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La violence à l’encontre des femmes en Afghanistan

Photo: Renata Cabrales / Voix d’Exils.

Parole à Jamail Baseer : jeune femme afghane refugiée en France

À leur retour au pouvoir en Afghanisant le 14 août 2021, les Talibans ont fermé les écoles aux filles et aux femmes et les ont exclues de l’espace public ce qui a provoqué l’indignation de la communauté internationale.

« En Afghanistan, j’ai travaillé comme traductrice avec des journalistes français, j’ai aussi travaillé en collaboration avec une ONG. Ma sœur était footballeuse professionnelle et travaillait avec un ingénieur civil. Ce n’était pas notre choix de quitter le pays. Le 15 août 2021, ma famille et moi avons quitté le pays. Ce sont les premiers mots de Jamail, une jeune femme afghane qui partage avec nous son témoignage de victime du système extrémiste mis en place par les talibans.

Perspective historique

Quelques faits historiques tirés d’un vieil article de la BBC montrent qu’en 1973, Zahir Shah a été renversé par le militant de gauche Mohammed Daoud Khan, mettant ainsi fin à plus de 200 ans de monarchie en Afghanistan. Depuis lors, sous la République dite d’Afghanistan, les droits des femmes ont progressé puisque qu’elles ont pu entrer au parlement, recevoir une éducation universitaire et obtenir des fonctions publiques. Tout cela grâce aux régimes soutenus par l’Union soviétique à la fin des années 1970, lorsque le Parti démocratique populaire (marxiste) d’Afghanistan a pris le pouvoir lors de la révolution d’avril 1978. La progression de ces droits s’est poursuivie donc après l’invasion soviétique en 1979.

Cependant, lorsque les talibans sont arrivés au pouvoir en 1996, les droits des femmes à l’éducation et à l’emploi ont été totalement anéantis. Les femmes afghanes ne pouvaient sortir qu’accompagnées d’un parent masculin et devaient porter une burqa qui les couvre entièrement. Elles ont également été condamnées à des mesures cruelles imposées par des règles fondamentalistes et rétrogrades, telles que les décapitations et les lapidations, pour une prétendue désobéissance.

Plus tard, lors de l’invasion américaine, la situation a un peu changé, non qu’elle se soit améliorée, car selon le mouvement des femmes RAWA, l’Association révolutionnaire des femmes d’Afghanistan, leurs droits ont été obtenus à cette époque grâce à la lutte du mouvement et non à l’intervention des États-Unis.

Cependant, ce répit a été de courte durée car après le retrait des troupes américaines en août 2021, les talibans (un mot qui signifie ironiquement « étudiants ») sont revenus au pouvoir, redoublant toutes les formes de misogynie. Puis les femmes ont commencé à subir les mêmes violences puis les portes des écoles et des universités leur ont été fermées.

« Nous aidons les professeurs à enseigner à certaines filles, car nous savons que les écoles sont fermées et que, dans les villages, la plupart des familles ne permettent pas à leurs filles d’aller à l’école. C’est donc une bonne occasion pour elles d’étudier près de chez elles » explique Jamail qui, d’ailleurs, avec sa sœur Fanoos, recherchent des aides financières pour les enseignants qui scolarisent clandestinement les filles en Afghanistan.

En guise de protestation contre les nouvelles réformes des talibans, une jeune femme afghane s’est tenue à l’entrée d’une université le 25 décembre 2022 (alors que le monde entier – ou presque – célébrait les fêtes de fin d’année), en tenant une pancarte sur laquelle était inscrit en arabe : « iqra » qui signifie « lire »;  la première parole révélée par Dieu au prophète Mahomet selon la religion musulmane. « Dieu nous a donné le droit à l’éducation. Nous devrions craindre Dieu, pas les Talibans, qui veulent nous priver de nos droits » a déclaré la jeune femme à la BBC. Après avoir exclu les filles de la plupart des écoles secondaires au cours des 16 derniers mois, les talibans ont également interdit il y a quelques jours l’enseignement universitaire aux femmes qui y voyaient le seul moyen de se libérer du joug religieux imposé par le gouvernement fondamentaliste des talibans.

L’Afghanistan aujourd’hui

Aujourd’hui, l’Afghanistan est un pays frappé par la misère que les gens fuient chaque jour à la recherche d’une vie meilleure car s’ils ne sont pas tués par la faim, ils sont tués par les affrontements entre groupes religieux extrémistes. Des familles entières font d’interminables voyages à la recherche d’un avenir meilleur mais, selon la plupart des gouvernements des pays où elles arrivent, il n’y a pas de guerre officielle en Afghanistan. C’est la raison pour laquelle de nombreuses demandes d’asile sont rejetées.

« Il y a aussi beaucoup de femmes exerçant une profession, comme maîtresse d’école, qui mendient dans les rues, ce qui me fait vraiment pleurer » raconte Jamail, les larmes aux yeux. Puis, reprenant son souffle, elle poursuit : « Ce n’était pas notre choix de quitter notre pays. Tout d’un coup, en une heure, beaucoup de gens ont dû quitter l’Afghanistan. Aujourd’hui, ma famille et moi sommes sûres que nous aurons une vie meilleure ici, mais nos pensées sont toujours dans notre pays bien-aimé. Pour ma part, les rues illuminées de Shari, une place célèbre à Kaboul, me manquent toujours. Ma maison, ma chambre et toutes mes affaires me manquent encore, celles que je n’ai pas pu emporter en France… Je ne suis pas heureuse » regrette la jeune femme.

Propos recueillis par:

Renata Cabrales

Membre de la rédaction de Voix d’Exils

 

Jamail Baseer

Je m’appelle Jamail Baseer. J’ai 33 ans et j’ai quitté l’Afghanistan le 17 août 2012. J’étais traductrice en Afghanistan pour des journalistes français et je travaillais également avec des ONG internationales. J’ai travaillé comme interprète et traductrice auprès de journalistes français et de militants des droits des femmes en Afghanistan. Maintenant, je vis en France en tant que réfugiée.

 

 




Le peuple iranien se rebelle

Déjà 300 morts en 3 mois de manifestations contre le régime iranien

Les manifestations pour dénoncer le meurtre de Mahsa Amini par la « police des mœurs » ne montrent aucun signe d’apaisement, malgré une réaction violente des autorités iraniennes, ce qui constitue un défi pour la République islamique depuis sa fondation en 1979. Rencontre avec Marjane*, une femme iranienne réfugiée en Suisse, qui partage son point de vue sur les raisons de l’intensité des manifestations en cours en Iran.

L’oppression des femmes en Iran a commencé suite à la révolution islamique il y a 43 ans et n’a fait que s’intensifier durant tout ce temps. La situation des femmes en Iran est donc difficile car cela fait une quarantaine d’années que l’État exerce un contrôle strict sur leur corps. D’une part, elles sont tenues à porter le voile, d’autre part, elles sont persécutées par les « gardiens de la révolution », ainsi que par la « police des mœurs »:  une unité des forces de sécurité du pays dont la mission est de les harceler dans la rue afin qu’elles respectent les lois islamique du code vestimentaire en public, c’est-à-dire porter le voile correctement, de manière à ce que leurs cheveux ne soient pas visibles, ne pas porter de vêtements moulants ou colorés et bien couvrir leurs bras et leurs jambes.

La punition pour s’être dévoilée en public peut être la détention, l’emprisonnement, une amende ou des coups de fouet. Ainsi, les femmes du pays de la soi-disant « révolution » sont soumises quotidiennement à des hommes inconnus qui les poursuivent, les battent, les aspergent avec des sprays au poivre et les traitent même de « putes ».

Les plus grandes manifestations contre le régime

Les manifestations les plus récentes ont commencé parce qu’en septembre dernier, la police des mœurs est allée trop loin, étant accusée d’avoir battu à mort une jeune femme. Sa mort a suscité de vives protestations rejetant la violence religieuse machiste. Par solidarité, de nombreuses femmes sont descendues dans les rues sans voile et d’autres, dans un geste symbolique, ont mis sur les réseaux sociaux des vidéos où elles se coupent les cheveux.

Mais les personnes qui défendent les droits des femmes sont réprimées parce qu’elles s’opposent à ce système patriarcal et oppressif et la conséquence de l’opposition à la République islamique est l’exécution, souligne Marjane.

Cependant, après les manifestations de novembre 2019, qui ont une origine socio-économique, il s’agit, en ce moment, de la plus grande manifestation contre le régime et personne ne peut garantir qu’elle se terminera. C’est pourquoi, le régime encourage les marches pour « protéger l’Islam » et pointe du doigt les « fauteurs de troubles », tout en accusant les États-Unis de soutenir les révoltes.

La vague de violence a fait des centaines de morts, pour la plupart des manifestants, et a conduit à de nombreuses arrestations par les forces de sécurité. Mahsa Amini n’était pas seulement une femme, mais aussi une Kurde, c’est-à-dire qu’elle appartenait au peuple kurde, qui constitue la plus grande minorité ethnique du Moyen-Orient et qui ne vit dans aucune forme d’État-nation.

Ce peuple est victime d’actes cruels de discrimination et c’est pourquoi la jeune femme s’appelait en réalité Jina, mais Jina en kurde signifie « femme » et, en Iran, il est interdit de parler cette langue. C’est pourquoi Jina a été rebaptisée Mahsa. Or, dans les médias de tout le Kurdistan, elle est appelée Jina Mahsa: son nom kurde.

300 morts parmi les manifestant.e.s

C’est ainsi que dans le Kurdistan iranien, dans certaines régions d’Iran, on entend depuis lors des cris avec des slogans comme : « Jin, Jiyan, Azadî » ce qui signifie « Femme, vie, liberté » et « Bimre Dîktator », soit « Mort au dictateur ». Ces phrases d’indignation sont dites dans la langue interdite : le kurde.

En outre, « Jina a été violée et torturée physiquement et mentalement par la police des mœurs. De nombreuses personnes ont été tuées, emprisonnées et exécutées également. En effet, le régime utilise des armes à feu pour réprimer les révolutionnaires », s’indigne la jeune Iranienne Marjane.

Finalement, Marjane estime que pour le moment, rien n’est clair, « cette révolution a commencé il y a presque trois mois » explique-t-elle. De plus, elle espère qu’elle se terminera en faveur du peuple iranien qui se bat pour sa liberté. malgré environ 300 morts dus à la répression de la République islamique, les manifestations se poursuivent et aujourd’hui il semble impossible d’en connaître l’issue. La seule certitude est que la révolution gardera un fort caractère féministe selon la plupart des mouvements féministes qui se battent pour cette cause.

*Nom d’emprunt.

Propos recueillis par:

Renata Cabrales

Membre de la rédaction de Voix d’Exils




La migration: un choix plutôt qu’une croix

Les espoirs des femmes migrantes colombiennes

Les femmes migrantes colombiennes quittent leur pays pour des raisons telles que la violence sexiste, la persécution politique, le chômage et, dans certains cas, les menaces de groupes armés illégaux, pour avoir enfin une vie décente dans un autre pays. Avec l’élection récente d’un président progressiste en Colombie, la situation des femmes pourra peut-être enfin changer.

Avec l’accession de Gustavo Petro à la présidence le 19 juin dernier, la Colombie vient de virer à gauche pour la première fois de son histoire. Une nouvelle ère pour le peuple colombien et surtout pour les femmes. Si le programme du nouveau gouvernement de la coalition électorale du Pacte historique se réalise, il garantira une vraie amélioration de la situation des femmes comme l’affirme Gustavo Petro : « J’ai proposé la création du Ministère de l’Égalité avec comme objectifs immédiats : 1. Atteindre l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.  2. Reconnaître le temps des femmes passé à l’entretien du foyer comme du temps de travail comptabilisé pour leur retraite ».

De même, la vice-présidente, Francia Marquez, promet que « la première mesure est l’égalité pour les femmes en Colombie car nous voulons que les femmes aient une autonomie économique, nous voulons que les femmes aient une autonomie politique, nous voulons que les femmes aient des droits garantis. Nous voulons l’égalité et des opportunités pour les jeunes femmes ».

La mobilité de la population colombienne

Depuis des décennies, la Colombie enregistre une grande mobilité de la population, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de ses frontières. Selon la chancellerie de Colombie, dans le cas de la mobilité externe, trois vagues migratoires ont été enregistrées durant trois périodes : la première, dans les années soixante, en direction des États-Unis ; la deuxième, la décennie des années huitante, en direction du Venezuela ; et la troisième vague, la décennie des années nonante, vers l’Espagne et d’autres pays européens. « Les conflits pour le contrôle des terres, la recherche de meilleures conditions de vie et les persécutions pour des raisons idéologiques ou politiques ont été des facteurs de déplacements de la population » explique José Francisco Niño Pavajeau, doctorant en géographie humaine à l’Université de Barcelone, dans une étude parue en 1999.

La migration a un genre

Les femmes représentent désormais près de la moitié de la population migrante dans le monde. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU) le nombre de personnes migrantes de par le monde recensé le plus récemment est de 272 millions, dont 52% d’hommes et 48% de femmes (OIM, 2020), ce qui révèle que la migration sous l’angle des sexes est aujourd’hui presque symétrique. L‘inégalité, l’exclusion, la violence politique et la violence machiste qu’elles subissent en tant que femme sont des causes importantes qui augmentent la migration féminine.

La migration à un genre. Malgré le fait que les conditions de la migration sont généralement difficiles pour toute personne de n’importe quel pays, il est nécessaire de faire une distinction de genre, en tenant compte des différentes causes pour lesquelles les femmes décident de quitter leur pays, ceci à un niveau général, pour ensuite mener une réflexion plus spécifique sur le cas des femmes colombiennes.

Les raisons qui expliquent les migrations féminines dans le monde sont semblables dans les différents pays que quittent les femmes migrantes.  Les femmes migrantes colombiennes quittent leur pays pour des raisons telles que la violence, la persécution politique, les menaces de groupes armés illégaux. A cela s’ajoute une autre cause qui est le facteur économique, avec le désir d’améliorer la qualité de vie et d’accéder à des études supérieures dans d’autres pays. Les femmes migrantes souffrent de la censure, des coutumes patriarcales ou du manque d’égalité dans leur pays d’origine et même de destination. De même, elles migrent également pour fuir la violence, pour des raisons de discrimination ou de genre. L’identité de genre est un facteur qui contrait les femmes colombiennes à migrer.

Ainsi, lorsqu’elles décident de migrer, les femmes peuvent être confrontées à une plus grande discrimination. Elles sont plus vulnérables aux abus et subissent une double discrimination en tant que femmes et migrantes. Par exemple, elles se font manipuler par des personnes qui profitent de leur vulnérabilité dans leur pays de destination et qui les obligent à travailler dans des conditions très difficiles. Dans le pire des cas, on leur fait miroiter des emplois bien rémunérés et elles finissent par être victimes de traite des êtres humains et de prostitution.

Témoignages

Voici trois migrantes colombiennes qui ont été accepté de témoigner des raisons qui les ont poussées à quitter leur pays:

Sara Garcia, journaliste, habite sur l’Île de Malte depuis quatre mois : « J’ai décidé de migrer vers un autre pays pour étudier et commencer une nouvelle vie. Dans mon lieu de travail, je n’ai pas subi de violence machiste, mais j’ai été témoin de harcèlements sexuels dont ont été victimes certaines de mes collègues féminines que j’ai dû défendre, car la plupart d’entre elles ne parlent pas bien la langue. Ici, les femmes latines sont également très demandées sur les réseaux sociaux, principalement pour le travail d’escorte, c’est-à-dire pour travailler soi-disant comme dames d’honneur pour certains hommes fortunés, mais en réalité il s’agit d’une sorte de prostitution ».

S’il est vrai que la migration dans sa globalité n’est pas forcée, comme c’est le cas de Sara Garcia, cette option doit également être libre et se faire avec toutes les garanties, c’est-à-dire que les droits des femmes ne soient pas violés afin qu’elles puissent se déplacer sur tous les territoires sans craindre d’être victimes de toutes sortes de violences.

Lina M. Figueredo, sociologue, habite à Genève en Suisse : « Après avoir vécu 10 ans en Suisse, je commence aujourd’hui à relancer l’idée d’aller en Colombie. Je dis « aller », parce que pour moi, en raison de l’histoire particulière de ma vie, mais aussi de la façon dont je vois ce qui se prépare pour la société colombienne avec ce nouveau gouvernement, il ne s’agit plus de « retourner », mais d’aller en Colombie. Un gouvernement ne peut pas faire tous les changements fondamentaux qui sont nécessaires, mais il peut fournir des bonnes conditions de vie. C’est de cela que je parle. Au-delà des promesses concrètes, je parle d’une Colombie dans laquelle nous pouvons proposer, créer et imaginer d’autres façons de vivre sans peur. Une façon savoureuse de vivre ».

Laura Sanchez, réfugiée politique, habite en Suisse depuis huit mois : « J’ai décidé de quitter la Colombie à cause de la persécution des militantes syndicalistes, la stigmatisation dont je fais l’objet, les menaces contre ma vie ne me permettaient plus de vivre en paix dans mon pays. Si je n’avais pas quitté pas mon pays, j’irais en prison ou au cimetière ».

Laura a décidé de venir en Suisse pour demander l’asile politique afin de sauver sa vie. Elle a dû fuir son pays du jour au lendemain en laissant tout derrière elle. Et la chose la plus triste, c’est qu’elle a dû partir sans ses deux petits enfants. Cependant, malgré le nouveau gouvernement du Pacte Historique, Laura ne veux pas retourner en Colombie car pour elle il n’y a toujours pas la garantie d’une vie sans danger et sans violence.

La migration sera un choix

Espérons que la migration ne sera plus une obligation mais un choix comme le mentionne Karmen Ramirez qui a dû demander l’asile en Suisse il y a onze ans et qui est actuellement membre de la chambre des représentants du Pacte Historique en Colombie : « Les femmes colombiennes dans le monde seront protégées et construiront notre histoire. Je promouvrai une migration sûre, libre et volontaire pour les femmes, en luttant pour une participation égale dans toutes les sphères de la vie. Je travaillerai à l’élimination de la violence sexiste dans la communauté colombienne à l’intérieur et à l’extérieur du pays par le biais, par exemple, de programmes de formation sur le genre pour les migrants destinés aux fonctionnaires des ambassades et des consulats ».

Renata Cabrales

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Pour approfondir le sujet: 

« Vous devez partir immédiatement, ils vont vous tuer », article publié dans Voix d’Exils le 17.05.2021.




« Fuir est une preuve de courage »

Photo: Gemma Evans / Unsplash.com

Un billet de Martha Campo

A travers mon billet d’aujourd’hui, j’aimerais faire prendre conscience à toutes et à tous de ce qui se cache derrière une personne réfugiée.

Beaucoup de gens parlent sans rien connaître de l’histoire que chaque réfugié porte sur son dos.

On ne peut pas généraliser et mettre tout le monde dans le même sac, car chacun vient d’un pays différent, a une culture et des coutumes différentes, chacun a une histoire unique à raconter.

Il y a des femmes maltraitées par leurs mari, père, frères ; des femmes fuyant la violence politique d’un pays, la corruption ; des femmes fuyant leurs assassins et luttant pour sauver leurs enfants comme elles-mêmes ; des femmes qui échappent à une religion qui les soumet, qui les rendent invisibles ; des femmes qui sont punies dans leur pays pour avoir pensé différemment ou pour leur condition sexuelle ; des femmes qui osent défier le patriarcat et se montrer au monde comme des personnes capables de penser, capables d’occuper des espaces qui tout au long de l’histoire ont été réservés aux seuls hommes.

Ceci n’est qu’une infime partie des différentes situations qui obligent les gens à fuir un pays. Mais que se cache-t-il derrière cette fuite? Que reste-t-il après un si long chemin parcouru ?  Que dire au sujet de ce que chacun doit abandonner, de ce que chacun perd dans cette course à la survie ?

Réfléchissons un peu sur le refuge. Non pas comme un simple mot mais comme la réalité vécue par les personnes qui ont dû fuir au milieu d’immenses difficultés, de peurs, de manques. Fuir n’est pas facile, c’est une preuve de courage de la part de celles et ceux qui y parviennent. Ils et elles fuient des situations dramatiques et beaucoup voient leurs enfants et petits-enfants mourir sur la route.

J’invite toutes les lectrices et tous les lecteurs à faire une halte, à se méfier des avis mal fondés, à penser de manière altruiste devant chaque personne qui vient chercher un refuge en Suisse. Ce n’est pas facile de prendre cette décision, ce n’est pas facile de fuir son agresseur : le chemin lui-même n’est pas facile, ni l’arrivée, ni ce qui suit après.

La bonne nouvelle, pour celles et ceux qui parviennent à fuir, c’est que la vie continue ! Traitons chacune de ces personnes avec considération et respect : vous ne pouvez pas imaginer la valeur d’une phrase bienveillante dans l’âme de celles et ceux qui se battent pour se relever des ruines de l’exil.

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de la Voix d’Exils




Les violences faites aux Iraniennes

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Le suicide, le divorce ou l’exil

Dans la société conservatrice et patriarcale des petites villes et des campagnes iraniennes, les hommes ont quasi tous les droits sur les femmes de leur famille. Ils peuvent se montrer cruels et violents avec leurs épouses, leurs sœurs et leurs filles sans être inquiétés. Zahra, rédactrice iranienne de Voix d’Exils illustre les épreuves vécues par ses compatriotes en partageant une histoire vraie.

« Mon amie Soraya m’a raconté l’histoire épouvantable de son cousin Mohamad*. Né dans une famille riche et puissante, fils aîné d’une fratrie de cinq sœurs et trois frères, Mohamad est un homme brutal qui sait se montrer généreux avec ceux qui lui obéissent et ferment les yeux sur ses exactions.

Âgé de 40 ans, Mohamad s’est marié trois fois. A sa première épouse, Fatima, il a infligé de terribles violences physiques et morales. Après des années de mauvais traitements, épuisée, désespérée, ne voyant pas d’échappatoire, Fatima s’est étranglée avec un long foulard alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant. Lors des nombreux séjours hospitaliers de Fatima pour soigner les blessures infligées par son mari, la mère de Soraya lui a apporté des médicaments, des repas, elle a essayé de la réconforter. Malheureusement, Fatima n’en pouvait plus de sa vie faite d’humiliations et de souffrances. Rien n’a pu la retenir de commettre l’irréparable, pas même le bébé qu’elle portait ou sa petite fille Shilan.

Dans la ville où il habite, tout le monde savait que Mohamad maltraitait sa femme et qu’elle s’était suicidée. Pourtant, il n’a pas été inquiété.

Une fillette détruite

Comme beaucoup d’Iraniens, Mohamad estime que la place des femmes est à la maison. Elles doivent se consacrer aux tâches ménagères, à leur mari et à l’éducation des enfants. Hors des grandes villes, les Iraniennes n’ont pas le droit de quitter leur domicile si elles ne sont pas accompagnées par un homme de la famille, que ce soit leur mari, leur père, ou un frère… La scolarité, le travail et la vie sociale à l’extérieur, sont réservés aux hommes.

Malgré les idées rétrogrades de son père, et grâce à la protection de sa tante maternelle, Shilan a tout de même pu aller à l’école jusqu’à l’âge de onze ans. Après, elle a dû arrêter pour s’occuper de son demi-frère né du second mariage de son père. Après la fin tragique de Fatima, l’histoire va se répéter avec Shilan. Terrorisée par un père qui l’étouffe avec ses interdits et ne lui pardonne rien, la malheureuse s’est suicidée à l’âge de 13 ans en se pendant avec son foulard, comme sa mère avant elle. Le jour de son suicide, Shilan avait été battue par son père car son petit frère, dont elle avait la garde, s’était légèrement blessé la main pendant qu’ils jouaient ensemble.

Des sœurs tyrannisées

Amina, la deuxième femme de Mohamad, a demandé le divorce après cinq ans de mariage. Une décision difficile car elle est partie en laissant son fils avec son père. Mohamad aurait voulu punir cette femme qui préférait l’abandonner, mais il ne l’a pas retenue parce qu’il craignait qu’elle se suicide elle aussi s’il l’obligeait à rester avec lui. Il aurait alors pris le risque que la police se montre un peu plus curieuse que lors des deux précédents suicides et se sente obligée d’intervenir.

Après le départ d’Amina, Mohamad s’est marié une nouvelle fois et a eu trois enfants avec sa troisième femme. Il la maltraite aussi, mais comme elle vient d’un milieu pauvre elle subit et elle se tait. En tout cas pour le moment. Mohamad se montre prudent, il achète son silence et celui de sa belle-famille par des cadeaux et des versements d’argent.

Non content de tyranniser ses épouses et ses filles, Mohamad s’en prend aussi à ses sœurs. Quatre d’entre elles sont mariées, et on pourrait penser que leurs maris les protègent. Mais, comme ils ont très peur de leur beau-frère, ils prennent son parti et insistent pour que leurs épouses lui obéisse quelles que soient ses exigences.

Choisir l’exil ou mourir

Marjane, sa sœur célibataire, est la seule qui a osé lui résister. Avec le soutien de ses parents, elle avait terminé des études de comptabilité et avait un travail intéressant à la municipalité de sa ville avant de devoir prendre le chemin de l’exil. Elle aussi avait supporté pendant des années les reproches et les sarcasmes de son grand frère. A partir de l’âge de 16 ans, elle avait même fait plusieurs tentatives de suicide, heureusement sans succès.

Dernièrement, Mohamad avait carrément menacé de la tuer si elle ne se mariait pas au plus tard cet automne avec un homme âgé qu’il avait lui-même choisi et qui avait déjà quatre femmes.

Ne pouvant plus supporter les pressions et les menaces, sachant que ses parents ne pourraient pas la protéger plus longtemps, Marjane a pris la décision de quitter son pays. Elle a d’abord donné son congé à la municipalité, puis, lors de son dernier jour de travail, elle a mis le feu à son foulard. Avec l’argent versé par son employeur, elle est partie en juin dernier et a demandé l’asile en Allemagne.

Malgré les milliers de kilomètres qu’elle a mis entre son frère et elle, elle a toujours peur qu’il la retrouve et la tue. »

Zahra Ahmadyan

Membre de la rédaction vaudoise de voix d’Exils

*Tous les prénoms ont été modifiés