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« Vous devez partir immédiatement, ils vont vous tuer »

Martha Campo en campagne électorale en 2015 lors des élections municipales de Palmira Valle.

Tout quitter pour avoir une chance de vivre en paix

C’était en août 2018. Je ne me souviens plus du jour. Je me souviens juste qu’il faisait très chaud comme d’habitude dans mon pays. C’était une journée de travail, je quittais les bureaux de la Cour situés sur la Carrera 32 à Palmira Valle, ma ville natale en Colombie. En marchant dans le couloir, j’ai croisé un homme en uniforme militaire. Je ne l’ai pas reconnu jusqu’à ce qu’il soit très proche de moi : c’était le commandant de la police de sécurité.

Une semaine auparavant, je l’avais déjà vu à l’entrée du parc des expositions ; il s’était approché du véhicule dans lequel je me trouvais. C’était la première fois que je le voyais. Il a demandé à l’un de mes gardes du corps si j’étais Martha Campo et s’il pouvait me parler. Avec leur permission, il s’est approché de moi et m’a dit qu’il devait absolument me parler. Il m’a donné un rendez-vous pour le lendemain auquel je ne me suis pas rendue. A l’époque, je vivais comme dans une grande paranoïa car j’avais fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinats et je savais que les autorités étaient impliquées. Donc, je préférais les éviter et les ignorer.

De gauche à droite: Andrés Villamizar, Jairo Carrillo & Martha Campo, PLC, Colombie, session du conseil de l’Internationale socialiste à l’ONU, New York, 11-12 juillet 2017. Source: https://www.internacionalsocialista.org/consejos/nueva-york-2017/#gallery-48

« Il faut que nous parlions de toute urgence »

A la Cour, il s’est à nouveau approché de moi et m’a dit: « Venez dans mon bureau, il se trouve devant la Cour, il faut que nous parlions de toute urgence ». J’ai terminé ma procédure devant le tribunal, puis j’ai demandé à l’un de mes gardes du corps de m’accompagner de l’autre côté de la rue pour me rendre au bureau du commandant. A mon arrivée, il m’a priée de m’asseoir et a demandé à sa secrétaire de quitter le bureau. Il m’a dit qu’il allait me révéler ce qu’il s’organisait contre moi mais, avant de commencer, il m’a demandé de ne pas divulguer son nom, car dans ce cas, il se ferait sûrement tuer ou on s’en prendrait à sa famille. Les premiers mots qu’il m’a dit ont été : « Vous devez partir immédiatement d’ici, ils vont vous tuer ». Puis il m’a expliqué qui étaient impliqués, que de hauts fonctionnaires, des colonels et des policiers avaient donné des ordres, qu’ils avaient l’intention de libérer des criminels et de les engager pour commettre mon meurtre. Il m’a également informée qu’il ne faisait pas confiance à l’unité de protection nationale car c’était de là qu’était venu l’ordre du colonel en chef qui disait que mes plaintes étaient infondées, que tout allait bien, qu’il n’y avait pas d’attaques contre moi et que toutes les plaintes que j’avais déposées allaient être supprimées. Leur plan était d’entrer chez moi pour m’assassiner en faisant comme s’il s’agissait d’un cambriolage ou d’un fait divers.

Martha Campo en campagne électorale en 2015 lors des élections municipales de Palmira Valle.

« Je ressentais de la terreur à chaque feu rouge »

Avertie et mortellement effrayée, je suis partie et j’ai averti mes gardes du corps de ce qui se passait. C’étaient des jours difficiles. Je ne pouvais plus trouver le sommeil, je ressentais de la terreur à chaque feu rouge qui stoppait mon véhicule. Je ne savais pas quoi faire pour protéger ma famille; en particulier Daniel, mon plus jeune fils, qui avait alors dix ans. Cela a duré environ un mois.

Le 10 septembre de la même année 2018, je suis allée travailler comme d’habitude. En tant que journaliste, j’étais fortement liée à la politique sociale de ma commune. J’avais aussi travaillé comme chancelière départementale à la défense et à la représentation des femmes. Dans ce cadre, j’ai porté de vives plaintes contre la corruption du gouvernement, et surtout au sujet d’une grande fraude électorale qui s’est produite lors des élections à la mairie de Palmira Valle de 2015.

Martha Campo représente l’internationale socialiste des femmes pour la Colombie.

« Mes souvenirs se sont bloqués »

Je suis rentrée chez mon père où je vivais depuis un mois et demi à cause d’autres tentatives d’assassinats qui visaient ma personne. C’était un quartier familier où tous les voisins me connaissaient depuis que j’étais enfant. À l’heure du déjeuner, mes gardes du corps m’ont laissée à l’intérieur de la maison. Ils se sont assurés que tout allait bien et sont partis pour manger. 15 minutes se sont écoulées, mes filles aînées étaient en visite avec leurs enfants et nous déjeunions ensemble. Une de mes filles est sortie pour faire du shopping mais s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas… Quand elle a essayé de rentrer, on lui a tiré dessus. Elle a alors couru en s’efforçant de refermer la porte. A ce moment-là, un des tueurs à gage a donné de forts coups de pied contre la porte pour l’enfoncer. Mon autre fille est alors venue l’aider à maintenir la porte… Je me souviens du bruit des coups de feu qui résonnent dans ma tête comme un écho, des cris assourdissants de mes filles me demandant d’appeler les gardes du corps, ou la police, qu’ils allaient me tuer. A ce moment-là la porte a été détruite et mes souvenirs se sont bloqués.

Il n’y a alors que du silence dans mon esprit. Je ne vois rien, je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne sais pas comment nous avons été libérés. L’impact était si grand que peu importe combien j’essaie de me souvenir de ce moment je ne trouve pas. Je me souviens seulement avoir regardé la rue pour me rendre compte que ma maison était bouclée par des équipes de la police judiciaire ; un de mes gardes du corps se tenait debout à l’extérieur et parlait avec un policier ; il y avait du verre brisé et du sang par terre.

Annonce de la tentative d’assassinat de Martha Campo sur le média colombien N & D, le 12 septembre 2018.

« Fuir pour sauver ma famille »

L’une de mes filles a été kidnappée, torturée puis violée et l’autre a frôlé la mort en recevant une balle dans la jambe. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de fuir mes terres pour sauver ma famille. En prenant d’abord mon fils – Daniel – nous nous sommes réfugiés à Bogota, la capitale, puis quelques jours plus tard nous avons pris la direction de la Suisse.

Cela fait partie de mon histoire parce que j’ai émigré de mon pays, parce que je suis maintenant réfugiée en Suisse. Mais il y a des milliers d’autres histoires – peut-être plus terribles encore que la mienne – qui forcent des personnes à abandonner leur maison, leur vie, tout ce qu’ils ont construit, et qui les obligent à tout quitter pour chercher une nouvelle destination et avoir une chance de vivre en paix.

 

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

Biographie de Martha Campo

Je m’appelle Martha Cecilia Campo Millan. En Colombie, avant mon exil, j’ai exercé plusieurs fonctions et emplois à la fois dans le domaine de la politique – notamment la politique des femmes – et en tant qu’entrepreneuse en communication.

Je suis une professionnelle en journalisme et droits de l’homme, également professionnelle de l’administration, écrivaine et poète. Dans ma carrière politique je suis représentante internationale des femmes de l’organisation nationale des femmes colombiennes et membre de l’internationale socialiste des femmes, représentante de l’assemblée générale des femmes du département de Valle del Cauca, vice-présidente du parti socialiste libéral de la vallée de Palmira.

Je suis aussi une femme d’affaires dans le domaine des communications, ancienne directrice de plusieurs chaînes radio et télévision comme television CNC, radio en Caracol ou radio palmira.

J’ai dû m’exiler de Colombie car j’ai dénoncé des fraudes électorales survenues lors des élections à la mairie de Palmira Valle en 2015. J’ai dénoncé des actes de corruption et j’ai été victime de plusieurs attentats. Le Ministère de la protection m’a affecté des gardes du corps et une camionnette blindée et je devais en permanence porter un gilet pare-balles pour me protéger.

 

 

 




Je parlais avec une amie #3/3

Dessin réalisé sur caneva.com par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Une édition limitée d’anecdotes du quotidien de l’asile

« Je parlais avec une amie » : nous l’avons toutes et tous déjà entendu et nous l’avons toutes et tous déjà prononcé. Cette formule a inspiré notre rédactrice Elvana Tufa qui a décidé de partager avec vous ses petites discussions anecdotiques – mais qui en disent long – sur son quotidien de personne en procédure d’asile (english version below).

Je parlais avec une amie de choses et d’autres et soudain cette pensée m’est venue à l’esprit

Je lui ai demandé : « Ne penses-tu pas que 2021 ressemble à une loooooongue semaine qui vient tout juste de commencer et qu’on est à peine lundi ? Puis tu te rends compte qu’on va la voir passer au ralenti, avant qu’elle ne se finisse le vendredi 31 décembre ? »

Elle n’a pas répondu pendant un moment. Peut-être qu’elle était en train de regarder le calendrier ?… Le 31 décembre 2021 ça tombe vraiment un vendredi!

Cette fois, je ne parlais pas avec une amie

Cette fois, je ne parlais pas avec une amie. J’ai juste imaginé ce dialogue, parce que je suis sûre qu’elle commence à s’ennuyer de moi et de mes 5 enfants. Je suis même persuadée qu’elle fait des blagues sur eux. La prochaine fois que je la verrai je lui dirai :

« Tu sais que dans un mois, il y aura de nouveau les vacances scolaires et je me demande s’il n’y a pas des gens sympas et géniaux qui auraient inventé une imprimante 5D ? Je pourrai facilement m’imprimer 5 fois et avoir 5 clones pour m’en occuper… »

Relire les chapitres précédents de « Je parlais avec une amie » :

Je parlais avec une amie #1/3 paru dans Voix d’Exils le 21.01.2021.

Je parlais avec une amie #2/3 paru dans Voix d’Exils le 03.02.2021.

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I was talking with a friend about random things and suddenly this thought popped into my head

I asked her :« Don’t you think that 2021 seems like a loooooong week, that has just begun and we’re still at Monday ?

But you realize that we have to see it in slow motion, in order for it to end on Friday, December 31? »

She didn’t answer for a while. Maybe she was looking at the calendar… December 31 2021 is really a Friday!

This time, I wasn’t talking to my friend

This time, I wasn’t talking to my friend. I just imagined this conversation, because I am dead sure she’s starting to get pissed of me and my five children. I’m sure she’s even making jokes on them. Next time I see or I talk to her, I will say :

« Do you know, in a month there will be school vacations again and I wonder whether there are people nice and genius enough to invent a 5D printer ? I could easily print myself in 5 copies, so I could deal with them properly. »

Read the previous chapters of « I was talking to my friend » :

I was talking to my friend #1/3 published in Voix d’Exils: 21.01.2021.

I was talking to my friend #2/3 published in Voix d’Exils: 03.02.2021.

Elvana Tufa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Je parlais avec une amie #2/3

Dessin réalisé sur caneva.com par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Une édition limitée d’anecdotes du quotidien de l’asile

« Je parlais avec une amie »: nous l’avons toutes et tous déjà entendu et nous l’avons toutes et tous déjà prononcé. Cette formule a inspiré notre rédactrice Elvana Tufa qui a décidé de partager avec vous ses petites discussions anecdotiques – mais qui en disent long – sur son quotidien d’une personne en procédure d’asile (english version below).

Je parlais à une amie qui se plaignait tout le temps

– « Oh mon dieu, je suis tellement fatiguée! J’ai cuisiné, nettoyé et fait la lessive toute la journée hier. Je ne sens plus mon dos. Et maintenant, je dois me dépêcher d’aller chercher mon fils à l’école. Quel genre de vie est-ce ? »

Je l’ai regardée et je ne savais pas quoi lui répondre. J’aurais déjà pu lui rappeler que j’ai 5 enfants ou tout simplement lui dire :

– « Ah, c’est la vie »

Pourtant, j’ai préféré lui dire :

– « Tu sais que hier, j’ai oublié d’aller récupérer le petit à l’école ? Heureusement qu’il sait où il habite ».

Maintenant, quand on se croise dans la rue, elle fait comme si elle ne me voit pas.

Je parlais avec une amie au téléphone

Elle me posait des questions sur le vaccin du Covid-19 et me disait à quel point elle était ravie de pouvoir enfin le prendre.

– « T’es aussi ravie, n’est-ce pas ? »

M’a-t-elle demandé.

– « Bien sûr. »

Lui ai-je répondu.

– « Mais j’attendrais plutôt la mise à jour « Covid 2.0 », compte tenu du nouveau virus qui nous arrive depuis la Grande-Bretagne.»

Je savais qu’elle ne comprendrait pas, elle ne connaît presque rien à l’informatique. Elle n’a même pas d’e-mail. J’étais triste que mon ironie ait été perdue en vain…

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I was talking to a friend and she complained all the time

– “Oh my God, I am so tired, I cooked, cleaned and did the laundry all day long yesterday. I can’t even feel my back. Now I have to go and pick up my son from school. What kind of life is this, serving all the time ?”

I gave her a look as if wanting to say something, then I changed my mind. I could have reminded her that I had (and have already) 5 children, or could have simply said:

– “That’s life”.

So, I just went on and said to her:

– “Do you know that yesterday, I forgot to pick up my youngest from school ? Thank God he knows the way home.”

Now, when we cross each other in the street, she pretends she doesn’t notice me.

 

I was talking to a friend on the phone

She was asking me a couple of questions about the vaccine and was telling me how happy she was that finally she could do it.

– “You are happy too, aren’t you ?”

She asked me.

– “Of course”

I said to her.

“But I would rather wait for the update of  “Covid 2.0”, considering the new virus running against us from Great Britain”.

I knew she couldn’t understand, actually she knows almost nothing about IT. She doesn’t even have an e-mail address. I was sad my irony was lost in vain…

 

Elvana Tufa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 

 

 




Je parlais avec une amie #1/3

Dessin réalisé sur caneva.com par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Une édition limitée d’anecdotes du quotidien de l’asile

« Je parlais avec une amie » : nous l’avons toutes et tous déjà entendu et nous l’avons toutes et tous déjà prononcé. Cette formule a inspiré notre rédactrice Elvana Tufa qui a décidé de partager avec nous ses petites discussions anecdotiques – mais qui en disent long – sur son quotidien de personne en procédure d’asile (english version below).

Je parlais avec une amie qui a obtenu le permis B et qui pourtant se plaint tout le temps

– « Je n’ai pas de travail ; je n’ai pas d’appartement…»

– « Est-ce que tu peux travailler ? » lui ai-je demandé.

– « Oui, mais… »

Elle ne m’a répondu que ça.

Alors, je me suis souvenue de mes diplômes suspendus au mur comme des photos d’enfance en attendant le permis B…

Je parlais avec une amie hier et elle m’a raconté ses vacances

Elle a passé le week-end dernier dans une station de ski et s’en est vantée. Et puis elle m’a demandé :

– « Et toi, où as-tu passé ton week-end ? »

– « Moi ? Je suis allée au supermarché 4 fois pendant le week-end, seule, sans enfants. C’était une sacrée pause et je me suis sentie si bien! »

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I was talking to a friend who has already B permit but complaining all the time

– “ I don’t have a job; I don’t have an apartment…”

– “ Are you permitted to work ? ” I asked her.

– “ Yes, but…”

she answered but this.

And then, suddenly, I recalled all my diplomas hanging on the wall just like photos of childhood, while I’m waiting to obtain the B Permit like my friend.

I was talking to a friend yesterday and she was telling me about her holidays

She passed last weekend in a ski resort and was bragging about. And then she asked me :

– “ How was your weekend ? Where did you guys go ? ”

– “ Me ? ” I went to the supermarket like 4 times during the weekend, alone, without children. It was indeed “ a holy day ”, and it felt so good!

Elvana Tufa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




Les arts

« Aachoo!! » de Banksy. Source: compte Instagram de Banksy.

Nos indispensables alliés en temps de crise

Au moment où les urgences du monde et du pays sont focalisées sur les risques d’effondrement du système de santé, de naufrage de l’économie ou les inconvénients dus à la virtualisation de l’enseignement, il faut rappeler que les arts sont absolument fondamentaux pour l’épanouissement de l’individu et pour le bien-être collectif.

En situation de crise, les arts et la culture sont un lieu de calme, ils sont un lieu d’harmonisation avec soi ou avec l’environnement, ils représentent une occasion d’évasion, par exemple à travers la lecture. Le type de lecture n’a d’ailleurs pas d’importance, cela peut même être une lecture associée au travail ou à la technique. Mais ce qui compte, c’est d’avoir cette relation avec le livre que l’on tient entre ses mains. On peut aussi regarder un film, faire du yoga ou écouter de la musique.

A travers les arts, l’esprit s’élève et c’est pourquoi ils sont absolument fondamentaux dans la période que nous traversons. Ils nous procurent une sorte de nourriture émotionnelle à un moment où nous sommes très abattus et où, pour beaucoup d’entre nous, ce n’est pas le corps mais l’esprit qui est malade.

Les pratiques culturelles nous emmènent dans des espaces de réflexion très intéressants.

Historiquement, les arts reflètent ce qui se passe dans la société. Cela sonne peut-être un peu « hippie », mais ils offrent une nourriture à l’esprit qui nous permet d’accéder au calme et à la paix. De plus, et c’est particulièrement important lorsque le risque de céder à la panique est grand, ils nous incitent à développer une intelligence réfléchie et critique.

Martha CAMPO

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils