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« Une dernière occasion de clamer leur révolte »

M. Olivier Messer, animateur pastoral

M. Olivier Messer, animateur pastoral, apporte écoute et soutien aux requérants d’asile placés en détention administrative.  Pour Voix d’Exils, il rend visible la difficile réalité de ces détenus.

 

Voix d’Exils : Comment définissez-vous le travail d’un aumônier?

L’aumônier est une présence d’Église dans des milieux de vie divers, comme les prisons, les hôpitaux, les écoles, etc. Son premier témoignage est sa simple présence qui rappelle celle de son Église en rejoignant les gens là où ils sont, là où ils vivent.

Il apporte un soutien spirituel aux personnes qui le souhaitent et peut, si la personne le désire, cheminer avec cette dernière sur une période plus ou moins longue. Il peut parfois apporter une aide matérielle, mais généralement cela est assuré par d’autres intervenants, comme les services sociaux par exemple.

Depuis combien de temps visitez-vous les lieux de détention administrative pour requérants d’asile déboutés?

Cela fait trois ans maintenant, mais de façon assez irrégulière, je le reconnais. J’ai surtout mis l’accent sur les visites aux détenus des prisons, ainsi qu’aux jeunes privés de liberté. Il faut en effet savoir que mon collègue protestant et moi-même sommes envoyés par nos Église et mandatés par l’Etat pour assurer le service d’aumônerie de tous les établissements pénitenciers du canton du Valais, ceci incluant le centre pour requérants d’asile de Granges. Le temps qui nous est attribué pour cela représente seulement 20% ! (1 jour pour 5 établissements…).

Quelle est votre expérience particulière d’aumônier auprès des requérants d’asile en situation de détention administrative ? Que pouvez-vous leur offrir ?

La question de l’offre est intéressante, car elle revient régulièrement lorsque je rencontre des requérants retenus : que pouvez-vous nous offrir ? Il est alors essentiel d’être pleinement honnête et précis : je suis ici pour vous offrir un soutien et un accompagnement spirituel, pour entendre ce que ces évènements révèlent en vous, comment cette situation que vous traversez vous parle intérieurement, dans une confidentialité absolue. Bien entendu, leur premier espoir est que je puisse influer sur la décision de renvoi dont ils font l’objet, mais là n’est clairement pas notre rôle. Et l’aumônier se doit d’être très clair sur ce point et inviter le requérant à se tourner vers son avocat, la justice, etc. Une fois cela exprimé, nous rentrons parfois dans de belles et douloureuses confidences sur la manière dont est vécu ce renvoi et cet emprisonnement (car il faut être sincère, il s’agit bien de cela au vu des conditions de détention), sur les espoirs mis dans ce voyage parfois très risqué vers la Suisse et la crainte de retourner au pays, par risque de violence ou par honte vis-à-vis de sa famille. Puis vient souvent la question de Dieu : quelle que soit la religion dont se réclame le détenu, la foi demeure souvent comme la seule valeur restante. Même si je perds tout, Dieu est présent, témoin de ma vie et ultime lumière vers laquelle se diriger. Cette foi permet de ne pas sombrer et de conserver une étincelle d’espoir.

Observez-vous une demande, un besoin de la part des requérants d’asile ? Le questionnement spirituel est-il important parmi ces détenus ?

Un besoin marquant est sans doute celui d’exprimer leur révolte face au système et au refus qu’ils ont reçu de la Suisse. Comme aumônier, nous arrivons au moment où tout est joué puisqu’ils sont en attente d’être physiquement renvoyés dans un autre pays. Une fois qu’ils comprennent que nous n’avons pas d’influence sur la justice, c’est un peu comme une dernière occasion de clamer leur révolte. Alors, une fois cette révolte entendue, on peut entrer dans le dialogue vrai et profond, si la personne accepte d’aller sur ce chemin. Et on touche au spirituel, au sens de l’existence, aux choix de vie, au sens à donner à ce que l’on traverse, qu’on le considère comme une épreuve ou comme une opportunité.

Pouvez-vous estimer la proportion de croyants parmi les requérants que vous rencontrez ?

Ceux que j’ai rencontrés m’ont toujours dit croire en quelqu’un ou en quelque chose.

Les détenus sont d’origines très diverses, avec des appartenances religieuses multiples. Les musulmans ont-ils aussi accès à un encadrement religieux ?

Pour l’instant, il n’y a pas d’aumônier musulman dans les établissements valaisans. Mon collègue protestant et moi-même sommes aussi à disposition des croyants d’autres religions, surtout pour l’écoute. Il faut aussi avouer qu’il est difficile de trouver un imam pour ce ministère.

Avez-vous observé des conversions? Avez-vous déjà baptisé quelqu’un dans un centre de détention administrative?

Je n’ai pas vécu ce genre d’évènement. Qui sait si l’avenir m’offrira cette joie ? A noter toutefois que je suis animateur pastoral de formation, donc laïc ; si un détenu souhaite recevoir un sacrement comme le baptême, mais aussi le pardon de ses fautes par exemple, j’entre alors en contact avec un prêtre. C’est lui qui pourra administrer le sacrement.

A titre personnel, que pensez-vous de la politique d’asile menée par la Suisse?

Je pense que la politique d’asile de la Suisse est réfléchie et témoigne aussi de sa volonté d’être reconnue comme une terre d’accueil.

Je peux toutefois lui reprocher les cas dans lesquels la personne – parfois même la famille entière – habite notre pays depuis plusieurs années et se voit soudainement déboutée, alors qu’elle est déjà bien intégrée. Je pense primordial que les décisions d’accepter une demande d’asile ou non soient prises beaucoup plus rapidement par nos autorités, même si cela implique la mise en place de postes administratifs supplémentaires. Il s’agit de la vie d’êtres humains et nous n’avons pas le droit de négliger cela.

Enfin, je pense que les conditions de détentions de ces personnes dans le centre valaisan sont inadmissibles et doivent impérativement être améliorées. Pour cela, il est important de sensibiliser l’opinion publique sur cette problématique, afin d’obliger ensuite les pouvoirs politiques à bouger.

C’est pourquoi je tiens à vous remercier, car par cette interview, vous permettez aussi de rendre visible la difficile réalité de ces détenus administratifs retenus en Valais.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Un requérant d’asile rencontre la foi

baptême à l’Eglise de Vouvry en Valais

Gaby Yao, un jeune Ivoirien de 21 ans, a reçu le sacrement du baptême en l’Eglise de Vouvry. Voix d’Exils l’a rencontré pour comprendre sa démarche.

 

 

Voix d’Exils : Vous avez été baptisé durant la messe du Samedi Saint en l’Eglise de Vouvry. Quel a été votre cheminement ?

En Côte d’Ivoire, j’ai suivi le catéchisme chez les Sœurs et j’ai même commencé à préparer le baptême : j’ai accompli la première étape, puis la deuxième, d’un parcours qui en comptait trois, mais j’ai tout abandonné quand le foot a pris ma tête.

Arrivé en Suisse, j’ai commencé à fréquenter l’église de Vouvry. Un jour, j’ai parlé avec le curé et ai demandé à être baptisé. C’est ainsi que ma préparation a commencé. Elle a duré trois mois jusqu’à la cérémonie du 7 avril dernier. Ce fut un moment exceptionnel, j’étais le seul à être baptisé ce soir-là.

Qui sont vos parrain et marraine ?

Mon parrain est le responsable du programme d’occupation de jardinage au Centre des Barges. Il a accepté tout de suite. Il a dit qu’il était vraiment touché que je pense à lui. Je suis son premier filleul. Ma marraine est une dame Suissesse qui habite le domaine des Barges. Je suis son seul filleul adulte. Tous deux m’aident à m’adapter et à m’intégrer du mieux possible en Suisse.

Avez-vous pu informer votre famille de votre baptême ?

Mon papa est décédé, mais j’ai pu joindre ma mère ; comme toutes les mamans, elle a pleuré ; elle m’a recommandé ensuite de garder mon caractère, de persévérer dans mon chemin et a promis qu’elle allait prier pour moi.

Le témoignage de Gaby nous rappelle que les requérants d’asile ne se réduisent pas à un numéro N, figés dans l’attente d’une décision à leur demande d’asile. Durant leur séjour en Suisse, ils vivent une vie d’humains ordinaires, intégrés dans leur société d’accueil. Ils se forment, travaillent, tombent amoureux, font du sport et certains, comme Gaby, tentent l’aventure spirituelle.

Pita

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Le paradoxe (2/2)

Dessin signé GéGé

Pour ceux qui sont restés sur leur faim lors de la publication de la première partie du conte « Le Paradoxe », voici la suite et fin. Bonne lecture.

Lors des discours devant la presse, les membres du premier groupe remercient cérémonieusement les membres du second groupe pour leur engagement dans la lutte contre la pauvreté et la famine ainsi que pour leur participation dans les processus démocratiques de leurs régions. Ils sollicitent une nouvelle aide au développement et une remise de la dette.

Le second groupe, lui, se réjouit des progrès économiques et politiques observés et félicite les nouveaux élus, arrivés au niveau suprême au terme d’élections libres et transparentes. Peu importe si le nouvel élu, qui avait quitté son pays à l’âge de quinze ans, est revenu à 72 ans avec une nouvelle nationalité et n’a recueilli que 18 pourcent des voix, ou si le monarque qui est resté plus de quarante ans au pouvoir est remplacé automatiquement à sa mort par son fils. Peu importe si les pays qui ont réalisé ces progrès économiques sont toujours des PPTE (Pays Pauvres Très Endettés).

Dans les coulisses, par contre, les choses sont bien différentes : tous les scénarios de conquête, d’enrichissement ou de confiscation du pouvoir se jouent sur fond de règlements de comptes et de pactes immoraux entre les deux groupes d’un côté et des multinationales de l’autre.

Le second groupe, plus rusé et plus technique, prend la parole : « Nous allons vous laisser faire ce vous voulez dans vos pays respectifs, sans qualifier vos régimes de dictatoriaux, nous placerons vos pays dans la classe des pays sûrs, ce qui vous épargnera le regard des médias internationaux ; en plus, tous ceux qui fuient vos régimes verront leur demande d’asile rejetée. Mais uniquement à certaines conditions : vous devez laisser le monopole du marché des matières premières à nos multinationales et signer un accord de réadmission pour que nous puissions vous renvoyer vos nombreux requérants d’asile ».

Il faut rappeler que si le second groupe ne respecte pas ses engagements, il verra le marché des matières premières passer dans d’autres mains, mais que si c’est le premier groupe qui trahit ses promesses, il sera confronté à un opposant fabriqué de toutes pièces, armé et accompagné dans sa conquête du pouvoir. Pendant que les balles crépitent, que des innocents meurent, les contrats seront signés dans les hôtels ; l’ancien ami recevra une balle dans la tête ou sera traduit devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Ici prend fin notre conte paradoxal qui, contrairement aux contes qu’on lit aux enfants, ne finit pas dans le bonheur et la félicité. Heureusement, il s’agit d’un conte, pas d’une réalité, qui ne ressemble évidemment en rien à ce qui s’est passé entre la patrie des droits de l’Homme et beaucoup de pays africains tels que le Gabon, la Guinée, la Côte d’Ivoire, en fait une coopération communément appelée LA FRANCAFRIQUE.

PITA

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Hausse de la violence dans les centres d’hébergement pour requérants d’asile : quelles solutions ?

M. Peter Schnyder

En lisant les journaux, nous avons constaté une hausse de la violence dans les centres d’hébergement pour requérants d’asile. En discutant avec des requérants d’asile, nous nous sommes aperçus que ces actes de violence sont souvent dictés par des motifs assez futiles : l’emprunt d’un rasoir, le caractère de son colocataire, le bruit de sa radio, etc.) ; leurs conséquences pouvant être parfois graves pour les protagonistes. Ces lectures nous ont donné envie de rencontrer le responsable d’un centre – M. Peter Schnyder – pour recueillir son avis sur cette question de la violence.

M. Peter Schnyder nous a reçu dans son bureau. Collaborateur de l’Office de coordination des prestations sociales du Valais  depuis de longues années, il a dirigé plusieurs centres d’accueil et connaît toute l’histoire de l’asile en Valais.

Voix d’Exils : Pouvez-vous vous présenter ? Depuis combien d’années travaillez-vous dans le domaine de l’asile ?

M. Peter Schnyder : J’ai commencé à travailler il y a plus de 25 ans, très précisément le 1er mai 1985 au foyer d’accueil de Vernamiège.

Que pensez-vous de la violence qui se manifeste dans les centres pour requérants?

Il est vrai que nous avons assisté à une augmentation des violences dans le milieu de l’asile, plus accentuée durant les derniers mois de cette année.

Selon vous, quelles sont les causes de ces violences ?

On assiste surtout à une hausse des vols et de l’agressivité en général, pour ma part, je considère qu’il s’agit avant tout d’un problème d’éducation. La violence se manifeste surtout entre les requérants d’asile. Il faut également souligner l’intolérance qui existe entre les différentes ethnies qui cohabitent dans un centre d’accueil. La religion, à mon avis, n’est pas en cause.

Quelles pistes verriez-vous pour trouver une solution à cette situation ?

Aujourd’hui, l’asile est vidé de sa substance il n’a plus de valeur. Il faut réformer le système. Il faut également essayer de contrer l’inactivité des personnes en leur proposant des activités. Avec l’ouverture du centre de formation et d’occupation tout proche : le Botza, j’ai observé des changements positifs chez certains. Une autre dimension sur laquelle nous pourrions travailler est celle de l’espace : en effet, les manifestations d’agressivité sont très directement liées au sentiment d’être confiné dans un espace insuffisant. Je dirais que l’on peut prendre des mesures pour limiter les violences dans les foyers, mais qu’il est illusoire d’imaginer l’éradiquer, car il s’agit d’un phénomène qui se retrouve partout ailleurs dans la société d’aujourd’hui.

Ma conclusion est que l’une des meilleures façons d’affronter la question de la violence serait probablement de faire appel à des médiateurs communautaires pour discuter des événements passés, dans l’espoir de désamorcer les crises.

Propos recueillis par :

PITA

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




L’EXIL

Illustration: LANDO

Ce mot est peut être très facile à prononcer, mais il qualifie l’une des conditions les plus dures à vivre. Seuls les exilés en savent quelque chose, car ce n’est pas comme on le pense, c’est une maison avec plusieurs portes; certaines peuvent nous envoyer en enfer, certaines peuvent nous ramener au bercail et d’autres s’entrouvrir sur une terre d’accueil.

Nous, les exilés, sommes aujourd’hui prisonniers de nos propres âmes et de nos parents laissés derrière nous.

Mécontents de notre patrie, soit à cause d’un problème économique, politique, ou bien à cause d’une situation familiale amère, nous avons renoncé à vivre chez nous.

À la recherche d’une vie meilleure, nous avons pris le risque de partir, de tout laisser et de venir affronter l’inconnu.

Nous nous sommes coupés de nos racines, de notre famille, de nos repères, des codes sociaux de notre culture, de notre langue, celle qui nous vient de notre mère, de la mère notre mère et de sa mère avant elle.

Nous avons préféré rompre les liens avec nos frères de sang pour adopter une nouvelle façon d’entendre, de comprendre, de s’exprimer, bref, une nouvelle façon de vivre.

Se fixer de nouveaux objectifs et de nouvelles règles nous fait souvent oublier qui nous sommes, d’où nous venons et même ce que l’on est venu chercher.

Certains d’entre nous retourneront au bercail une fois la situation calmée, car ils avaient jurés de partir mais aussi de revenir un jour.

D’autres rentreront à peine arrivés car leurs rêves de libertés se seront écroulés devant les dures réalités de l’Eldorado.

D’aucuns jureront de rester, de ne jamais retourner, même si les recours sont épuisés, l’assistance inexistante, l’espoir étouffé par des procédures marécageuses.

Malgré le poids du regard que porte sur eux le policier qui peut les menotter à tout moment même devant leurs enfants.

Cet agent qui les pousse dans une fourgonnette pour les cracher comme des microbes dans un centre de rétention.

Centre carcéral où ils seront éloignés de tout ce qui les attachait à la vie au point de leur faire perdre la mémoire d’eux-mêmes et le goût des autres.

Il ne leur restera alors que leurs corps et, parfois, le choix de l’hôpital, s’ils ont le courage de se faire du mal ; de la prison s’ils ont l’audace de se débattre ou de l’avion s’ils abandonnent et décident enfin de retourner sur la terre de leurs ancêtres; celle qui les a vu naître, grandir et qui aura toujours besoin de ses enfants.

Pita

Membre de la rédaction valaisanne