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« Pour moi, le fil de l’espoir est rompu… »

Illustration: Kristine Kostava / Voix d’Exils

Le parcours chaotique d’un requérant d’asile algérien en Suisse

Après avoir été victime de nombreuses tentatives de meurtre, de menaces verbales et morales, Rachid Boukhemis, 60 ans, décide de quitter l’Algérie pour retrouver la paix et la sérénité dans un pays démocratique. Ce professeur d’arabe laisse derrière lui sa famille, ses amis et ses biens.

Plein d’espoirs en une vie meilleure lors de son arrivée à Vallorbe, fin 2017, il va rapidement déchanter. Considéré comme cas Dublin pour être passé par la France sur le chemin de l’exil, il recevra une réponse négative à la demande d’asile qu’il a déposée en Suisse. Son rêve s’effondre et vire au cauchemar lorsque, un matin d’été, les forces de police viennent l’arrêter à son domicile pour le renvoyer en France. Il sera brutalisé et brièvement emprisonné avant d’être relâché complètement traumatisé. Rachid Boukhemis est l’un des rédacteurs de Voix d’Exils, à ce titre il a voulu témoigner de son douloureux parcours sur notre site.

« Hébergé dans un premier temps au centre d’enregistrement de Vallorbe, j’ai ensuite été envoyé dans le foyer de l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) de Bex, dans le canton de Vaud. Ensuite, j’ai reçu une décision négative de la part du Secrétariat d’État aux migrations et j’ai été transféré au foyer d’aide d’urgence d’Ecublens.

En état de choc

Le 17 août 2018, à cinq heures du matin, alors que j’étais endormi, j’ai entendu une clé tourner dans la serrure. Le gardien du foyer est entré dans la chambre et, en me montrant du doigt, il a dit aux deux policiers qui l’accompagnaient: « C’est celui-là ! ». Je me suis assis sur mon lit en me frottant les yeux.

Un policier m’a demandé de m’habiller et d’emporter avec moi les médicaments que je prenais. J’ai obéi aux ordres. On m’a mis des menottes aux poignets. C’était la première fois que je voyais ces bracelets en fer d’aussi près…

J’ai été emmené au poste de police de Bussigny où j’ai tout d’abord été fouillé et forcé à me déshabiller. C’était la première fois que je me retrouvais complètement nu devant des étrangers.

Puis j’ai été placé en cellule, comme si j’étais un criminel. Je suis resté silencieux, j’étais en état de choc. Après deux heures environ, la porte de ma cellule s’est ouverte et on m’a demandé de monter à l’étage pour prendre mes empreintes digitales.

Suite à cela, j’ai été conduit à l’aéroport de Genève où je devais prendre un avion à destination de Nantes, en France, conformément à la procédure Dublin.

Quand est arrivé le moment d’embarquer, j’ai refusé de monter à bord. Le policier qui m’avait mené à la porte d’embarquement a alors commencé à me frapper jusqu’à ce que mon sang coule. La femme qui nous accompagnait, probablement une employée de l’aéroport, a réagi et a demandé au policier d’arrêter. Le capitaine de l’avion a, quant à lui, fermé la porte de l’avion et a dit qu’il ne m’emmènerait pas dans son vol. Pendant que nous descendions l’escalier qui nous avait menés à la porte d’embarquement, le policier continuait de me frapper.

Prisonnier sans culpabilité

Suite à cela, deux autres policiers m’ont emmené à la prison de Champ-Dollon à Genève. Pour dissimuler les violences commises contre moi, le responsable de la prison m’a demandé de me laver pour enlever les traces de sang. Sentant la fièvre monter, je me trouvais dans un état d’horreur, d’étonnement et de douleur. En réalité, j’étais un prisonnier sans culpabilité.

Vers 14h30, le gardien m’a informé que la prison avait reçu un ordre de libération immédiate. Une fois relâché, j’ai marché à pieds jusqu’à l’hôpital de Nyon où je suis resté jusqu’au matin. J’ai été examiné par un médecin qui a produit un certificat médical dans lequel il a confirmé que je présentais de multiples lésions, hématomes et plaies sur tout le corps. Certificat que j’ai transmis à la rédaction de Voix d’Exils.

De retour à Lausanne, j’ai contacté un avocat. Il m’a dit que le dépôt d’une plainte contre le policier me coûterait au minimum 4’000 francs suisses, et que cela ne me garantissait pas de gagner le procès, car un policier équivaut à deux témoins. J’ai alors décidé d’abandonner l’idée de porter plainte parce que je n’avais pas d’argent.

Je suis à ce jour pleinement conscient des conditions de vie sans espoir qu’endurent les réfugiés et du traitement brutal qui leur est réservé.

Pour moi, désormais, le fil de l’espoir est rompu. »

 

Rachid Boukhamis

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Des aides pour les victimes de violence

Suite au témoignage de notre rédacteur, la rédaction a contacté plusieurs institutions pour savoir auprès de qui et comment les victimes de violences peuvent obtenir une aide.

·  Selon nos interlocuteurs et interlocutrices du Service d’Aide Juridique aux Exilé-e-s (le SAJE) et du Centre Social Protestant (le CSP), la médiatisation et/ou l’ouverture d’une procédure judiciaire sont les principaux chemins que peuvent emprunter les personnes requérantes d’asile si elles se retrouvent dans une situation similaire à celle vécue par Rachid. Par conséquent, les tarifs habituels pratiqués par les avocats s’appliquent et la somme annoncée par notre rédacteur bien qu’élevée est exacte.

·   Les centres LAVI, conformément à la Loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions, aident les personnes victimes de violences physiques, sexuelles ou psychiques. Leurs interventions se situant à l’intersection des domaines juridique, psychologique et social. Ces centres proposent un soutien aux victimes ainsi que l’octroi de prestations financières (dont les honoraires d’avocat), en fonction de l’atteinte subie. On peut faire appel à ces centres dans les cantons romands, soit à Genève, Vaud, Fribourg, Valais, Neuchâtel et Jura.

·  Que l’on soit résident ou de passage à Genève, on peut, en cas de différend avec la police cantonale ou les polices municipales, faire appel à l’organe de médiation police (l’OMP). A noter que le recours à la violence physique n’est pas considéré comme un différend. Ainsi, si des violences physiques ont eu lieu, l’OMP invite à dénoncer les faits ou à porter plainte auprès des autorités compétentes.

Jovan Mircetic

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




Détention avant l’expulsion : le témoignage d’un cas Dublin

Illustration: Lando ENGENGI, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Arrêtés le plus souvent à l’improviste, de nombreux requérants déboutés, comme les cas Dublin, ne donnent plus de nouvelles. Difficile pour leurs camarades en liberté de savoir ce qu’ils deviennent ou dans quelles conditions ils sont détenus en attente de leur expulsion. Pour lever ce voile, un requérant d’asile, récemment expulsé, a accepté de nous livrer son témoignage. L’homme, un Africain d’une quarantaine d’années, a été arrêté au foyer Viège, puis détenu deux semaines durant à la prison de Brigue, avant son expulsion vers un pays européen, qu’il n’a pas souhaité préciser.

Voix d’Exils: Qu’êtes-vous devenu depuis votre arrestation par la police au foyer de Viège?

Lorsque j’ai été arrêté en mars dernier au foyer de Viège, où je résidais, j’ai été incarcéré le jour même à la prison de Brigue. J’ai passé deux semaines en détention et je peux vous affirmer que j’ai vécu là une des pires périodes de ma vie. Les conditions de détention à la prison de Brigue sont éprouvantes. On est isolé toute la journée dans une petite cellule, sans personne avec qui échanger un mot. Les repas sont servis à travers une petite ouverture de la porte de la cellule. Vous avez très peu de temps pour manger, car les gardiens repassent collecter les plats un quart d’heure après avoir servi le repas. On ne se lave que deux fois par semaine. Pour une personne qui, comme moi, a l’habitude de se laver plusieurs fois par jour, ça a été un calvaire. Mais le véritable supplice a été le stress qu’il a fallu gérer en plus des conditions de détention. Il m’est difficile d’oublier tout ça. Avant d’être arrêté, à chaque fois que l’on interpellait l’un de mes camarades requérants, je me demandais où est-ce qu’on l’emmenait. Maintenant, j’ai fait cette expérience et je me dis que c’est terrible.

Comment s’est déroulé votre transfert de la prison de Brigue à l’aéroport ?

Avant de quitter la prison de Brigue, j’ai dû passer devant un juge qui a prononcé mon expulsion vers le pays européen qui est compétent pour examiner ma demande d’asile (selon les accords de Dublin, ndlr.) On m’a dit que j’avais la possibilité de formuler un recours, mais vu les conditions dans lesquelles j’étais détenu à Brigue, j’avais perdu toute envie de m’engager dans cette procédure. Une seule idée me traversait l’esprit : quitter la Suisse le plus vite possible.

Même après avoir accepté de partir, les conditions de mon transfert vers cet Etat européen sont restées très dures. On m’a convoyé avec d’autres détenus dans une fourgonnette dotée de cellules métalliques. On était, chacun, menotté dans sa cage comme des chiens. De l’intérieur de la fourgonnette, tout était sombre. Il était impossible d’identifier le lieu où on était et où on allait. Je me rappelle bien qu’à un moment, nous avons quitté la fourgonnette pour prendre un train, mais je ne sais plus où exactement. Ensuite, j’ai gagné l’aéroport de Zurich où j’ai pris l’avion pour le pays européen qui allait analyser ma requête.

Comment s’est passé ce voyage ?

Le voyage s’est par contre bien déroulé. Dans l’avion, je ne faisais que prier Dieu afin qu’on ne m’incarcère pas une nouvelle fois. J’avais perdu tout mon moral car le cauchemar suisse me hantait toujours. A la sortie de l’avion, deux policiers en civil m’attendaient. Ils m’ont emmené au poste et ont pris mes empreintes. Comme j’avais un parent dans le pays, ils m’ont dit que je pouvais aller lui rendre visite à condition de revenir le lundi suivant. Actuellement, j’ai passé plus de quatre mois dans ce nouveau pays européen. J’y ai déjà passé ma première audition et j’attends impatiemment la deuxième qui déterminera l’issue de ma demande d’asile qui, je l’espère, sera positive.

Quelle leçon tirez-vous de ce périple ?

Je pense que les droits de l’homme n’existent vraiment nulle part dans ce monde. Lorsque je voyais en Afrique à quel point les ONG internationales et les politiques occidentaux étaient prompts à critiquer les gouvernements africains pour irrespect et violation des droits de l’homme, je croyais que la situation serait meilleure chez eux. Mais, au regard de ce que j’ai traversé durant mon expulsion, je suis très déçu. Je me demande aussi ce que font les associations de défense des droits de l’homme en Suisse. Je ne sais pas si elles ne sont là que pour juger les Africains en fermant les yeux sur ce qui se passe chez elles. Après ces épreuves, je me demande si la Suisse est vraiment cette terre dont on a souvent vanté la tradition humanitaire. Notre seul tort est d’être des requérants d’asile. Quelle que soit l’issue de notre procédure, qu’on soit débouté ou pas, on ne mérite pas d’être traités comme des criminels.

Quelles suggestions feriez-vous aux autorités suisses pour arranger la situation que vous déplorez ?

J’ai un appel à lancer aux autorités suisses. Nous sommes des requérants d’asile, non pas des criminels. Il faut donc qu’on nous reconnaisse comme tels et qu’on nous offre des conditions de détention plus dignes. Il est également important que les foyers informent les requérants sur la possibilité de visiter leurs camarades en détention. Etant donné que la police vient procéder aux arrestations à l’improviste, beaucoup de requérants oublient des effets personnels qu’ils aimeraient récupérer par l’intermédiaire d’un tiers. Cela aiderait les détenus en attente d’expulsion à gérer le stress lié à cette période difficile et cela contribuerait à changer la mauvaise image que les requérants se font des conditions d’expulsion en Suisse.

Interview réalisée par :

CDM – Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Réponse des Etablissements pénitentiaires valaisans

Dans le souci d’équilibrer cette interview qui exprime le vif ressenti d’un requérant ayant fait l’expérience d’une détention avant son renvoi, la rédaction de Voix d’Exils a donné la parole aux Etablissements pénitentiaires valaisans qui réagissent ci-dessous par la voix de leur directeur adjoint, Gillioz Jean-Michel.

Les repas sont remis à nos pensionnaires par un guichet situé sur chaque porte de cellule, ceci pour des raisons de sécurité afin que nos collaborateurs qui effectuent la distribution des repas ne soient pas en contact physique avec les personnes détenues.
A Brigue, ce sont nos collaboratrices féminines qui sont chargées de la distribution des repas. Je peux vous garantir qu’elles font ce service avec délicatesse et en étant très prévenantes. Les services en porcelaine (assiettes, bols, etc.) sont retirés 30 à 35 minutes après la distribution, ceci afin d’éviter ce que nous avons déjà connu, c’est-à-dire des mutilations avec des tessons (…) Pour ce qui concerne l’hygiène, les cellules sont équipées de lavabos avec eau chaude et eau froide. Deux douches par semaine sont obligatoires. Lorsque le personnel dispose du temps nécessaire et à la demande du détenu, celui-ci peut obtenir des douches supplémentaires; faut-il encore qu’il le demande. Le transfert du requérant a été effectué par les véhicules officiels de SECURITAS (JTS). Ces véhicules ont été déclarés conformes et homologués par les autorités compétentes. Ils sont utilisés sur tout le territoire suisse et ont été également contrôlés par la CPT lors d’une de leurs visites en Suisse. La mise des menottes aux personnes transportées est obligatoire. Il est évident que les passagers ne peuvent pas voir sur l’extérieur, étant donné que l’autorité a dû concevoir des véhicules qui ne permettent pas d’identifier les personnes transportées.