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« Pour moi, les sirènes annoncent un danger de mort »

Renato Oliveira, CC BY-NC-ND 2.0 DEED

Ce qu’évoque le test des sirènes pour les personnes réfugiées

Le test des sirènes d’alarme a lieu chaque année en Suisse le premier mercredi de février. Le son est diffusé à 13h30 durant 1 minute 41 secondes dans toute la Suisse et permet aux autorités de s’assurer du bon fonctionnement du système d’alarme. Cependant, des personnes ne s’y habituent pas à cause de certaines expériences vécues dans leur pays d’origine. Alix Kaneza, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils, partage avec nous son expérience ainsi que celle de Liana Grybanova également membre de la rédaction.

Les personnes réfugiées sont parfois informées du déclenchement de l’alarme du premier mercredi février grâce à des annonces dans les foyers ou encore par sms. En effet, pour beaucoup de personnes en quête de protection en Suisse, le bruit des sirènes est un son agressif qui fait remonter certains souvenirs mortifères à la surface. Voici notre ressenti à l’écoute du son des sirènes. 

Ma première expérience du son des sirènes

Je m’appelle Alix Kaneza et je viens du Burundi. Ma première expérience du son des sirènes remonte à mon enfance, dans les années 90. Je viens d’un pays qui a connu des guerres civiles pendant plus de 12 ans. Dans la zone où j’habitais, à Kinanira, les rebelles avaient l’habitude de lancer des roquettes depuis les montagnes avoisinantes de Bujumbura Rural sur ma ville.

J’ai donc été exposée au son des sirènes depuis que je suis toute petite. Pour moi, la sirène est un signe de danger de mort, c’est un son qui vous avertit qu’il y a un danger près de vous et que dans une minute vous pouvez mourir. C’est un appel à se cacher, à chercher un refuge, et à se préparer à survivre. C’est la peur de la dernière seconde, le stress de ne pas savoir quoi faire. Chez moi, jeunes et vieux couraient à travers un petit couloir pour se cacher; et dans la minute qui suivait, des fusillades éclataient. Nous étions alors obligés d’écouter le son des sirènes en même temps que les sifflements des balles qui traversaient tous les quartiers de la ville. Nous étions condamnés à vivre ces moments durant des années.

Quand je suis arrivée en Suisse, mon expérience des sirènes a été différente. Je me souviens du jour où mon assistante sociale m’a appelé pour m’expliquer le but des tests annuels des sirènes. J’étais alors impatiente de voir l’effet qu’elles auront sur les habitantes et les habitants du pays, en me demandant s’ils réagiront de la même manière que dans mes souvenirs: c’est-à-dire en courant trouver refuge à l’écoute de ces sons.

J’étais alors ravie, cette fois-ci, de pouvoir écouter le bruit des sirènes sans devoir courir me cacher.

Les sirènes de Kiev

Lorsque j’ai demandé à ma collègue Liana Grybanova, originaire de Kiev en Ukraine, si elle connait le son des sirènes; la première chose qu’elle m’a dite est : « La sirène de la guerre ? Bien sûr, j’ai déjà entendu la sirène pendant les bombardements. Avant que je quitte mon pays, les sirènes retentissaient tous les jours ». Etant donné qu’elle est originaire de Kiev, les sirènes lui rappelle ici le début de la guerre en février 2022. « A l’époque, pour nous, les sirènes c’était le son des héros, comme les feux d’artifices du 1er août pour les Suisses. C’est à ce moment-là que nous entendions la sirène. Mais tout a changé lorsque la guerre a éclaté il y a deux ans. Depuis, pour moi, la sirène est un avertissement de guerre, c’est le stress qui accompagne le son de la sirène, c’est comme un feu vert au bombardement qui approche… C’est une catastrophe imminente ».

« Je me suis récemment rendue à Kiev, en septembre 2023, pour ramener ma mère en Suisse. Mon expérience avec les sirènes était cette fois-ci pire que lorsque j’ai fui la guerre il y a deux ans. La première nuit, j’ai entendu les sirènes, puis les aboiements de chiens, les alarmes de voitures; puis 30 secondes plus tard le bruit des explosions, c’était l’œuvre de drones russes qui attaquent régulièrement Kiev et les autres villes ukrainiennes ».

Après avoir entendu le témoignage de Liana, j’ai réalisé à quel point le son des sirènes évoque des choses différentes et parfois terrifiantes en fonction d’où l’on vient. Cependant, pour toutes les personnes qui ont vécu des moments effroyables suite au cri des sirènes, les essais du premier mercredi du mois de février ne sonneront jamais comme un simple test.

Alix KANEZA

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




«À Damas, on s’habitue à vivre avec l’incertitude de la guerre»

Une colonne de fumée suite à une explosion qui s’est déroulée à d’une épicerie se trouvant dans la rue «Al Qosour el Jadid». Image prise depuis l’Al Qosour Square le 20 janvier 2014.Image recueillie sur K.N.N, le profil Facebook d’habitants du quartier Qasaa.

Une colonne de fumée suite à l’explosion d’une épicerie de la rue Al Qosour el Jadid. Image prise depuis l’Al Qosour Square le 20 janvier 2014 et recueillie sur K.N.N, le profil facebook d’habitants du quartier de Qasaa.

Damas, l’une des plus ancienne ville du Sham, est le théâtre quotidien d’échanges de tirs entre les rebelles et l’armée du régime de Bachar el-Assad. Les vagues d’oiseaux qui ornaient habituellement le ciel de la capitale syrienne font aujourd’hui place à des colonnes de fumée. Malgré cette tragédie, la ville reste vivante avec ses rues bondées de monde et saturées par la circulation. Voix d’Exils a réussi à entrer en contact avec quelques damasquins qui témoignent de leur quotidien dans cette ville meurtrie par presque quatre années de conflit.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU dénombre 39’393 personnes assassinées à Damas ville et campagne pour 2’600’000 habitants depuis le début du conflit. Selon un sondage réalisé par «The Economiste, Intelligence Unit», une société indépendante rattachée au groupe The Economist, qui classe les villes en fonction de 30 critères (incluant notamment la stabilité, le système de santé, la culture, l’environnement, l’éducation et les infrastructures), Damas arrive en dernière position du classement sur les 10 villes les moins agréables à vivre en 2013.

Étudier sous les bombes

Chaque matin, les habitants de Damas se réveillent dans le fracas des tirs et des bombardements. Ils s’informent alors auprès de leurs voisins ou à travers les réseaux sociaux pour vérifier si leur lieu de travail et les établissements scolaires fréquentés par leurs enfants sont loins de tout danger. «J’ai peur et je me culpabilise à chaque fois que j’envoie mes enfants à l’école sous les tirs des chars et les roquettes» confie Diana, mère de deux enfants et habitante du quartier Qasaa au nord-est de Damas. Elle prend beaucoup de précautions avant d’envoyer ses enfants à l’école, surtout que l’établissement scolaire voisin du leur a été frappé par une roquette une semaine auparavant. Quant à Marwan, opticien, père de quatre enfants et résident du quartier de Sha’alan (nord-ouest de Damas), il veut rester à Damas malgré les difficultés, mais il a surtout peur pour ses enfants. «Ils n’ont pas la chance de vivre dans un environnement stable et sécurisé. Malheureusement, je n’ai pas la possibilité de les envoyer à l’étranger».

Les quartiers de Damas. Source: mapcarta.com

Les quartiers de Damas. Source: mapcarta.com

Les enfants sont les premières victimes de cette guerre manigancée par des criminels. Ils trouvent ni stabilité ni sécurité et ils manquent de conditions minimales pour étudier et jouer. Ils sont frappés par la pénurie de médicaments, le manque d’eau potable et de combustible, surtout en hiver. Mais le plus insupportable pour eux est sans doute la crainte permanente de perdre à tout moment un proche, un ami ou un enseignant.

Pour sa part, Kinan, étudiant à l’Université de Damas et habitant du quartier de Barzeh au nord de Damas, il peine à potasser ses cours le soir. «Il n’est pas facile de planifier son temps pour ses études parce que les heures d’approvisionnement en électricité changent toujours». Puis il conclut en rigolant : «l’électricité vient chez nous comme un visiteur».

Des étudiants sont en face de l'Université de sciences informatique de Damas, devant la route qui conduit à l’aéroport de Damas attendent le bus. Source : Image prise le 11.11.2014 par une connaissance de Rama.

Des étudiants attendent le bus en face de l’Université de science informatique de Damas, devant la route qui conduit à l’aéroport. Source : Image prise le 11.11.2014 par une connaissance de Rama.

Survivre à la file d’attente

La guerre a détruit une grande partie de la ville et la vie devient de plus en plus chère. Les prix des produits d’importation ont triplé et sont difficiles à trouver. Même les produits locaux ont vu leurs prix doubler, alors que les salaires ont stagnés. Mohamad, habitant de Baramkeh, quartier plutôt privilégié et sécurisé de Damas, affirme «qu’on a l’impression que c’est un pays à feu et à sang. Pour la majorité des gens qui vivent ici, au centre-ville comme moi, on souffre surtout de l’augmentation du prix du gaz et moins des explosions en bas de la rue».

L’un des problèmes récurrent que rencontre Maher, habitant du quartier de Tijara au nord-est de Damas, c’est faire le plein de sa voiture. Il est obligé, à chaque fois, de faire la queue depuis minuit devant l’une des rares station-service ouverte, car c’est l’heure de la livraison du carburant. La file d’attente est devenue, en fait, le quotidien des damasquins, surtout devant les boulangeries et les centres de distribution de bouteilles de gaz. Ce qui les expose à un danger permanent, puisqu’à plusieurs reprises, ces files d’attente ont été la cible de bombardements.

Le trafic durant la matinée dans  la rue Shoukry Al Qouwatly entre l’hôtel Four Seasons et la rivière de Barada river. Image recueillie sur K.N.N, le profil facebook d’habitants du quartier Qasaa

Le trafic durant la matinée dans la rue Shoukry Al Qouwatly entre l’hôtel Four Seasons et la rivière Barada. Image recueillie sur K.N.N, le profil facebook d’habitants du quartier de Qasaa.

Des rues et des transports publics bondés

La circulation dans la ville est de plus en plus difficile et les habitants ont beaucoup de peine à se rendre d’un lieu à l’autre. Dareen, résidante du quartier de Mouhajrin, à l’ouest de Damas, mettait auparavant environ 25 minutes pour se rendre depuis chez elle jusqu’au quartier d’Al-Mazzeh, au sud-ouest de Damas, où se trouve son travail. Elle parcourt aujourd’hui, pour le même trajet, quelques heures à cause des nombreux check-points lors desquels les voitures sont fouillées par les soldats pour s’assurer qu’elles ne dissimulent pas de bombes. Les transports publics sont toujours bondés et les rues sont constamment gorgées de piétons ; phénomène observé depuis le déplacement forcé des habitants des régions périphériques en ville.

Réflexes de survie

Pour faire face à cette situation dramatique vécue au quotidien par les damasquins, ils développent des stratégies de survie qui leur permettent de s’adapter à cette incertitude permanente. Selon Boushra, mère de deux enfants et habitante du quartier de Mazzeh, «la crainte a fait de moi une personne plus forte qui aime la vie encore plus qu’avant». Quant à Fadi, médecin, père de trois enfants et résident du quartier de Bab Touma, à l’est de Damas, il s’exclame que «malgré les explosions on doit vivre. Ça c’est la vie ! Malgré ce changement, on s’habitue à vivre avec cela». Pour Rana, résidente du quartier de Dwel’a, au sud-ouest de Damas, la source du bonheur dans un pays qui vit la guerre est différente. Malgré les drames et les pressions autour d’elle, elle se considère «privilégiée et heureuse, lorsqu’aucun membre de (sa) famille ni tué, blessé ou enlevé!».

Malgré les combats, les assassinats, les pénuries et les kidnappings, les damasquins s’adaptent et gardent l’espoir de mener à nouveau un jour une vie à peu près normale.

Amra

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils