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FLASH INFOS #124

Sous la loupe : La migration devient un sujet tendance à la semaine de la mode de New York/En Grèce, le naufrage de deux embarcations fait au moins 15 mort.e.s / Une « protection humanitaire » au lieu d’une admission provisoire

La migration devient un sujet tendance à la semaine de la mode de New York

ONU Info, le 02.10.2022

No Nation Fashion a présenté ses créations qui reflètent le parcours des personnes migrantes sur le podium à la semaine de la mode de New York (Fashion Week) en septembre. No Nation Fashion est une collaboration créative entre des personnes issues de la migrantion et de l’industrie de la mode bosniaque, sous la direction créative d’Aleksandra Lovrić, une designer de renom. Son but: construire une entreprise sociale qui soutient l’inclusion des personnes migrantes dans les communautés d’accueil et participer activement à rendre les sociétés plus inclusives et durables.

L’initiative a été créée en 2021 en Bosnie-Herzégovine comme moyen pour des personnes migrantes vivant dans des centres d’améliorer leurs compétences en couture. 

Karthik Neelamagen
Membre de la rédaction vaudoise de Voix dExils

En Grèce, le naufrage de deux embarcations de personnes migrantes fait au moins 15 mort.e.s

Le Temps, 06.10.2022

Selon un nouveau bilan des garde-côtes grecs communiqué jeudi le 6 octobre, les corps de 15 femmes migrantes, apparemment d’origine africaine, ont été repêchés. Neuf femmes ont pu être secourues et 15 personnes migrantes sont portées disparues après le naufrage de leur embarcation en Grèce au large de l’île de Lesbos, voisine des côtes turques en mer Egée. Quelques heures plus tôt, un autre naufrage d’un voilier transportant environ 95 personnes migrantes a eu lieu au large de l’île de Cythère. Certain.e.s des survivant.e.s ont pu rejoindre la côte à la nage et une vaste opération de secours a permis de retrouver 80 personnes migrantes.

Karthik Neelamagen
Membre de la rédaction vaudoise de Voix dExils

Une « protection humanitaire » au lieu d’une admission provisoire

EPER, le 03.10.2022

Cette année, l’aménagement du statut de protection S afin d’accueillir au mieux les personnes migrantes ukrainiennes a permis d’interroger les différences de traitement entre les personnes réfugié·e·s.

Une coalition regroupant le Parti Socialiste (PS), les Verts et les vert’libéraux s’est formée à Berne afin de proposer un nouveau statut qui s’appelle « protection humanitaire » ayant pour le but de remplacer l’admission provisoire qui rend difficile l’intégration des personnes migrantes. Ce nouveau statut s’appliquerait de la même manière à toutes les personnes migrantes qui ne remplissent pas la qualité de réfugié·e et qui ont néanmoins besoin de la protection de la Suisse. En collaboration avec l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), l’EPER soutient ce projet.

Karthik Neelamagen
Membre de la rédaction vaudoise de Voix dExils




« Vous devez partir immédiatement, ils vont vous tuer »

Martha Campo en campagne électorale en 2015 lors des élections municipales de Palmira Valle.

Tout quitter pour avoir une chance de vivre en paix

C’était en août 2018. Je ne me souviens plus du jour. Je me souviens juste qu’il faisait très chaud comme d’habitude dans mon pays. C’était une journée de travail, je quittais les bureaux de la Cour situés sur la Carrera 32 à Palmira Valle, ma ville natale en Colombie. En marchant dans le couloir, j’ai croisé un homme en uniforme militaire. Je ne l’ai pas reconnu jusqu’à ce qu’il soit très proche de moi : c’était le commandant de la police de sécurité.

Une semaine auparavant, je l’avais déjà vu à l’entrée du parc des expositions ; il s’était approché du véhicule dans lequel je me trouvais. C’était la première fois que je le voyais. Il a demandé à l’un de mes gardes du corps si j’étais Martha Campo et s’il pouvait me parler. Avec leur permission, il s’est approché de moi et m’a dit qu’il devait absolument me parler. Il m’a donné un rendez-vous pour le lendemain auquel je ne me suis pas rendue. A l’époque, je vivais comme dans une grande paranoïa car j’avais fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinats et je savais que les autorités étaient impliquées. Donc, je préférais les éviter et les ignorer.

De gauche à droite: Andrés Villamizar, Jairo Carrillo & Martha Campo, PLC, Colombie, session du conseil de l’Internationale socialiste à l’ONU, New York, 11-12 juillet 2017. Source: https://www.internacionalsocialista.org/consejos/nueva-york-2017/#gallery-48

« Il faut que nous parlions de toute urgence »

A la Cour, il s’est à nouveau approché de moi et m’a dit: « Venez dans mon bureau, il se trouve devant la Cour, il faut que nous parlions de toute urgence ». J’ai terminé ma procédure devant le tribunal, puis j’ai demandé à l’un de mes gardes du corps de m’accompagner de l’autre côté de la rue pour me rendre au bureau du commandant. A mon arrivée, il m’a priée de m’asseoir et a demandé à sa secrétaire de quitter le bureau. Il m’a dit qu’il allait me révéler ce qu’il s’organisait contre moi mais, avant de commencer, il m’a demandé de ne pas divulguer son nom, car dans ce cas, il se ferait sûrement tuer ou on s’en prendrait à sa famille. Les premiers mots qu’il m’a dit ont été : « Vous devez partir immédiatement d’ici, ils vont vous tuer ». Puis il m’a expliqué qui étaient impliqués, que de hauts fonctionnaires, des colonels et des policiers avaient donné des ordres, qu’ils avaient l’intention de libérer des criminels et de les engager pour commettre mon meurtre. Il m’a également informée qu’il ne faisait pas confiance à l’unité de protection nationale car c’était de là qu’était venu l’ordre du colonel en chef qui disait que mes plaintes étaient infondées, que tout allait bien, qu’il n’y avait pas d’attaques contre moi et que toutes les plaintes que j’avais déposées allaient être supprimées. Leur plan était d’entrer chez moi pour m’assassiner en faisant comme s’il s’agissait d’un cambriolage ou d’un fait divers.

Martha Campo en campagne électorale en 2015 lors des élections municipales de Palmira Valle.

« Je ressentais de la terreur à chaque feu rouge »

Avertie et mortellement effrayée, je suis partie et j’ai averti mes gardes du corps de ce qui se passait. C’étaient des jours difficiles. Je ne pouvais plus trouver le sommeil, je ressentais de la terreur à chaque feu rouge qui stoppait mon véhicule. Je ne savais pas quoi faire pour protéger ma famille; en particulier Daniel, mon plus jeune fils, qui avait alors dix ans. Cela a duré environ un mois.

Le 10 septembre de la même année 2018, je suis allée travailler comme d’habitude. En tant que journaliste, j’étais fortement liée à la politique sociale de ma commune. J’avais aussi travaillé comme chancelière départementale à la défense et à la représentation des femmes. Dans ce cadre, j’ai porté de vives plaintes contre la corruption du gouvernement, et surtout au sujet d’une grande fraude électorale qui s’est produite lors des élections à la mairie de Palmira Valle de 2015.

Martha Campo représente l’internationale socialiste des femmes pour la Colombie.

« Mes souvenirs se sont bloqués »

Je suis rentrée chez mon père où je vivais depuis un mois et demi à cause d’autres tentatives d’assassinats qui visaient ma personne. C’était un quartier familier où tous les voisins me connaissaient depuis que j’étais enfant. À l’heure du déjeuner, mes gardes du corps m’ont laissée à l’intérieur de la maison. Ils se sont assurés que tout allait bien et sont partis pour manger. 15 minutes se sont écoulées, mes filles aînées étaient en visite avec leurs enfants et nous déjeunions ensemble. Une de mes filles est sortie pour faire du shopping mais s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas… Quand elle a essayé de rentrer, on lui a tiré dessus. Elle a alors couru en s’efforçant de refermer la porte. A ce moment-là, un des tueurs à gage a donné de forts coups de pied contre la porte pour l’enfoncer. Mon autre fille est alors venue l’aider à maintenir la porte… Je me souviens du bruit des coups de feu qui résonnent dans ma tête comme un écho, des cris assourdissants de mes filles me demandant d’appeler les gardes du corps, ou la police, qu’ils allaient me tuer. A ce moment-là la porte a été détruite et mes souvenirs se sont bloqués.

Il n’y a alors que du silence dans mon esprit. Je ne vois rien, je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne sais pas comment nous avons été libérés. L’impact était si grand que peu importe combien j’essaie de me souvenir de ce moment je ne trouve pas. Je me souviens seulement avoir regardé la rue pour me rendre compte que ma maison était bouclée par des équipes de la police judiciaire ; un de mes gardes du corps se tenait debout à l’extérieur et parlait avec un policier ; il y avait du verre brisé et du sang par terre.

Annonce de la tentative d’assassinat de Martha Campo sur le média colombien N & D, le 12 septembre 2018.

« Fuir pour sauver ma famille »

L’une de mes filles a été kidnappée, torturée puis violée et l’autre a frôlé la mort en recevant une balle dans la jambe. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de fuir mes terres pour sauver ma famille. En prenant d’abord mon fils – Daniel – nous nous sommes réfugiés à Bogota, la capitale, puis quelques jours plus tard nous avons pris la direction de la Suisse.

Cela fait partie de mon histoire parce que j’ai émigré de mon pays, parce que je suis maintenant réfugiée en Suisse. Mais il y a des milliers d’autres histoires – peut-être plus terribles encore que la mienne – qui forcent des personnes à abandonner leur maison, leur vie, tout ce qu’ils ont construit, et qui les obligent à tout quitter pour chercher une nouvelle destination et avoir une chance de vivre en paix.

 

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

Biographie de Martha Campo

Je m’appelle Martha Cecilia Campo Millan. En Colombie, avant mon exil, j’ai exercé plusieurs fonctions et emplois à la fois dans le domaine de la politique – notamment la politique des femmes – et en tant qu’entrepreneuse en communication.

Je suis une professionnelle en journalisme et droits de l’homme, également professionnelle de l’administration, écrivaine et poète. Dans ma carrière politique je suis représentante internationale des femmes de l’organisation nationale des femmes colombiennes et membre de l’internationale socialiste des femmes, représentante de l’assemblée générale des femmes du département de Valle del Cauca, vice-présidente du parti socialiste libéral de la vallée de Palmira.

Je suis aussi une femme d’affaires dans le domaine des communications, ancienne directrice de plusieurs chaînes radio et télévision comme television CNC, radio en Caracol ou radio palmira.

J’ai dû m’exiler de Colombie car j’ai dénoncé des fraudes électorales survenues lors des élections à la mairie de Palmira Valle en 2015. J’ai dénoncé des actes de corruption et j’ai été victime de plusieurs attentats. Le Ministère de la protection m’a affecté des gardes du corps et une camionnette blindée et je devais en permanence porter un gilet pare-balles pour me protéger.

 

 

 




Syrian freedom

Syria Is BLEEDING ! Syrians' Protest in Times Square - Manhattan, New York City - 03/10/12 .  (CC BY-NC-ND 2.0)

« Syria is BLEEDING ! » A Syrian protest in Times Square, Manhattan, New York City, 03/10/12 . Author: Asterix611 (CC BY-NC-ND 2.0)

The opinion of a Syrian citizen in Switzerland

In 1963, Al Ba’ath party holds the command in Syria, and for around 50 years, Syria lost all the good things which had been achieved among years of being one of the first countries in the region which applied the democratic principles in its political life. It lost also the great tradition of having a lot of principles and techniques to rule the state correlating various and different parties.

It was normal to have in the same family different political views and members of several parties. I still remember the story which my grandmother told me: “Once, I drove my brother out of my house, because he insulted my political views, and that he belonged to a different party which was in a continuous enmity with mine“. Here, I want to drag your attention to a strange fact that my grandma was almost illiterate. So it was simply real and habitual to believe in your right of expressing your political views without feeling afraid or scared of being arrested or blamed.

I belong to that unlucky generation, which came out to this life without hope or freedom. I was always interested in listening to or reading the old stories about the better life, the freedom and the happiness. My grandma was always the reference to saturate my curiosity. She was talented in expressing her ideas and describing the life in simple words: “With this bloody regime, patience will not be the solution. If you want to change you need to put your soul in your hands and struggle”. Everybody saw the river of blood always when it came to his/her mind the idea of change. The regime in Syria is the literal meaning of the ironic regime. “Walls have ears” is the sentence everybody speaks with a faint voice.

One Party! No, you have to say the only party! It is really unaccepted at all to be forced always to believe in what they say, and who are they?! They are the authority, the Ba’ath party. “Why do I have to belong to this party if I don’t believe in its principles? Is it a must?” I was asking these frank questions always to my teachers, my friends, and my parents especially to my father who was one of the first members of Al Ba’ath in his village in the early 60s of the last century. He studied law, so it was always amazing to me to have a discussion with him regarding the human rights and the freedom right to choose your life as like as you want. To be honest, I felt guilty when I was listening the sad tone in his voice trying to justify and explain his situation, and how different it is now than before!

I, myself, strongly believe in freedom, and in a fair life for everybody. So, the use of intimidation and weapons in threating the people to don’t open their mouths is, in contrast, a double-edges weapon also. It is like a volcano, if it keeps trapping the magma inside for long time, these magma will find its way to the surface anyways, and once it reaches that, the eruption will happen. The huger the magma you trap, the greater the eruption will be. This is the equation in Syria now. People reached the limit, and can’t hold on anymore. It is the revolution eruption, and it is as extreme as you can see, hear and read. Currently, nothing can stop it at all, even if the number of martyrs will get to be millions. People tasted the freedom again, and for us as a new generation, we are experiencing it for the first time. It is really a stunning ecstasy, and I will not accept anymore to be prevented from having my freedom always.

Orwa Al-Hussein

Membre de la redaction valaisanne de Voix d’Exils




Le musée de l’immigration à Lausanne : 30 m2 dédiés à l’histoire de l’exil

Ernesto Ricou dans le musée de l'immigration à Lausanne. Photo: Cédric Dépraz

Ernesto Ricou dans le musée de l’immigration à Lausanne. Photo: Cédric Dépraz

C’est en 2005 que le plus petit musée de Suisse a officiellement ouvert ses portes. Situé dans une arrière cour de l’avenue de Tivoli à Lausanne, le musée de l’immigration s’étend sur une surface de 30 mètres carrés. Ce qui peut paraître dérisoire. Et pourtant ! Son fondateur, Ernesto Ricou, a réussi le pari d’y installer une quantité remarquable d’objets, de souvenirs et d’ouvrages traitant de la migration en Suisse et dans le monde.

Fondé il y a maintenant 8 ans, le nombre de visiteurs du musée a maintenu une bonne croissance qui correspond aujourd’hui à une moyenne de 600 à 700 visiteurs par année. Sachant que le musée est ouvert environ une centaine de jours par an, cela représente une moyenne honorable de 6 à 7 visiteurs par jour ouvrable. Les curieux qui se pressent pour découvrir les lieux se composent pour environ deux tiers

Un musée foisonnant d'objets. Photo: Cédric Dépraz

Un musée foisonnant d’objets. Photo: Cédric Dépraz

d’écoliers et de jeunes et pour un tiers d’adultes. Bien qu’il puisse paraître atypique, le musée fait partie de l’Association des musées en Suisse (l’AMS) en tant que membre observateur, ainsi que de l’ICOM (The International Concil of Museums). De ce fait, tous les départements types d’un musée se retrouvent ici : service éducatif, services d’archives, d’inventaires, etc. Un comité d’association, constitué de bénévoles, gère le musée. Mais c’est son fondateur – Ernesto Ricou – qui porte en grande partie le projet sur ses épaules. Il connaît très bien le phénomène de la migration, car il est au centre de son parcours de vie. Fuyant le Portugal instable des années 70, il  s’installe à Lausanne, puis à Genève, et étudie les beaux-arts. En parallèle à ses études, il exerce la fonction de professeur d’arts visuels dans différents collèges lausannois. C’est donc fort d’une grande expérience artistique et pédagogique qu’il crée le musée de l’immigration.

Aux origines du musée

Les valises: symboles de la migration

Les valises: symboles de la migration

Deux éléments sont à l’origine du travail qui a amené Ernesto Ricou à créer ce musée. Le premier concerne la prise de conscience qu’il a eue en voyant plusieurs de ses élèves cacher leurs origines. « Tout en m’interrogeant sur cette peur, je voulais leur expliquer qu’il ne faut pas dissimuler ses origines, encore moins en avoir honte » nous confie-t-il. De là découle un travail pédagogique effectué au musée sur l’origine des gens qui viennent le visiter. Le deuxième est une visite qu’il a effectuée à Ellis Island aux États-Unis. C’est sur cette petite île que furent enregistrés, triés et contrôlés les migrants qui débarquaient à New York entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème. N’oublions pas que New York s’est entièrement construite grâce à l’apport des migrants. C’est en découvrant les conditions d’arrivée de ces personnes, l’accueil difficile qu’on leur réservait, ainsi que le contrôle médical rude et pénible qu’ils subissaient, que le fondateur de notre petit musée a eu l’idée de créer quelque chose qui relate et entretienne la mémoire des migrants. C’est alors qu’il rédigea les textes fondateurs du musée de l’immigration.

A ces deux éléments vient s’ajouter la présence de l’écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz. Présenté comme le « métronome, le maître penseur et le philosophe du musée », cette personne incarne pour, Erneso Ricou, l’esprit de tolérance par excellence. Selon M. Ricou, l’un de ses livres intitulé La beauté sur la terre cristallise les tensions que nous connaissons depuis le début de l’immigration en Suisse. D’ailleurs, la problématique de la migration est loin d’être réglée selon M. Ricou : « C’est une lutte quotidienne pour les nombreuses décennies à venir. Et il faut réinventer continuellement l’acceptation. Cela a à voir avec un problème humain fondamental : la tolérance et l’intolérance. »

Un patrimoine de la migration à découvrir

"Le triangle spirituel". Ensemble de noms de migrants ayant séjourné ou étant toujours en Suisse. Photo: Cédric Dépraz

« Le triangle spirituel ». Ensemble de noms de migrants ayant séjourné ou étant toujours en Suisse disposés sur des briques . Photo: Cédric Dépraz

Les premiers objets qui attirent notre attention dans le musée sont les valises léguées par les migrants. Celles-ci contiennent des documents et objets ayant appartenu à ces derniers, dénués de valeur commerciale mais à haute valeur symbolique et sentimentale, comme aime à le rappeler le maître des lieux. On y retrouve des cartes postales, des journaux sur l’actualité locale, des passeports, permis de séjour et des photographies de familles émigrées. Ces éléments permettent de retracer le parcours d’une famille venue s’installer en Suisse. Ainsi, on garde une trace de ces passages. C’est dans ce sens qu’a été construit le « triangle spirituel » : un mur du musée où chaque brique qui le compose est enrichie d’un nom d’une personne immigrée. Certains sont déjà partis ou décédés, la plupart sont encore en Suisse. Mais tous savent que ce triangle préserve leur mémoire.

Après la préservation de la mémoire des immigrés, c’est l’amélioration du dialogue interculturel qui vient comme seconde mission que se donnent le musée et son fondateur. A cet effet, une petite salle de classe a été aménagée à l’étage de l’endroit. M. Ricou y dispense un cours qui passe en revue l’immigration en Suisse de manière rapide et concise. Puis les personnes présentes participent à des échanges ; le but étant de valoriser l’identité, la culture et l’origine de chacun. Le professeur rapproche cela à une « thérapie transculturelle de groupe ».

"La colonne des nantis". Elle symbolise ceux qui ont un avenir et un statut

« La colonne des nantis ». Elle symbolise ceux qui ont un avenir et un statut. Photo: Cédric Dépraz.

Enfin, plusieurs réalisations artistiques exposées dans le musée témoignent du parcours artistique et pédagogique de son fondateur. Deux colonnes représentants des personnages retiennent particulièrement l’attention. La première symbolise les nantis : les gens qui se trouvent à l’abri des problèmes, qui ont un passeport et donc un statut. Ils ont ce dont ils ont besoin. Ainsi, leur tête est tournée vers l’horizon, vers le futur. La deuxième colonne évoque l’autre catégorie de personnes, celle des exclus. Sans passeport, aux origines pauvres et modestes, ils n’ont pas de statut et de très mauvaises perspectives d’avenir. Ils ne peuvent regarder vers l’horizon, ils ont la tête tournée vers le bas. Notons qu’Ernesto Ricou est lui-même passé par ces deux statuts.

Au final, si tout cela part d’un projet modeste, la réussite n’en est pas moins manifeste. Que ce soit par la diversité et la quantité d’objets et de documents qu’expose le musée, ses aspects pédagogique et artistique comme fils conducteurs, ou ses deux missions d’entretien de la mémoire et du dialogue interculturel, ce qu’Ernesto Ricou a créé de toutes pièces et qu’il continue à enrichir mérite l’admiration. Et bien entendu une visite !

Cédric Dépraz

Contributeur à Voix d’Exils

Commentaire: Les oubliés de l’histoire suisse

Le parti pris d’Ernesto Ricou a cela d’intéressant qu’il raconte justement l’histoire de ces gens que l’on oublierait, ces gens qui ont façonné la Suisse depuis l’après-guerre et qu’aucun monument ou musée ne garde en mémoire. Ernesto Ricou nous confie qu’il « trouve que ces gens ont un mérite, et ce mérite c’est que quelqu’un raconte leur histoire. Il y a une simplicité, une humilité chez ces personnes qui me touche au plus profond de moi-même. Je ne veux pas faire de discours anti-élites, mais je suis plus en lien avec ces gens-là et le musée de l’immigration leur est entièrement dédié. Ainsi leur mémoire est un temps soit peu préservée. »

N’oublions pas que la Suisse fut une terre d’émigration au 19ème siècle. A l’époque, c’est un demi-million de suisses qui ont fui la misère et le manque de perspectives pour aller chercher un avenir meilleur. A partir du milieu du 20ème siècle, la tendance s’inversa. Mais peu se souviennent de nos jours des ces émigrés. Cela devrait être pris en compte dans la représentation que se font les Suisses des immigrés. Ils devraient garder à l’esprit que leur ancêtres ont connu et subi les mêmes difficultés : le déracinement, l’exil et la misère. Leur perception de la migration serait sans aujourd’hui probablement très différente.

C.D

Infos:

Coordonnées du musée:

Musée de l’immigration

Rue Tivoli 14, 1007 Lausanne.

Horaires : Toute l’année, Mercredi de 10h à 12h et de 14h à 17h, et Samedi de 14h à 18h.

Entré libre et gratuite.

Visites de groupe sur demande.

Renseignements : 0041(0)21 311 58 27




Le capitaine Thomas Sankara à l’affiche du festival « Visions du Réel »

Le capitaine Thomas Sankara

A l’occasion du festival international suisse de cinéma « Visions du Réel », Christophe Cupelin, un cinéaste suisse indépendant a dévoilé, le 26 avril dernier, son dernier documentaire : « Capitaine Thomas Sankara ». Son film a pour sujet l’engagement d’une figure très importante en Afrique et pourtant méconnue en Europe : le capitaine Thomas Sankara, qui dirigea la révolution au Burina Faso entre 1983 et 1987.

Christophe Cupelin a rassemblé les plus fameux discours de Thomas Sankara  pour réaliser son film documentaire dont l’extrait le plus connu et qui caractérise le mieux le personnage est issu du discours qu’il a tenu à l’Organisation des Nations Unies à New York le 4 octobre 1984 : « Je veux donc parler au nom de tous les laissés pour compte parce que je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Le 4 aoûte 1983, un jeune révolutionnaire africain, anti-impérialiste, panafricaniste et tiers-mondiste du nom de capitaine Thomas Sankara accède à la tête de l’Etat Burkinabé suite à un coup d’Etat. Lorsqu’il prend les rênes du pouvoir, il surprend les politiciens du monde entier par sa soif de liberté et de démocratie, ses discours passionnés, sa prise en considération des pauvres et des laissés pour compte, sa détermination à servir et à conduire son peuple vers le progrès en mobilisant toute l’énergie du pays et en minimisant l’aide international. C’est ainsi, par exemple, qu’il réussit à entreprendre 2.5 million de vaccinations en seulement 15 jours. Son gouvernement entreprit des reformes majeures pour mettre fin la corruption, pour améliorer l’éducation, l’agriculture et surtout le statut des femmes qu’il considérait comme « les victimes d’un double colonialisme », car elles sont « colonisées par des hommes, qui sont eux-mêmes les victimes du colonisateur ». L’emblème le plus fort qui marque son mandat présidentiel fut sans doute le changement du nom du pays, en remplaçant le nom colonial français  « la Haute Volta » par un nom qui a un sens pour la culture de son peuple : « le Burkina Faso », ce qui signifie « le pays des hommes intègres ».

En répondant aux questions du public, Christophe Cupelin a affirmé que le montage d’archives des discours que Sankara prononça tout au long de son mandat lui semblait la manière la plus adéquate pour faire son portrait.

25 ans après son assassinat, en 1987, qui n’est toujours pas élucidé, ce film donne a revoir et à réentendre ce chef d’Etat atypique qui fut assurément l’un des plus grands leader africain de l’histoire du 20ème siècle.

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils