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« L’armée russe n’a aucune chance de gagner cette guerre »

Valerii Martseniuk. Photo: Guillaume Stern / Voix d’Exils

Une interview de Valerii Martseniuk, réfugié ukrainien en Suisse

Valerii Martseniuk est un réfugié d’origine ukrainienne et un ancien rédacteur de Voix d’Exils. Il a trouvé refuge avec sa famille en Suisse suite au premier conflit russo-ukrainien qui est survenu en 2014. Lors de cette interview réalisée le 8 mars, Valerii Martseniuk partage avec nous sa vision de la situation 13 jours après le début l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Erratum:

* L’invasion russe a débuté le 24 février et non pas le 24 janvier comme évoqué à 3’12 »

** 200’000 soldats russes sont mobilisés dans ce conflit et non pas 20’000 comme évoqué à 10’42 »

 




« Les racines » ou la nostalgie du pays natal

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Un film culte du cinéma géorgien

A travers la trajectoire de Georgi, un jeune Géorgien qui quitte sa terre pour échapper à la misère, le film « Les racines » raconte avec beaucoup de finesse la nostalgie du pays natal ressentie par les émigrés. La première fois que je l’ai vu, j’avais huit ans et il m’a fait beaucoup pleurer. Par la suite, je l’ai revu à plusieurs reprises, toujours avec émotion. C’est pourquoi, je souhaite partager avec les lectrices et lecteurs de Voix d’Exils ce chef d’œuvre qui a joué un grand rôle dans l’amour que je porte à mon pays, la Géorgie.

A sa sortie, en 1987, le film « Les racines », tourné par le grand réalisateur Guguli Mgeladze, a connu un énorme succès populaire. Il a aussi récolté de très bonnes critiques et il est resté depuis un film de référence pour les Géorgiennes et les Géorgiens dont beaucoup vivent en exil.

« Les racines » raconte l’histoire de Georgi Zaqariadze. Orphelin de père, il se voit contraint à l’émigration et laisse derrière lui sa mère, son petit frère et sa petite sœur. La famille vit dans la misère et Georgi espère trouver du travail en France pour pouvoir leur envoyer de l’argent. Son départ coïncide avec le début de la Première Guerre mondiale et la fermeture des frontières. Grâce aux quelques notions de langue française apprises à l’école, le jeune homme obtient de se faire engager comme homme à tout faire sur un navire français. A bord, il se lie d’amitié avec Henry, un jeune matelot de nationalité française.

Chauffeur de taxi à Paris

Georgi va passer trois ans à bord du navire avec l’espoir d’atteindre la côte de la mer Noire, qui borde son pays natal. Malheureusement, il contracte une fièvre tropicale et il est débarqué sur la côte marseillaise. Affamé, il arpente les rues et rencontre un riche homme d’affaires qui lui propose une jolie somme d’argent s’il le ramène à son domicile en le portant sur ses épaules. Malgré la faim, Georgi refuse cette proposition humiliante et lui répond fièrement: « Vous vous trompez Monsieur, je ne suis pas un mendiant ! »

Le jeune homme vivote tant bien que mal lorsque, quelques mois plus tard, il rencontre Henry, le matelot, qui cherche aussi du travail. Pour gagner un peu d’argent, les deux amis décident de fabriquer de la crème aigre selon une recette traditionnelle géorgienne et de la vendre dans la rue. Le propriétaire d’un restaurant, qui apprécie les produits géorgiens, leur offre une jolie somme d’argent en échange de la recette.

Les deux amis vont pouvoir réaliser leur rêve : s’acheter une voiture et monter à Paris pour y exercer le métier de chauffeur de taxi. C’est dans ce taxi que Georgi va faire connaissance avec Madeleine, une charmante cliente française, qui deviendra sa femme. De leur union, naîtront deux garçons, dont un mourra en soldat lors de la Seconde Guerre mondiale.

L’importance des racines

La vie en France est difficile, et avec les années qui passent, Georgi a la nostalgie de son pays natal. Heureusement, il a un petit-fils qu’il adore et à qui il transmet la langue, les traditions et l’histoire géorgienne. La femme de Georgi, qui souhaite voir son mari heureux, décide alors de tout vendre en France et de déménager en Géorgie avec toute la famille. Mais il est très difficile d’obtenir des visas et le voyage tant espéré est retardé.

Georgi, qui désespère de revoir son pays natal, fait un terrible accident vasculaire cérébral et oublie toutes les langues qu’il a apprises, sauf sa langue maternelle. Dorénavant, seul son petit-fils, qui a une vingtaine d’années, peut comprendre ce qu’il dit. Quand Georgi sent la mort approcher, il l’appelle et lui dit: « Souviens-toi, la taille de l’arbre ne se mesure pas depuis le sol, elle se mesure depuis les racines !» Puis, il confie à ce petit-fils, qu’il chérit par-dessus tout, la mission d’aller en Géorgie pour disperser ses cendres sur la terre du cimetière de son village d’origine. Ensuite, le vieil homme pose sur son cœur une poignée de terre géorgienne qu’il avait emportée avec lui lors de son exil, et meurt.

Le jeune homme, qui s’appelle aussi Georgi, décide d’exaucer le dernier souhait de son grand-père. Il emporte ses cendres en Géorgie, en se disant qu’après tant d’années personne ne se souviendra de son aïeul. Mais la nouvelle de sa venue se répand et, à sa grande surprise, les villageois l’accueillent à son arrivée à la gare. Tout le monde s’embrasse sous la pluie. Le film se termine sur ces images de joie populaire.

« Les racines » démontre que pour les Géorgiennes et les Géorgiens, la priorité est leur pays et tout ce qui se rattache à leur patrie. On ne peut pas être considéré comme Géorgien si l’on oublie la langue, l’histoire, la culture, la religion qui définissent notre identité. Malgré les grandes épreuves et la vie difficile au pays, les Géorgiennes et Géorgiens en exil n’oublient jamais leurs racines natales!

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

Lien pour visionner le film sur Youtube : ფესვები [Full Movie] 1987

 

 

 




Aujourd’hui, c’est la fête des mères

Aimez vos mères, prenez soin d’elles!

Pour chaque personne, sa mère est la plus merveilleuse du monde. Pour moi, ma mère a toujours été et la plus gentille, la plus belle, la plus attentionnée et la plus forte.

Si votre mère est en vie, vous êtes la personne la plus heureuse du monde!

Profitez de chaque jour à ses côtés. Appréciez chaque instant sans le perdre de vue. Profitez de sa compagnie. Donnez-lui de l’amour, de l’attention et des soins… Ne manquez pas les moments heureux, le temps passe inexorablement…

Aimez-la aujourd’hui pour que demain il ne soit pas trop tard.

J’ai écrit ce poème en tchétchène à ma mère il y a vingt ans. Lorsque j’étais étudiante, je vivais loin d’elle et elle me manquait beaucoup.

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Ma chère Maman

Je n’ai personne de plus doux que toi, ma douce Maman

Je n’ai personne d’aussi bon que toi, ma bonne Maman

Plus belle que toi, je n’ai personne, ma jolie Maman

Vis longtemps, j’ai besoin de toi pour toujours Maman

Ne dis pas que tu es vieille, ma jeune Maman…

Sur tes joues le rose ne s’est pas estompé, Maman

Ne dis pas que ta tête est couverte de gris, ma belle Maman,

C’est juste la tristesse qui a saupoudré tes boucles, ma chère Maman

Souris plus souvent, ma gentille Maman,

Tresse la tristesse dans ta longue tresse, Maman…

Depuis l’enfance, entourée de chagrin,

Ton destin n’a pas été facile, mа courageuse Maman

Je suis heureuse tant que tu respires, Maman

Ta santé est ma richesse, Maman

Ne pas te voir est une épreuve terrible, Maman

Mon cœur est rempli d’amour pour toi, Maman

Mon cœur bat pour cet amour, ma chère Maman…

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A propos de ma mère

Son nom était Napsat (l’orthographe correcte de Nafisat). Un nom qui a des racines arabes et qui signifie dans de nombreuses langues du Caucase: « gracieux », « sophistiqué », « précieux ».

Elle n’était pas grande, elle était mince, avec de longs cheveux épais et bouclés, des yeux bruns et une peau blanche.

Depuis l’enfance, elle avait un esprit extraordinaire. Les gens plus âgés lui demandaient des conseils parce qu’elle était sage.

Ce ne sont pas de petites épreuves qui tombèrent sur ses fragiles épaules.  Sa vie fut pleine de chagrin et de souffrance.

Cependant, derrière ses fragiles épaules, elle cachait un courage et une résilience indescriptibles avec lesquels elle a résisté aux coups du destin.

Expulsion de la patrie vers les steppes froides du Kazakhstan

Ma mère a eu une enfance très difficile. Elle avait quatre ans lorsqu’elle et sa famille ont été expulsés de leur pays d’origine avec tous les Tchétchènes sur ordre de Joseph Staline (alors secrétaire général de L’URSS) vers l’Asie centrale et le Kazakhstan.

Le matin glacial du 23 février 1944 a laissé dans sa mémoire toute sa tragédie:

« C’était une matinée terrible » m’a raconté ma mère.

« Tout le monde paniquait… De la rue venaient les cris des voisins. Des soldats armés de mitrailleuses et accompagnés de chiens étaient partout, ils chassaient tout le monde hors des maisons à la hâte .

Nos parents, moi, mes deux sœurs aînées et mon petit frère nouveau-né avons commencé à nous habiller dans la précipitation. Maman essayait de calmer le bébé qui pleurait, les sœurs aînées ont rassemblé de la nourriture dans un paquet et moi, j’ai regardé le soldat qui se tenait dans l’embrasure de la porte avec un gros chien. Les soldats ont dit quelque chose en russe, ils exigeaient d’une voix imposante, mais peu de Tchétchènes comprenaient le russe et ce que les soldats attendaient d’eux…

Papa a essayé de découvrir ce qu’il se passait et a compris que, sur ordre de Staline, tous les Tchétchènes seraient expulsés pour trahison.

Comment peut-on nous expulser pour trahison? demanda-t-il.

Comment est-ce possible alors que tous les hommes en bonne santé – jeunes et vieux – sont au front depuis les premiers jours du début de la Seconde Guerre mondiale? Quand tant de personnes sont mortes en défendant la patrie… Il répétait encore et encore : « Comment est-il possible de nous expulser? »

Un malentendu… une erreur ?

Beaucoup se posaient la même question ; ils finissaient par penser qu’il devait s’agir d’un malentend… d’une erreur.

De nombreux Tchétchènes ont pensé que les autorités soviétiques voulaient leur annoncer des nouvelles importantes et qu’ensuite tout le monde rentrerait à la maison. Mais personne ne pouvait penser que tout le peuple, y compris les femmes, les enfants, les personnes âgées et même les malades, seraient expulsés de leur maison et de leur patrie.

Ils ont tous été forcés de quitter leurs richesses, leur bétail, leur maison – tout ce qui avait été acquis par un travail éreintant pendant de nombreuses années – pour repartir les mains vides. On ne pouvait prendre qu’un peu de nourriture. Les enfants et les personnes âgées pleuraient. Les familles étaient divisées. Certains enfants étaient à moitié nus et sans parents. Un père était allé rendre visite à des proches, une mère était allée au magasin. Après tout, personne ne savait que ce matin-là allait être si fatal…

Tous les habitants et toutes les habitantes ont été chassés des rues, conduits à la gare et forcés de monter dans des wagons froids qui étaient destinés au bétail.

Quiconque refusait de se conformer aux ordres était abattu sur place.

C’était un cauchemar.

Tamara Akhtaeva

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Expérimenter la citoyenneté à travers le bénévolat

Photo: G. Mottini.

Photo: G. Mottini.

Retour sur un premier engagement bénévole auprès d’enfants réfugiés en Allemagne

J’avais décidé que 2016 serait l’année du nouveau et que cela faisait trop longtemps que j’observais de l’extérieur le drame que vivent des millions de personnes qui fuient leur pays dans le but de vivre dans un lieu sûr. Je n’ai pas pour ambition de changer le monde – quoique j’aimerais bien – toutefois je pense qu’il est temps de faire preuve de solidarité et d’humanité.

J’ai ainsi décidé de m’engager en tant que bénévole dans un centre d’accueil pour réfugiés à Berlin, ville dans laquelle je vis actuellement, et de tenter d’améliorer les choses à mon niveau.

L’Unionhilfswerk

J’ai concrétisé mon engagement dans l’accueil et l’aide à l’intégration des personnes réfugiées arrivées à Berlin, en provenance principalement d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak et des pays des Balkans, auprès de l’Unionhilfswerk. Il s’agit d’une association allemande fondée en 1946 dont le but initial était d’apporter de l’aide et du soutien aux personnes réfugiées et aux personnes qui, à l’époque, rentraient de la Seconde Guerre Mondiale. L’engagement citoyen a été l’un des principaux moteurs de sa constitution et fait à présent partie d’une longue tradition. Ce point d’ancrage a par la suite permis à l’organisation de se développer et d’étendre son aide à un grand nombre d’autres domaines comme, par exemple, les personnes en situation de handicap physique et/ou psychique ou auprès de personnes âgées nécessitant des soins particuliers. Aujourd’hui, l’association compte environ 2’500 collaborateurs et 1’000 bénévoles qui s’occupent et soutiennent près de 5’500 personnes vivant à Berlin dans plus de 100 domaines différents.

Photo: G. Mottini.

Photo: G. Mottini.

L’importance d’un encadrement adéquat

S’agissant de mon premier engagement en tant que bénévole et, de façon plus générale, de ma première longue expérience dans le milieu social, il m’a été très bénéfique de pouvoir profiter du savoir-faire de cette organisation notamment en matière d’encadrement. Lors du premier entretien, nous avons discuté, sur la base de mes souhaits et capacités, du domaine dans lequel je souhaitais m’engager, du temps que j’avais à offrir et des activités que j’avais plus précisément envie d’entreprendre. L’Unionhilfswerk met en place un certain nombre d’événements, comme des workshops et d’autres festivités qui permettent aux novices d’apprendre des professionnels et des personnes ayant déjà acquis de l’expérience dans le bénévolat. C’est donc par le biais du workshop « possibilités et limites dans l’engagement auprès de réfugiés » qu’a commencé mon expérience. J’ai appris que la première question « dans quelle mesure ai-je envie de m’investir ? » impliquait, de facto, la seconde « dans quelle mesure suis-je capable de m’investir ? ». Pour que l’engagement soit bénéfique à soi-même et aux personnes que l’on souhaite aider, il est nécessaire de connaître, non seulement ses possibilités et capacités, mais également ses limites physiques, psychologiques et de temps. Il est également important de savoir quel projet nous correspond le mieux et, pour ma part, je souhaitais pouvoir au départ être entourée de personnes qui seraient capables de m’encadrer.

Des échanges riches

Cela fait à présent plusieurs mois que je m’occupe régulièrement d’enfants avec qui nous jouons, bricolons, discutons et rigolons. Les enfants ont cette faculté de communiquer différemment, de sorte que la barrière de la langue disparaît rapidement. On tente simplement de leur permettre de vivre comme des enfants et de construire une relation de confiance avec eux. Quant à eux, ils nous apprennent que dans la vie, le partage est la valeur fondamentale.

Giulietta Mottini

Originaire de Lausanne, 22 ans

Contributrice externe de Voix d’Exils