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« L’art : mon nouveau départ »

Photo: Sahar Zaire

Sahar Rezaï, une femme pleine de talents

Cette jeune femme de 21 ans très talentueuse habite Sion, une ville proche des montagnes valaisannes. Elle est arrivée en Suisse en 2017 quand elle avait 14 ans. Sahar Rezaï vient de vernir sa première exposition de peinture à Aigle qui est visible jusqu’au 2 mai à l’Espace AMIS.

Sahar a commencé à peindre à l’âge de 13 ans. C’est en Grèce qu’elle a commencé à peindre après avoir quitté l’Afghanistan, son pays d’origine. Dans l’interview qu’on a réalisé avec elle, Sahar Rezaï nous confie son parcours souriante avec un regard rempli d’espoir devant ses tableaux : « J’ai commencé à peindre après avoir quitté mon pays d’origine. On était avec ma famille dans un camp de réfugiés en Grèce. Par chance, un bénévole et journaliste du nom de Théodore m’a vue assise seule parmi les autres enfants qui jouaient juste devant moi et il m’a offert un cadeau. J’étais jeune, dans une chaise roulante à cause de la poliomyélite, une maladie que j’ai attrapée quand j’avais 2 ans, et je n’arrivais pas à jouer comme les autres enfants. Désespérée de tout ce qu’on avait vécu avec ma famille, je m’ennuyais beaucoup mais ce cadeau de ce bon samaritain m’as redonné de l’espoir. C’était le meilleur des cadeaux : un sac rempli de matériel pour faire de la peinture : les couleurs, les toiles des pinceaux etc. Et depuis ce jour, je n’ai plus jamais lâché mes pinceaux ». 

Un retour impossible en Afghanistan

En 2016, Sahar et sa famille ont été victimes d’une fatwa des talibans et ont décidé de quitter leur pays d’origine pour la Grèce qui a été la première étape de leur exil. Arrivée en Suisse au printemps 2017 avec ses parents et son petit frère, elle a commencé à chercher ce qu’elle pourraient faire ici. Sarah était troublée et disait qu’elle ne pouvait plus continuer à peindre ses tableaux. Elle nous confie « Je me demandais si je pouvais continuer à peindre car mon enfance me manquait beaucoup et les montagnes suisses me rappellent celles de chez nous. Mais c’est un sujet tabou à cause de ce qu’on a traversé dans notre pays. Du coup, je ne voulais plus continuer mes dessins parce que ça m’aidait à traverser cette période. Et aussi, j’avais remarqué que la vie en Suisse est chère et je ne pouvais plus continuer à me procurer du matériel; mais heureusement, des bénévoles suisses m’ont aidé à reprendre mon activité de peintre ».   

 

Sahar Zaire et Alix Kaneza. Photo: Voix d’Exils

« L’art m’a sauvée »

« L’art a été un nouveau départ pour moi. il a soigné mes blessures du passé parce que je me demandais ce que je pouvais faire ici en Suisse ou ailleurs. Mais quand je commence à dessiner, je n’arrive plus à quitter la toile. Je voulais sortir toutes les souffrances qui étaient en moi et je voulais parler à travers mes dessins de tout ce que je ressens. Et quand les autres jouaient, moi je préférais être devant mes tableaux. J’ai commencé à traduire mes tristesses et mes ressentis dans mes tableaux » s’exclame Sahar.

Dans la parole qu’elle a prise lors de son vernissage qui s’est déroulé à Aigle le jeudi 13 avril à 18h, Sahar a partagé avec confiance et espoir son rêve de travailler dans l’humanitaire et son projet de faire davantage de tableaux pour venir en aide aux jeunes filles qui n’arrivent pas à aller à l’école et aux femmes non scolarisées en Afghanistan.

Alix Kaneza et Renata Cabrales

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Informations sur l’exposition

Sahar Rezai expose ses toiles à Aigle dans la hall de l’Espace AMIS, Chemin de la Planchette 1, 1860 Aigle jusqu’au 2 mai 2023

 




« Les noirs sont vulnérables et mis à l’index par le système politique »

Derou Georges Blezon, Président de MouReDiN. Photo: Voix d'Exils

Derou Georges Blezon, Président de MouReDiN. Photo: Voix d’Exils.

Le Mouvement pour le Respect et la Dignité du Noir (MouReDiN), est une association à but non lucratif basée à Lausanne depuis 2006. Elle défend une cohabitation dans le respect de la différence, des libertés et des droits de l’Homme entre étrangers et autochtones vivant en Suisse. Elle a aussi pour but de réorienter et d’aider les jeunes grâce à des projets créés et soutenus par des partenaires associatifs comme ACOR SOS-Racisme ou la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA). Ces projets visent essentiellement à éveiller les consciences et à encourager les jeunes noirs et étrangers à s’intégrer et à organiser leur avenir professionnel. Derou Georges Blézon, Président et responsable de MouReDiN, répond aux questions de Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Quand et pourquoi avez-vous créé MouReDin?

Derou Georges Blézon : MouReDin a été créé le 1er août 2006, à la suite d’une intervention de la police chez moi, à Lausanne, où j’habitais à l’époque. Je recevais la visite de jeunes qui sollicitaient mes conseils, il y avait des sans papiers comme moi, des jeunes ayant des permis C ou B et des jeunes requérants d’asile. La police a fait l’amalgame entre les jeunes et moi, parmi lesquels il y avait des vendeurs de drogue. L’un d’entre eux a été interpellé d’une façon que j’ai jugé indigne et très violente. Cette indignation a suscité de la colère et de la frustration. Nous avons alors décidé, avec ACOR SOS-Racisme et Point d’Appui, de créer un mouvement politique : le Mouvement pour le Respect et la Dignité du Noir (MouReDiN). Pourquoi un mouvement politique? Parce que le comportement de certaines personnes vis-à-vis des noirs n’est autre qu’un comportement purement politique.

Quelle est la mission principale de votre association ?

Sa mission principale est de véhiculer un message du bien vivre ensemble, quelle que soit la couleur de la peau et d’éviter les amalgames. Si on y regarde de près, on s’aperçoit que l’Etat est davantage raciste que la population. C’est pourquoi, face à une telle situation, il fallait une association crédible et digne de ce nom.

Quelles sont concrètement les actions et activités de votre association ?

On a un conseil juridique, un conseil social et une orientation au niveau de la formation, ainsi qu’un conseil d’ordre administratif pour les déboutés. Dans ce cas, MouReDiN intervient compte tenu de l’ancienneté et des bonnes relations qu’il dispose auprès des associations alliées.

A qui s’adressent vos services ?

Nos services s’adressent aux noirs en priorité, parce qu’ils sont très vulnérables et mis à l’index par le système d’accueil et politique. Pour la simple raison qu’ils sont la minorité la plus visible et la moins défendue. En effet, les noirs ont presque toujours des emplois subalternes, comme: nettoyeurs, aides en cuisine, peintres en bâtiment, et mécaniciens… La précarité de leur situation économique, sociale et administrative a de nombreuses retombées directes sur la vie des parents et sur celle de leurs enfants. Les enfants qui veulent poursuivre des études – ce qui n’est pas envisageable dans la majeure partie des cas parce qu’ils sont trop tôt livrés à la rue par manque de contrôle parental -, sont confrontés à un périple sans issue.

Quels sont les secteurs ou régions où vous êtes le plus actifs ?

Le mouvement est basé actuellement à Lausanne, mais il a une ambition internationale. Au regard de toutes les associations ou ligues de défense des droits de l’Homme en Europe, dont MouReDiN lui-même est partenaire, MouReDiN veut se faire connaître en élargissant le champ de ses actions dans les années à venir. Ainsi, nous avons davantage travaillé du côté de la Suisse romande qu’au niveau de la Suisse alémanique.

Comment fonctionne votre association ?

Nous disposons de 15 membres actifs et sommes en collaboration avec des partenaires associatifs comme ACOR SOS-Racisme, la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA), le Forum des Etrangères et Etrangers de Lausanne (FEEL), Point d’Appui, le Centre Social Protestant FRAT- CSP et certains partis politiques comme les Verts, et le Syndicat Unia dont je suis membre.

En 2008, vous avez lancé le projet « Jeunes MouRedin 2008 », et en 2009 « Quelle valeur a mon permis / ma nationalité ? ». Depuis, plus rien, le silence… Pour quelle raison?

En réalité ce n’est pas un silence absolu, ces deux projets ont été confrontés à plusieurs problèmes d’ordre administratif d’où le silence. Le projet « Jeunes MouReDiN 2008 » était soutenu par le canton de Vaud et la Confédération Suisse. Notre objectif était d’aider les jeunes en rupture scolaire, de les appeler à faire preuve de retenue, à les ramener à la raison pour qu’ils retrouvent la voie de la scolarisation. Tout d’abord, on a assisté au silence de nos jeunes à qui le projet était destiné, ensuite nous avons découvert que le service d’orientation en Suisse, auquel les jeunes sont assignés, n’était pas tout à fait ce l’on pensait, en ce sens que ce dernier est un espace de blocage et de stockage pour les jeunes noirs et étrangers.

Aujourd’hui, quel bilan tirez-vous de votre action et quel avenir pour MouReDin?

De 2006 à 2013 le bilan n’a été ni négatif ni positif. Nous sommes actuellement dans un moment de turbulence. Pour assurer une permanence qui réponde aux préoccupations des jeunes en rupture scolaire et aux parents en difficultés, face à la complexité du problème, il nous faut environ 30’000 francs de fonds. Mais nous sommes sereins quant à l’avenir de MouReDiN. Si, depuis un certain temps, nous avons disparu de la scène politique et administrative, il s’agit d’un recul préparatoire, car actuellement les membres du mouvement ainsi que moi-même sommes en formation. La plupart des membres du mouvement sont des jeunes qui ont grandi en Suisse, qui ont le permis C ou le passeport suisse. Ils sont actuellement en préparation d’examens. A la création du mouvement, nous avions comme objectif d’aller sur le terrain. En 2006 a eu lieu pour la toute première fois en Suisse « la Marche des Noirs » qui a compté 250 manifestants, avec également le soutien de nombreux partenaires comme le parti communiste et ACOR SOS-Racisme. Dans cette marche des noirs, on a compté non seulement des dealers, des personnes déboutées, mais aussi des noirs et étrangers qui sont employés en Suisse depuis plusieurs années.

Quel est votre message à l’endroit des populations étrangères ?

En faisant référence à mon ex-président Laurent Gbagbo qui disait : « Le bon ambassadeur, c’est chaque individu qui représente son pays dans un autre pays ». Autrement dit, c’est par ton comportement que tu incites au respect de ton pays d’origine. Nous, les étrangers, disposons de différents canaux pour arriver en Suisse et en Europe, comme la voie de la clandestinité que j’ai moi-même empruntée, la voie de l’asile et d’autres formes. Et je pense que la manière dont nous nous comportons individuellement montre qui nous sommes et d’où nous venons. Nous venons avec nos cultures et nos mentalités, mais une fois ici, nous sommes appelés à nous intégrer, à cohabiter. Je ne dis pas « devenir blancs », mais il faut être responsable de notre vie en sachant faire la part des choses. Ne fais pas dans le pays d’accueil ce que tu ne ferais pas dans ton pays.

Propos recueillis par El sam

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 Infos:

Mouvement pour le Respect et la Dignité du Noir (MouReDiN)

c/o Dérou Georges Blézon

Route de la Clochatte 9

1018 Lausanne

Email: mouredin@dignitenoire.ch

Email: blezonderougeorges@dignitenoire.ch

Site web: http://www.dignitenoire.ch

Tél: 079 385 92 59




Pas facile d’éduquer des enfants dans les circuits de l’asile

Des enfants du Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d'Exils

Des enfants du Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d’Exils

Dans différents centres pour requérants d’asile, nous découvrons que les adultes sont préoccupés par l’issue de leur procédure d’asile. En même temps, le sort de leurs enfants – en termes d’éducation et d’avenir – se trouve lié à leurs soucis quotidiens. Comment s’y prennent-ils pour assurer l’éducation de leurs enfants dans ces milieux plutôt difficiles où se côtoient, sans préparation préalable, des cultures, des religions, des aspirations et des origines qui, parfois, n’ont rien en commun ? Voix d’Exils a exploré cette question en se rendant au Centre de Perreux à Neuchâtel

La loi suisse stipule que l’enfant d’un étranger obtient le statut juridique de ses parents. Ainsi, les enfants de requérants d’asile reçoivent le statut consécutif au processus d’asile de leurs parents. Ils sont admis avec eux dans les centres d’enregistrement, où seul un billet de sortie fait office de pièce d’identité. Ici, on dort dans un dortoir avec pour unique distinction le sexe et non l’âge. Quelque soit le sexe de l’enfant, jusqu’à l’âge de 10 ans, il reste avec sa mère. Avec les dames, il partage les mêmes douches, fréquentent les mêmes toilettes. Avec le reste des requérants, dont il partage désormais le statut, il occupe le réfectoire et les espaces communs où l’on passe le temps quand les dortoirs sont fermés. Il retrouve les autres enfants qui viennent de plusieurs pays et partage avec eux les espaces de jeux mis à leur disposition.

Si les parents passent « l’épreuve du feu » lors de la première interview, qui est menée par les services de l’Office fédéral des migration peu de temps après l’entrée sur le territoire suisse, et qu’ils sont envoyés dans l’un des centres de premier accueil, où ils reçoivent le permis de séjour temporaire – le permis N-, les enfants reçoivent alors le même permis. Dans ces centres aussi, même si les conditions se modifient un peu du fait que les enfants vivent dans des chambres avec leurs parents, il n’en demeure pas moins qu’ils sont toujours confrontés à la cohabitation avec d’autres enfants, dans un espace où éduquer son enfant comme on le souhaite est difficile. Pour en savoir davantage, nous nous sommes rendus au Centre de Perreux, situé dans le canton de Neuchâtel, pour nous entretenir avec les parents, les enfants et leurs encadrants afin de découvrir la réalité éducative des enfants de requérants d’asile.

Un contexte éducatif difficile

Comme tous les enfants, « les nôtres ont les mêmes envies, les mêmes désirs. Ils nous demandent des

Le Centre de Perreux à Neuchâtel

Le Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d’Exils.

jouets, veulent aller au cinéma pour enfants, à la piscine, sortir de temps en temps. Seulement, ils n’ont pas la possibilité de vivre comme tous les autres enfants et leur donner une éducation saine est un casse-tête pour nous », nous a confié un couple béninois s’occupant de trois enfants qui vit dans le Centre de Perreux.

Malgré toute la bonne volonté des responsables des centres pour apporter une attention particulière aux enfants des requérants d’asile, le contexte reste difficile pour assurer une bonne éducation. L’enfant est un être fragile, mais qui apprend vite par l’observation et le mimétisme. De ce point de vue, la situation dans laquelle vivent les parents, avec une incertitude permanente quant à l’issue de leurs procédures d’asile, ne leur permet pas d’assumer un projet éducatif stable et serein. Ce qui présente le risque de voir les enfants se forger des habitudes de l’environnement ambiant, sans que cela soit forcément du goût éducatif de leurs parents.

C’est ainsi que nous avons voulu savoir comment les parents font concrètement pour éduquer leurs enfants

Des enfants du Centre de Perreux appliqués à bricoler. Photo: Voix d'Exils

Des enfants du Centre de Perreux appliqués à bricoler. Photo: Voix d’Exils

dans un tel contexte. Notre couple béninois n’a eu que deux mots pour exprimer son angoisse : « c’est difficile » mais, poursuit-il, « nous faisons un effort pour parler régulièrement à notre enfant chaque fois que nous sommes seuls dans notre chambre ». En plus, ce couple nous a avoué n’être pas capable de satisfaire les désirs de leur fillette de cinq ans en matière de loisirs : « quand nous allons dans des magasins, par exemple, elle voit des jouets dont elle a envie, mais nous ne pouvons pas les lui offrir par manque de moyens. Elle doit se contenter des jouets mis à la disposition des enfants par le Centre ». Mais leur préoccupation majeure reste la scolarisation de leur enfant: « pourra-t-elle avoir un niveau scolaire qui ne compromet pas son avenir ? », nous a demandé sa mère. C’est à ce sujet que nous nous sommes entretenus avec la responsable du Centre de Perreux, Mme Françoise Robert.

La scolarisation des enfants au Centre de Perreux

Mme Robert, directrice du Centre de Perreux

Mme Françoise Robert, directrice du CAPE. Photo: Voix d’Exils

Selon Mme Françoise Robert, il s’agit d’un programme spécial destiné aux enfants requérants d’asile. Il a été mis sur pied quand les enfants ne pouvaient plus aller à l’école de la commune de Boudry. Le fait que la plupart des enfants ne parlent pas français était une contrainte supplémentaire pour les enseignants qui devaient disposer de plus de temps et de matériel pour ces enfants. Des difficultés financières avec la commune sont venues compliquer la scolarisation des enfants à Boudry.

C’est ainsi que les responsables du programme de l’enseignement obligatoire ont décidé que les enfants requérant d’asile seraient scolarisés dans le Centre, en y ouvrant une classe. Ce qui est regrettable, de l’avis de Mme Françoise Robert car, explique-t-elle, « les enfants prennent l’école au Centre comme un moment de divertissement. Ils arrivent en retard et des fois il faut courir dans les corridors pour les obliger à aller en classe. » En plus, poursuit-elle, « les enfants qui ont connu l’école de la commune sont un peu perdus quand il faut suivre la nouvelle initiative. Ces rencontres avec d’autres enfants de leur âge leur manquent, des enfants francophones avec qui ils assimilaient rapidement le français, sans oublier le manque d’activités comme le sport et la piscine. »

Cependant, sans s’abandonner à des regrets interminables, les responsables du Centre essaient de faire de leur mieux pour que les enfants ne soient pas totalement coupés de la réalité scolaire dans le contexte particulier qu’est le leur. En ce sens, la contribution du Centre consiste à veiller au bon fonctionnement de cette scolarisation en sensibilisant toujours les enfants et en responsabilisant de plus en plus les parents, étant donné qu’il s’agit de l’avenir de leurs enfants. Le Centre veille aussi au maintien de la parfaite collaboration qui existe entre les enseignants et la direction du Centre pour le bien des enfants dont la situation est déjà particulièrement difficile.

Un programme scolaire spécial

On l’aura deviné : à situation scolaire spéciale, programme scolaire spécial. Donné par deux enseignantes, à

Caroline et Geneviève, les deux enseignantes du CAPE. Photo: Voix d'Exils

Caroline et Geneviève, les deux enseignantes du CAPE. Photo: Voix d’Exils

raison de trois matins par semaine pour l’une et de trois après-midis par semaine pour l’autre, les enseignantes font plus de l’encadrement scolaire qu’un programme scolaire précis pour des enfants compris entre 4 et 14 ans.

D’ailleurs cet accompagnement « n’a aucun objectif comme dans une école normale. Il vise juste à donner aux enfants une petite base en français ainsi qu’en en mathématiques, et à disposer d’une approche de l’école suisse afin de pouvoir éventuellement se débrouiller plus tard », nous a confié Mme Marie-Jeanne Tripet, l’une des maîtresses des enfants. Ce qui fait qu’il n’y a pas de méthodologie définie au préalable. Elle est contextuelle et adaptée à la situation de chaque enfant. A noter que certains enfants arrivent sans avoir été scolarisés auparavant : « ils ne savent pas tenir un crayon, écrire sur un papier. Si cela est déjà difficile pour un enfant qui connaît le français, on peut imaginer la situation d’un enfant qui arrive sans connaître un mot de français! », précise Mme Marie-Jeanne. La limite de la langue reste la difficulté majeure de cette classe à domicile, car elle empêche les enfants d’apprendre rapidement.

Le reste du temps

Des enfants du Centre de Perreux

Des enfants du Centre de Perreux. Photo: Voix d’Exils

Les enfants qui se réveillent d’habitude entre 6h30 et 7h00 et occupent leur journée selon leur âge. Ceux qui atteignent l’âge de quatre ans rejoignent l’école, pendant que les autres restent avec leurs parents ou se rendent à la salle de jeux. En dehors des heures de scolarisation, les enfants jouent entre eux. Leur nombre est souvent un facteur de socialisation, car ils s’adonnent plus facilement à des jeux en groupe, ce qui diminue l’envie d’avoir plus de jouets, comme c’est le cas pour des familles à un ou deux enfants.

Il ne leur reste plus qu’à espérer qu’un jour, ils trouveront des conditions plus favorables pour leur vie future. Mais, en attendant, ils supportent mieux leur situation que leurs parents qui se font davantage de soucis pour leur avenir. Ce qui semble loin des préoccupations des enfants. A les voir jouer entre eux, de fois sans se comprendre à cause des différences de langues, on les imagine heureux à leur manière. Pourvu que leur avenir ne leur réserve pas de mauvaises surprises.

Angèle BAWUMUE NKONGOLO

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 




« Notre rôle est de mettre l’être humain et ses compétences au centre de la discussion »

Francine Kalume, cheffe de l’équipe des conseillers en emploi de l’EVAM.

Le groupe emploi est une structure de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), composée de plusieurs conseillers en emploi, qui dispensent des cours de formation et qui soutiennent les requérants d’asile dans leur réinsertion professionnelle en Suisse. La population des requérants d’asile est très hétérogène et comprend à la fois des personnes qualifiées et non qualifiées, des personnes scolarisées et non scolarisées, des hommes, des femmes, des jeunes et des vieux, ce qui pose de nombreux défis. Voix d’Exils est allé à la rencontre de Francine Kalume – cheffe de l’équipe des conseillers en emploi – pour creuser cette question centrale qu’est l’insertion professionnelle. Interview.

Voix d’Exils : Pourquoi lorsqu’un requérant d’asile arrive en Suisse, il doit attendre trois mois avant de pouvoir commencer à chercher un emploi ?

Francine Kalume : C’est une disposition légale inscrite depuis la troisième révision de la loi sur l’asile de 1990. Le requérant d’asile en procédure est alors interdit de travailler les premiers mois de son séjour en Suisse. L’EVAM ne choisit et ne crée pas les lois, il les applique.

Quels sont les obstacles que rencontre un requérant d’asile dans sa quête d’un emploi ?

Les principaux obstacles sont les suivants: il y a des obstacles qui sont liés au contexte économique et politique ; alors que d’autres sont liés à la trajectoire personnelle du requérant d’asile. Les freins à l’emploi sont souvent enchevêtrés et il est difficile d’isoler les difficultés hors de leur contexte.

Concernant la trajectoire personnelle du requérant d’asile, le manque de connaissances en langue française pose des difficultés. On peut trouver un travail en ne parlant pas très bien le français, mais c’est exceptionnel. Dans la majorité des cas, l’employeur demande à son employé de comprendre et de pouvoir s’exprimer en français, car lors d’activités de production, où le temps est soumis à l’impératif du rendement, l’employeur a ni l’envie ni le temps d’expliquer trois fois les mêmes choses à son employé.

Maintenant, au niveau du contexte politique et économique, les requérants d’asile souffrent de discrimination à l’embauche. C’est un phénomène difficile à observer, car c’est rarement explicite ; mais ça m’est arrivé de le constater. La crise économique joue aussi un rôle. Par exemple, en 2010, la situation n’était pas la même que maintenant, ce qui a causé la perte de l’emploi de plusieurs requérants d’asile. Il y a aussi les exigences du marché du travail. Par exemple, l’émergence de nouvelles technologies fait que les employeurs exigent davantage de compétences techniques, dont bon nombre de requérants d’asile n’ont pas la maîtrise. Par exemple, dans le secteur de la mécanique industrielle, il faut savoir faire fonctionner des machines à commandes numériques. Il devient dès lors nécessaire d’avoir une certaine aisance dans l’utilisation des nouvelles technologies.

Un autre aspect est le contexte de professionnalisation de plus en plus poussé. Pour accéder à presque n’importe quel emploi, vous devez attester de vos compétences grâce à des diplômes ou des certificats. Ce phénomène traverse toute l’Europe. Or, le problème est, qu’en règle générale, les requérants d’asile n’ont pas pris leurs diplômes avec eux car ils doivent souvent fuir leur pays d’origine dans l’urgence et ensuite ils ont de la peine à les récupérer. A cela s’ajoute que leurs diplômes ne sont souvent pas reconnus en Suisse, les systèmes de formation étant très différents d’un pays à l’autre.

Enfin, pour certaines personnes, il y a le manque de compétences transversales appelées aussi les « soft skills » . Les « soft skills » sont par exemple : savoir organiser son travail, montrer une attitude adéquate, montrer qu’on a envie d’apprendre, poser des questions, aller jusqu’au bout du travail demandé, faire face aux imprévus etc.

C’est donc souvent le cumul de ces facteurs qui rend l’insertion professionnelle difficile; et le statut du requérant d’asile devient une difficulté supplémentaire à surmonter. Dans ce cas-là, le permis devient un obstacle. En règle générale, s’intégrer dans le monde professionnel prend du temps. Il faut avoir de la persévérance et oser se remettre en question. Les compétences ne s’acquièrent pas du jour au lendemain.

Un module de la formation consacrée aux techniques de recherche d’emploi du groupe emploi de l’EVAM.

Quelles mesures avez-vous mis en place pour aider les requérants d’asile à surmonter les difficultés que vous décrivez?

On oriente les jeunes dans des mesures éducatives lorsqu’ils en ont besoin. Il y a des gens qui ne savent pas quel métier choisir, on va donc les aider à s’orienter. Il y a également des personnes qui veulent faire un apprentissage, donc on va faire un bilan d’aptitude.

Certains requérants d’asile ont besoin d’une qualification de base dans un métier. On les oriente alors vers des formations externes à l’EVAM, telle que celle dispensée par la Croix Rouge dans le secteur de la santé.

Pour les personnes qui ont aucune expérience professionnelle en Suisse, on organise des stages. Nous avons organisé l’an dernier 84 stages et, en 2012, à la fin du mois d’août, 93. Ces stages leur permettent de se former, de faire l’expérience du marché du travail, de se faire connaître et d’élargir leur réseau.

En cas de situation médicale difficile, il nous arrive aussi parfois de coordonner notre action avec des médecins et des assistants sociaux. Pour ceux qui ont besoin de se remettre dans une activité (par exemple suite à une longue période sans emploi) on peut les placer dans une mesure de type « entreprise sociale d’insertion ». Ce sont des entreprises qui offrent des activités à des personnes soit qui sont exclues du marché du travail, soit qui ont besoin pour un temps de se remettre dans un rythme avec une activité productive.

Vos stratégies portent-t-elles des fruits?

Oui, on a actuellement des gens qui ont trouvé un emploi et qui travaillent. Par exemple, il y avait une femme qui était à l’écart du marché de l’emploi pendant dix ans. On lui a proposé d’étudier la langue française. Elle a donc effectué un stage organisé par le conseiller, qui l’a ensuite inscrite aux cours dispensés par la Croix Rouge pour suivre une formation d’auxiliaire de santé. Le conseiller a également préparé avec elle son dossier de candidature ainsi que les entretiens pour le recrutement. Pour finir, elle a réussi à obtenir un poste fixe dans un EMS. Le processus a duré deux ans et demi. Malheureusement, on a aussi des gens qui se découragent et qui abandonnent sans aller jusqu’au bout. C’est dommage.

Selon vous, quels sont les secteurs qui embauchent le plus ?

Cela dépend du niveau de scolarisation de la personne. De par le fait que la majorité des personnes qui recourent à nos services ont un niveau de scolarisation relativement bas, on les envoie dans les secteurs de la santé, du nettoyage, de la construction et de l’hôtellerie.

Est-ce que certains employeurs ont des préjugés à l’égard de la population des requérants d’asile?

Lors d’entretiens que l’on mène avec des employeurs dans le cadre d’activités dites de « prospection », il arrive que le conseiller en emploi doive faire face à des représentations négatives, mais également parfois aussi positives. Ces représentations peuvent poser des problèmes, car elles biaisent le regard que porte l’employeur sur le travail réel du requérant d’asile. Le rôle des conseillers est de remettre l’humain ainsi que les compétences professionnelles du requérant d’asile au centre de la discussion. Lorsque la discussion porte à parler de « nous » d’ici et de « eux » là-bas : on est déjà dans des schémas préconçus et on ne parle plus de l’activité et du travail de l’employé. Parfois, il arrive aussi de nous retrouver dans des cas où l’employeur effectue un déplacement, car l’expérience qu’il a avec son nouveau stagiaire requérant d’asile ne colle pas du tout avec l’image qu’il s’était construite à travers les médias notamment. Les préjugés sont un terrain très glissant. Notre rôle est de les éviter et de mettre l’être humain au centre de la discussion, sa recherche d’emploi, ses compétences et ses acquis.

Connaissez-vous un patron qui a embauché un requérant d’asile et qui est très satisfait de lui ?

On ne garde pas toujours des contacts avec les requérants d’asile qui ont trouvé un travail fixe. Ils n’ont plus vraiment besoin de nous. Mais j’ai en mémoire Madame C, qui est en EMS depuis le mois de janvier, ou Monsieur G, qui a effectué un stage en hôpital et qui va travailler comme aide de bloc opératoire. Je pense aussi à cet apprenti assistant dentaire dont son employeur est très satisfait. Il y a également un Monsieur qui m’a appelé l’autre jour pour me dire qu’il a été engagé comme caissier dans un magasin.

Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux employeurs ?

J’aimerais les inciter à capitaliser sur le long terme. C’est-à-dire de laisser la chance et le temps aux requérants d’asile de se former et de miser sur l’acquisition de compétences sur le long terme. En même temps, j’ai conscience qu’ils ont aussi des contraintes et que ce n’est pas toujours évident.

Propos recueillis par :

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils