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Refoulée à la porte des Nations Unies

Le Palais des Nations Unies à Genève. Auteur: Wikimédia Commons.

Le jour où j’ai perdu mon identité

Le permis F, attribué par la Suisse aux personnes admises provisoirement sur son territoire, n’est pas reconnu comme une pièce d’identité officielle. Il peut entraver la vie quotidienne de ses détenteurs. Une rédactrice de Voix d’Exils en a fait l’expérience.

C’était le 20 Juin 2019. J’étais à Genève pour participer à une conférence aux Nations Unies, en tant que défenseuse des Droits de l’homme, dans le cadre de la Journée Mondiale des Réfugiés.
Je ne peux oublier la frustration que j’ai ressentie lorsque je me suis vu refuser l’accès en salle parce que j’étais uniquement en possession d’un permis F, délivré pourtant par l’autorité suisse.

Lorsque je vivais encore au Yémen, mon pays d’origine, je venais régulièrement participer aux travaux de l’organisation onusienne. Mon passeport et mon accréditation étaient suffisants pour accéder aux commissions.

Suite à mes ennuis politiques, j’ai fait une demande d’asile en Suisse. Suivant la procédure, j’ai déposé mon passeport auprès du Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) et, quelques temps après, j’ai reçu un permis N. J’ai continué ainsi à participer à certains travaux dans cet organisme, sans restrictions.

Aujourd’hui, admise à titre provisoire et disposant d’un permis F, l’accès m’est interdit, suite à l’application de nouvelles règles plus strictes. Voici l’essentiel de la discussion éprouvante qui s’est engagée entre l’agent de sécurité qui s’opposait à mon passage et moi:

 

Afkar : Bonjour Monsieur.

L’agent de sécurité : Bonjour Madame.

Je souhaite obtenir un badge, voici le nom de l’organisation que je représente. (lui présentant mon accréditation)

Votre pièce d’identité s’il vous plaît !

La voici (lui remettant mon permis F)

Madame, je suis désolé, ce document ne prouve pas votre identité.

Que voulez-vous dire Monsieur ?

Ceci est un permis de résidence provisoire. Vous ne pouvez pas avoir accès à la salle pour des raisons de sécurité. Vous devez lire les informations inscrites derrière… Un passeport est requis.

Oui, mais il s’agit d’un document officiel établi par l’administration suisse. Il y a quelques mois, j’étais ici même avec un permis N. Qu’est-ce qui a donc changé ?

Je ne sais pas. Et maintenant, Madame, retirez-vous, je dois continuer mon travail, s’il vous plaît !

 

Qui suis-je ? Où est donc mon identité ? Que me reste-t-il comme possibilité d’action au service de mes convictions et de mes idéaux ?

Afkar

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

 

 

 




L’amour et la musique en partage

Reza et Kristina. Photo: David Crittin.

Reza et Kristina. Photo: David Crittin.

 Visages de l’asile

« Les hommes font partie du même corps.

Ils sont issus de la même essence.

Si le destin faisait souffrir l’un des membres

Les autres n’en auront pas de repos.

Toi qui es indifférent aux malheurs des autres

Tu ne mérites pas d’être nommé un Homme. »

Ce poème phare de Saadi, célèbre poète de la littérature perse, est devenu le leitmotiv de la vie de Reza, un jeune Iranien aujourd’hui requérant d’asile en Suisse.

Le sens de l’autre, c’est ce qui l’a amené à prendre son bâton de pèlerin pour se mettre en route et aller au carrefour des cultures et des continents. Sur la terre arménienne, il rencontre Kristina, son amour. Une même passion pour la musique les réunit : la guitare pour Reza et, pour Kristina, le qanun, un instrument de musique traditionnelle en Arménie.

La vie les pousse sur les chemins de l’exil. Ils arrivent en Suisse où ils déposent une demande d’asile. L’installation en Valais est difficile : ils font l’expérience brutale du déracinement, de l’isolement, de l’incertitude et de la maladie… Mais la musique, cet art sans frontière qui comme l’amour pousse aux horizons lointains, vient éclairer leur chemin.

Leur entourage, à Sion où ils vivent, se rend tout de suite compte de leur passion pour la musique. Heureuse coïncidence, la fête du bicentenaire du Canton du Valais est en pleine préparation. Les organisateurs les convient à participer à un spectacle intitulé « la danse de soi, le pont de l’autre ». Ils répondent favorablement… Les voilà donc embarqués, Reza à la guitare et Kristina au piano, pour plus d’une année de préparation. Au cours de cette période, trois mois avant le jour J, ils accueillent leur premier enfant. Certes, ce changement au sein du couple n’allait pas faciliter leur disponibilité, mais ils ont tenu leur engagement jusqu’au bout.

Le 8 août dernier, ils étaient au lieu du rendez-vous, Reza avec sa guitare et Kristina derrière son piano. Dans la simplicité, l’unique couple du spectacle et les seuls requérants d’asile parmi les musiciens ont été très remarqués. Reza, avec l’humilité qui caractérise le couple, dira : « Nous avons eu simplement la joie de partager notre passion ; bien sûr, au milieu de cet événement interculturel, nous étions emblématiques : je suis Iranien, ma femme est Arménienne, notre fille est née en Suisse. Mais l’identité, ce n’est pas le passeport, c’est la personne que l’on est. »

Le couple mélomane n’entend pas s’arrêter là. Ils comptent mettre sur pied un duo pour un enrichissement mutuel et l’enchantement du public. Que le bon vent les accompagne !

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils