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Quand la glace va-t-elle fondre ?

Photo: Aaron Burden / unsplash.com

Le défi de Wael Afana

Longtemps, j’ai hésité à parler de mon expérience personnelle d’immigration en Suisse, pensant que beaucoup d’autres personnes pourraient prendre la parole avant moi, avec une histoire peut-être plus profonde et plus utile que la mienne. Cependant, j’ai toujours, au fond de moi, une voix qui me pousse à parler. Quelque chose revient chaque nuit, me rend visite avant que je ferme les yeux et me dit : « Pourquoi pas » ?

Alors, ce soir, avant de m’endormir, j’ai décidé de parler de mon expérience personnelle en Suisse.

Je suis arrivé en Suisse par une nuit d’hiver très froide. Un avion géant m’a transporté sur des milliers de kilomètres. A chaque heure qui passait dans cet avion, je regardais par le hublot et je me demandais : « Qu’est-ce que tu fais ! Es-tu fou? Tu avais une vie acceptable avec ta famille ! »

Malgré cela, il me manquait quelque chose que j’ai toujours recherché dans le visage des gens. J’ai toujours senti que je devais changer de vie. J’ai résisté farouchement à cette idée mais j’ai échoué parce que j’ai fini par écouter cette voix en moi qui me disait de quitter mon pays d’origine.

Je me suis procuré les papiers nécessaires, mon visa, même si j’étais très réticent à franchir cette étape !

Je me souviens de ma première nuit passée à Zurich dans un appartement avec vue sur le centre-ville. Les rues étaient animées et, au lieu de sortir pour découvrir la ville, je suis tombé sur mon lit en frissonnant. J’étais envahi par un étrange et profond sentiment de dépaysement, de solitude et de peur.

Huit mois se sont écoulés dans un camp de réfugiés et, finalement, j’ai été transféré dans une petite maison au centre d’une petite ville. J’ai alors commencé  à chercher un emploi. Malheureusement, j’ai rencontré un gros obstacle avec cette langue française bien compliquée ! De plus, pour convaincre un employeur de m’engager, il faut lui présenter un bon CV avec une attestation d’expérience professionnelle… Comment puis-je obtenir un tel certificat alors que cela ne fait pas plus de trois mois que j’ai quitté le camp de réfugiés ?

Je ne me suis pas découragé et j’ai frappé à toutes les portes. Mais malgré l’amélioration progressive de ma méthode de recherche d’emploi, je rentrais toujours chez moi sans résultat à la fin de chaque journée.

Je me souviens d’une nuit froide où tout était recouvert de neige et où la température était en dessous de zéro. Cette nuit-là, mes soucis et mes pensées se bousculaient. Je suis sorti me promener sans but dans la neige. Je me suis retrouvé à pleurer et à me parler à moi-même : « Que dois-je faire ? Quelle est la solution ? Comment puis-je trouver le chemin ? ».

J’ai trouvé un soulagement en me lançant ce défi : « Tôt ou tard, je réussirai ! »

Je sors de chez moi tous les jours, marchant dans les rues, regardant les arbres. Je me sens parfois brisé, désespéré et misérable… Mais je ne perds pas confiance en moi !

Je regarde celles et ceux qui courent à leur travail le matin, des ouvriers, des femmes et des adolescents. Je les regarde tristement parce que je n’ai pas ma place parmi eux. Cependant, en attendant, je leur souhaite bonne chance.

Je n’oublie pas la persévérance et le soutien de ma famille et de ma femme.

Je me souviens de la souffrance d’être éloigné de ma grande famille et du chagrin de ne les voir que de temps en temps. Je me souviens de ma confusion lorsque j’étais perdu parmi les métros, les trains et les gares routières.

Mes nouveaux amis, frères et sœurs immigrants… ne soyez pas en colère et ne désespérez pas. Essayez chaque jour et chaque nuit. Essayez mille fois et plus. Frappez à toutes les portes !

Ce n’est pas une honte de faiblir, de pleurer, de désespérer et de douter. Ne cédez pas sous la pression de la douleur et de l’adversité. Votre succès est peut-être à quelques pas.

Wael Afana

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Fouiller le téléphone portable des requérants d’asile: bientôt légal?

Léonore Cellier. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

A propos d’une récente initiative parlementaire de l’UDC qui est passée presque inaperçu

L’Union Démocratique du Centre (UDC) a récemment lancé une initiative parlementaire qui permettrait aux autorités de fouiller les téléphones portables des requérants d’asile qui arrivent en Suisse pour établir leur identité. L’initiative est largement soutenue par la Commission des institutions politiques du Conseils des États. Est-elle en voie de se concrétiser en loi ? Quels sont ses enjeux ?

Pour en parler, la rédaction vaudoise de Voix d’Exils a invité au Grand Direct de Radio Django du 18 septembre dernier Léonore Cellier. Etudiante en Master de droit, criminalité et sécurité des technologies de l’information à l’Université de Lausanne, Léonore Cellier  est actuellement stagiaire auprès du Préposé cantonal à la protection des données et à la transparence du canton de Genève.

Une émission à écouter ici

La prochaine émission de Voix d’Exils sur Radio Django approfondira la réflexion ouverte par Léonore Cellier. Rendez-vous le mardi 16 octobre 2018 à 18h sur Django.fm: https://radio.django.fm/

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Photos de l’interview de Léonore Cellier menée par Mamadi Diallo. Photos: Eddietaz

Le 18.09.2018, studio de Radio Django au Centre socioculturel Pôle Sud, Lausanne

De gauche à droite: Boris Gétaz (Radio Django) Mamadi Diallo (Voix d’Exils), Omar Odermatt (Voix d’Exils), Fabien Honsberger (Radio Django) et Léonore Cellier. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

 

Fabien Honsberger et Léonore Cellier. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

 

Mamadi Diallo et Omar Odermatt. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

 

 

 

 

 

 

 




Enfants migrants et risques psychologiques

Photo: Eddietaz/ Voix d’Exils

Rencontre avec Bernard Hunziker, psychologue au Service Universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV

Lorsqu’on parle de migration, on parle souvent de personnes adultes, de mineurs non accompagnés, mais très rarement des enfants migrants accompagnants leurs parents migrants. Quels sont les problèmes psychologiques que ces enfants qui ont grandi dans un pays d’accueil sans connaître leur pays d’origine peuvent rencontrer ? Pour en parler, nous accueillons Bernard Hunziker, psychologue et responsable pour les MNA au Service Universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV. Une interview menée par Anush lors du Grand Direct de Radio Django du 16 mai 2018 à écouter ici.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Photos de l’événement signées Eddietaz / Voix d’Exils

Photo: Eddietaz/ Voix d’Exils

 

Photo: Eddietaz/ Voix d’Exils

 

Photo: Eddietaz/ Voix d’Exils

 

Photo: Eddietaz/ Voix d’Exils

 




Elections en RDC : « Il faut un souffle nouveau »

M. Freddie Malumba: Photo: Voix d’Exils

M. Freddie Malumba: Photo: Voix d’Exils.

On peut avoir quitté son pays depuis longtemps, s’être parfaitement intégré à son pays d’accueil, le lien avec la mère patrie ne se casse jamais. Les exilés suivent de près l’évolution de leur pays d’origine, surtout lorsque les événements s’emballent. C’est le cas de Freddie Malumba, originaire de la République démocratique du Congo (RDC), qui reste très attentif aux soubresauts qui agitent Kinshasa à la veille de l’année 2016, annoncée comme cruciale au niveau calendrier politique du pays.

L’année 2016 sera décisive pour l’avenir de la RDC (ex Congo belge) puisque le deuxième mandat présidentiel du chef d’Etat actuel, Joseph Kabila, arrivent à terme. Alors que ce vaste pays d’Afrique centrale (avec près de 80 millions d’habitants et une superficie de 2, 3 millions de km2, soit 80 fois plus grand que la Belgique) joue son avenir, la rédaction valaisanne de Voix d’Exils a trouvé un observateur privilégié en la personne de Freddie Malumba. Ce dernier est arrivé en Suisse comme demandeur d’asile le 3 novembre 2003 suite aux problèmes politiques rencontrés dans son pays et est, aujourd’hui, responsable du foyer des requérants d’asile de St-Gingolph en Valais.

Voix d’Exils : Loin de votre pays, comment avez-vous vécu les manifestations de janvier 2015 dans les rues de Kinshasa, la capitale de la RDC, et à l’Est du pays ?

Freddie Malumba : Sincèrement je suis déçu par les politiciens, qu’ils soient de la mouvance présidentielle ou de l’opposition. Ils se fichent complètement du bien-être du peuple. Ce qui compte pour eux, c’est de s’enrichir sur dos de la population. Ils servent leurs intérêts personnels. Que le peuple vive ou crève, ce n’est pas leur préoccupation majeure.

Quel chemin prendre pour mener des élections transparentes et apaisées en 2016?

Il faut savoir que le Président Kabila ne s’est jamais prononcé pour un troisième mandat. Il a même déclaré qu’il respectera la Constitution. L’opposition, quant à elle, pense le contraire. Tout comme Mobutu à la fin de son règne, Kabila est poussé par son entourage à demeurer au pouvoir pour ne pas perdre leurs intérêts. De mon point de vue, il faut un souffle nouveau, une nouvelle génération de politiciens aux affaires. Que la fine fleur de ce pays puisse prendre le flambeau.

Au regard de ce qui se passe en République centrafricaine, pays limitrophe de la RDC, la question de l’insécurité, surtout celle liée à la cohabitation des différentes religions se pose. Qu’en pensez-vous ?

La région des Grands Lacs africains, comprenant le Rwanda, le Congo RDC, l’Ouganda, le Burundi et la Tanzanie est confrontée à un problème ethnique plutôt que religieux. Les musulmans dans cette zone sont minoritaires et ont toujours été respectés dans leur foi et leurs pratiques. Si un problème devait se poser, ça serait entre l’Eglise catholique et les mouvements de réveil.

Quel est votre avis concernant la problématique liée aux mouvements des populations dans votre pays ?

Il existe un problème de souveraineté dans mon pays. La carte du Congo est là, mais les frontières ne sont pas respectées. La conférence de Berlin a limité les frontières sans tenir compte de la réalité du terrain, raison pour laquelle on retrouve les mêmes familles des deux côtés de la frontière : les bangala au Congo Brazzaville, en République centrafricaine et au Congo belge, le peuple kongo en Angola et au Congo belge. Ensuite, Il n’y a pas de carte d’identité, on ne sait pas qui est congolais et qui ne l’est pas. Alors que le droit de la Cité et du sol doivent exister.

Pour conclure, comment voyez-vous l’avenir de votre pays la RDC ?

L’avenir de la RDC est dans la conscience retrouvée. Le monde doit savoir que le Congo n’est pas une usine mais un pays qui a des femmes et des hommes capables de prendre en main leur propre destinée et c’est avec eux qu’il faut composer.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Collaboration renforcée entre les autorités suisses et celles des pays d’Afrique de l’Ouest

Photo: Daniels Danyels CC BY-NC-SA 2.0

Les requérants d’asile déboutés en provenance d’Afrique de l’Ouest vivent dans des conditions difficiles sur le territoire suisse. Parmi ceux qui sont à l’aide d’urgence, certains sont convoqués par l’Office fédéral des migrations (ODM) pour localiser leur pays d’origine et tenter de les renvoyer. Ceux qui refusent de s’y rendre disparaissent parfois dans la nature.

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Auparavant, la procédure de renvoi était la suivante : des policiers arrivaient vers trois 3-4 heures du matin au foyer dans lequel vivait le débouté concerné. Puis, ils l’emmenaient au centre de détention administrative de Frambois, où il restait jusqu’à son expulsion.

A présent, l’on observe de nouvelles pratiques qui s’ajoutent aux précédentes: les autorités suisses collaborent avec certains pays d’Afrique de l’Ouest dans la procédure d’expulsion. Ces pays sont la Guinée Konakri, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Sur demande de l’ODM, des spécialistes africains font le voyage en Suisse pour enquêter sur l’origine de certains déboutés supposés appartenir à l’ethnie peule – ethnie majoritaire en Afrique de l’Ouest. Ensuite, avec l’aide de l’ambassadeur du pays concerné, ils délivrent un laisser-passer afin que les déboutés soient rapatriés vers leur pays d’origine.

« Savez-vous pourquoi ces rapatriements se focalisent sur la Guinée Konakri ? Parce que, si l’on trouve des Peuls dans tous les pays frontaliers, la majorité d’entre eux vivent en Guinée Konakri. Donc, leur retour ne se fera que vers ce pays », affirme Jeckson, 31 ans, requérant de Sierra-Leone, arrivé en Suisse en 2001 et vivant depuis 2007 dans un foyer d’aide d’urgence lausannois. «Personnellement, on m’a convoqué trois fois. Comme je parle le peul, ils en ont déduit que j’étais Guinéen. En fait, je suis le fils d’un père Bambara d’origine sierra leonaise et d’une mère Peule d’origine guinéenne qui se sont mariés en Sierra Leone. On m’a adressé plusieurs fois des documents à signer afin que je rentre en Guinée Konakri alors que moi, je demande de pouvoir rentrer en Sierra Leone, mais cela n’est pas pris en considération ». Selon Jeckson, ses origines sierra leonaises auraient été confirmées par l’ambassade de Sierra Leone en Allemagne. « Hélas, j’ai souffert de tuberculose et je présente des problèmes psychiques pour lesquels je suis traité ici, alors qu’en Afrique je n’aurais pas les moyens de me soigner. Je ne suis pas aujourd’hui en état de retourner dans mon pays mais je garde l’espoir ».

Dans l’impasse

Quand les spécialistes africains sont arrivés en Suisse, en février dernier, plusieurs requérants à l’aide d’urgence ont été convoqués à Berne par l’Office des migrations. Par peur d’être rapatriés de force, certains ont quitté les foyers où ils vivaient et se sont retrouvés sans savoir où se loger et quoi manger. «Pour éviter un renvoi qui mettrait en péril notre vie », confie un Guinéen de 28 ans. Certains ont même quitté le territoire suisse pour tenter leur chance dans d’autres pays.

A ceux qui refusent de répondre à la convocation de l’ODM, le Service de la population (SPOP) confisque le « papier blanc » (document d’identité qui précise le statut à l’aide d’urgence) qui leur permet de bénéficier du droit au logement et à la nourriture. Ceux qui n’ont plus leur papier blanc s’évanouissent généralement dans la nature. «J’ai perdu mon toit dans un pays où la valeur de l’humanité devrait être protégée », regrette un Sénégalais débouté.

Parmi ceux qui ont été convoqués, une minorité n’a pas eu d’autre choix que de se présenter à Berne auprès des délégués guinéens. «  Il est quand même difficile humainement d’aller se rendre alors qu’on s’est enfui, relève un débouté. Dans un monde où la vie est toujours plus difficile, il y a peu de gens qui te tendent la main. Si nous quittons les foyers d’aide d’urgence, nous ne trouverons pas où nous loger et de quoi manger d’une façon régulière. Si nous allons dans un autre pays d’Europe, on nous renverra en Suisse à cause des accords Dublin…»

Kidha, 27 ans, fait partie de ceux qui ont rencontré les délégués. Ce Guinéen a quitté son pays pour éviter le mariage forcé avec la veuve de son frère aîné. Après un voyage très risqué, il est arrivé en Suisse en 2010 et a déposé sa demande d’asile. Il y a quelques mois, sa demande a été rejetée et il est maintenant à l’aide d’urgence. « Je me suis rendu à Berne car c’était pour moi la seule option pour ne pas perdre la place que j’occupe dans un centre d’aide d’urgence actuellement. A l’ODM, j’ai dit que j’étais Guinéen et fier de l’être. Mais tant que la raison pour laquelle je suis ici existe, je ne retournerai pas dans mon pays. En fait, les délégués savent très bien ce qui se passe dans mon pays. Malgré tout ça, ils masquent les problèmes de la société, car ce qui les intéresse c’est que le pouvoir reste aux mains de la communauté mandingue et d’assurer sa pérennité. C’est vraiment inadmissible !».

Hodan-Bilan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils