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Où est notre maison ?

Harith Ekneligoda / rédaction valaisanne de Voix d’Exils

L’exil comme recherche d’un chez-soi

Des milliers de personnes désespérées face aux destructions causées par la guerre sont obligées de quitter leur terre, leurs souvenirs et de laisser toute leur vie derrière elles.

Quand on voit tant de personnes abandonner leurs souvenirs d’enfance aux quatre coins de leur Terre ou laisser derrière elles leurs premiers amours et amis, on ne peut s’empêcher de se demander où elles vont pouvoir trouver leur nouvelle maison.

Avant de trouver une réponse à cette question, nous devons nous en poser une autre : qu’est-ce qu’une maison pour nous ?

Est-ce que un endroit avec des murs, des rideaux ou des meubles est une maison? Que signifient pour nous les quatre murs dans lesquels nous inscrivons nos joies et nos peines? Ou faut-il plutôt dire que nos maisons sont notre zone protégée, le lieu où nous nous sentons en sécurité et à l’aise, et que nous considérons comme un refuge pour nous reposer lorsque nous sommes fatigués ?

Au cœur de la vie en exil, chaque question porte un sens profond, parce que l’exil est un état de recherche d’un « chez-soi ».

Une cassure spirituelle

Là où elles arrivent, ces milliers de personnes qui ont quitté leur foyer et leur pays pour différentes raisons, et laissé derrière elles les périodes les plus importantes de leur vie, essaient de se construire une nouvelle vie. Cette grande lutte conduit à un profond fossé spirituel entre leurs deux vies.

Cette cassure spirituelle amène de grands traumatismes. Les exilé.e.s doivent parcourir des chemins difficiles, surmonter les traumatismes de la guerre, de la destruction et de la persécution et trouver la force de prendre un nouveau départ.

Arrivé.e.s dans un nouveau lieu, ils et elles pensent tout d’abord que les difficultés sont dépassées et qu’une nouvelle vie va pouvoir commencer. Mais, avec le temps, il devient de plus en plus clair que la vérité ne ressemble pas à ça. C’est à ce moment-là que commencent des défis différents et plus complexes.

Lorsque les personnes exilées ont surmonté, d’une manière ou d’une autre, les obstacles majeurs et qu’elles arrivent dans un pays où elles se sentent en sécurité, la plus grande difficulté qui les attend est le processus d’obtention d’un permis de séjour. Dans ce processus, elles sont confrontées à une société différente, à une langue étrangère et ont du mal à satisfaire même leurs besoins de base. Elles doivent lutter contre des difficultés économiques tout en affrontant une grande solitude. Durant cette période, elles ne peuvent pas créer leur propre équilibre émotionnel et se sentent toujours comme si elles étaient dans le vide.

La maison symbolique

L’une des personnes qui s’est exprimée avec le plus de force sur cette question est le réalisateur grec Theo Angelopoulos, qui a souvent mis en scène dans ses films des travailleurs, des immigrés, des exilés et des frontaliers. Il a évoqué le concept de maison pour les personnes migrantes dans une interview : « Les héros sont à la recherche de la maison symbolique dans leur tête. Je me concentre sur le concept de chez-soi car les gens ont constamment besoin de voyager. Ils pensent qu’en se déplaçant, ils atteindront le concept de chez-soi dans leur esprit, même pour un instant. Ce qu’ils recherchent, c’est un lieu où s’établissent des équilibres entre eux et le monde. Cet équilibre est assez difficile à atteindre… de plus, il est très rare… » et il ajoute : « Personnellement, je n’ai pas trouvé ma maison, c’est-à-dire l’endroit où je peux vivre en harmonie avec moi-même et avec le monde ».

Ainsi, pour le célèbre réalisateur, le domicile d’une personne est le lieu où s’établit un équilibre émotionnel entre la vie et la survie. Il me semble que c’est la définition la plus juste du « chez soi ». En même temps, cela nous a fait réaliser une fois de plus combien il est difficile de trouver notre « maison », c’est-à-dire de trouver cet équilibre entre nous et le monde en raison de la fragmentation émotionnelle provoquée par la migration. Mais, bien sûr, le désir de chercher son chez-soi et l’effort pour le retrouver continuent de nous animer. Ce désir et cet effort sont très précieux pour nous les personnes migrantes.

Esra Sheherli

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Quand la glace va-t-elle fondre ?

Photo: Aaron Burden / unsplash.com

Le défi de Wael Afana

Longtemps, j’ai hésité à parler de mon expérience personnelle d’immigration en Suisse, pensant que beaucoup d’autres personnes pourraient prendre la parole avant moi, avec une histoire peut-être plus profonde et plus utile que la mienne. Cependant, j’ai toujours, au fond de moi, une voix qui me pousse à parler. Quelque chose revient chaque nuit, me rend visite avant que je ferme les yeux et me dit : « Pourquoi pas » ?

Alors, ce soir, avant de m’endormir, j’ai décidé de parler de mon expérience personnelle en Suisse.

Je suis arrivé en Suisse par une nuit d’hiver très froide. Un avion géant m’a transporté sur des milliers de kilomètres. A chaque heure qui passait dans cet avion, je regardais par le hublot et je me demandais : « Qu’est-ce que tu fais ! Es-tu fou? Tu avais une vie acceptable avec ta famille ! »

Malgré cela, il me manquait quelque chose que j’ai toujours recherché dans le visage des gens. J’ai toujours senti que je devais changer de vie. J’ai résisté farouchement à cette idée mais j’ai échoué parce que j’ai fini par écouter cette voix en moi qui me disait de quitter mon pays d’origine.

Je me suis procuré les papiers nécessaires, mon visa, même si j’étais très réticent à franchir cette étape !

Je me souviens de ma première nuit passée à Zurich dans un appartement avec vue sur le centre-ville. Les rues étaient animées et, au lieu de sortir pour découvrir la ville, je suis tombé sur mon lit en frissonnant. J’étais envahi par un étrange et profond sentiment de dépaysement, de solitude et de peur.

Huit mois se sont écoulés dans un camp de réfugiés et, finalement, j’ai été transféré dans une petite maison au centre d’une petite ville. J’ai alors commencé  à chercher un emploi. Malheureusement, j’ai rencontré un gros obstacle avec cette langue française bien compliquée ! De plus, pour convaincre un employeur de m’engager, il faut lui présenter un bon CV avec une attestation d’expérience professionnelle… Comment puis-je obtenir un tel certificat alors que cela ne fait pas plus de trois mois que j’ai quitté le camp de réfugiés ?

Je ne me suis pas découragé et j’ai frappé à toutes les portes. Mais malgré l’amélioration progressive de ma méthode de recherche d’emploi, je rentrais toujours chez moi sans résultat à la fin de chaque journée.

Je me souviens d’une nuit froide où tout était recouvert de neige et où la température était en dessous de zéro. Cette nuit-là, mes soucis et mes pensées se bousculaient. Je suis sorti me promener sans but dans la neige. Je me suis retrouvé à pleurer et à me parler à moi-même : « Que dois-je faire ? Quelle est la solution ? Comment puis-je trouver le chemin ? ».

J’ai trouvé un soulagement en me lançant ce défi : « Tôt ou tard, je réussirai ! »

Je sors de chez moi tous les jours, marchant dans les rues, regardant les arbres. Je me sens parfois brisé, désespéré et misérable… Mais je ne perds pas confiance en moi !

Je regarde celles et ceux qui courent à leur travail le matin, des ouvriers, des femmes et des adolescents. Je les regarde tristement parce que je n’ai pas ma place parmi eux. Cependant, en attendant, je leur souhaite bonne chance.

Je n’oublie pas la persévérance et le soutien de ma famille et de ma femme.

Je me souviens de la souffrance d’être éloigné de ma grande famille et du chagrin de ne les voir que de temps en temps. Je me souviens de ma confusion lorsque j’étais perdu parmi les métros, les trains et les gares routières.

Mes nouveaux amis, frères et sœurs immigrants… ne soyez pas en colère et ne désespérez pas. Essayez chaque jour et chaque nuit. Essayez mille fois et plus. Frappez à toutes les portes !

Ce n’est pas une honte de faiblir, de pleurer, de désespérer et de douter. Ne cédez pas sous la pression de la douleur et de l’adversité. Votre succès est peut-être à quelques pas.

Wael Afana

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




S’intégrer par le bénévolat

Notre rédactrice Anahit, avec la petite chienne Théa sur les genoux, en compagnie de Josiane quelle a rencontrée dans le cadre de son activité de bénévole à la ludothèque d’Orbe (VD).

« A la ludothèque d’Orbe j’ai fait la connaissance de personnes qui m’accompagnent dans mon chemin d’intégration »

Anahit a dû quitter l’Arménie dans l’urgence, en laissant derrière elle une partie de sa famille et un pays qu’elle aimait. Arrivée en Suisse en 2012, elle a progressivement surmonté les difficultés liées à l’exil et à l’adaptation à une nouvelle culture. Souhaitant être active dans la vie locale, et donner de son temps à sa ville d’adoption, elle est devenue bénévole à la ludothèque d’Orbe, une commune qui se trouve dans le Canton de Vaud. Une activité enrichissante qui lui a permis d’élargir son horizon.

« C’était l’automne 2012. L’automne le plus triste de ma vie. J’avais laissé derrière moi mes parents, mon travail, ma patrie l’Arménie, mes amis et surtout mes deux garçons de neuf et treize ans. J’étais sûre que ce départ n’était que provisoire, mais la suite a démontré le contraire.

Avec mon mari, on est partis dans l’urgence parce qu’il était en danger. Sur la route de l’exil, je repensais à mes parents, à mes enfants qui étaient si loin et je pleurais de toutes les larmes de mon corps. Il me semblait que ma vie s’était arrêtée. Après quelques jours très difficiles pendant lesquels on a traversé différents pays en avion et en voiture, on est arrivés en Suisse, un pays que je considérais comme un paradis inaccessible…

Au début, on a été accueillis au Centre de Vallorbe, dans le canton de Vaud, où on a déposé notre demande d’asile. Pour moi, ce nouveau monde était incompréhensible et étrange. Je pleurais sans arrêt, c’était plus fort que moi. Je me sentais impuissante et j’avais envie de crier très fort. C’était d’autant plus difficile que, jusqu’à notre départ d’Arménie, mon mari et moi on n’avait jamais rien demandé à personne, on avait les deux un travail et de bons salaires. C’est vrai aussi que le bâtiment de Vallorbe ressemble à une prison, mais je dois dire qu’on a été reçus avec bienveillance et professionnalisme par le personnel qui s’occupe du Centre.

Lors de ce séjour, je me suis dit que j’avais une dette envers la Suisse et je me suis promis de la rembourser en travaillant un jour gratuitement.

Je surmonte ma timidité et je postule

Neuf mois après notre arrivée en Suisse, nos enfants nous ont rejoins à Orbe, petite ville du canton de Vaud, où nous avions emménagé entre-temps. Petit à petit, on a surmonté les difficultés que rencontrent beaucoup de personnes en procédure d’asile: apprendre à vivre loin de sa patrie et de ses proches, apprendre une nouvelle langue, trouver un apprentissage pour les garçons, ce qui était très difficile car nous ne connaissions pas bien les usages et la manière de faire en Suisse. Chaque fois qu’après un stage, l’un de nos fils recevait une réponse négative, mon mari et moi on se sentait coupables de ne pas pouvoir aider nos enfants, coupables de les avoir coupés de leurs racines. Heureusement, on a été aidés et nos fils ont maintenant trouvé un apprentissage.

Un jour, à fin 2015, j’ai lu sur un flyer collé sur la porte de notre immeuble, que la ludothèque d’Orbe cherchait un bénévole. Le mot bénévole a tout de suite attiré mon attention, et m’a rappelé que je n’avais pas tenu la promesse que je m’étais faite lors de mon séjour à Vallorbe. J’ai pris une photo de l’annonce et j’ai dit à mon mari que j’allais postuler. J’étais très intéressée parce que, en Arménie, j’étais enseignante et cette activité dans une ludothèque me permettrait d’avoir à nouveau des contacts avec les enfants. Mon mari était moins enthousiaste, il pensait que ce serait trop difficile pour moi parce que je ne parlais pas suffisamment bien le français.

J’ai quand même appelé le secrétariat… Et j’ai obtenu un rendez-vous pour le lendemain. J’étais très tendue et agitée, mais l’entretien s’est bien passé et j’ai été engagée. Le lendemain de ce premier entretien, j’ai fait la connaissance des onze autres membres du personnel. Ils ont tous été très gentils avec moi. Sachant que j’étais arménienne, ils m’ont parlé de Charles Aznavour, le chanteur français d’origine arménienne, et ont évoqué le génocide arménien. L’un d’eux s’était déjà rendu en Arménie et il avait beaucoup apprécié ce voyage. Il m’a proposé son aide, si j’en avais le besoin. Cette conversation m’a donné beaucoup de force. Dans le groupe, il y avait une bénévole avec une veste rouge, nommée Josiane, qui me regardait attentivement. Je n’imaginais pas à ce moment-là qu’un jour elle serait comme une marraine pour ma famille.

Je fais du « dog sitting »

J’ai commencé à travailler à la ludothèque d’Orbe. Je vérifiais que les jeux et les jouets qui étaient ramenés par les enfants étaient complets et en bon état. J’ai trouvé que cette idée de proposer des jeux et des jouets en prêt comme on le fait pour les livres dans les bibliothèques était excellente et je me suis aussitôt demandé pourquoi il n’y avait rien de tel en Arménie ? Quand on est exilé, on compare tout le temps ce qui se fait ici et ce qui se fait dans son pays d’origine !

Au début, je parlais très peu. J’avais peur de faire des erreurs et, quand on me posait une question, j’étais confuse, je rougissais et ma voix était à peine audible. Au début des vacances d’été, on s’est réunis pour nettoyer les jouets, les trier et les remettre en état. Josiane cherchait une personne de confiance à qui laisser sa petite chienne Théa, car elle ne voulait pas la mettre en pension. J’ai surmonté ma timidité pour lui dire que je l’accueillais volontiers chez moi. Je savais que mes fils en seraient très heureux car ils rêvaient d’avoir à nouveau un chien. Cette perspective m’a ramenée en Arménie, dans notre maison qui était gardée par une femelle berger allemand nommée « Jessi » et j’ai ressenti une grande bouffée de nostalgie.

Mes enfants étaient très contents à l’idée d’accueillir une petite shih tzu, mais mon mari un peu moins, il était inquiet : « C’est une grosse responsabilité ! Tu feras quoi si le chien tombe malade, s’il ne mange pas, s’il a l’ennui de sa maîtresse ? » Finalement, Théa est restée chez nous une semaine et tout s’est bien passé. Pour moi, cet épisode a été le début d’une belle amitié avec Josiane.

« Je me réjouis de pouvoir voter un jour »

Mon activité à la ludothèque d’Orbe est une expérience très enrichissante : elle m’a permis de rembourser ma dette vis-à-vis de la Suisse qui nous a accueillis ma famille et moi, j’ai aussi beaucoup progressé en français et suis devenue moins timide, j’ai une occupation à moi maintenant que mes enfants sont grands et j’ai le sentiment d’être utile. J’ai aussi fait la connaissance de personnes intéressantes et généreuses qui m’aident et m’accompagnent dans mon chemin d’intégration.

Depuis 4 ans, Arman, mon mari, est aussi bénévole dans la ludothèque. Il s’occupe de beaucoup de choses différentes : vérifier les jouets, dresser le stand de présentation lors du marché de Noël, préparer des salles pour accueillir une fête ou des événements particuliers, accompagner les enfants lors du passeport vacances… Maintenant, ce qui me ferait plaisir c’est que Arman trouve du travail. Et, à titre personnel, je me réjouis d’avoir un jour le droit de voter.

Je reste positive, comme le dit un dicton populaire : « Après la pluie vient le beau temps ! »

Anahit

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Je me sens vivant grâce à ma famille de parrainage »

Ezio Leet en sortie avec les trois filles de sa famille de parrainage et leur amie.

Témoignage

En 2016, en réponse à la « crise migratoire », un projet visant à mettre en contact des personnes vivant dans le Canton de Vaud avec des familles, des jeunes migrant.e.s, des hommes et des femmes en exil a vu le jour. Initié par plusieurs associations bénévoles ainsi que par les Eglises et la communauté israélite, le projet intitulé «Action–Parrainages» a pour but de faire dépasser les préjugés, de soutenir les requérants dans leur intégration, de créer des liens forts et de confiance. Notre rédacteur, Ezio Leet, témoigne de son expérience en tant que parrainé d’une famille suisse.

Ma famille, je l’aime beaucoup. Pourtant, nos chemins auraient bien pu ne pas se croiser. Pour vous raconter notre histoire, je vous propose de remonter en mars 2019. Plus précisément, le 4 mars, car c’est ce jour-là, suite à une rencontre, que tout a commencé.

Il faisait froid. Tels les oiseaux migrent avec l’arrivée des jours froids vers des contrées plus chaudes, moi, j’attendais le retour du soleil de printemps afin de pouvoir quitter la Suisse. J’avais en effet reçu quelques mois plus tôt une réponse négative de la part du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), celle qui vous avertit que vous devez quitter le pays. Le fait de recevoir cette réponse m’a glacé bien plus que le froid hivernal du mois de mars. Cela faisait trois ans que j’étais en Suisse. Trois années au cours desquelles j’ai appris le français. Trois années qui m’ont permis de me sentir intégré à ce pays et à sa culture qui m’a fasciné dès mon arrivée. Malgré cette sensation d’intégration, il m’arrivait souvent de me sentir très seul. J’habitais à ce moment-là dans un foyer. Là-bas, la vie n’est pas des plus joyeuses, croyez-moi. Je pense que la solitude que vous rencontrez entre les murs d’un foyer pour requérant d’asile peut vous pousser à vous sentir dépressif. Il m’arrivait souvent de manger seul et de n’avoir personne avec qui échanger sur les soucis et les petites joies du quotidien. Il me manquait d’avoir des personnes avec qui partager mes histoires, mes pensées, ou simplement mes repas. Je ne voulais peut-être pas me l’avouer, mais la sensation d’avoir une famille, proche de moi, me manquait.

La rencontre

Ce jour-là, malgré le froid et la décision négative du SEM qui flottait constamment dans mes pensées, quelque chose de chaleureux s’était produit. Ce jour-là, par le biais d’un ami, j’ai rencontré Valérie, une femme merveilleuse qui au fil du temps est devenue une amie très proche. Ce jour-là, elle m’a également parlé de l’association « Action-Parrainages » où elle est bénévole et m’a promis de me mettre en contact avec une famille prête à faire ma connaissance. Une famille prête à m’accepter, à m’accueillir et à écouter mon histoire. Me sentant comme un enfant éternel, bien qu’on me considère comme un adulte, la seule demande que j’ai émise était celle d’avoir une famille qui a des enfants avec lesquels je pourrais retourner en enfance. Inconsciemment, je pense que le lien très fort avec ma sœur, cinq ans plus jeune que moi, me manquait bien plus que je ne voulais me l’avouer.

Ma première fête d’anniversaire et un Noël inédit  

Un mois plus tard, j’ai été accueilli par ma famille de parrainage ainsi que par leurs trois petites filles. Rapidement, je me suis senti à l’aise avec chacun d’entre eux. Avec le temps, j’ai tissé un lien très fort avec les trois enfants qui me permettent parfois de replonger en enfance. J’ai pu en quelque sorte retrouver non pas une, mais trois petites sœurs. Désormais, elles représentent pour moi un bonheur absolu. Nous jouons ensemble, nous lisons, nous nous baladons. Parfois, elles font du bruit, elles m’embêtent et ne me laissent pas réfléchir. Cela peut paraître embêtant, mais je me suis rendu compte qui si pendant une journée entière, je n’entends pas leurs bruitages, je me sens moins bien ! Je les aime beaucoup.

Quelques semaines après notre rencontre, pour la première fois de toute ma vie, j’ai fêté mon anniversaire. A cette occasion, ma famille a organisé une petite fête en mon honneur. Même si j’ai eu de la peine à exprimer mes émotions à ce moment-là, au fond de moi, je me suis senti bien. En 2019, c’est également la première fois que j’ai fêté Noël. A cette occasion, j’ai reçu un sweat à capuche de la part de ma famille. Cela m’a fait tellement plaisir, car j’estime que le bonheur est fait de petites choses. Je pense que même si on m’avait offert la nationalité suisse, je n’aurai pas éprouvé cette même sensation. En effet, vous l’aurez deviné, les sweats à capuche sont mes habits préférés et le fait que ma famille ait remarqué cela m’a touché.

Bien plus qu’une famille de parrainage  

Je ne considère plus ces cinq personnes comme une simple famille de parrainage mais comme MA famille. Désormais, j’ai réellement une famille avec laquelle je me sens à l’aise, avec laquelle on se réunit autour d’une table pour partager un bon repas et avec laquelle je peux partager les soucis et les petites joies du quotidien. Je suis maintenant davantage chez eux qu’au foyer. Je me considère davantage chez moi quand je suis chez eux que dans la chambre que le foyer m’a attribuée.

Ma famille m’a beaucoup aidé. Elle m’a permis de continuer la traversée du chemin de l’intégration. Elle m’a permis et appris à ne pas baisser les bras. Ma famille m’a permis d’améliorer mon français. Elle m’a appris à être solidaire et à lutter contre l’injustice. Ma famille m’a également fait découvrir la Suisse et ses paysages. Elle m’a permis de goûter ses meilleurs fromages. Au quotidien, ma famille me permet de me sentir moins seul et moins dépressif. Elle me permet de me sentir mieux. Mais surtout elle m’accorde sa confiance, celle qui me permet d’être moi-même et de me sentir bien quand je suis avec eux. Ma famille me donne du courage, celui dont j’ai besoin pour continuer à me battre. Grâce à ma famille, je me sens vivant. Sans ma famille, sans son soutien, je pense que j’aurai quitté la Suisse.

Aujourd’hui, je suis encore ici et ma famille y est sans doute pour quelque chose.

Ezio Leet

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Rêves de prison

Robert Brinkley – pexels.com

Parfois plus vrais que le réel

Nous avons combattu jusqu’au bout mais le mal a gagné, une fois encore : j’ai été arrêté avec un ami, à la hâte et dans la nuit. On ne nous a même pas fourni un avocat.

Entre rêve et réalité

Le juge nous a présenté les papiers sur lesquels figurait un mandat d’arrêt et a dit :

« Vous êtes arrêtés! »

Puis il a fixé un point inconnu de ses yeux rouges et fatigués, en haussant les épaules. Il a ensuite pointé son index vers le plafond et a poursuivi :

« La décision à votre sujet est la suivante… »

Cela n’a pris que quelques minutes ; dans un stress sans fin, je pensais: comment le mal peut-il gagner aussi facilement?

Bien sûr, il n’est pas facile de trouver la réponse à cette question rude et ancienne qui bat sans interruption dans mon cerveau. Mais, soudain, je me suis souvenu de quelque chose de complètement différent: j’avais déjà vu cette pièce, ce juge, ce groupe de prisonniers en civil. Cette histoire m’était déjà arrivée il y a bien longtemps, de la même manière, dans ses moindres détails…

Mais quand? Il y a combien d’années, de siècles?

Je pensais : peut-être que tout cela n’est pas vrai? C’est peut-être un cauchemar?

Qu’est-ce qui est plus vrai: le sommeil ou la vie?

J’ai dormi pendant mes trois premiers jours et trois premières nuits en prison. Je me réveillais seulement quand les geôliers faisaient leur ronde de surveillance.

***

Il neige. Le monde ressemble à une immense ruelle, blanche de tous les côtés. Je suis seul. J’avance dans cette ruelle solitaire et enneigée…

Ceci est mon premier rêve en prison. J’ai fait ce même rêve à plusieurs reprises durant ma détention. Ce qui est étrange, c’est que je l’ai fait encore à plusieurs reprises après ma libération. La dernière fois, c’était ici, en Suisse, et, ce jour-là, j’ai décidé d’écrire ce texte.

***

Je me réveille subitement. Je vois ma mère dans ma cellule de prison. Elle est assise à mon chevet et caresse mes cheveux.

« Comment es-tu arrivée ici? » – dis-je, bouleversé.

Ma mère, au lieu de me répondre, pose à son tour une question :

« Pourquoi es-tu si maigre mon enfant ? Il fait trop froid ici », et ses yeux se remplissent de larmes.

« Va-t’en ! Il fait assez chaud ici. Ne t’inquiète pas, ils nous donnent de la bonne nourriture. »

« Non, je ne peux pas te laisser seul ici. »

« S’il te plait, Maman, quitte cet endroit au plus vite, les geôliers pourraient te surprendre. » – je la saisis par le bras et la force à sortir.

Quand j’ai été libéré, j’ai appris qu’au moment où j’ai fait ce rêve, la tension artérielle de ma mère, malade depuis longtemps, s’était brutalement élevée et qu’elle avait même failli en mourir.

***

Une salle de spectacle vide. Il n’y a personne, sauf le président azerbaidjanais, Ilham Aliyev, son épouse, Mehriban Aliyeva, et moi.

Avec colère et étonnement, je regarde le président assis à côté de moi. Il fait semblant de ne pas me voir, fixant la scène vide de ses yeux froids. Puis il commence à suivre un spectacle invisible sur la scène toujours vide. La première dame, elle, a cassé le talon d’une de ses chaussures et reste occupée uniquement par ce petit désagrément.

À différents moments, j’ai vu en rêve les dirigeants des États-Unis, de la Russie, du Turkménistan, de la France, de l’Iran et de l’Allemagne. Mais Ilham Aliyev est revenu plusieurs fois dans mes rêves.

***

C’est une immense place avec beaucoup de monde. Quelqu’un m’appelle, je me retourne : le mari de ma tante, accompagné de son gendre, se tient devant moi.

« Allons manger et boire », propose-t-il.

Et nous avons mangé et bu quelque part.

« Pourquoi êtes-vous ici? » ai-je demandé.

« Nous ne nous sommes pas rencontrés depuis longtemps. Nous avons un travail important à faire et devons y aller de toute urgence. Nous avons voulu venir te voir avant de partir ». Le mari de ma tante a levé son verre de vin.

Je me suis réveillé au tintement de nos verres qui s’entrechoquaient.

Après ma libération, j’ai appris que le mari de ma tante et son gendre étaient morts durant ce même mois.

***                                    

Peut-être que certains ne le croient pas. Mais j’ai vu en rêve et su à combien d’années je serai condamné, dans quelles conditions je serai libéré et bien d’autres choses encore. Aujourd’hui, je continue à faire des rêves au sujet de mon avenir ou sur des œuvres à écrire.

C’est un fait incontestable: les gens peuvent être arrêtés, mais il est impossible d’arrêter leurs pensées et leurs rêves.

Qu’est-ce que la liberté? Est-elle peut-être, tout simplement, l’un de nos rêves les plus anciens?

Samir Murad

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils