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«Nous faisons de notre mieux pour donner une chance à chacun»

M. Jean-Bernard Modoux. Photo: Voix d'Exils

M. Jean-Bernard Modoux. Photo: Voix d’Exils.

Les cours de français à L’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM)

Les requérants d’asile qui souhaitent suivre des cours de français à l’EVAM doivent parfois prendre leur mal en patience. L’attente avant d’être enclassé peut durer jusqu’à une année et suscite de la grogne, de l’incompréhension, voire un sentiment d’injustice chez ceux qui restent en rade sans bien comprendre pourquoi. Jean-Bernard Modoux, chef des cours de préformation et d’Acquisition des Qualifications de Base (AQB) du Centre de formation explique le fonctionnement et les limites du système. 

Voix d’Exils : Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs le fonctionnement du Centre de formation ?

Jean-Bernard Modoux : Les essentiels du fonctionnement en quelques mots c’est que des cours de 9 heures par semaine sont proposés aux personnes lors de leur arrivée, dès le premier mois. Quand ils ont fait 24 semaines, ils peuvent alors être inscrits dans le cours intensif qui a lieu tous les jours. Comme il y a trop demandes par rapport au nombre de places disponibles, alors on doit laisser les gens en attente la première fois. On ne les convoque même pas, on écrit une lettre et on dit désolés on vous convoquera. Après, on essaie de les convoquer le plus vite possible. Maintenant, pourquoi on doit faire plusieurs fois des tests ? Si on reste en attente pendant quatre mois après avoir fait une première fois le test, il faut le refaire pour connaître le niveau, parce que pendant ces quatre mois d’attente, il peut avoir changé. C’est la raison pour laquelle les migrants peuvent faire les tests plusieurs fois.

Combien de classes compte actuellement le Centre de formation ?

Il y a 12 classes de cours intensifs, soit 22 à 26 heures par semaine, et 2 classes de cours semi-intensifs, soit 10 heures par semaine. Sur ces 12 classes intensives, les 9 premières classes se concentrent sur la langue et les mathématiques et les 3 dernières classes, ce sont les classes d’Acquisition des Qualifications de Base, dites AQB. Ces dernières proposent également des branches secondaires comme la Culture Générale et la Gestion Administrative Privée. Ces branches permettent de comprendre et connaître comment fonctionne la Suisse.

Et combien d’étudiants par classe ?

Normalement, on doit s’arrêter à 15 personnes par classe, mais malheureusement, et étant donné la liste d’attente, on va souvent à 16, voire plus jusqu’à 19 personnes par classe. Ce n’est pas très bien parce que si on apprend une langue, il faut pouvoir la parler, mais si on est trop nombreux dans une classe, on aura moins de temps pour parler.

Combien de personnes bénéficient des cours de français?

Actuellement, il y a environ 230 personnes si l’on compte aussi les deux classes de semi-intensif.

Certains migrants prétendent qu’ils sont en liste d’attente depuis plus d’un an…

Malheureusement il y a quelques personnes qui sont en liste d’attente depuis plus d’une année. Cela peut arriver parce qu’il y a des règles administratives pour intégrer les gens dans les cours. Les gens avec le permis F passent avant, c’est une volonté politique suisse pour gérer l’asile qui dit que les gens avec permis F vont rester en Suisse au moins un certain temps. Donc, pour devenir autonomes, s’intégrer dans la société, reprendre leur profession ou apprendre une profession, en un mot devenir autonomes et coûter moins cher, ces gens détenteur d’un permis F doivent impérativement apprendre le français.

Ensuite, il y a une autre priorité, ce sont les jeunes. L’inactivité est très grave pour les jeunes gens de 16, 17 ans. Il y a des risques de criminalité, de drogue, c’est très mauvais de se construire une personnalité dans ce contexte.

Ensuite, les gens qui sont déjà en cours sont aussi prioritaires pour continuer jusqu’à concurrence d’une année. Ce ne serait pas logique de leur demander de laisser la place après quatre mois. Ils restent donc en classe pour autant qu’ils travaillent et respectent le règlement de l’école.

Il faut dire aux étudiants qu’ils doivent être présents quand nous les convoquons à participer aux tests, sinon ils vont se retrouver en fin de liste.

Combien de personnes sont-elles actuellement en liste d’attente ?

154 personnes pour la session actuelle. La plus grande partie de ces gens sont en attente depuis moins de 6 mois.

Quelles sont les solutions de rechange pour ceux qui ne peuvent pas suivre les cours de français au Centre de formation ?

Il y a une solution mais seulement pour un petit nombre de personnes. L’EVAM a créé un cours de transition de deux classes avec 15 personnes par classe à l’intention de ceux qui ont fini les cours de 24 semaines à raison de 9 heures par semaine.

Sinon, on recommande aux gens d’aller voir les associations qui offrent des cours gratuits comme l’espace Mozaïk ou Franc-Parler. Il faut que les gens cherchent d’autres sources pour apprendre la langue.

On recommande aussi de ne pas rester à la maison sans communiquer en français, d’avoir des contacts avec les gens en Suisse. Par exemple, de jouer au foot ou d’avoir une activité dans la société pour construire un contact avec les gens.

Quand commence la prochaine session de cours et combien de personnes auront la chance de commencer?

La prochaine session va commencer début janvier 2015, et le test pour cette session aura lieu début décembre 2014. Il y a une centaine de nouvelles personnes qui vont avoir la chance d’étudier dans notre école en sus des personnes qui continueront leur cursus.

Certains se demandent pourquoi le Centre de formation accepte les personnes qui ont le permis B, alors qu’il y a beaucoup de personnes avec le permis N ou F qui attendent depuis longtemps. Pourquoi les permis B ne sont-ils pas plutôt inscrits dans des cours privés ?

Ça ne changerait rien ! Les permis B et F politique sont financés par un autre département du canton qui paie une équivalence pour cinq classes. Si on n’accepte pas les gens avec le permis B, on doit fermer les cinq classes qui sont actuellement financées par le Centre social d’intégration des réfugiés (CSIR). Le financement qui est donné à l’EVAM par le canton vaut pour 7 classes plus deux classes de semi-intensif. Et c’est profitable pour notre Centre d’accueillir des permis B et F politique, parce que cela permet d’ouvrir 12 classes avec différents niveaux.

Quelles sont les méthodes suivies par le Centre de formation ? Certains étudiants regrettent de ne pas travailler sur un livre spécifique plutôt que sur la base de feuilles volantes.

Avoir un livre, cela cause trop de problèmes. Le premier problème est qu’il n’y a pas assez de livres différents pour un niveau qui est le même ou presque.

Le deuxième problème, c’est que parfois les étudiants arrêtent de venir à l’école pour différentes raisons, ils quittent la Suisse, ils déménagent, etc. Donc, à chaque fois quand ils prennent un nouveau livre, c’est très cher.

La troisième raison est que chaque enseignant utilise différentes ressources, par exemple dans le livre «Taxi», ils apprennent à donner les directions comme, droite, gauche, haut, bas, etc., mais ils utilisent aussi un autre livre, par exemple pour prendre un rendez-vous chez le médecin. C’est pourquoi nous n’utilisons pas de livres spécifiques.

Les feuilles représentent une bonne façon de classer ses documents et de s’organiser. Or c’est une grande difficulté pour beaucoup de migrants qui viennent de sociétés dans lesquelles le souci d’organisation et de classement est souvent moins poussé que dans un pays comme la Suisse.

J’ai entendu des étudiants se plaindre de répéter les mêmes points de grammaire, parfois les mêmes exercices, lorsqu’ils changent de classe et d’enseignant…

On doit toujours faire comme ça. C’est un système en spirale. On doit répéter pour s’améliorer et c’est ainsi qu’on apprend en même temps de nouvelles choses et de nouvelles règles. Dans la vie aussi c’est comme ça. L’apprentissage ce n’est pas un chemin tout droit du moins vers le plus, c’est une série de passages sur les mêmes chemins avec toujours plus d’observations.

Quelles exigences et quels règlements les étudiants doivent-ils respecter pour suivre des cours ?

Ils reçoivent une aide et doivent respecter cette aide. C’est-à-dire participer à la classe, venir tous les jours au cours, être ponctuels, respecter les autres et profiter de l’occasion. On ne peut pas accepter les comportements racistes ou violents, le fait de ne pas respecter les femmes et toutes ces choses sont des règles très simples pour vivre en Suisse et participer à la formation.

Qu’arrive-t-il si des étudiants ne suivent pas les instructions et ne respectent pas les règles ? Sont-ils punis et comment ?

Nous expliquons les règles. S’ils les connaissent et ils ne les suivent pas, nous allons discuter et si rien ne change alors nous allons les empêcher de poursuivre le cours. Il n’y a pas une punition, mais si nous remarquons qu’ils ne suivent pas les règles et sans excuse, nous allons demander une participation de 500 francs. Le cours coûte 4500 francs, donc ce n’est pas une punition, c’est une participation parce que leur place est perdue.

Avez-vous un message à l’intention de ceux qui attendent impatiemment de pouvoir suivre un cours de français?

J’ai deux messages, le premier : Ne vous fâchez pas contre nous, les enseignants, moi et les éducateurs. Tous, nous faisons de notre mieux pour vous donner une chance, mais nous sommes confrontés au problème du manque de classes, du manque d’enseignants, à cause des limites financières. Le second message est de ne pas rester uniquement dans sa propre communauté, d’essayer de construire des contacts avec les gens d’ici. Essayez de vivre en français. Les Suisses sont très gentils au fond et si vous construisez un contact, vous verrez qu’ils sont fidèles et qu’ils vous aideront.

Propos recueillis par:

Parwiz Rafiq

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




«Sans la communication, on est prisonnier de ses pensées»

Nazli Cogaltay, réalisatrice du documentaire "LAL"

Nazli Cogaltay, réalisatrice du documentaire « LAL »

D’origine kurde, Nazli Cogaltay ne parle pas un mot de français lorsqu’elle arrive en Suisse en 2010 pour y demander l’asile. Etrangère dans un pays inconnu, elle fait d’abord la douloureuse expérience de ne pas pouvoir communiquer avec sa société d’accueil, puis s’affranchit progressivement de son isolement grâce à ses efforts pour apprendre le français. S’inspirant de son vécu, elle décide alors de tourner un documentaire sur cette problématique. Intitulé « LAL » (muet en langue kurde) et tourné dans le canton de Vaud, son film donne la parole aux migrants et dévoile certaines difficultés qu’ils rencontrent. Interview de cette ancienne rédactrice de Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Qu’est-ce qui vous a motivée à réaliser ce documentaire?

Nazli Cogaltay : A mon arrivée en Suisse, j’ai rencontré des difficultés à communiquer. Lors d’un entretien important, un malentendu concernant un mot mal interprété par mon interlocuteur m’a fait prendre conscience de l’importance de cette problématique de la communication. Par la suite, j’ai réfléchi et j’ai imaginé ce qu’endurent les personnes migrantes qui vivent en Suisse et qui n’arrivent pas à communiquer. C’est de là que ma motivation est née.

Pourquoi avez-vous choisi de vous exprimer à travers la vidéo ?

Pour des questions d’efficacité. La communication visuelle attire deux fois plus l’attention sur un fait ou un évènement qu’une émission radio. Et aussi, elle est plus crédible et permet de mieux atteindre mon public.

Pourquoi ce titre « LAL »  ( « Muet ») ?

Je suis d’origine kurde, et « LAL » en kurde signifie « muet ». J’ai donné ce nom à mon documentaire, parce que les migrants ne peuvent pas s’exprimer à cause de la barrière de la langue. Ils doivent apprendre à parler une langue étrangère et, en attendant de pouvoir le faire, ils sont « LAL ».

Pour vous, que signifie la communication?

La communication permet de libérer ses idées et ses sentiments. A travers ce documentaire, j’ai essayé de montrer que sans la communication on est prisonnier de ses pensées, pour la simple raison qu’on ne peut pas se faire comprendre et comprendre l’autre. Une migrante d’origine kurde vivant en Suisse depuis trois ans m’a dit : « Quand je n’arrive pas à communiquer je me sens en insécurité ». Parler la langue du pays permet de s’intégrer.

Quel message véhicule votre documentaire?

Tout d’abord, je convie en particulier la population d’accueil, et aussi tous les migrants à le regarder. A travers les interviews des uns et des autres, j’ai fait ressortir la volonté des migrants de s’intégrer malgré les difficultés rencontrées, notamment en matière de communication.

Où avez-vous tourné votre film?

Je l’ai tourné au Centre de formation de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants à Longemalle, au foyer EVAM de Crissier, à la cathédrale de Lausanne et devant le centre d’enregistrement de Vallorbe.

Comment avez-vous choisi les interviewés ?

Mon choix s’est porté sur les migrants non francophones comme les Érythréens, les Tibétains, les Kurdes et les Afghans. Chaque intervention est accompagnée d’une musique provenant de leur pays d’origine. J’ai aussi filmé des professeurs, un responsable pédagogique et un psychiatre qui s’investissent dans le processus d’intégration des migrants en les aidant à parler et à écrire en français. Je profite de l’occasion pour remercier tous ces intervenants qui ont chacun apporté leur contribution pour la réalisation de ce documentaire.

Financièrement, où avez-vous trouvé les fonds pour réaliser le tournage ?

J’ai réalisé ce documentaire avec les moyens du bord.

Où l’avez-vous déjà diffusé ?

Deux fois au Centre de formation de l’EVAM à Longemalle, à l’association RERS à Lausanne, à Mozaïk à Appartenances, au centre socioculturel lausannois Pôle Sud, au Centre social protestant et au Gymnase de Chamblandes.

Comment a réagi le public ?

Du côté des migrants, ils retrouvaient leur quotidien, soit leurs problèmes de communication et soulignèrent l’importance de pouvoir communiquer avec leur société d’accueil. Du côté des autochtones, c’était une révélation pour beaucoup d’entre eux. Une Suissesse m’a confié à la fin de la projection : «Je n’ai jamais imaginé que les migrants souffraient autant de ne pas pouvoir communiquer, et moi qui pensais qu’ils vivaient assez heureux. J’étais loin de la réalité, jusqu’à ce que je visionne ce documentaire !»

Y a-t-il d’autres projections prévues?

Bien sûr, j’ai prévu de nouvelles projections, mais les dates et les lieux seront communiqués ultérieurement.

En tant que réalisatrice de ce documentaire, êtes-vous satisfaite du résultat ?

Oui ! Je n’ai pas réalisé un documentaire professionnel, mais avec le peu que d’argent que j’avais à disposition, je peux dire que mon objectif est largement atteint. A chaque projection, j’ai partagé des émotions, de l’enthousiasme et du plaisir avec le public. J’ai récolté beaucoup de soutiens et d’encouragements. C’est très touchant de savoir que mon message a bien passé.

Ce tournage a-t-il fait évoluer votre regard sur la communication ?

Dans mon expérience personnelle, j’ai vu l’importance de la communication et un documentaire en est sorti. En réalisant ce documentaire, j’ai rencontré de nombreuses personnes, mon réseau s’est élargi grâce à la communication. J’ai aussi appris à mieux communiquer. Pour moi, c’est un outil indispensable. Quand j’interviewais des migrants, certains étaient ouverts et d’autres non, faute de pouvoir s’exprimer. Mais ils faisaient un effort pour se libérer des maux qui les rongent. J’ai alors vu l’impact que pouvait avoir la communication sur une personne qui parle et l’autre qui l’écoute.

Parlez-nous de vos projets ?

« LAL » est en fait la première partie d’un documentaire qui en compte trois autres que je vais prochainement finaliser.

Propos recueillis par :

El Sam

Journaliste à la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour visionner le film « LAL » de Nazli Cogaltay  cliquez ici