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FLASH INFOS #65

Illustration réalisée par Kristine Kostava/Voix d’Exils

Sous la loupe : Réunion du premier Parlement suisse des réfugiés / Royaume-Uni : 4000 migrants déboutés évitent l’expulsion / L’Italie bloque un navire de secours aux migrants

La revue de presse devient le FLASH INFOS de Voix d’Exils. Une formule revisitée de notre rubrique hebdomadaire qui met davantage en valeurs les compétences graphiques et visuelles de nos rédactrices et rédacteurs et qui inclut d’autres nouveautés pour encore mieux vous informer.

Logo réalisé par Kristine Kostava / Voix d’Exils.

Réunion du premier Parlement suisse des réfugiés

RTS, le 6 juin 2021

Le 6 juin 2021, s’est déroulée la réunion du premier Parlement suisse des réfugiés. A cet effet, environ 75 personnes issues de 19 cantons et de 15 pays différents se sont réunies à Berne. Cette réunion a été l’occasion pour les principaux concernés par les questions migratoires de formuler des propositions ayant pour but d’améliorer leur condition. Ainsi, les participants ont émis le souhait d’avoir un meilleur accès à la formation et de rendre possible des visites des familles dans l’espace Schengen pour les personnes admises provisoirement. La question des apprentis déboutés étant en cours de formation a également été soulevée. Un vote favorable au regroupement familial étendu aux parents d’enfants déjà en Suisse a également été accordé par le Parlement. Des membres du Conseil national et du Conseil des Etats étaient présents et pourraient donc relayer ces demandes sous forme de motions au Parlement fédéral. L’événement a été organisé par le National Coalition Building Institute (NCBI).

Royaume-Uni : 4000 migrants déboutés évitent l’expulsion en raison de la crise sanitaire

InfoMigrants, le 28 mai 2021

Selon les informations publiées par le journal britannique The Guardian, les requérants d’asile déboutés – environ 4000 personnes – ne seront pas expulsés de leur logement fourni par l’Etat. Pour rappel, au mois d’avril, le gouvernement du pays avait décidé de reprendre les expulsions « avec effet immédiat » des personnes qui n’avaient pas obtenu de protection internationale, et ce, malgré la crise sanitaire. Néanmoins, les autorités de santé avaient émis un avis négatif face à cette politique. Les représentants de diverses organisations humanitaires avaient également critiqué la décision du gouvernement. Cependant, la politique d’expulsion sera à nouveau envisagée une fois que le Royaume-Uni aura effectué un retour à la normal prévu pour fin juin.

L’Italie bloque un navire de secours aux migrants

Le Monde, le 5 juin 2021

Le 4 juin, un navire de secours aux migrants appartenant à l’ONG Sea-Eye a été bloqué par les garde-côtes italiens après avoir débarqué 415 personnes migrantes. En effet, suite à une inspection, des problèmes de nature technique et sécuritaire ont été relevés. Selon les autorités italiennes, les équipements de sauvetage du navire ne semblaient pas suffisant pour garantir l’évacuation de toutes les personnes à bord. L’ONG allemande a pour sa part dénoncé la décision des autorités italiennes. Pour rappel, l’Italie est l’un des principaux points d’entrée en Europe pour les personnes migrantes en provenance d’Afrique du Nord de Tunisie et de Libye d’où les départs sont en forte hausse par rapport aux années précédentes.

Rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Revue de presse #48

Auteur: Damon / Voix d’Exils

Sous la loupe : l’Ocean Viking pourra accoster en Sicile / Diminution des demandes d’asile en Suisse en raison de la pandémie / Décryptage de la motion « Permettre aux demandeurs d’asile déboutés de terminer leur formation en cours »

L’Ocean Viking pourra accoster en Sicile

RTBF, le 7 février 2021

Le 7 février 2021, il a été annoncé que face aux conditions météo qui se dégradent, l’Ocean Viking – navire affrété par l’association SOS Méditerranée – pourra accoster dans le port sicilien d’Augusta et y débarquer les 422 migrants qu’il a recueilli en mer au large de la Libye. Luisa Albera, coordinatrice des opérations de recherche et de secours sur le navire, a souligné que les personnes à bord (dont des bébés, des enfants, des femmes enceintes et des mineurs isolés) ont les mêmes droits que toute personne secourue en mer et que, par conséquent, ils doivent en toute urgence débarquer dans un port sûr.

Diminution des demandes d’asile en Suisse en raison de la pandémie

RTS, le 1 février 2021

La pandémie du Covid-19 a entraîné une baisse de la migration liée à l’asile. Selon le Secrétariat d’État aux migrations (le SEM), l’an dernier, la Suisse a enregistré 11’041 demandes d’asile, soit 22,6 % de moins que l’année précédente. L’Érythrée est restée le principal pays de provenance des requérants d’asile en 2020. Les autres pays de provenance importants sont l’Afghanistan, la Turquie, l’Algérie et la Syrie. Par ailleurs, cette année, le SEM s’attend à devoir faire face à environ 15’000 nouvelles demandes d’asile. L’an dernier, 17’223 demandes d’asile ont été traitées par le SEM en première instance. 5’409 personnes ont obtenu l’asile, pour un taux de reconnaissance de la qualité de réfugié de 33,3 % (31,2 % en 2019). Aussi lié à la pandémie, les personnes migrantes ont été moins nombreuses à quitter la Suisse l’an dernier. La Confédération s’est également engagée auprès de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (le UNHCR) à accueillir un contingent de 1’600 réfugié.e.s particulièrement vulnérables, dont la grande majorité provient de Syrie. Ce programme, aussi entravé par la pandémie, n’a finalement permis qu’à 330 personnes d’en bénéficier l’an dernier.

Décryptage de la motion « Permettre aux demandeurs d’asile déboutés de terminer leur formation en cours »

asile.ch, le 2 février 2021

Dans un décryptage proposé par le site asile.ch, les gagnants et les perdants de la motion « Pas d’interruption d’un apprentissage en cours à l’échéance d’une longue procédure d’asile. Permettre aux demandeurs d’asile déboutés de terminer leur formation en cours » sont mis en lumière. Selon l’article, les cantons ainsi que les employeurs pourraient être avantagés par cette motion. A cet effet, il est souligné que les coûts visibles mais aussi cachés de la marginalisation induite par la rupture abrupte de l’apprentissage retombent sur les finances cantonales, et parfois de façon durable lorsque les personnes ne peuvent être renvoyées en raison de la situation dans leur pays d’origine. Le dégât d’image auprès des employeurs sera également coûteux à long terme. A ce sujet, la question soulevée par l’article est la suivante: les petites et grandes entreprises qui ont investi dans la formation de ces jeunes et qui perdent du jour au lendemain le fruit de cet engagement seront-elles prêtes à s’engager à nouveau dans une opération à l’issue incertaine ?

Pour rappel, le Conseil national a répondu par l’affirmative le 16 décembre dernier en acceptant la motion. Reste à savoir si le Conseil des Etats adoptera cette même ligne pragmatique lors de sa session de printemps, contre l’avis du Conseil fédéral.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




Revue de presse #41

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur: Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : Écart salarial entre migrants et nationaux en hausse selon l’OIT / Inquiétudes autour de l’initiative contre la burqa / Status quo pour les personnes admises provisoirement en Suisse

Ecart salarial entre migrants et nationaux en hausse selon l’OIT

Organisation internationale du Travail, le 14 décembre 2020.

Au cours des cinq dernières années, les inégalités salariales entre les personnes migrantes et les travailleurs nationaux n’ont cessé de se creuser dans plusieurs pays à revenus élevés selon une nouvelle étude menée par l’Organisation internationale du Travail (OIT). Les écarts entre les salaires sont les plus élevés à Chypre (42%), en Italie (30%) ou encore en Autriche (25%). Dans l’ensemble de l’Union européenne (UE), cet écart approche les 9%. D’un point de vue temporel, en Italie par exemple, les travailleurs immigrés gagnent 30% de moins que les travailleurs nationaux, contre 27 % en 2015. Au Portugal, l’écart salarial est de 29 % contre 25 % en 2015. En Irlande, il est de 21 % contre 19 % en 2015. Le rapport met également en lumière que les travailleuses migrantes font l’objet d’une double peine: en tant que migrantes et en tant que femmes. Plus récemment, c’est le même constat dans tous les pays étudiés: les personnes migrantes sont confrontées à des problèmes de discrimination et d’exclusion qui se sont aggravés avec la pandémie de la COVID-19.

Inquiétudes autour de l’initiative fédérale contre la burqa

Le Temps, le 11 décembre 2020.

L’initiative « anti-burqa », soumise au vote populaire le 7 mars prochain, sera l’un des thèmes politiques phares du début de l’année prochaine en Suisse. Dans le cadre d’une interview accordée au journal Le Temps Etienne Piguet, vice-président de la Commission fédérale des migrations, n’a pas caché son inquiétude avant la votation qui aura lieu le 7 mars prochain et en appelle à une discussion sereine. L’initiative « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage », plus communément appelée « anti-burqa », a été lancée par le Comité d’Egerkingen, proche de l’UDC, qui était déjà à l’origine de l’initiative contre les minarets qui avait été acceptée à la surprise générale par 57% des votants le 29 novembre 2009 .

Status quo pour les personnes admises provisoirement

swissinfo.ch, le 16 décembre 2020

Les personnes au bénéfice d’une admission provisoire (permis F) en Suisse ne devraient pas voir leur statut changer. En effet, le 16 décembre 2020, le Conseil national a refusé d’entrer en matière sur un projet du gouvernement visant à durcir les règles pour les voyages et à les assouplir pour les déménagements. A cet effet, la Chambre du peuple s’est prononcée par 117 voix contre 72. La gauche et l’UDC se sont opposés au projet du Conseil fédéral pour des raisons différentes. Ce projet se base sur deux motions approuvées par le parlement. La première, déposée par Gerhard Pfister (PDC/ZG), voulait interdire aux détenteurs d’un permis F d’aller dans leur pays d’origine. La seconde, soutenue par la commission du Conseil des Etats, demande au Conseil fédéral de modifier ponctuellement le statut de l’admission provisoire afin notamment de lever les obstacles à l’intégration sur le marché du travail.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




Etre débouté de l’asile et pouvoir terminer son apprentissage

Un requérant d’asile ayant débuté son apprentissage dans un bureau d’architecte dans le Canton de Vaud. Auteur: Voix d’Exils.

Le Parlement suisse traite une motion* qui permettrait aux migrants déboutés de terminer leur formation professionnelle en cours

Face à la montée du nombre de personnes migrantes déboutées qui doivent renoncer à leur formation professionnelle et suite à un appel de la société civile, une motion visant à leur permettre de mener à terme la formation entreprise a été déposée au Conseil national.

Le 13 août 2020, la Commission des institutions politiques du Conseil national a déposé une motion intitulée « Pas d’interruption d’un apprentissage en cours à l’échéance d’une longue procédure d’asile. Permettre aux demandeurs d’asile déboutés de terminer leur formation en cours ». Cette dernière fait suite à une pétition déposée par l’association « Un apprentissage – Un avenir » à la Chancellerie fédérale le 26 novembre 2019.

La motion en question concerne les requérants qui ont reçu une décision d’asile négative alors qu’ils ont au préalable signé un contrat d’apprentissage ou entrepris une formation professionnelle en Suisse. Etant déboutés, ces derniers sont tenus de quitter la Suisse. Ils perdent le droit de travailler, n’ont pas de permis et sont exclues de l’aide sociale. Ils obtiennent une attestation de délai de départ appelée « papier blanc ». Bien souvent, ne pouvant pas rejoindre leur pays d’origine, ces personnes se retrouvent à l’aide d’urgence, une prestation de survie conçue comme un dispositif d’incitation au départ. Conformément aux informations disponibles sur le site officiel du Parlement suisse, la motion en question charge le Conseil fédéral de modifier les bases légales en vigueur afin que les requérants d’asile déboutés puissent se voir accorder une prolongation du délai de départ afin de poursuivre et terminer leur formation. Il est également souligné qu’en plus des entreprises formatrices et des PME suisses, un tel dispositif serait favorable pour les pays d’origine car les apprentis y retourneraient dotés d’un savoir-faire supplémentaire.

Une minorité de la commission a proposé de rejeter la motion. Néanmoins, à ce jour, le sujet n’a pas encore été traité au Conseil national. Selon la RTS, la proposition devrait être débattue cet automne au Parlement. Il est également important de souligner que le 1er mars 2019, de nouvelles prescriptions en matière d’asile sont entrées en vigueur. Ces dernières ont pour but d’accélérer les procédures d’asile et d’aboutir à une décision exécutoire dans un délai de 140 jours. Par conséquent, la motion concerne avant tout les migrants dont la procédure était encore soumise à l’ancien droit d’asile.

« Ce n’est pas normal ! »

Le 15 août dernier, la Radio Télévision Suisse (RTS) a traité le sujet dans son téléjournal « Le 19h30 ». A cet effet, Fouad, un jeune Ethiopien, qui a reçu une décision de renvoi alors qu’il était apprenti dans un établissement médico-social a été interviewé. Le jeune homme a souligné qu’il regrettait de ne plus pouvoir travailler, d’autant plus qu’il ne va pas pouvoir retourner dans son pays d’origine compte tenu du contexte politique. Son ancienne cheffe a par ailleurs mentionné que Fouad a laissé un vide dans l’établissement et qu’il s’agissait d’un apprenti consciencieux et très bien intégré dans l’équipe.

Situation similaire à Etoy où un patron de carrosserie s’est vue privé de son apprenti car ce dernier a reçu une lettre de renvoi durant le mois de décembre 2019. Le formateur du jeune apprenti, choqué par le départ de ce dernier, a soutenu que : « ce n’est pas normal ! C’est des jeunes, ils sont là, ils veulent s’en sortir, ils trouvent des apprentissages, puis on les revoie ». Il regrette son apprenti qu’il décrit comme motivé à travailler, de bonne humeur, ponctuel et dégageant une réelle motivation à s’en sortir. Le patron souligne également qu’il n’avait pas été informé par les autorités compétentes de la possibilité de départ de son apprenti.

Qu’est-ce qu’une motion ?*

La motion est une intervention qui charge le Conseil fédéral (le gouvernement de la Suisse) de déposer un projet d’acte de l’Assemblée fédérale ou de prendre une mesure. L’assemblée fédérale est le Parlement de la Suisse qui est composé de deux chambres : le Conseil national représente la population suisse et le Conseil des Etats représente les cantons.

Une motion peut être déposée par la majorité d’une commission. Les commissions sont des organes du Parlement composées d’un nombre limité de députés. Elles ont pour mission première de procéder à l’examen préalable des objets qui leur sont assignés. Pendant les sessions, elle peut également l’être par un groupe parlementaire ou par un député.

Pour être transmise au Conseil fédéral, la motion doit avoir été adoptée par les deux Chambres fédérales.

Source : parlement.ch

Source: commons.wikimedia.org

Ezio Leet
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




«Le fichage ADN des requérants d’asile serait une mesure stigmatisante voire discriminatoire»

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l'information du canton de Vaud.

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud.

S’appuyant sur les statistiques policières de huit cantons qui établissent une augmentation de la criminalité depuis le Printemps arabe sur le sol suisse, Christophe Darbellay – président du Parti démocrate-chrétien et conseiller national – a déposé une motion intitulée «Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité» qui a été adoptée par le Conseil national le 17 avril 2013. Cette motion permettrait d’établir des profils ADN de manière préventive et systématique de certaines catégories de personnes pouvant potentiellement commettre des délits. Si le Conseil des États valide la motion, le Conseil fédéral devra créer une loi pour la concrétiser. Voix d’Exils a souhaité mettre en perspective les enjeux d’une telle motion en donnant la parole à Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Interview.

Pouvez-vous commencer par présenter votre fonction et votre travail 

Je suis préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Nous sommes trois personnes à travailler dans l’équipe. Nous avons une double casquette : l’une porte sur la protection des données et l’autre sur la transparence. Du côté de la protection des données, il y a une loi cantonale qui s’applique aux administrations cantonales et communales, et des organismes comme l’EVAM par exemple. Nous sommes en étroite collaboration avec les autorités tout en veillant au respect de la loi ainsi qu’aux installations de vidéosurveillance exploitées par les communes ou le canton. Cependant, nos actions ne couvrent pas le traitement des données des établissements privés, comme par exemple l’installation d’une caméra par la Coop, ou encore la Migros avec la carte Cumulus. Ceci n’entre pas du tout dans notre champ de compétences, mais dans celui du préposé fédéral à la protection des données.

Nous sommes aussi l’instance de recours contre des décisions que pourraient prendre les autorités cantonales ou communales en matière de protection des données sur une tierce personne.

Comment l’utilisation de l’ADN est-elle encadrée juridiquement actuellement ?

Le Code de procédure pénale suisse autorise le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN pour élucider un crime ou un délit. Un tribunal peut aussi ordonner l’établissement d’un profil ADN lorsqu’une personne est condamnée pour des délits d’une certaine gravité. La loi sur les profils ADN impose des règles sur la manière de procéder; elle prévoit aussi la création d’une base de données centralisée. Les profils ADN des personnes mises hors de cause, acquittées ou bénéficiant d’un non-lieu sont retirés de la base de données. Il en va de même pour les personnes condamnées après des durées fixées par la loi. Seul l’Office fédéral de la police peut faire le lien entre un profil et une identité.

La motion de Monsieur Darbellay concernant le test ADN de certains  requérants d’asile, notamment à titre préventif, a été adoptée par le Conseil national en avril 2013. Quel est votre avis à ce sujet?

Il est à noter ici que prendre les empreintes digitales ou l’ADN de quelqu’un constitue, du point de vue de la construction juridique, une atteinte à la personnalité. Considérée comme une atteinte grave par certains et anodine par d’autres, elle constitue dans tous les cas une atteinte au droit de la personne, donc à un droit fondamental. C’est pourquoi on peut le faire, mais à certaines conditions, notamment des conditions de restrictions des droits fondamentaux. Cela nécessite une base légale, il faut aussi qu’il y ait un intérêt public qui justifie cette restriction et que la restriction du droit fondamental soit proportionnelle à l’intérêt public considéré. Après, il y a aussi des choix politiques qui sont faits par le législateur qui a un large pouvoir d’adopter ou pas ce type de mesures (la prise d’ADN), sachant aussi qu’en Suisse, il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois. Une des questions que soulève ce projet est la discrimination d’un groupe ciblé de la population. Un groupe évalué selon certains critères est jugé particulièrement à risques, et tous les membres de ce groupe sont considérés comme suspects potentiels, en tout cas plus suspects que le reste de la population. Donc, c’est clairement une mesure qui est stigmatisante voire discriminatoire. Avec une remise en cause d’un principe qui est fondamental dans l’Etat de droit : la présomption d’innocence. Après, ce sont des choix politiques qui doivent être faits. Et ces questions soulèvent aussi des problèmes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a une position plutôt restrictive s’agissant du fichage préventif. On admet le fichage ADN de manière générale pour les personnes qui ont été condamnées; mais il y aurait un pas de franchi si on l’autorisait a priori sur des personnes jugées à risques.

Selon l’article 33 de la loi fédérale sur l’analyse de la génétique humaine, le prélèvement nécessite notamment le consentement écrit de la personne. Au cas où la personne ne veut ou ne peut pas écrire ce consentement, que se passerait-il ?

Le prélèvement peut se baser soit sur une base légale, soit sur le consentement de la personne. Donc on peut tout à fait imaginer une base légale qui oblige les personnes à donner leur ADN par un frottis ou un autre procédé sans qu’elles aient la possibilité de s’y opposer. On peut passer outre le consentement si on a une base légale suffisamment claire qui le permet. Après, du point de vue de l’intérêt public, on peut considérer qu’on va lutter contre la criminalité et que cela constitue donc un intérêt public. On peut être d’accord que cet intérêt public existe, mais la question est celle de la proportionnalité d’une telle mesure. Donc, par rapport aux entorses que la mesure porte aux droits fondamentaux de la personne, cela pose problème. Est-ce que vraiment ça se justifie ? Est-ce que le but qu’on veut atteindre, à savoir résoudre un certains nombre de délits, dont la plupart sont mineurs et commis par des délinquants venus du Printemps arabe ? On n’est pas en règle générale dans le grand banditisme. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre, mais là on a un problème qu’on veut résoudre, et on propose un moyen pour le résoudre. Est-ce que ce moyen qu’est le fichage ADN est vraiment proportionnel par rapport au problème de criminalité qui se pose ? Là est la question.

Cette motion respecte-t-elle la Constitution suisse? Est-elle applicable ?

Elle ne doit pas impérativement respecter la Constitution suisse. Le système juridique suisse n’a pas de Cour constitutionnelle au niveau de la Confédération. Le Parlement peut adopter des lois qui constituent des entorses aux principes constitutionnels voire qui s’y opposent. Dans le canton de Vaud, on a une Cour constitutionnelle, mais au niveau de la Confédération non. Du coup, si cette motion poursuit son chemin parlementaire, il va y avoir d’innombrables débats pour savoir si la mesure est constitutionnelle ou non. Mais, même si elle ne l’était pas, on ne peut pas exclure qu’elle soit adoptée. Après, c’est un choix politique encore une fois qui, en Suisse, ne peut pas être remis en cause par un tribunal. Ce qui pourrait arriver c’est une remise en cause par une instance internationale comme, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme.

Les requérants d’asile doivent déjà donner leurs empreintes digitales lors de leur arrivée en Suisse. Comment cela est-il encadré ? Et en quoi la prise d’ADN serait-elle différente ?

Les empreintes digitales des requérants d’asile sont prises pour s’assurer que les requérants n’ont pas déjà déposé une demande ailleurs, c’est le cas avec l’accord Schengen et de Dublin. On est vraiment ici dans des finalités qui ne sont pas les mêmes que la finalité proposée par la motion Darbellay qui est policière et répressive.

Du coup, les empreintes digitales des requérants d’asile prises selon la législation Schengen pourraient être utilisées dans le cadre d’enquêtes policières ?

Les empreintes digitales sont stockées dans le système EURODAC dans le but de déterminer l’Etat qui est responsable de la demande d’asile. A l’origine, il n’était pas prévu de pouvoir utiliser ces données à des fins répressives. Toutefois, le Parlement européen vient sauf erreur d’adopter des modifications réglementaires qui permettront d’accéder à ces informations pour l’élucidation de crimes graves.

Concrètement, pensez-vous que le fichage ADN soit une mesure utile pour lutter contre la criminalité de certains requérants d’asile ?

Je précise évidemment que je ne suis pas policier. Après, j’ai de la peine à me rendre compte, mais rappelons par exemple que lorsqu’on a commencé à récolter les empreintes dans le cadre d’enquêtes policières, les criminels ont commencé à porter des gants. Maintenant, si on met l’ADN, qu’en sera-t-il ? J’imagine que dans un certain nombre d’enquêtes, cela peut-être utile. Après il y a des choix politiques qui doivent être faits. Donc, il y a aurait une certaine efficacité, c’est très probable, mais avec des effets négatifs, dont une inégalité de traitement entre certains ressortissants d’un pays qui seront soumis au fichage et d’autres non.

Où vont être rangés les fichiers s’il y a la prise d’ADN pour certains requérants d’asile ?

Cela dépend du niveau de la juridiction cantonale ou fédérale. Les deux étant envisageables. Mais j’imagine que ça serait plutôt au niveau fédéral, avec une possibilité d’accès pour les autorités cantonales. Après, pour l’accès, cela concernerait les normes usuelles : les données seraient très protégées dans des systèmes très sécurisés. Il faut rappeler que la sécurité absolue n’existe pas, et c’est un des problèmes avec l’informatisation croissante, mais les bases de données publiques sont en général très bien sécurisées. Après, la faiblesse est humaine. Les banques en savent quelque chose. Ce peut aussi être une défaillance au niveau de la sécurité des données. C’est pour cela aussi qu’au niveau de la collecte des données, un principe veut que l’on collecte le minimum de données nécessaires pour minimiser les risques. Sachant qu’une fois qu’une base de données existe, elle suscite, en général, un certain nombre de convoitises.

Si dans 10 ans toute la population devait donner ses empreintes ADN, comment qualifieriez-vous le monde dans lequel nous vivrions ?

La motion Darbellay pose une question de principe : si le législateur pense que c’est justifié de créer une base de données à titre préventif visant une partie de la population, on met alors le doigt dans un engrenage. Si on le fait pour ce type de population, pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas pour d’autres groupes de population ? Au hasard, les personnes de sexe masculin entre 18 et 25 ans qui sont célibataires, qui sont parmi les groupes de populations les plus criminogènes, les plus susceptibles de commettre des délits. On peut identifier un certain nombre de groupes, dont d’ailleurs vous (nous, les deux journalistes de Voix d’Exils) feriez partie. Alors après pourquoi pas vous ? Ou pourquoi pas tous les oncles ? Parce qu’on considère que c’est surtout les oncles qui commettent des abus sexuels sur les enfants, ou tous ceux qui travaillent avec la finance, et après on peut tout imaginer.

Personnellement, je préférerais la situation dans laquelle l’ensemble de la population serait fichée plutôt que des groupes cibles. Cela ne veut pas dire que je souhaiterais que l’ensemble de la population soit fichée. Mais, quitte à le faire, soyons cohérents et allons jusqu’au bout. Mais cela ne serait pas une société qui me réjouit particulièrement, où par principe on suspecte les personnes plutôt que de faire primer la présomption d’innocence. Mais là aussi, quels sont les intérêts que l’on considère comme étant prépondérants ? A ce propos, le débat autour des services secrets américains : la National Security Agency (NSA) avec l’affaire Snowden est intéressant. Beaucoup de personnes considèrent que l’atteinte à leur sphère privée se justifie vu le bien qu’on veut atteindre, c’est-à-dire une sécurité maximum. Et du coup certains disent «mais est-ce que les terroristes n’ont pas déjà gagné ?», vu que l’on remet en cause les acquis essentiels au sein de nos sociétés démocratiques. Donc, à titre personnel, je ne suis pas pour cette tendance de surveillance accrue. Mais cette tendance de placer l’aspect sécuritaire avant tout est là. Pour revenir aux caméras de vidéosurveillance, on peut mettre des caméras partout, et probablement que cela va résoudre un certain nombre de délits et d’infractions. Mais au vu des atteintes que cela constitue pour l’ensemble de la population, est-ce que ça se justifie ? A mon sens non.

On est ainsi face à des choix de société. Nous sommes dans une société démocratique, mais on ne sait pas comment sera la Suisse ou l’Europe dans 40 ou 50 ans. On peut se dire aussi que certains outils de surveillance sont acceptables quand ils sont dans les mains de dirigeants en démocratie, et qu’ils le sont moins dans des régimes non démocratiques. Là aussi, il y a un principe de prudence à respecter. Et qui peut prévoir l’évolution d’une société sur 50 ans ? Personne, je pense.

Propos recueillis par :

Cédric Dépraz et El Sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour consulter la motion de Christophe Darbellay « Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité » cliquez ici