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Un hommage à Eli

Evangelista Mañón Moreno. Auteure: Renata Cabrales / Voix d’Exils

Victime d’un féminicide

Un policier a tué Evangelista Mañón Moreno – alias Eli – le 19 mars 2021 à Bussigny, une commune à proximité de Lausanne. D’origine dominicaine, Evangelista Mañón Moreno était une mère de quatre enfants âgée de 43 ans. Cet assassinat a été rapporté dans la plupart des journaux comme un « drame conjugal » dans la rubrique des faits divers (Le Nouvelliste – 19.03.2021; Lausanne Cité – 20.03.2021; La Liberté – 20.03.2021; Le Matin – 20.03.2021; 20 Minutes – 20.03.2021). Cette manière de qualifier un féminicide par les médias ne peut continuer d’être acceptable.

Le mouvement Offensive contre le féminicide  définit le féminicide comme « la mort violente de filles, de femmes et de personnes considérées comme féminines, en raison de leur genre. Ils se produisent au sein de la famille, dans la sphère domestique ou au sein d’autres relations interpersonnelles et affectent toutes les régions, sphères et classes de notre société. Les féminicides sont l’expression du monde violent dans lequel nous vivons, où les femmes, les filles et les personnes considérées comme féminines en particulier sont souvent exposées à des violences multiples et doivent se défendre contre des violences basées sur leur genre, leur sexualité, leur classe ou leur origine ».

Par ailleurs, en raison de différents facteurs tels qu’économiques ou le manque de documents leur permettant d’obtenir l’autorisation de rester dans le pays d’arrivée, les femmes migrantes sont plus vulnérables et sont parfois obligées d’entretenir des relations abusives de dépendance ou de violences physiques et émotionnelles, dont l’isolement les empêche de trouver un moyen de sortir de situations aussi difficiles. Des recherches ont analysé ce phénomène :

« Les recherches sur la violence à l’égard des femmes issues ou non de la migration menée en Allemagne (centrées sur des femmes turques et de l’ex-Union soviétique) ont, sur la base d’analyses statistiques de corrélation, montré que, par rapport aux femmes allemandes, une exposition accrue à la violence ne peut que partiellement être expliquée par l’origine (par des valeurs religieuses et traditionnelles, des normes et des rôles stéréotypés). Ce sont avant tout des facteurs tels qu’une plus grande vulnérabilité en raison du cadre de vie (conditions sociales et économiques, stress induit par la migration ainsi que tensions dans les rapports entre les sexes), de maigres ressources (formation, revenu, implication dans la vie professionnelle, connaissances linguistiques, savoir et possibilités de soutien, etc.) et les barrières posées par le droit étranger qui ont pour effet d’une part d’accroître le risque de violence domestique et d’autre part aussi de rendre plus difficile l’abandon des relations fondées sur la violence » (Schröttle & Ansorge 2008 ; Schröttle & Glammeier 2014) ; www.ebg.admin.ch, juin 2020.

Mais la situation a été plus alarmante pendant la pandémie du COVID-19 en Suisse comme dans d’autres pays. « En Suisse, toutes les deux semaines, une femme est tuée par son mari, son partenaire, son ex-partenaire, son frère ou son fils, parfois par un inconnu » peut-on lire dans le journal Le Courrier de Genève en date du jeudi 28 octobre 2021. En effet, en raison du confinement avec leur agresseur pendant la pandémie, de plus en plus de femmes étaient victimes de féminicides; et les chiffres ont augmenté de manière alarmante, en Espagne par exemple: « depuis la levée de l’état d’urgence sanitaire le 9 mai, une femme est tuée tous les trois jours par son partenaire ou ancien partenaire, contre une moyenne un féminicide par semaine », rapporte Le Temps dans son édition du 28 juin 2021.

Il est temps à présent de reconnaître le féminicide comme un grave problème social.

Renata Cabrales

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Hommage à Eli ce samedi 19 mars

La collectif pour la mémoire d’Eli appelle à un hommage pour le premier anniversaire du féminicide de Evangelista Mañón Moreno (Eli) samedi 19 mars 2022 à Lausanne à la Riponne.

Un autre article traitant du même sujet:

FÉMINICIDE : DE LA VIOLENCE À L’HOMICIDE




Partager ses expériences : la clé d’une intégration réussie ?

CC0 Public Domain

CC0 Public Domain

Une recherche canadienne se penche sur le partage d’expériences comme vecteur d’intégration

Le projet Cities of Migration du Global Diversity Exchange – un groupe de réflexion basé à l’Université Ryerson au Canada qui promeut des idées innovatrices – souligne l’importance du partage d’expérience comme un outil d’orientation entre les migrants de différentes générations ou de différents niveaux d’expérience dans leur société d’accueil.

Une recherche en psychologie sociale menée en Australie indique que les migrants s’intégrant le mieux socialement dans leur société d’accueil sont ceux qui sont indépendants et qui ont pris en main leur propre intégration et qui font des efforts proactifs pour atteindre leur objectif. L’argument de la « proactivité » en matière d’intégration est bien connu et est sans doute central pour influencer le processus de manière positive. Cependant, l’entreprenariat individuel est-il réellement suffisant pour assurer une intégration réussie ?

Au-delà du migrant entrepreneur

Selon une définition sociologique générale, « l’intégration sociale exige la maîtrise d’une langue commune acceptée de la société, l’acceptation des lois de la société, et l’adoption d’un ensemble commun de valeurs de la société.» Bien que la connaissance de la langue et des lois soit techniquement importante et indispensable, à mon avis, c’est l’adoption de l’ensemble des valeurs communes de la société qui aide éventuellement les migrants indépendants et proactifs à réussir. Cependant, pour de nombreux migrants, comprendre ces valeurs et prouver qu’ils les suivent n’est évidemment pas toujours facile et nécessite souvent des conseils ou du mentorat, surtout dans les cas des jeunes et des femmes avec leurs familles. Cela nécessite également une communication active avec le reste de la société pour changer les perceptions.

Il est aussi important de ne pas tomber dans l’erreur d’uniquement se focaliser sur la le migrant comme entrepreneur de l’intégration et prendre en compte la société. Des recherches récentes montrent que « le processus d’intégration dépend fortement de l’attitude de la société d’accueil et notamment de ses propres préjugés, raciaux en particulier ». Une société ouverte est donc le premier accès à l’intégration pour les migrants.

Deux exemples de pratiques basées sur le partage d’expériences

Il y a en réalité de nombreuses approches pour aider les migrants à relever le défi de l’intégration. Le projet Cities of Migration  du Global Diversity Exchange, un groupe de réflexion basé à l’Université Ryerson de Toronto, au Canada, a pour but d’identifier et exposer les meilleures pratiques locales du monde entier qui promeuvent l’intégration des migrants. Examinées ci-dessous, deux de ces meilleures pratiques soulignant l’importance du partage d’expérience comme un outil d’orientation entre les migrants de différentes générations ou de différents niveaux d’expérience dans la société d’accueil.

  1. Les jeunes ambassadeurs en Belgique

Depuis 2006, la municipalité de la ville belge de Gand  met en œuvre avec succès un projet impliquant des jeunes bénévoles issus de la migration qui sont parvenus à s’intégrer à Gand notamment en obtenant un emploi. Ils ont surmonté des obstacles qui frustrent la majorité de leurs pairs. Le projet entraîne d’abord ces jeunes à développer des compétences telles que: parler en groupes, faire des présentations, construire leurs histoires, et comprendre le marché du travail. Ensuite, il organise des réunions de groupe où ces « ambassadeurs » partagent et discutent leurs trajectoires biographique : leurs parcours scolaires, leurs expériences dans la recherche d’emploi. En plus de leur entraînement, les bénévoles reçoivent un soutien et des conseils tout au long de leur participation pour que cela fonctionne mieux. Le projet améliore leurs compétences sociales et leur donne l’opportunité d’obtenir de nombreuses nouvelles connexions.

En débattant des problèmes quotidiens auxquels leurs jeunes sont confrontés, les communautés migrantes locales croient que le projet contribue à améliorer leur situation en matière d’emploi et d’éducation. Les ambassadeurs ont déjà parlé à plusieurs milliers de personnes lors de ces réunions. Le projet fonctionne avec différents groupes d’audience, y compris: les jeunes, les parents, les enseignants, et les employeurs. Dans chaque groupe, le projet génère des avantages spécifiques. Par exemple, la motivation des jeunes augmente lorsqu’ils rencontrent une personne de sa communautés qui a réussi à s’intégrer en apprenant comment la personne a surmonté les défis.

Le projet vise également à éliminer les stéréotypes sur les jeunes migrants. Les employeurs ignorent souvent leurs candidatures lors des entretiens d’embauche en raison de l’image négative des migrants qu’ils peuvent parfois avoir du fait que souvent ils n’ont pas de diplômes d’études post-secondaires ou même d’études secondaires. En rencontrant les ambassadeurs, les employeurs ont l’opportunité d’entendre des histoires d’intégration réussie ce qui améliore leur image des migrants et leur fait voir « l’individu qui se cache derrière le migrant ».

  1. Les mères de voisinage en Allemagne

Depuis 2004, l’autorité locale du district de Neukölln de Berlin mène un projet  se basant sur un concept similaire à l’exemple précédent. Ici, l’accent est mis sur les besoins et les défis dans la prise en charge des familles et des enfants migrants, leur éducation, leur santé, et leur bien-être. Certaines mères migrantes ont déjà surmonté plusieurs difficultés liées à l’intégration et ont de l’expérience au niveau de l’interaction avec des fournisseurs de services et de soutiens locaux. La participation de ces femmes au projet est un travail rémunéré. Le projet entraîne ces femmes comme mentors ou facilitateurs communautaires afin de leur permettre d’aider les nouvelles familles migrantes – souvent isolées – à s’intégrer dans la communauté locale. Ces mentors rencontrent ainsi régulièrement les mères nouvellement arrivées pour les aider à surmonter leurs difficultés. La provenance commune et la culture familiale partagée par ces femmes permettent une communication efficace et aide les nouvelles arrivantes à s’ouvrir au changement. Le projet se base sur un réseau de plus de 100 mères de voisinage de différentes nationalités. Il coopère étroitement avec les fournisseurs de services et de soutiens locaux, y compris les écoles, et relie les parents à eux. Les mères de voisinage ont fourni des conseils et des informations à des milliers de familles avec plus de 10’000 enfants.

Etre orienté pour mieux s’intégrer

Il est important que les migrants adoptent les valeurs de la société d’accueil pour obtenir en retour les bienfaits de cette société et pour participer à sa construction permanente. Encore faut-il que la société en question soutienne activement ce processus d’intégration. Qu’il s’agisse de chercher une éducation et une formation adéquates pour assurer un emploi, ou d’être entreprenant et proactif, ou de communiquer et chercher des informations efficacement dans un environnement complexe, les exemples abordés ici démontrent que les migrants ont besoin avant tout d’une orientation pour trouver leur chemin dans la société d’accueil. Les pratiques interactives examinées ci-dessus démontrent que de telles orientations sont mieux réalisées grâce au partage d’expérience entre les migrants expérimentés et les nouveaux arrivants. Et cela conduit au final à une meilleure cohésion de la société dans son ensemble.

MHER

Contributeur à Voix d’Exils