1

Mes souvenirs d’étoiles me reviennent

Dasdemir Mehmet Can / Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

La vie est éphémère

Je viens de très loin et mon histoire est très longue ; elle s’est déroulée en plusieurs étapes. Elle a commencé en Mauritanie, dans mon village natal, celui de mes ancêtres. Je garde, profondément enfouis dans ma mémoire, des souvenirs d’étoiles dans le ciel. C’est grâce à elles que je reste fasciné par la splendeur du ciel et de la nature. C’est pour cela que mon amour est très fort à l’aube. J’aime tellement poser mon regard sur le début du lever du soleil, avant son élévation dans le ciel, avant qu’il ne soit au zénith. J’aime aussi poser mon regard sur le début du coucher du soleil jusqu’à ce qu’il disparaisse de ma vue, dans une boule rougeâtre à l’horizon.

J’adore vraiment ces moments quand, la nuit, ces souvenirs d’étoiles me reviennent. La première fois que j’ai vu les étoiles autour de la lune dans le ciel, j’avais trois ans et j’étais attaché avec un pagne sur le dos de ma Maman. Repose en paix Maman, paix à ton âme. C’est grâce à toi Maman et à ces étoiles autour de la lune cette nuit-là dans le ciel que ces souvenirs sont restés gravés dans ma mémoire.

Elle reste pour moi inoubliable, cette nuit, elle a créé en moi un amour profond pour les étoiles et la nature. Ceci m’a permis de me remémorer et de retenir point par point le temps et les différentes étapes de ma vie, de l’enfance jusqu’à aujourd’hui. C’est grâce à cette observation que j’ai appris que, dans ce monde, la vie dure seulement le temps de différentes étapes, que ce soit la vie humaine ou celle de la nature. Tout change, d’un moment à l’autre, d’une manière ou d’une autre. Ce qui passe change et ne reviendra pas. Dans ce monde, rien n’existe qui ne finira pas un jour mais, seul, haut dans les cieux, existe ce qui n’a pas de début ni de fin.

Kerim

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils 




Un lapin sauve la vie d’un pèlerin

Illustration: Kristine Kostava – Voix d’Exils

Une légende tibétaine #6

Voici la sixième « histoire du monde de Voix d’Exils ». A chaque publication de la série: une légende, un mythe ou une fable du pays d’origine d’un rédacteur ou d’une rédactrice. 

C’est l’une des histoires courtes de mon grand-père dont j’ai su plus tard qu’elle était assez connue dans notre communauté tibétaine. À l’époque où il n’y avait ni internet ni tablettes, ces histoires nous divertissaient tout en nous transmettant des messages profonds.

Il y a longtemps, un pèlerin qui faisait la circumambulation sur le mont sacré Kailash a trouvé un loup pris dans un piège. Par pitié, il l’en libéra. Le loup grogna : « J’ai très faim et très soif ! Cela fait trois jours que je suis dans ce piège. J’ai besoin que tu me donnes ta chair et ton sang pour me nourrir ! » et il bondit sur le pèlerin.

Le pèlerin très effrayé s’écria : « Tu veux me manger alors que je t’ai sauvé ! Tu es une créature qui n’a pas le même sens de l’honneur que moi. »

« Je n’ai jamais entendu parler d’un humain ayant de l’honneur » répondit le loup. « Tout le monde mange lorsqu’il a faim », et il s’approcha à nouveau du pèlerin tremblant de peur.

« Avant de me manger, demandons à d’autres animaux si les humains ont de l’honneur. S’ils répondent que oui, tu ne pourras pas me manger. S’ils répondent que non, alors tu pourras me manger », déclara le pèlerin d’une voix saccadée. Le loup accepta.

Ils partirent à travers la prairie à la recherche d’animaux et rencontrèrent d’abord un vieux cheval. Le pèlerin lui demanda : « Les humains ont-ils de l’honneur ? »

« Les humains n’ont pas d’honneur » répondit le vieux cheval. « Quand j’étais jeune, ils m’ont mis un mors entre les dents et une selle sur le dos. Ils me montaient partout. Mais maintenant, ils ne s’intéressent plus à moi. Ils m’ont jeté. Je suis vieux et blessé et je ne les intéresse plus », raconta-t-il.

En entendant cela, le loup ouvrit grand sa gueule et montra ses crocs au pèlerin. « Nous devons encore demander à deux autres animaux » s’écria l’homme. « S’ils disent que les humains n’ont pas d’honneur, alors tu pourras me manger ». Le Loup accepta et ils poursuivirent leur marche.

Ils rencontrèrent une vieille femelle yak et le pèlerin lui posa la même question.

« Les humains n’ont pas d’honneur » dit-elle. « Quand j’étais jeune, ils me trayaient et buvaient mon lait, sans en donner à mon enfant. Désormais je suis vieille, je ne les intéresse plus. Ils se sont débarrassés de moi. »

Le loup s’exclama gaiement : « Tu vois, tout le monde dit que les humains n’ont pas d’honneur. Alors maintenant, je vais te manger », et il s’approcha du pèlerin. Ce dernier balbutia : « Posons la question à un autre animal ». Ils reprirent alors leur chemin et rencontrèrent un lapin à qui ils posèrent la même question.

Le lapin réfléchit longtemps et annonça : « Je ne suis pas sûr. Il faut que j’aille voir où est le piège ». Arrivés devant le piège, le lapin dit au loup : « Maintenant, montre-moi comment tu t’es fait prendre. » Le loup replaça alors sa patte dans le piège qui se referma aussitôt.

Le lapin s’approcha et dit joyeusement au pèlerin : « A partir de maintenant, ne fais plus jamais preuve de pitié envers un loup cruel. »

Le pèlerin et le lapin s’en allèrent chacun de leur côté, laissant le loup dans le piège où il mourut bientôt.

Moralité : Cette histoire comporte deux morales, une pour chacun: le loup et l’homme.

Le loup n’a pas d’honneur car il a essayé de manger la personne qui a eu pitié de lui et qui l’a sauvé. Il n’est donc pas digne de confiance et, tôt ou tard, il finira seul puisque personne ne lui fera confiance pour quoique ce soit. Deuxièmement, lorsque d’autres animaux décrivent leurs expériences de vie avec les humains, ils racontent comment ils ont été exploités pendant leur jeunesse et laissés à l’abandon pendant leur vieillesse. On ne peut échapper à son karma, quelle que soit la distance parcourue. Par conséquent, traitez toujours les autres comme vous aimeriez qu’ils vous traitent, même s’il s’agit d’animaux, car vous ne savez jamais ce que le karma vous réserve à l’avenir.

Dhondup Tsering Banjetsang

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Où est notre maison ?

Harith Ekneligoda / rédaction valaisanne de Voix d’Exils

L’exil comme recherche d’un chez-soi

Des milliers de personnes désespérées face aux destructions causées par la guerre sont obligées de quitter leur terre, leurs souvenirs et de laisser toute leur vie derrière elles.

Quand on voit tant de personnes abandonner leurs souvenirs d’enfance aux quatre coins de leur Terre ou laisser derrière elles leurs premiers amours et amis, on ne peut s’empêcher de se demander où elles vont pouvoir trouver leur nouvelle maison.

Avant de trouver une réponse à cette question, nous devons nous en poser une autre : qu’est-ce qu’une maison pour nous ?

Est-ce que un endroit avec des murs, des rideaux ou des meubles est une maison? Que signifient pour nous les quatre murs dans lesquels nous inscrivons nos joies et nos peines? Ou faut-il plutôt dire que nos maisons sont notre zone protégée, le lieu où nous nous sentons en sécurité et à l’aise, et que nous considérons comme un refuge pour nous reposer lorsque nous sommes fatigués ?

Au cœur de la vie en exil, chaque question porte un sens profond, parce que l’exil est un état de recherche d’un « chez-soi ».

Une cassure spirituelle

Là où elles arrivent, ces milliers de personnes qui ont quitté leur foyer et leur pays pour différentes raisons, et laissé derrière elles les périodes les plus importantes de leur vie, essaient de se construire une nouvelle vie. Cette grande lutte conduit à un profond fossé spirituel entre leurs deux vies.

Cette cassure spirituelle amène de grands traumatismes. Les exilé.e.s doivent parcourir des chemins difficiles, surmonter les traumatismes de la guerre, de la destruction et de la persécution et trouver la force de prendre un nouveau départ.

Arrivé.e.s dans un nouveau lieu, ils et elles pensent tout d’abord que les difficultés sont dépassées et qu’une nouvelle vie va pouvoir commencer. Mais, avec le temps, il devient de plus en plus clair que la vérité ne ressemble pas à ça. C’est à ce moment-là que commencent des défis différents et plus complexes.

Lorsque les personnes exilées ont surmonté, d’une manière ou d’une autre, les obstacles majeurs et qu’elles arrivent dans un pays où elles se sentent en sécurité, la plus grande difficulté qui les attend est le processus d’obtention d’un permis de séjour. Dans ce processus, elles sont confrontées à une société différente, à une langue étrangère et ont du mal à satisfaire même leurs besoins de base. Elles doivent lutter contre des difficultés économiques tout en affrontant une grande solitude. Durant cette période, elles ne peuvent pas créer leur propre équilibre émotionnel et se sentent toujours comme si elles étaient dans le vide.

La maison symbolique

L’une des personnes qui s’est exprimée avec le plus de force sur cette question est le réalisateur grec Theo Angelopoulos, qui a souvent mis en scène dans ses films des travailleurs, des immigrés, des exilés et des frontaliers. Il a évoqué le concept de maison pour les personnes migrantes dans une interview : « Les héros sont à la recherche de la maison symbolique dans leur tête. Je me concentre sur le concept de chez-soi car les gens ont constamment besoin de voyager. Ils pensent qu’en se déplaçant, ils atteindront le concept de chez-soi dans leur esprit, même pour un instant. Ce qu’ils recherchent, c’est un lieu où s’établissent des équilibres entre eux et le monde. Cet équilibre est assez difficile à atteindre… de plus, il est très rare… » et il ajoute : « Personnellement, je n’ai pas trouvé ma maison, c’est-à-dire l’endroit où je peux vivre en harmonie avec moi-même et avec le monde ».

Ainsi, pour le célèbre réalisateur, le domicile d’une personne est le lieu où s’établit un équilibre émotionnel entre la vie et la survie. Il me semble que c’est la définition la plus juste du « chez soi ». En même temps, cela nous a fait réaliser une fois de plus combien il est difficile de trouver notre « maison », c’est-à-dire de trouver cet équilibre entre nous et le monde en raison de la fragmentation émotionnelle provoquée par la migration. Mais, bien sûr, le désir de chercher son chez-soi et l’effort pour le retrouver continuent de nous animer. Ce désir et cet effort sont très précieux pour nous les personnes migrantes.

Esra Sheherli

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Faire face

Miguel Bruna / Flickr.com

L’égalité des sexes comme partie intégrante de la solution aux nombreux défis contemporains

Les inégalités, le manque d’opportunités et la surcharge de travail sont des problèmes familiers pour les femmes du monde entier, depuis des décennies. Et voici qu’à la lutte menée pour accéder à une vie digne, s’ajoute maintenant le défi de faire face à une pandémie. Nous sommes dans une phase sans précédent et personne ne sait ce qui va se passer. Nous regardons l’avenir avec un mélange de peur et d’incertitude. L’inattendu, l’impensable nous atteignent de toute part.

C’est comme si un tsunami était arrivé, dévastant tout ce que nous avions créé, bousculant notre façon de vivre, d’apprécier le partage, de travailler. Tous nos sens ont reçu un impact inquiétant : il n’y a plus de goût, il n’y a plus d’odeurs, nous ne pouvons plus apprécier le goût d’un bon vin ni la nourriture la plus exquise. L’air magnifique qui entrait dans nos poumons pour y engouffrer la vie, voilà qu’il passe à peine à travers les masques qui couvrent nos visages pour éviter de nous infecter. Notre regard finit par être contaminé par les images d’actualité de millions de morts dans les différents pays, nos oreilles n’entendent plus qu’un écho répétitif qui dit : « COVID-19, tests, nouvelles mesures, mise en quarantaine, infections, décès, contagions, mutations »… et ne parlons pas du contact physique, de l’accolade ou de l’étreinte, celle dont on dit tant qu’elle guérit les blessures, réconforte, encourage… C’est devenu interdit, les bises ont été remplacées par un petit geste et la poignée de main par une touche du coude.

Oui, tout cela ressemble à un film d’horreur ou de science-fiction. Mais ce n’est pas la plus grande horreur encore. La plus grande horreur est vécue par les femmes. Les mesures de confinement – y compris le télétravail – exacerbent les tensions sur les charges domestiques, la sécurité, la santé, l’argent et augmentent le risque de violence domestique.

Nous devons éviter tout type de régression. Il est temps d’être ambitieux et d’assumer l’égalité des sexes comme partie intégrante de la solution aux nombreux défis auxquels nous sommes confrontés en termes de sécurité, de santé, de climat, d’économie et de droits humains fondamentaux.

Mais, surtout, le plus important est que nous ayons une intelligence suffisante dans la sphère collective et personnelle pour tirer des leçons de chaque situation, ainsi qu’un optimisme que nous ne pouvons pas perdre.

Les crises font ressortir le meilleur de chaque individu. La vie d’aujourd’hui exige vraiment 100% de nos capacités, de notre talent, de notre générosité. Nous avons connu un changement vertigineux, relevé un énorme défi pour maintenir l’activité professionnelle, la famille au milieu de la peur. Notre responsabilité dorénavant est de minimiser l’impact négatif de cette pandémie. Nous devons le faire même face à un avenir incertain, car l’avenir n’est pas écrit, nous sommes celles et ceux qui allons le construire chaque jour. Nous devons nous confronter à nous-mêmes. Que sommes-nous capables d’offrir? Que sommes-nous capables de surmonter? Que sommes-nous capables de transformer? Que sommes-nous capables de reconstruire? Comment pouvons-nous nous réinventer pour continuer? Comment pouvons-nous être utiles aux autres ainsi qu’à nous-mêmes?

Vraiment, c’est ce que la vie exige de nous actuellement. Nous ne pouvons pas abandonner nos luttes, nous devons continuer ; nous avons le droit de nous sentir tristes, fatigué.e.s et parfois même vaincu.e.s. Nous pouvons nous reposer mais, chaque jour, nous devons nous lever et reconstruire, qu’importe si nous sommes à nouveau un peu brisés à la fin de la journée. Il faut voir l’opportunité de chaque nouveau jour, car cette opportunité est la nôtre et nous avons un pouvoir sur elle.

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




FLASH INFOS #85

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Sous la loupe : Résultats de l’enquête sur la violence dans les centres d’asile / Des milliers de migrants piégés entre la Pologne et la Biélorussie / Frontex sous le feu des accusations

Résultats de l’enquête sur l’usage de la violence dans les centres d’asile

Le Nouvelliste, le 18.10.2021

L’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer, mandaté par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour mener une enquête administrative concernant l’usage de la violence dans les centres d’asile, confirme qu’il y a certains dysfonctionnements dans la gestion des centres, mais que l’usage de la violence n’est pas systématique et concerne, d’après lui, quelques cas isolés.

Niklaus Oberholzer émet différentes recommandations à l’adresse du SEM. Il s’agit notamment de vérifier et d’améliorer la formation des agent.e.s de sécurité ainsi que de placer les collaboratrices et collaborateurs du SEM possédant une formation policière à certains postes-clés.

Amnesty International, de son côté, salue ces recommandations, mais demande de recourir à des mesures plus ambitieuses. Selon l’organisation « ce qui manque, c’est un dispositif opérationnel et une protection efficace pour les lanceurs d’alerte qui signalent des abus dans les centres ». Elle insiste en plus sur la mise en place d’un « mécanisme de plainte véritablement indépendant pour les victimes de violences ».

Maureen Zimmermann

Contributrice externe de Voix d’Exils

 

Des milliers de personnes migrants piégées en zone interdite entre la Pologne et la Biélorussie

Franceinfo, le 04.11.2021

Des milliers de personnes exilées se trouvent, depuis cet été, prises au piège dans une zone interdite établie par les autorités polonaises le long de la frontière avec la Biélorussie. La mise en place de contrôles de police et la mobilisation des douanes et de l’armée bloquent complètement l’accès à la zone, y compris pour les associations d’aide humanitaire telle que la Croix-Rouge Internationale. Depuis le 10 août 2021, 10 morts sont officiellement recensés dans la zone de non-droit. Un rescapé des lieux témoigne de la situation :  insulté, battu, il s’est retrouvé sans nourriture et sans eau et a passé plusieurs jours sans dormir.

Les personnes migrantes souhaitant accéder à la Pologne se trouvent systématiquement refoulées malgré le principe fondamental du non-refoulement faisant partie de la Convention de l’ONU de 1951 sur le statut des réfugiés signée tant par la Pologne que par la Biélorussie.

Joachim

Contributeur externe de Voix d’Exils

 

Frontex sous le feu des accusations

Le Point, le 31.10.21

Selon une enquête du Monde publiée le 31 octobre 2021, l’agence européenne Frontex aiderait la Libye dans la bataille de sauvetage qui se déroule dans la « zone de recherche et de sauvetage » (Search and Rescue ; SAR) en renvoyant des personnes migrantes sur ses terres précaires plutôt qu’en Europe. Cette zone de 300 km2 se divise en trois parties qui sont sous la responsabilité respective de l’Italie, de Malte et de la Libye. L’enquête révèle que la partie libyenne de la zone, créée en 2017, serait la plus surveillée par Frontex qui mobilise des drones pour surveiller la région et pour renvoyer les personnes migrants en Libye, où ils sont soumis à la torture par les garde-côtes. Il est à noter que ce pays est reconnu comme dangereux pour les personnes migrantes par la Commission européenne.

Rachid Boukhamis

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Nous remercions chaleureusement les étudiant.e.s de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL) pour leurs contributions à cette édition n°85 du Flash INFOS qui ont été réalisées à l’occasion d’un atelier dispensé par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils entre octobre et novembre 2021.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils