d’un jour ont réalisé leurs robes lors des cours de formation dans les ateliers de

Photo: David Crittin, Voix d'Exils.

Photo: David Crittin, Voix d’Exils.

couture. Les styles et les inspirations sont très variés: certaines robes étaient absolument modernes et le public a eu le plaisir d’apprécier des robes traditionnelles africaines ainsi que tibétaines.

Cette journée spéciale laissera une impression lumineuse derrière elle. Vous vous demandez peut-être quand aura lieu le prochain défilé? Si c’est le cas, vous devrez être patient car la réponse est : en 2015 seulement! Le temps nécessaire pour les couturières de renouveler leurs inspirations.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Édito. Monde civilisé ? Du n’importe quoi !

l’Édito est une nouvelle rubrique qui fait aujourd’hui son apparition dans Voix d’Exils.

On vit dans un monde où les pays dits « civilisés » dictent ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Ils nous dictent aussi ce qui est politiquement correct de dire/faire et même de penser en société et au nom de leur civilisation. Dans ce monde on assassine même en direct des prisonniers de guerre et on sourit quand on voit ces choses horribles.

Le monde civilisé est champion de la politique deux poids deux mesures. Capable de diaboliser Mugabe du Zimbabwe. De chasser Gbagbo de la Côte d’ivoire et de l’incarcérer à la Haye. D’organiser l’assassinat de Kadhafi en direct et en mondovision. Pour quelles raisons? Au nom de la démocratie? De la civilisation? Au nom d’intérêts économiques inavoués ? Allez savoir.

Ce qui est sûr, c’est que les réels motifs de ces acharnements n’ont rien à voir avec l’envie des pays civilisés de restaurer la démocratie et le bien-être dans ces pays. Sinon, comment expliquer que les dictateurs les plus féroces et les plus sanguinaires comme Paul Biya du Cameroun, Teodoro Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale, Sassou Nguesso du Congo, Joseph Kabila de la République Démocratique du Congo, continuent à séjourner en Occident et sont reçus en grandes pompes par les pays dits « civilisés » et sans la moindre gêne? « On va vous aider avec une coopération policière ». Propos de Michèle Alliot-Marie, alors ministre français des Affaires étrangères, tenus pendant que le printemps arabe battait son plein en Tunisie et que les morts se comptaient par dizaines déjà. Cela avait montré aux yeux du monde entier une insensibilité incroyable de ce pays dit « civilisé ». Le dictateur Ben Ali était un « ami » (leur ami). Réveillez-vous ! Le monde est déjà un enfer ou des humains dansent autour des cadavres et où des gens se considérant comme « civilisés » fêtent avec un grand sourire la mort. Pourquoi ferment-ils les yeux sur ce qui se passe dans les autres pays comme le Gabon, l’Ethiopie, l’Erythrée, la Guinée équatoriale, le Maroc, le Swaziland, la République centrafricaine, l’Ouganda, le Soudan, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, le Congo, le Burkina Faso ou le Togo? Et pourtant, nombre de ces régimes dictatoriaux (en Afrique, au Moyen-Orient, au Sri Lanka, à Cuba…) pourraient être renversés sans difficultés majeures si les occidentaux (monde civilisé) fournissaient les moyens adéquats comme la mise en place de sanctions diplomatiques, politiques et économiques contre ces dictatures ; grâce auxquelles les populations et les institutions indépendantes pourraient, au nom de la démocratie, restreindre les sources de pouvoir des dirigeants en place et, ainsi, endiguer leur nuisance. Ce qui n’est pas le cas. Pourquoi ?

Il y a vingt ans, la jeunesse africaine de la plupart des pays susmentionnés était déjà descendue dans la rue pour manifester son exaspération contre les dictateurs. Malheureusement, à l’époque, cette jeunesse africaine connaissait moins de succès. En fait, la jeunesse africaine avait été sacrifiée sur l’autel de la « realpolitik », autrement dit, par le cynisme des Occidentaux (le monde civilisé) en terre africaine. Les despotes africains, ayant eu plus de soutiens de la part des pays occidentaux (le monde civilisé) qui défendirent dans les années 90 leurs intérêts impérialistes, y compris à coups d’interventions militaires. Ils se sont offerts le luxe de ne pas céder à la pression de la rue. En lieu et place, il y a eu des milliers de meurtres perpétrés en plein jour par des forces armées.

On a organisé des conférences nationales dites souveraines par ici, composées des gouvernements de transition démocratique par là. Malgré tout cela, le changement espéré est demeuré une utopie. Pire, lorsque les tensions ont baissé, les dictateurs sont revenus au-devant de la scène, en force. Certains sont même morts de vieillesse au pouvoir comme Omar Bongo Ondimba du Gabon après… 42 années de règne sans partage ou encore Gnassingbé Eyadema du Togo après… 38 années de dictature. Et ils se sont faits remplacer à la tête de ces Républiques par leurs fils avec la bienveillance et la bénédiction des pays dits civilisés !

Ces régimes sont notoirement imperméables au changement, à l’alternance et ils répriment lourdement la dissidence. La corruption (y compris le détournement de l’argent du fond mondial destiné aux interventions contre la pauvreté et les maladies) et les atteintes massives aux droits humains sont le lot quotidien de millions de citoyens dans ces pays qui sont à la peine économiquement et qui, pourtant, recèlent d’immenses richesses naturelles, comme des gisements de diamants, de pétrole, d’or, ou la culture du cacao, du café etc. En parlant de la corruption, elle est si répandue que les conditions de vie dans ces pays, pour la majorité de la population, sont révoltantes. Le prix abordable des produits de première nécessité, l’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux services de santé, de l’éducation, à l’emploi et à la sécurité sont de véritables gageures.

Face à ça, l’extravagance du train de vie de la classe dirigeante. Par exemple, le dictateur Paul Barthelemy Biya Bi Mvondo du Cameroun vit trois quarts de l’année à l’Hôtel InterContinental de Genève en Suisse, l’un des hôtels les plus chers du monde. Les ressortissants camerounais établis en Europe organisent d’ailleurs régulièrement des marches de protestation devant cet hôtel. La facture exorbitante que dégage ses séjours prolongés là-bas (plusieurs millions de francs suisses par… mois) est bien entendu assurée par le contribuable camerounais. Rien que ça. Il n’est ni Kadhafi, ni Gbagbo. Il n’a pas tenu tête aux Occidentaux (monde civilisé). On ferme les yeux tant qu’il protège nos intérêts en Afrique. On s’en fout, même s’il massacre les siens.

Monde civilisé ? Du n’importe quoi !

Edito signé :

Fbradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils