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De requérant d’asile à conseiller général

Njo Moubiala. Photo: Voix d'Exils

Njo Moubiala. Photo: Voix d’Exils.

Originaire de La Chaux-de-Fonds, approchant la soixantaine, Njo Moubiala a échappé à la dictature du Maréchal Mobutu dans l’ex-Zaïre, en se réfugiant en Suisse, ce il y a près de trois décennies. D’abord requérant d’asile, cet électrotechnicien de formation est aujourd’hui Suisse, conseiller général  (membre du parlement communal) et membre de la commission de la naturalisation à Peseux, sa commune de résidence, dans le canton de Neuchâtel. Témoignage.

De 1965 à 1997, la République démocratique du Congo (RDC), alors Zaïre, était dirigé par le dictateur Mobutu Sese Seko. Dans les années 80, la dictature avait atteint son apogée en supprimant notamment le pluralisme politique et syndical et en ayant réduit les libertés individuelles. Trouvant sa situation de travailleur impayé «complètement inacceptable et admissible», Njo Moubiala a tout laissé derrière lui et a pris le chemin de l’exil. Arrivé en Suisse en 1986, il dépose sa demande d’asile et découvre les réalités de l’asile. Il est alors accueilli par deux religieux d’heureuse mémoire : l’Abbé Nicolas Desboeuf et le Père Cyrille Perrin.

Un parcours exemplaire

«Mon parcours en Suisse est élogieux, je remercie le ciel. J’ai eu le privilège d’être bien accueilli dans ce pays. L’Abbé Nicolas Desboeuf m’a présenté à un éminent professeur de droit de l’Université de Neuchâtel, M. Philippe Bois, très actif dans la défense du droit d’asile qui m’a défendu honorablement et avec qui j’ai tissé des liens d’amitié solides ainsi qu’avec sa famille. Avec mon ami Philippe, j’ai saisi cette opportunité, je me suis intégré et j’ai fait un effort pour apprendre, comprendre et respecter la manière de vivre des Suisses. Mon parcours de requérant d’asile m’a beaucoup marqué et m’a encore donné l’envie de me valoriser. J’ai fait «l’université de la rue», c’est-à-dire j’ai fait des travaux manuels que je n’avais pas l’habitude de faire dans mon pays d’origine. J’ai travaillé dans la restauration, les bâtiments, les travaux publics, dans le transport et cela m’a permis de connaître la vraie vie suisse dans la pratique. Aujourd’hui, je fais une formation de validation des acquis qui sera sanctionnée par une attestation dans les prochains mois.»

Naturalisé suisse, Njo Moubiala vit sa double nationalité comme une vraie richesse culturelle, et il s’en défend: «Je ne peux pas renier mes origines, je suis originaire de la RDC et je suis aussi fier d’être un citoyen suisse. Les Suisses m’ont accordé cette nationalité et je les remercie pour ce geste de cœur généreux au regard de la misère indescriptible que vit mon pays d’origine résultant de sa mauvaise gouvernance.»

Conseiller général socialiste

Électrotechnicien et diplômé cafetier formé en Suisse, Njo Moubiala est divorcé et père de deux enfants. Il est conseiller général du groupe socialiste de la commune de Peseux. «Je me suis engagé en politique dans la section de la Chaux-de-Fonds du Parti socialiste grâce au conseiller aux États neuchâtelois Didier Berberat et j’ai suivi une formation politique sur la démocratie directe dispensée par le conseiller national zurichois et politologue Andreas Gross», déclare Njo Moubiala, qui se bat pour l’intégration des Africains dans le monde professionnel. «Bon nombre d’Africains viennent de pays où il n’y a pas de démocratie ni d’État de droit et quand ils arrivent en Suisse, ils sont déboussolés, désemparés. C’est pour cela que je suis là pour les encourager à pouvoir s’intégrer et à comprendre non seulement qu’il faut vivre de façon indépendante en travaillant, mais aussi qu’il faut remplir certains devoirs et obligations que nous demande l’État. C’est pour tout le monde pareil, que l’on soit Suisse ou non. L’État est là pour nous garantir nos droits».

Regards d’un homme aux cultures plurielles

Parlant de l’Afrique, il estime que «c’est un continent formidable, potentiellement riche, non seulement en matières premières mais aussi à travers son peuple très hospitalier où la gentillesse est souvent mal interprétée par quelques profiteurs.»

Reconnaissant envers la Suisse, le député socialiste de Peseux affirme qu’il a trouvé dans la Confédération helvétique non seulement la tranquillité et le bien-être mais, aussi et surtout, la rigueur et l’amour du travail de qualité. «Ma plus grande réussite en Suisse est d’avoir appris de vraies valeurs, dans le travail, le respect, l’engagement et la foi. Car le Suisse est consciencieux, travailleur et patriote».

Jetant le regard sur la RDC, son pays d’origine, Njo Moubiala reconnait qu’«Au Zaïre, il y avait la dictature et aujourd’hui, on évolue encore dans la dictature, le chaos politique plus que celle de Mobutu et cela fait très mal de voir un pays potentiellement riche en personnes humaines, en sols et sous-sols, se retrouver en dernière position du classement mondial des pays les plus pauvres de la planète. Malgré le bon sens du soutien de la communauté internationale pour encourager et soutenir les dirigeants politiques afin d’établir un État de droit, les deux élections dites «démocratiques» qui ont été organisées en 2006 et 2011 ne sont qu’une mascarade. Force est de constater encore que la corruption est devenue monnaie courante en RDC.»

Son message aux requérants d’asile vivants en Suisse

Il conseille aux requérants d’asile d’approcher, de fréquenter et de discuter avec des citoyens Suisses qui sont là aussi pour partager avec eux leurs dures expériences de la vie. Il les exhorte, en outre, à s’intégrer politiquement et à s’imprégner des réalités politiques helvétiques, afin de comprendre le système politique suisse qui n’est pas si facile, ce même pour les Helvètes eux-mêmes.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




Face-à-face entre la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et les sans-papiers

Les collectifs de sans-papiers devant le Palais fédéral. Photo: Hubert YIGO

Les sans-papiers étaient les hôtes d’honneur du Palais fédéral le mardi 13 mars 2012. L’objet de leur rencontre avec Madame la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga était la remise d’une liste nationale de 173 personnes en vue d’une régularisation collective.

«Qu’est-ce-que vous voulez ? Des papiers! Pour qui? Pour tous ! Pour quand ? Tout de suite ! ».Tels sont les slogans qui ont retenti dans les rues de Berne jusqu’à la porte de Madame la conseillère fédérale Simonetta Somaruga. A l’intérieur du palais, loin de tous les regards, un petit groupe composé de représentants des différents collectifs de sans-papiers de suisse a pris près d’une heure et demie pour remettre en mains propres la liste collective nationale et s’entretenir à bâtons rompus avec Madame Simonetta Sommaruga pour porter la cause d’une foule de personnes qui n’espère qu’une seule chose : la régularisation et retrouver pour chacun et chacune d’entre eux leur raison d’être.

Photo: Hubert YIGO

Cette action pleine d’espoirs a finalement accouché d’une souris : la conseillère fédérale affirme ne pas pouvoir entrer en matière sur cette régularisation collective du fait que cette demande « n’a aucune base légale, c’est-à-dire qu’elle ne fait ni partie de la Convention européenne des droits humains, ni du droit à la protection ». En revanche, elle a promis « qu’aucune menace d’arrestation ne sera portée sur les personnes dont le nom figure sur ladite liste ».

Photo: Hubert YIGO

Durant l’après-midi suivant la rencontre avec la conseillère fédérale, les locaux du Parti socialiste suisse ont été occupés par les membres des collectifs. Deux responsables du parti : les conseillers nationaux Cédric Wermuth et Carlo Sommaruga se sont alors entretenus avec les occupants et ont promis dorénavant une alliance avec les collectifs et deux invitations (les 14 et 27 avril 2012) pour participer à un débat à interne du Parti socialiste afin de développer les différents sujets ayant trait à la migration avec toutes les forces du PS. Monsieur Carlo Sommaruga a cependant ajouté sur un ton rassurant que les collectifs de sans-papiers « gagneraient à continuer leur lutte sur la voie du dialogue et non sur celle du rapport de force ». Il a également rappelé que « le PS a fort longtemps soutenu les actions de milliers de sans-papiers à Genève et qu’il compte rester un allié ».

Le siège du PS a contenu la centaine de personnes et les porte-paroles ont pu communiquer à la presse les objectifs de leur initiative du 13 mars ainsi que les perspectives à venir pour la cause des sans-papiers.

Hubert YIGO

Ancien membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Personne n’est illégal »

La cortège de la manifestation du 1er octobre à Berne

Répondant à l’appel du Collectif des sans papiers, plus de 4000 personnes ont manifesté le 1er octobre dernier, à Berne, pour demander la régularisation des sans papiers.

De nombreuses associations de défense des migrants, des syndicats et des partis se sont rassemblés sur la place de la Schützenmatte à Berne le 1er octobre dernier. Au cri de « personne n’est illégal », ils ont marché jusqu’à proximité Palais fédéral pour demander la régularisation des sans papiers.

Maria Folleco

Maria Folleco, du Collectif des sans papiers fribourgeois, a souligné que la crise économique attise le sentiment de rejet des immigrés et que le gouvernement se désintéresse des sans papiers: « Certains politiciens disent que les migrants ne travaillent pas et que les sans papiers commettent des délits. C’est une fausse déclaration ! On est ici, on travaille, on pleure, on rit, on danse et on chante avec nos amis suisses. Nous croyons qu’on peut vivre ensemble ».

« Stop à l’hypocrisie »

Les manifestants et les orateurs de la journée ont critiqué « l’hypocrisie » qui caractérise la politique suisse à l’égard des sans papiers, utilisés comme main d’œuvre, d’une part, et niés dans leurs droits fondamentaux, d’autre part.

Selon le Collectif des sans papiers, les politiques migratoires de ces dernières décennies sont un échec. Elles n’ont produit que la clandestinité et la précarité pour des dizaines de milliers de personnes. Il s’agirait maintenant, selon lui, de reconnaître cette réalité et de changer de cap, dans l’intérêt des migrants eux-mêmes, mais également dans celui de l’ensemble de la société. Ce d’autant plus que la troisième génération de sans papiers – qui sera socialisée et scolarisée en Suisse – s’annonce actuellement. Une pétition à été signée dans ce sens. Les manifestants  ont également hué les affiches de l’Union Démocratique du Centre (UDC) faisant la promotion de son initiative qui vise à endiguer « l’immigration de masse ». Les militants ont eu beaucoup de succès auprès des passants avec leurs bannières colorées et leur enthousiasme contagieux.

Après les discours du syndicat Unia, du Parti socialiste et de SolidaritéS, les manifestants ont marché en direction du Palais fédéral, mais la police leur a bloqué l’accès à la rue les y menant. Pour protester contre cette interdiction, les manifestants se sont alors assis quelques minutes dans la rue avant de retourner à la Schützenmatte, où la manifestation s’est terminée dans la joie et la bonne humeur.

Niangu NGINAMAU et Oruc GUNES

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Faut-il noter les étrangers avant de les admettre en Suisse ?

Hubert O.YIGO

Le 30 décembre 2010, la conseillère nationale UDC Yvette Estermann proposait de mettre en place un système de points afin de faire le tri entre « bons » et « mauvais » migrants.*

Lancée la veille du réveillon, la proposition de Mme Estermann a été quelque peu étouffée par les flonflons de la fête. A peu près personne ne sait à quoi correspond exactement le système de points que l’Union Démocratique du Centre (UDC) souhaite mettre en place. De fait, pour le parti d’extrême droite, seuls devraient être sélectionnés les migrants au bénéfice de bonnes qualifications professionnelles, linguistiques et d’une formation académique. Cette proposition fait surgir beaucoup de questions qui demeurent, pour l’heure, sans réponses :

– Pourquoi noter les migrants avant de les accepter en Suisse?

– Les étrangers en provenance des pays européens seront-ils soumis à cet « examen de passage »?

– Quel sera le sort des victimes de violences n’ayant aucune formation académique et qui demanderont l’asile en Suisse ?

– L’application de cette mesure ne bafouera-t-elle pas les Conventions de Genève?

Dans le camp socialiste, la conseillère nationale Ada Marra s’insurge: « La différence de traitement entre étrangers qu’introduit cette proposition est discriminatoire ! ». De son côté, le conseiller national et vice président de l’UDC Yvan Perrin rétorque : « Cela mettra fin à l’arbitraire. Mais il faudra des critères formulés et appliqués par un organe unique ».

Quant à nous, modestes requérants d’asile, s’il nous était possible de prodiguer des conseils aux politiques suisses, nous leur demanderions de traiter d’abord les dossiers de demande d’asile en suspens et de stimuler l’intégration socioprofessionnelle des requérants qui ont prouvé leur valeur dans leurs domaines de compétences.

Un commentaire signé :

Hubert O.YIGO, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

*Source : le quotidien 20 minutes, édition romande du 30.12.2010