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C’est grâce à sa rage de réussir que Maître John a ouvert son atelier de confection

Maître John à l’œuvre. Photo: Paul KIESSE

Maître John à l’œuvre. Photo: Paul KIESSE

Couturier Congolais exilé en Suisse depuis huit ans, Jean Ndabi – Maître John – pour les intimes, a réalisé son rêve d’enfance: ouvrir sa maison de couture. Toujours souriant et de bonne humeur, Jean Ndabi affectionne la coupe et la couture depuis sa tendre enfance. Ce Congolais de 34 ans, père d’une fillette d’un mois, a contracté la poliomyélite à l’âge de 7 ans. Mais cela n’a nullement ébranlé sa détermination à devenir couturier.

A Kinshasa, la capitale du Congo, il passe trois ans dans une école de coupe et de couture, puis deux ans d’apprentissage dans un atelier. Lorsqu’il débarque en 2004 en Suisse, il est envoyé dans le canton de Neuchâtel, d’abord au centre d’accueil des Cernets, aux Verrières, et puis au centre d’accueil de Couvet.

Requérant d’asile, il cherche des petits boulots mais n’en trouve pas. « Beaucoup d’entreprises s’intéressaient à moi, mais à cause de ma mobilité réduite, elles étaient découragées. Mon handicap physique a été un sérieux frein pour trouver du travail », confesse-t-il.

« Ma clientèle est composée de gens de toutes nationalités »

Dans le centre d’accueil où il logeait, il y avait une salle de couture. Il décide alors de perfectionner son savoir-faire pour ne plus attendre un hypothétique emploi. Mais il lui faudra de la patience avant de voir son art reconnu. « En Suisse, je n’ai suivi aucune formation, mais j’ai beaucoup appris, surtout le sérieux suisse », déclare-t-il.

En 2010, il obtient son permis de séjour B et co-loue un espace à la rue de l’Ecluse à Neuchâtel.

L'atelier de confection de Maître John à Peseux. Photo: Paul KIESSE

L’atelier de confection de Maître John à Peseux. Photo: Paul KIESSE

Rapidement, la clientèle afflue, mais le lieu est trop exiguë et n’est pas adapté à ses ambitions. Il décide alors de voler de ses propres ailes et ouvre son atelier de confection à rue Ernest-Rouley 7, à Peseux. « Ma clientèle est composée de gens de toutes nationalités. Mais ici, à Peseux, ce sont davantage les Suisses qui viennent par rapport aux Africains », nous confie Me John, fier de ne pas dépendre de l’aide sociale.

« Je le voulais tellement que je l’ai réalisé »

Deux machines industrielles, une machine à ourlet, une machine de surfilage et une machine de boutonnière constituent l’équipement de la confection John Ndabi, ouverte depuis maintenant un mois et spécialisée dans la couture hommes, dames, enfants et les retouches. « Ce n’est pas facile d’ouvrir une maison de couture en Suisse, d’abord en tant qu’étranger, puis ensuite en tant que requérant d’asile sans fonds de démarrage. Mais je le voulais tellement que je l’ai réalisé », affirme-t-il.

Parlant de ses bons souvenirs, il souligne que « grâce à mon travail de couturier, les gens ont oublié mon handicap ». Avec l’ouverture de cette confection, Me John ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il ambitionne à présent d’ouvrir un magasin d’habillement, d’organiser des défilés de mode pour présenter la mode africaine et européenne. Mais, surtout, de recruter des stagiaires; car évoluant dans un premier temps seul, il compte engager trois à quatre personnes pour l’épauler dans cette lourde tâche.
Pour Me John, son exemple doit encourager d’autres requérants d’asile à s’intégrer et à valoriser leurs savoir-faire. Il se dit reconnaissant envers les autorités suisses, qui lui ont donné l’opportunité d’exprimer son talent; et envers du Centre social protestant (CSP), qui a mené les démarches pour l’obtention de son permis de séjour.
C’est grâce à sa pugnacité et sa rage de réussir que Me John a su faire reculer les limites de son handicap en misant sur ce qu’il sait faire le mieux à faire, à savoir : la coupe et la couture. Avec sa confection, il crée des emplois, paie les impôts et contribue à la prospérité de la Suisse qui l’a accueilli les bras ouverts.
Paul KIESSE

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 

 




Tout est possible!

Une étudiante en soins infirmiers. Auteur: Lower Columbia College (CC BY-NC-ND 2.0)

Pita, jeune Guinéen de 23 ans et requérant d’asile dans le canton du Valais depuis 14 mois a accepté de répondre à nos questions.

Quand Pita (nom d’emprunt) est arrivé en Suisse, il n’avait comme bagage que ses trois années passées à la faculté de médecine de son pays. Très vite, il a intégré l’équipe valaisanne de Voix d’Exils, ainsi que l’atelier de formation serrurerie du centre de formation et d’occupation « Le Botza » à Vétroz. Aujourd’hui, il se confie à nous :

« Dès mon arrivée en Suisse, mon premier objectif était d’éviter l’inactivité qui est la source de tous les maux des requérants d’asile (vol, vente de drogue, etc.), je savais que le chemin serait long et semé d’embûches. Mon souhait était de continuer mes études dans un domaine médical, même si j’avais de la peine à croire que ce soit possible. Après un laps de temps nécessaire pour m’adapter à mon nouveau pays d’accueil et grâce à l’écoute des encadrants qui s’occupaient de moi, j’ai émis le désir de m’inscrire à la HES-SO (Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale) de Sion, dans le domaine d’étude de la santé. Cette école,  avec ses sept filières de spécialisation, prépare des professionnels à participer à la promotion de la santé et au développement d’une politique de santé communautaire. Les formations sont conçues en alternance entre études et terrain dans des lieux de pratiques professionnelles.

Après une première demande écrite qui a été refusée par le SPM (Service cantonal de la population et des migrations), j’ai reçu une réponse positive, un mois plus tard, suite à une deuxième demande.

A l’époque j’habitais à Martigny avec plusieurs colocataires qui n’avaient pas le droit de travailler ; ainsi ils veillaient la nuit et dormaient la journée, donc c’était compliqué pour moi d’étudier et de trouver l’argent pour me payer les transports jusqu’à la HES-SO. Mais tout s’est enchaîné pour mon plus grand bonheur, le Service de l’asile m’a trouvé, à Sion, une petite chambre qui n’a pas de cuisine mais qui me permet de me concentrer sur mes études, sans être dérangé. En contrepartie, j’officie en tant qu’appui aux devoirs scolaires pour les requérants d’asile mineurs accueillis au RADOS (structure d’accueil pour requérants d’asile mineurs non accompagnés à Sion) et je peux y prendre mes repas.

A l’école, la couleur de ma peau me fait de la pub. Jamais je n’aurais cru être si bien accueilli, tout le monde me connaît et discute avec moi. Pour eux, je ne suis pas un requérant d’asile, je suis un collègue. Une étudiante venant de Brigue m’a avoué n’avoir jamais discuté avec un Noir avant de m’avoir rencontré. Elle m’a proposé de me donner des cours de ski cet hiver. Je dois vous avouer que j’ai été très surpris de remarquer que ce que racontent certains politiques et médias afin de discréditer les requérants d’asile est totalement différent de ce que pensent les étudiants de cette école. Ce qu’il y a de bien, à part les cours, c’est l’ouverture d’esprit des étudiants et…le nombre de jolies filles !

Dans le cadre de ma formation, j’ai eu l’opportunité d’effectuer mon stage au sein du service de gériatrie d’un établissement hospitalier. Les objectifs de ce stage étaient de découvrir les différentes professions du domaine de la santé; de réaliser des actions de soins et d’accompagnement; d’évaluer mes aptitudes à travailler dans une équipe de soins et d’affirmer ma motivation de poursuivre mes études dans le domaine de la santé en général et, plus particulièrement, en soins infirmiers. Ce stage a été très enrichissant pour moi, tant au point de vue professionnel (j’ai pu valider mon stage avec 92 points sur 100) que relationnel et, sur ce deuxième point, je vais vous conter quelques anecdotes.

Souvent les patients me demandaient d’où je venais et je leur répondais que j’étais Haut-Valaisan. Devant leur mine ahurie et quand ils me demandaient : mais de quelle commune ? Je précisais enfin que je suis Africain.

Un jour, une patiente m’a demandé : Est-ce que vous faites de la magie pour changer aussi souvent de taille: le matin vous êtes petit et le soir vous êtes grand ? Je suis resté sans voix et, en réfléchissant, j’ai compris ce qu’elle voulait dire. Dans le même service que le mien se trouvait un collègue Sud-Américain très grand et de peau foncée. En fait, cette dame, très âgée, nous confondait (je suis plutôt petit). Une autre patiente m’appelait son rayon de soleil, cela me réchauffait le cœur.

Au terme de ce stage, j’ai eu la satisfaction d’avoir atteint mes objectifs. Mais plus que cette satisfaction, ce stage a été très enrichissant pour moi. J’espère donc continuer mes  études de Bachelor en soins infirmiers, en Suisse ou ailleurs, car je n’ai toujours aucune garantie de pouvoir rester ici. »

Ce que Pita nous a transmis par son témoignage, c’est que la clé de réussite est d’essayer car tout est  possible avec de la bonne volonté.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils




« Notre rôle est de mettre l’être humain et ses compétences au centre de la discussion »

Francine Kalume, cheffe de l’équipe des conseillers en emploi de l’EVAM.

Le groupe emploi est une structure de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), composée de plusieurs conseillers en emploi, qui dispensent des cours de formation et qui soutiennent les requérants d’asile dans leur réinsertion professionnelle en Suisse. La population des requérants d’asile est très hétérogène et comprend à la fois des personnes qualifiées et non qualifiées, des personnes scolarisées et non scolarisées, des hommes, des femmes, des jeunes et des vieux, ce qui pose de nombreux défis. Voix d’Exils est allé à la rencontre de Francine Kalume – cheffe de l’équipe des conseillers en emploi – pour creuser cette question centrale qu’est l’insertion professionnelle. Interview.

Voix d’Exils : Pourquoi lorsqu’un requérant d’asile arrive en Suisse, il doit attendre trois mois avant de pouvoir commencer à chercher un emploi ?

Francine Kalume : C’est une disposition légale inscrite depuis la troisième révision de la loi sur l’asile de 1990. Le requérant d’asile en procédure est alors interdit de travailler les premiers mois de son séjour en Suisse. L’EVAM ne choisit et ne crée pas les lois, il les applique.

Quels sont les obstacles que rencontre un requérant d’asile dans sa quête d’un emploi ?

Les principaux obstacles sont les suivants: il y a des obstacles qui sont liés au contexte économique et politique ; alors que d’autres sont liés à la trajectoire personnelle du requérant d’asile. Les freins à l’emploi sont souvent enchevêtrés et il est difficile d’isoler les difficultés hors de leur contexte.

Concernant la trajectoire personnelle du requérant d’asile, le manque de connaissances en langue française pose des difficultés. On peut trouver un travail en ne parlant pas très bien le français, mais c’est exceptionnel. Dans la majorité des cas, l’employeur demande à son employé de comprendre et de pouvoir s’exprimer en français, car lors d’activités de production, où le temps est soumis à l’impératif du rendement, l’employeur a ni l’envie ni le temps d’expliquer trois fois les mêmes choses à son employé.

Maintenant, au niveau du contexte politique et économique, les requérants d’asile souffrent de discrimination à l’embauche. C’est un phénomène difficile à observer, car c’est rarement explicite ; mais ça m’est arrivé de le constater. La crise économique joue aussi un rôle. Par exemple, en 2010, la situation n’était pas la même que maintenant, ce qui a causé la perte de l’emploi de plusieurs requérants d’asile. Il y a aussi les exigences du marché du travail. Par exemple, l’émergence de nouvelles technologies fait que les employeurs exigent davantage de compétences techniques, dont bon nombre de requérants d’asile n’ont pas la maîtrise. Par exemple, dans le secteur de la mécanique industrielle, il faut savoir faire fonctionner des machines à commandes numériques. Il devient dès lors nécessaire d’avoir une certaine aisance dans l’utilisation des nouvelles technologies.

Un autre aspect est le contexte de professionnalisation de plus en plus poussé. Pour accéder à presque n’importe quel emploi, vous devez attester de vos compétences grâce à des diplômes ou des certificats. Ce phénomène traverse toute l’Europe. Or, le problème est, qu’en règle générale, les requérants d’asile n’ont pas pris leurs diplômes avec eux car ils doivent souvent fuir leur pays d’origine dans l’urgence et ensuite ils ont de la peine à les récupérer. A cela s’ajoute que leurs diplômes ne sont souvent pas reconnus en Suisse, les systèmes de formation étant très différents d’un pays à l’autre.

Enfin, pour certaines personnes, il y a le manque de compétences transversales appelées aussi les « soft skills » . Les « soft skills » sont par exemple : savoir organiser son travail, montrer une attitude adéquate, montrer qu’on a envie d’apprendre, poser des questions, aller jusqu’au bout du travail demandé, faire face aux imprévus etc.

C’est donc souvent le cumul de ces facteurs qui rend l’insertion professionnelle difficile; et le statut du requérant d’asile devient une difficulté supplémentaire à surmonter. Dans ce cas-là, le permis devient un obstacle. En règle générale, s’intégrer dans le monde professionnel prend du temps. Il faut avoir de la persévérance et oser se remettre en question. Les compétences ne s’acquièrent pas du jour au lendemain.

Un module de la formation consacrée aux techniques de recherche d’emploi du groupe emploi de l’EVAM.

Quelles mesures avez-vous mis en place pour aider les requérants d’asile à surmonter les difficultés que vous décrivez?

On oriente les jeunes dans des mesures éducatives lorsqu’ils en ont besoin. Il y a des gens qui ne savent pas quel métier choisir, on va donc les aider à s’orienter. Il y a également des personnes qui veulent faire un apprentissage, donc on va faire un bilan d’aptitude.

Certains requérants d’asile ont besoin d’une qualification de base dans un métier. On les oriente alors vers des formations externes à l’EVAM, telle que celle dispensée par la Croix Rouge dans le secteur de la santé.

Pour les personnes qui ont aucune expérience professionnelle en Suisse, on organise des stages. Nous avons organisé l’an dernier 84 stages et, en 2012, à la fin du mois d’août, 93. Ces stages leur permettent de se former, de faire l’expérience du marché du travail, de se faire connaître et d’élargir leur réseau.

En cas de situation médicale difficile, il nous arrive aussi parfois de coordonner notre action avec des médecins et des assistants sociaux. Pour ceux qui ont besoin de se remettre dans une activité (par exemple suite à une longue période sans emploi) on peut les placer dans une mesure de type « entreprise sociale d’insertion ». Ce sont des entreprises qui offrent des activités à des personnes soit qui sont exclues du marché du travail, soit qui ont besoin pour un temps de se remettre dans un rythme avec une activité productive.

Vos stratégies portent-t-elles des fruits?

Oui, on a actuellement des gens qui ont trouvé un emploi et qui travaillent. Par exemple, il y avait une femme qui était à l’écart du marché de l’emploi pendant dix ans. On lui a proposé d’étudier la langue française. Elle a donc effectué un stage organisé par le conseiller, qui l’a ensuite inscrite aux cours dispensés par la Croix Rouge pour suivre une formation d’auxiliaire de santé. Le conseiller a également préparé avec elle son dossier de candidature ainsi que les entretiens pour le recrutement. Pour finir, elle a réussi à obtenir un poste fixe dans un EMS. Le processus a duré deux ans et demi. Malheureusement, on a aussi des gens qui se découragent et qui abandonnent sans aller jusqu’au bout. C’est dommage.

Selon vous, quels sont les secteurs qui embauchent le plus ?

Cela dépend du niveau de scolarisation de la personne. De par le fait que la majorité des personnes qui recourent à nos services ont un niveau de scolarisation relativement bas, on les envoie dans les secteurs de la santé, du nettoyage, de la construction et de l’hôtellerie.

Est-ce que certains employeurs ont des préjugés à l’égard de la population des requérants d’asile?

Lors d’entretiens que l’on mène avec des employeurs dans le cadre d’activités dites de « prospection », il arrive que le conseiller en emploi doive faire face à des représentations négatives, mais également parfois aussi positives. Ces représentations peuvent poser des problèmes, car elles biaisent le regard que porte l’employeur sur le travail réel du requérant d’asile. Le rôle des conseillers est de remettre l’humain ainsi que les compétences professionnelles du requérant d’asile au centre de la discussion. Lorsque la discussion porte à parler de « nous » d’ici et de « eux » là-bas : on est déjà dans des schémas préconçus et on ne parle plus de l’activité et du travail de l’employé. Parfois, il arrive aussi de nous retrouver dans des cas où l’employeur effectue un déplacement, car l’expérience qu’il a avec son nouveau stagiaire requérant d’asile ne colle pas du tout avec l’image qu’il s’était construite à travers les médias notamment. Les préjugés sont un terrain très glissant. Notre rôle est de les éviter et de mettre l’être humain au centre de la discussion, sa recherche d’emploi, ses compétences et ses acquis.

Connaissez-vous un patron qui a embauché un requérant d’asile et qui est très satisfait de lui ?

On ne garde pas toujours des contacts avec les requérants d’asile qui ont trouvé un travail fixe. Ils n’ont plus vraiment besoin de nous. Mais j’ai en mémoire Madame C, qui est en EMS depuis le mois de janvier, ou Monsieur G, qui a effectué un stage en hôpital et qui va travailler comme aide de bloc opératoire. Je pense aussi à cet apprenti assistant dentaire dont son employeur est très satisfait. Il y a également un Monsieur qui m’a appelé l’autre jour pour me dire qu’il a été engagé comme caissier dans un magasin.

Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux employeurs ?

J’aimerais les inciter à capitaliser sur le long terme. C’est-à-dire de laisser la chance et le temps aux requérants d’asile de se former et de miser sur l’acquisition de compétences sur le long terme. En même temps, j’ai conscience qu’ils ont aussi des contraintes et que ce n’est pas toujours évident.

Propos recueillis par :

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils