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«Le fichage ADN des requérants d’asile serait une mesure stigmatisante voire discriminatoire»

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l'information du canton de Vaud.

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud.

S’appuyant sur les statistiques policières de huit cantons qui établissent une augmentation de la criminalité depuis le Printemps arabe sur le sol suisse, Christophe Darbellay – président du Parti démocrate-chrétien et conseiller national – a déposé une motion intitulée «Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité» qui a été adoptée par le Conseil national le 17 avril 2013. Cette motion permettrait d’établir des profils ADN de manière préventive et systématique de certaines catégories de personnes pouvant potentiellement commettre des délits. Si le Conseil des États valide la motion, le Conseil fédéral devra créer une loi pour la concrétiser. Voix d’Exils a souhaité mettre en perspective les enjeux d’une telle motion en donnant la parole à Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Interview.

Pouvez-vous commencer par présenter votre fonction et votre travail 

Je suis préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Nous sommes trois personnes à travailler dans l’équipe. Nous avons une double casquette : l’une porte sur la protection des données et l’autre sur la transparence. Du côté de la protection des données, il y a une loi cantonale qui s’applique aux administrations cantonales et communales, et des organismes comme l’EVAM par exemple. Nous sommes en étroite collaboration avec les autorités tout en veillant au respect de la loi ainsi qu’aux installations de vidéosurveillance exploitées par les communes ou le canton. Cependant, nos actions ne couvrent pas le traitement des données des établissements privés, comme par exemple l’installation d’une caméra par la Coop, ou encore la Migros avec la carte Cumulus. Ceci n’entre pas du tout dans notre champ de compétences, mais dans celui du préposé fédéral à la protection des données.

Nous sommes aussi l’instance de recours contre des décisions que pourraient prendre les autorités cantonales ou communales en matière de protection des données sur une tierce personne.

Comment l’utilisation de l’ADN est-elle encadrée juridiquement actuellement ?

Le Code de procédure pénale suisse autorise le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN pour élucider un crime ou un délit. Un tribunal peut aussi ordonner l’établissement d’un profil ADN lorsqu’une personne est condamnée pour des délits d’une certaine gravité. La loi sur les profils ADN impose des règles sur la manière de procéder; elle prévoit aussi la création d’une base de données centralisée. Les profils ADN des personnes mises hors de cause, acquittées ou bénéficiant d’un non-lieu sont retirés de la base de données. Il en va de même pour les personnes condamnées après des durées fixées par la loi. Seul l’Office fédéral de la police peut faire le lien entre un profil et une identité.

La motion de Monsieur Darbellay concernant le test ADN de certains  requérants d’asile, notamment à titre préventif, a été adoptée par le Conseil national en avril 2013. Quel est votre avis à ce sujet?

Il est à noter ici que prendre les empreintes digitales ou l’ADN de quelqu’un constitue, du point de vue de la construction juridique, une atteinte à la personnalité. Considérée comme une atteinte grave par certains et anodine par d’autres, elle constitue dans tous les cas une atteinte au droit de la personne, donc à un droit fondamental. C’est pourquoi on peut le faire, mais à certaines conditions, notamment des conditions de restrictions des droits fondamentaux. Cela nécessite une base légale, il faut aussi qu’il y ait un intérêt public qui justifie cette restriction et que la restriction du droit fondamental soit proportionnelle à l’intérêt public considéré. Après, il y a aussi des choix politiques qui sont faits par le législateur qui a un large pouvoir d’adopter ou pas ce type de mesures (la prise d’ADN), sachant aussi qu’en Suisse, il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois. Une des questions que soulève ce projet est la discrimination d’un groupe ciblé de la population. Un groupe évalué selon certains critères est jugé particulièrement à risques, et tous les membres de ce groupe sont considérés comme suspects potentiels, en tout cas plus suspects que le reste de la population. Donc, c’est clairement une mesure qui est stigmatisante voire discriminatoire. Avec une remise en cause d’un principe qui est fondamental dans l’Etat de droit : la présomption d’innocence. Après, ce sont des choix politiques qui doivent être faits. Et ces questions soulèvent aussi des problèmes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a une position plutôt restrictive s’agissant du fichage préventif. On admet le fichage ADN de manière générale pour les personnes qui ont été condamnées; mais il y aurait un pas de franchi si on l’autorisait a priori sur des personnes jugées à risques.

Selon l’article 33 de la loi fédérale sur l’analyse de la génétique humaine, le prélèvement nécessite notamment le consentement écrit de la personne. Au cas où la personne ne veut ou ne peut pas écrire ce consentement, que se passerait-il ?

Le prélèvement peut se baser soit sur une base légale, soit sur le consentement de la personne. Donc on peut tout à fait imaginer une base légale qui oblige les personnes à donner leur ADN par un frottis ou un autre procédé sans qu’elles aient la possibilité de s’y opposer. On peut passer outre le consentement si on a une base légale suffisamment claire qui le permet. Après, du point de vue de l’intérêt public, on peut considérer qu’on va lutter contre la criminalité et que cela constitue donc un intérêt public. On peut être d’accord que cet intérêt public existe, mais la question est celle de la proportionnalité d’une telle mesure. Donc, par rapport aux entorses que la mesure porte aux droits fondamentaux de la personne, cela pose problème. Est-ce que vraiment ça se justifie ? Est-ce que le but qu’on veut atteindre, à savoir résoudre un certains nombre de délits, dont la plupart sont mineurs et commis par des délinquants venus du Printemps arabe ? On n’est pas en règle générale dans le grand banditisme. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre, mais là on a un problème qu’on veut résoudre, et on propose un moyen pour le résoudre. Est-ce que ce moyen qu’est le fichage ADN est vraiment proportionnel par rapport au problème de criminalité qui se pose ? Là est la question.

Cette motion respecte-t-elle la Constitution suisse? Est-elle applicable ?

Elle ne doit pas impérativement respecter la Constitution suisse. Le système juridique suisse n’a pas de Cour constitutionnelle au niveau de la Confédération. Le Parlement peut adopter des lois qui constituent des entorses aux principes constitutionnels voire qui s’y opposent. Dans le canton de Vaud, on a une Cour constitutionnelle, mais au niveau de la Confédération non. Du coup, si cette motion poursuit son chemin parlementaire, il va y avoir d’innombrables débats pour savoir si la mesure est constitutionnelle ou non. Mais, même si elle ne l’était pas, on ne peut pas exclure qu’elle soit adoptée. Après, c’est un choix politique encore une fois qui, en Suisse, ne peut pas être remis en cause par un tribunal. Ce qui pourrait arriver c’est une remise en cause par une instance internationale comme, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme.

Les requérants d’asile doivent déjà donner leurs empreintes digitales lors de leur arrivée en Suisse. Comment cela est-il encadré ? Et en quoi la prise d’ADN serait-elle différente ?

Les empreintes digitales des requérants d’asile sont prises pour s’assurer que les requérants n’ont pas déjà déposé une demande ailleurs, c’est le cas avec l’accord Schengen et de Dublin. On est vraiment ici dans des finalités qui ne sont pas les mêmes que la finalité proposée par la motion Darbellay qui est policière et répressive.

Du coup, les empreintes digitales des requérants d’asile prises selon la législation Schengen pourraient être utilisées dans le cadre d’enquêtes policières ?

Les empreintes digitales sont stockées dans le système EURODAC dans le but de déterminer l’Etat qui est responsable de la demande d’asile. A l’origine, il n’était pas prévu de pouvoir utiliser ces données à des fins répressives. Toutefois, le Parlement européen vient sauf erreur d’adopter des modifications réglementaires qui permettront d’accéder à ces informations pour l’élucidation de crimes graves.

Concrètement, pensez-vous que le fichage ADN soit une mesure utile pour lutter contre la criminalité de certains requérants d’asile ?

Je précise évidemment que je ne suis pas policier. Après, j’ai de la peine à me rendre compte, mais rappelons par exemple que lorsqu’on a commencé à récolter les empreintes dans le cadre d’enquêtes policières, les criminels ont commencé à porter des gants. Maintenant, si on met l’ADN, qu’en sera-t-il ? J’imagine que dans un certain nombre d’enquêtes, cela peut-être utile. Après il y a des choix politiques qui doivent être faits. Donc, il y a aurait une certaine efficacité, c’est très probable, mais avec des effets négatifs, dont une inégalité de traitement entre certains ressortissants d’un pays qui seront soumis au fichage et d’autres non.

Où vont être rangés les fichiers s’il y a la prise d’ADN pour certains requérants d’asile ?

Cela dépend du niveau de la juridiction cantonale ou fédérale. Les deux étant envisageables. Mais j’imagine que ça serait plutôt au niveau fédéral, avec une possibilité d’accès pour les autorités cantonales. Après, pour l’accès, cela concernerait les normes usuelles : les données seraient très protégées dans des systèmes très sécurisés. Il faut rappeler que la sécurité absolue n’existe pas, et c’est un des problèmes avec l’informatisation croissante, mais les bases de données publiques sont en général très bien sécurisées. Après, la faiblesse est humaine. Les banques en savent quelque chose. Ce peut aussi être une défaillance au niveau de la sécurité des données. C’est pour cela aussi qu’au niveau de la collecte des données, un principe veut que l’on collecte le minimum de données nécessaires pour minimiser les risques. Sachant qu’une fois qu’une base de données existe, elle suscite, en général, un certain nombre de convoitises.

Si dans 10 ans toute la population devait donner ses empreintes ADN, comment qualifieriez-vous le monde dans lequel nous vivrions ?

La motion Darbellay pose une question de principe : si le législateur pense que c’est justifié de créer une base de données à titre préventif visant une partie de la population, on met alors le doigt dans un engrenage. Si on le fait pour ce type de population, pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas pour d’autres groupes de population ? Au hasard, les personnes de sexe masculin entre 18 et 25 ans qui sont célibataires, qui sont parmi les groupes de populations les plus criminogènes, les plus susceptibles de commettre des délits. On peut identifier un certain nombre de groupes, dont d’ailleurs vous (nous, les deux journalistes de Voix d’Exils) feriez partie. Alors après pourquoi pas vous ? Ou pourquoi pas tous les oncles ? Parce qu’on considère que c’est surtout les oncles qui commettent des abus sexuels sur les enfants, ou tous ceux qui travaillent avec la finance, et après on peut tout imaginer.

Personnellement, je préférerais la situation dans laquelle l’ensemble de la population serait fichée plutôt que des groupes cibles. Cela ne veut pas dire que je souhaiterais que l’ensemble de la population soit fichée. Mais, quitte à le faire, soyons cohérents et allons jusqu’au bout. Mais cela ne serait pas une société qui me réjouit particulièrement, où par principe on suspecte les personnes plutôt que de faire primer la présomption d’innocence. Mais là aussi, quels sont les intérêts que l’on considère comme étant prépondérants ? A ce propos, le débat autour des services secrets américains : la National Security Agency (NSA) avec l’affaire Snowden est intéressant. Beaucoup de personnes considèrent que l’atteinte à leur sphère privée se justifie vu le bien qu’on veut atteindre, c’est-à-dire une sécurité maximum. Et du coup certains disent «mais est-ce que les terroristes n’ont pas déjà gagné ?», vu que l’on remet en cause les acquis essentiels au sein de nos sociétés démocratiques. Donc, à titre personnel, je ne suis pas pour cette tendance de surveillance accrue. Mais cette tendance de placer l’aspect sécuritaire avant tout est là. Pour revenir aux caméras de vidéosurveillance, on peut mettre des caméras partout, et probablement que cela va résoudre un certain nombre de délits et d’infractions. Mais au vu des atteintes que cela constitue pour l’ensemble de la population, est-ce que ça se justifie ? A mon sens non.

On est ainsi face à des choix de société. Nous sommes dans une société démocratique, mais on ne sait pas comment sera la Suisse ou l’Europe dans 40 ou 50 ans. On peut se dire aussi que certains outils de surveillance sont acceptables quand ils sont dans les mains de dirigeants en démocratie, et qu’ils le sont moins dans des régimes non démocratiques. Là aussi, il y a un principe de prudence à respecter. Et qui peut prévoir l’évolution d’une société sur 50 ans ? Personne, je pense.

Propos recueillis par :

Cédric Dépraz et El Sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour consulter la motion de Christophe Darbellay « Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité » cliquez ici

 




Une manifestation réclame la régularisation des sans-papiers et des requérants d’asile

Photo: Hochardan

Le  mercredi 22 février à Lausanne, les collectifs de défense des droits des sans-papiers accompagnés de sympathisants et de militants se sont réunis sur la place de la Riponne  à Lausanne pour manifester et réclamer la régularisation immédiate de tous les sans-papiers et des requérants d’asile. Cette manifestation était organisée par le collectif Droit de rester, le Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers (CVSSP) et le Collectif de soutien et de défense des sans-papiers de la Côte,  avec l’appui de beaucoup d’associations et de syndicats venus également de Berne et de Fribourg.

Cette manifestation avait pour but selon les organisateurs « de contester les stigmatisations, les discriminations et le racisme ainsi que de s’opposer à un système qui assigne les immigrés à la condition d’êtres inférieurs et subordonnés ». Leur message était le suivant : « Marchons dans la rue, crions haut et fort, montrons que nous ne sommes ni des criminels, ni des abuseurs, ni des délinquants, mais que nous sommes des êtres humains dignes de valeur et que nous avons des droits et des devoirs ».

Photo: Hochardan

« Nous avons quitté un pays mais non l’humanité ! »

À 17h00, la place de la Riponne était presque saturée de manifestants d’ethnies, de races, de cultures, de langues différentes, comme lors d’une conférence mondiale. Et en effet, il y avait là des personnes venues des quatre coins du monde qui ont marché jusqu’à la place du Château où elles ont adressé une lettre signée par les trois collectifs organisateurs au Conseil d’Etat, lui demandant la régularisation collective de tous les sans-papiers.

Durant leur marche, les manifestants scandaient : « Nous n’avons qu’un seul monde, nous partageons une même condition humaine. » « Nous ne voulons pas que les êtres humains soient classés, encadrés, contrôlés, réprimés et donc traités de manière inégalitaire ». Sur les banderoles, des slogans dénonçaient les abus faits aux droits de l’homme. Certaines exprimaient la valeur de l’humain : « Nous avons quitté un pays mais non l’humanité » et « Expulsez les lois racistes pas les êtres humains ! ».

 « L’origine n’est pas un crime ! »

Au moment où les manifestants passaient  dans la rue du Grand-Pont, une partie d’entre eux se sont allongés dans la rue portant des tissus sur lesquels était écrit : « L’origine n’est pas un crime ».  Des dizaines de requérants ont pris la parole : « Que nous soyons passés par la filière de l’asile ou que nous soyons venus clandestinement, notre seul objectif est d’avoir aspiré à une vie meilleure. » « L’Etat nous met dans des situations pénibles : il nous interdit de séjour, nous exclut d’une existence légale, nous enlève toute perspective d’avenir, nous en sommes réduits à travailler au noir ou à nous terrer dans des abris de protection civile. » « Ça suffit ! Qu’on le veuille ou non, nous sommes ici, nous participons activement à construire la société dont nous faisons partie ! »

Photo: Hochardan

« L’immigration n’est pas un choix, mais c’est une chance ! »     

 La majorité des manifestants vivent des souffrances, des peurs, des angoisses et de l’incertitude quant à leur sort. Beaucoup d’entre eux sont en Suisse depuis plusieurs années. Qu’ils vivent dans des abris, dans des centres d’aide d’urgence ou ailleurs, ils revendiquaient tous le droit de vivre librement et de sortir de cette situation précaire. «Marre de se cacher, on vit ici, on reste ici », grognaient-ils. Tout au long de leur marche, les manifestants ont adressé au peuple suisse un message à travers le slogan : « L’immigration n’est pas un choix, mais c’est une chance ».

Malgré le fait que la situation soit précaire, que la vie soit difficile, que l’angoisse soit présente, même si le chagrin et la peur sont permanents, ils gardent pourtant l’espoir et le rêve de revoir un jour ceux qui leur sont chers, disaient-ils en écho au grand martyr américain Martin Luther King qui a dit lors de la manifestation du 28 octobre 1963 à Washington : « Je rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau, mais à la mesure de leur caractère. »

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

« La Suisse a longtemps été un pays d’émigration »

Graziella de Coulon, membre du collectif Droit de rester a accordé une interview à Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Quel est le but de cette manifestation ?

Graziella de Coulon : Nous demandons la régularisation de tous les sans-papiers et de tous les déboutés de l’asile. Ce sont des personnes qui sont mises à l’écart, elles font partie des gens qui n’ont plus de droits, plus rien.

Qu’espérez-vous de cette manifestation en tant que défenseur des sans-papiers ?

On n’espère pas grand chose de cette manifestation. C’est pour rassembler les gens et pour dire : « On est toujours là, et on continue de réclamer la même chose ! » Mais, cette fois, nous avons adressé nos revendications aux Conseillers d’Etat. Vu que maintenant, la majorité est de gauche… (elle rigole). Nous demandons surtout que Vaud défende à Berne les personnes qui ont été acceptées par le canton. Et non pas que le canton dise : « Berne ne les veut pas ! ».

Photo: Hochardan

Quels sont les obstacles que vous rencontrez avec le Département de l’Intérieur ?

Ils disent qu’ils n’ont pas de marge de manœuvre et que c’est Berne qui décide… Ce qui n’est pas vrai, le canton a une marge de manœuvre. Il peut, par exemple, mettre ou pas à l’aide d’urgence un débouté, mais il les met tous à l’aide d’urgence. Donc, le canton fait le bon élève auprès de Berne, et c’est ça  que nous contestons. La majorité au Conseil d’Etat est de gauche, mais c’est une gauche qui n’a pas le courage politique d’affirmer une autre position que celle de la droite musclée de Berne, qui est celle qui régit maintenant toutes les questions d’immigration.

Photo: Hochardan

Qu’éprouvez-vous face aux expulsions ?

Déjà une grande honte pour le pays qui viole le droit de ces personnes au point de les obliger à partir dans leur pays, alors que pour certaines ce n’est plus leur pays. Parmi les personnes expulsées, certaines sont en Suisse depuis 10 ans et plus ! C’est une honte, la façon dont on les expulse. Les expulser vers le néant, vers aucune autre solution, alors qu’elles pourraient rester ici.  Il y en a beaucoup qui ont du travail, mais par la faute des lois uniques qui ont été votées, maintenant elles sont toutes déboutées… Personnellement, je ressens vraiment une grande honte et puis un grand regret pour ces personnes parce que souvent je les connais. Après leur expulsion, on les perd… On ne sait pas du tout ce qu’elles deviennent dans leur pays.

On voit souvent des blacks arrêtés et fouillés. Ils vivent dans la peur et la menace permanente. Qu’en dites-vous ?

Photo: Hochardan

Ce qu’il faut dire, c’est que ces personnes ont quitté leur pays et ont traversé la Méditerranée en risquant leur vie et beaucoup sont morts. Personne n’a quitté son pays et fait ce trajet pour venir vendre de la coke ou devenir un criminel ici. Ce sont les conditions de vie dans lesquelles ces gens sont ici qui font qu’ils sont obligés à un certain moment de se mettre dans cette criminalité qui est une petite criminalité de survie. Les gens ne peuvent pas rester ici sans être jamais heureux, sans avoir la possibilité de travailler, sans avoir des contacts avec les gens. N’être vus que comme des criminels…. Ce n’est pas possible ! A un certain moment ils deviennent, oui, des  criminels parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement.

Comment expliquez-vous que le peuple suisse ait voté des lois qui sont contre l’immigration ?

Aux Suisses, j’aimerais premièrement dire de se souvenir de leur passé, parce que pendant de longues années, la Suisse a été un pays d’émigration. Les Suisses devaient émigrer parce qu’on ne mangeait pas assez dans ce pays.  Maintenant, ils ont oublié et veulent fermer toutes les frontières, ils veulent laisser tous les pauvres en dehors. C’est vraiment une lutte des pauvres contre les riches. Et quand on dit que ces lois ont été votées par la population, il faut voir sous quelles pressions et avec quelle propagande elles ont été votées. Les personnes qui défendent les requérants ou qui défendent l’immigration n’ont pas un grand espace de parole pour convaincre les gens. Et les gens ont peur parce que pour eux aussi cela ne va pas bien : ils ont peur du chômage, ils ont peur pour l’éducation de leurs enfants, ils ont peur pour leur logement et ils prennent juste l’immigration comme bouc émissaire. Mais ça, c’est l’UDC et  les partis de droite qui disent ça au peuple, et le peuple vote. Mais finalement, il y a quand même beaucoup de solidarité en Suisse, il n’y a pas que ça…

Propos recueillis par Hochardan

 




Référendums du 24 septembre

L’heure du rassemblement contre les lex Blocher a sonné au-delà des clivages politiques.

La grande bataille pour l’asile aura lieu le 24 septembre dans les urnes.

Les défenseurs du droit d’asile en Suisse ont réussi le pari de réunir en 100 jours le nombre de signatures nécessaires pour lancer les référendum contre les révisions de la Loi sur l’asile (LAsi) et de celle sur les étrangers (LEtr). Les différentes régions de la Suisse se sont mobilisées au-delà du comité référendaire.

Manifestation du Non aux lois contre l'asileLe droit d’asile n’est pas encore mort en Suisse. C’est une phrase que les militants de cette cause auraient pu prononcer en prenant le chemin de Berne ce 6 avril 2006 pour déposer à la Chancellerie les signatures validant les référendums contre les modifications des deux lois désignées par le terme «Iex Blochep), et devenues indissociables aux yeux de la majorité des membres du comité référendaire. Personne parmi les animateurs des différents groupements qui forment le comité référendaire n’aurait parié sur un succès aussi impressionnant au début de la campagne de récoltes des signatures, trois mois plus tôt En effet, le référendum contre la révision de la LAsi a réuni plus de 100000 signatures dont 90078 validées par la Chancellerie fédérale. Celui contre la LEtr a recueilli environ 75 000. Des chiffres qui dépassent de loin les deux fois 50 000 paraphes exigés. Contrairement à certains pronostics qui ont précédé la campagne, davantage de signatures que prévu ont été récoltées en Suisse alémanique qu’en Suisse romande (35496 signatures en Suisse alémanique, 30 926 en Suisse romande et 893 au Tessin pour le référendum contre la révision de la LAsi et presque les mêmes proportions contre la Letr) Pour l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), cette réaction massive des Suisses d’outre-Sarine démontre la gravité des problèmes que posent ces deux révisions. Cellesci touchent les citoyens suisses au plus profond de leur conscience par rapport à leur tradition humanitaire et leur attachement à l’Etat de droit.

Précisons que la campagne n’a pas démarré dans cet esprit-là. Un mois après le lancement du référendum, le canton de Genève n’avait enregistré qu’une poignée de signatures. «Je pense que la peur a déjà gagné les esprits, la collecte se fait au comptegouttes », s’indignait une femme chargée de recueillir les signatures dans les milieux religieux. Ueli Leuenberger, conseiller national et vice-président des Verts avait également émis des inquiétudes à la fin du mois de février, subtilement «On a eu pas mal froid aux pieds en récoltant les signatures, mais la solidarité nous a chauffés le coeur.»

Stratégie de la proximité

Cette morosité de début de campagne a permis au comité référendaire de revoir son plan d’action et d’opter pour la stratégie de la proximité. Le Secrétaire de la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie, Martin Kelemenis, faisait cette réflexion au cours du mois de février: «Nous expliquons de façon terre à terre comment on traite les étrangers et démontrons pourquoi ces lois révisées sont inefficaces, absurdes.» Les membres du comité référendaire ne tendaient pas seulement des fiches à signer aux passants mais prenaient le temps de discuter avec le public autour des nouvelles dispositions des lois contestées. Le 14 mars, l’optimisme était de retour dans le camp du Comité référendaire. Le secrétaire général du Parti du travail, René Ecuyer, déclarait sourire aux lèvres: «Nous avons déjà dépassé les cinquante mille signatures, mais nous devons continuer la récolte.»

Toute la Romandie s’est mobilisée

La stratégie de la proximité a permis aux membres cantonaux du comité référendaire de toucher les citoyens helvétiques partout où il y avait une activité populaire. A Genève, par exemple, le Festival international du film sur les Droits humains a servi de cadre pour la récolte de signatures. «Ce référendum ne ressemble à aucune autre, car il engage toute la Suisse, non seulement dans ce qu’elle a, mais dans ce qu’elle est aux yeux du monde. Si nous laissons cette loi s’appliquer, ce sera la mort de l’identité de notre pays», s’est exprimé un anonyme après avoir signé. Une dame d’un âge mûr qui était venue suivre la conférence donnée par le Procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, s’est confiée à nous en s’écriant: «Le monde va tellement mal qu’on est obligé de créer une Cour pénale internationale pour se débarrasser des sanguinaires. Pendant ce temps, les autorités suisses concoctent une loi pour bouter hors du territoire helvétique les quelques victimes de ces prédateurs qui ont pour seul tort de chercher refuge chez nous. Faire l’aveugle et le sourd devant les souffrances du monde d’aujourd’hui conduira la Suisse vers un nouveau rapport Berger d’ici 50 ans. S’il le faut, je signerai des deux mains pour que mes petits enfants n’héritent pas de ces lois inhumaines».

Banderole L'asile, un droit humainLes avis sont divers et variés mais c’est toute la Suisse dans sa diversité qui a participé à cette campagne pour la récolte des signatures; dans le Jura, par exemple, les formations politiques et les organisations humanitaires ont travaillé main dans la main avec des associations comme l’Alliance pour l’avenir du Kosovo ou l’Association jurassienne des communautés d’Anatolie. Dans le Valais, c’est l’engagement de quelques agents de police qui a fait sensation. Nicole Gigon de la section locale d’Amnesty international et Josiane Rouiller du Centre de Contact SuissesImmigrés ont rapporté à Voix d’Exils l’anecdote suivante: «Dans un village, deux policiers se sont présentés au stand de récolte des signatures. Lun d’eux a signé et nous a indiqué qu’il se sentait incapable d’appliquer les nouvelles dispositions de la Loi sur l’asile car on n’expulse pas des gens sans défense.»

Renforts de poids

Discours contre le Référendum sur l'asileLa bonne surprise pour le camp du référendum a été la prise de position militante de l’ex-conseillère fédérale Ruth Dreifuss qui, non seulement à condamné énergiquement les lex Blocher (lire l’interview page 11), mais a pris part également activement à la récolte des signatures tout en présidant le Comité pour le double Non. L’ex-chancelier de la Confédération, François Couchepin, cette personnalité respectée du camp bourgeois, notamment du Parti radical (PRD) a fait circuler depuis le 17 mars dernier une pétition sur Internet où il qualifie la nouvelle révision des lex Blocher de contraire à «la Constitution et aux conventions internationales signées par la Suisse». «Des lois scélérates, honteuses et félonnes», a-t-il conclu. Une position forte suivie par d’autres leaders politiques bourgeois dont le tessinois Dick Marty (PRD), les vaudois Claude Ruey (Parti libéral) et Yves Guisan (PRD), le jurassien Pierre Kohler (PDC) et les genevois Luc Barthassat (PDC) et Martine Brunschwig Graf (Parti libéral) Et pourtant, l’Union démocratique du centre (UDC) proclamait l’unité des partis bourgeois dans un communiqué de presse publié le 6 avril: «Les améliorations apportées aux lois sur l’asile et sur les étrangers ne sont guère contestées dans les rangs des partis bourgeois PDC, PRD et UDC».

Le nerf de la guerre

Pour de nombreux partisans du référendum, la satisfaction affichée après la validation des signatures par la Chancellerie fédérale a fait place à une autre préoccupation. Il faut maintenant que le peuple valide cet aboutissement dans les urnes le 24 septembre prochain. D’ici là, il va falloir réunir des moyens financiers conséquents pour battre campagne dans les coins et recoins de la Suisse afin de sensibiliser de nombreux citoyens dont l’adhésion à cette cause est loin d’être acquise. Le «Comité pour le double Nom) a prévu investir 300000 francs dans la campagne référendaire. Le Parti socialiste qui bat campagne uniquement contre la LAsi, espère réunir 200000 francs. La «Coalition pour une Suisse humanitaire » a fixé le montant de son budget à 500000 francs.

S. KOMBE, A MADANI, L. NGIMBI

Télécharger le numéro complet Voix d’Exils n°23 avril – mai – juin 2006