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La laïcité au Moyen-Orient

Source: unsplasch.com.

Les raisons de l’échec de la laïcisation au Moyen-Orient et particulièrement en Iran

La révolution philosophique qui a eu lieu en Europe entre les 17ème et 18ème dit «Siècle des Lumières» n’a jamais pris fin au Moyen-Orient. L’ingérence de gouvernements étrangers et de communautés religieuses très conservatrices dans cette région du monde n’ont pas favorisé la laïcité. L’Iran, à présent dirigé par une politique idéologique, est le meilleur exemple que l’on peut examiner pour comprendre cette situation.

En Europe, le premier pays à avoir connu la laïcité après des développements politiques a été la France. La question de la séparation de la religion et de la politique est devenue une loi fondamentale en France avec la Constitution de la 4ème République de 1948. Après la France, des pays tels que la Belgique, la Turquie et des villes canadiennes comme Québec, ainsi que Genève et Neuchâtel en Suisse ont adopté la laïcité dans leur Constitution.

Que signifie la laïcité ?

Laïcité signifie qu’un gouvernement n’adhère à aucune religion. La religion fonctionne librement dans la société civile, mais elle n’exerce aucun pouvoir sur le champ politique.

Les partisans de la laïcité en Occident estiment que la religion devrait rester dans les lieux de culte et ne pas se mélanger avec les lois des États. Mais en Orient, cela a un autre sens. La majorité des populations du Moyen-Orient pense que la laïcité est anti-religieuse et elles ont peur de «perdre leur religion».

 

Source: unsplasch.com.

En Iran

Dans mon pays – l’Iran – il y a aussi d’autres raisons qui expliquent cet échec de la laïcisation. Par exemple, l’existence du pétrole, la colonisation du pays par la Grande-Bretagne et les États-Unis et un régime communiste imposé par les russes. Ces emprises politiques sont des raisons historiques qui ont rendu les peuple incapable d’agir de manière indépendante dans ses décisions politiques.

L’exemple le plus important à citer dans l’histoire iranienne est celui du gouvernement de Mohammad Mossadegh. Mohammad Mossadegh était Premier ministre de l’Iran de 1951 à 1953. Mentionnons au passage qu’il a étudié à l’Université de Neuchâtel. Pendant ces années, il a essayé de séparer l’État de la religion et de promouvoir la laïcité dans ce pays religieux. Mais son gouvernement a fini par être renversé par trois groupes d’intérêts:

1 : Les dirigeants religieux

2 : Le Shah (Mohammad Reza Pahlavi) et ses partisans

3 : Les puissances étrangères: la Grande-Bretagne et la nouvelle puissance des États-Unis (qui lorgnaient sur le pétrole du pays).

Les dirigeants religieux se sentaient menacés par la précarité de l’emploi ; Le Shah craignait de perdre du pouvoir et de l’argent et, enfin, La Grande-Bretagne et l’Amérique à cause du pétrole. Ces trois groupes d’intérêts de l’époque se sont donc unis pour organiser un coup d’État contre le gouvernement laïc de Mohammad Mossadegh en 1953. Le principal prétexte qui justifiait leur action commune était de combattre les communistes soviétiques, car l’Iran occupe une position stratégique et géographique importante. Mais plus encore, c’était la sauvegarde de la communauté religieuse iranienne.

Source: unsplasch.com.

L’anti-religion

Actuellement, la société iranienne considère la laïcité comme une anti-religion. Les particularités religieuses, culturelles et sociales du peuple iranien font aussi qu’il est très difficile de gouverner ce pays. Les ayatollahs iraniens, qui détiennent le pouvoir politique depuis maintenant 40 ans, n’ont pas été en mesure de gouverner le pays. Même ceci est compréhensible pour la plupart des citoyens et citoyennes iraniens.

Cette situation est cependant bien complexe. Car il y a d’un côté, la jeunesse iranienne qui cherche une ouverture plus grande; et de l’autre, les forces conservatrices qui restent très puissantes. Les théoriciens de la politique doivent trouver le moyen pour diriger le clergé vers sa position d’origine: à savoir les mosquées. Reste aux politiciens et politiciennes de tracer un chemin pour arriver à la laïcité. Des exemples inspirants sont les chemins suivis par l’Italie et l’Allemagne.

Un tel chemin pour l’Iran signifierait que d’un côté, la religion fonctionne de manière autonome. Et de l’autre, que le pays soit par conséquent davantage dirigé par des hommes et des femmes politiques. Mais ces futurs dirigeants devront avancer pas à pas afin de ne pas couper leurs relations avec les universités et les écoles. Sinon, la population iranienne ne l’acceptera pas. Mais pour l’heure, la société ne veut pas abandonner ses croyances. Du moins, jusqu’à aujourd’hui, c’est toujours le cas…

Vahid Farkhondeh Khoy Fard

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 




«Le discours pour justifier l’exclusion est aujourd’hui plus sophistiqué et moins identifiable au racisme qu’auparavant»

Dr. Philippe Gottraux. Photo: André / Voix d'Exils

Dr. Philippe Gottraux. Photo: André / Voix d’Exils

Face à la montée de l’extrême droite en Europe et à l’adoption par le peuple suisse de l’initiative portée par l’Union Démocratique du Centre (UDC) dite « Contre l’immigration de masse », Voix d’Exils s’est penché sur le sujet avec Philippe Gottraux, politologue à l’Université de Lausanne, pour mieux comprendre le phénomène.

Voix d’Exils : Quelles sont les spécificités et caractères communs des idéologies d’extrême droite ?

Philippe Gottraux : Historiquement, l’extrême droite européenne est liée à des courants qui ont été marginalisés après la guerre – comme le fascisme et le nazisme -, mais qui ont continué à exister très marginalement dans la société. Ce qui est préoccupant ces derniers temps, c’est la recrudescence des courants d’extrême droite partout en Europe. On observe, bien sûr, des différences entre eux, même si les thématiques peuvent se ressembler. Ils partagent, par exemple, une espèce de phobie envers les étrangers ou, pour les groupes plus modérés comme l’UDC, une obsession du « problème » que représentent pour eux les étrangers. Mais ce n’est quand même pas la chasse à l’homme à coups de barre de fer, organisée par le mouvement grec Aube Dorée dans les rues d’Athènes, sous les yeux complaisants de la police…

Qu’est-ce qui différencie les mouvements d’extrême droite actuels par rapport à ceux des années 30-40 ?

Les mouvements des années 30-40 ont perdu la guerre, puis la bataille idéologique. Il y a eu un tabou – au sens politique et positif du terme – pour interdire le racisme. Il a fallu une modération des discours d’extrême droite dans ce nouveau contexte. S’en est suivi la désignation de nouveaux boucs émissaires. Alors que, tendanciellement, l’antisémitisme est devenu indicible, le racisme anti-Roms se porte bien. A droite, on agite aussi la menace de l’Islam, de l’islamisation de l’Europe, ou encore celle des migrations venant des sociétés du Sud.

Quelle est la vision du monde des mouvements d’extrême droite ?

C’est la construction d’une vision du monde qui est systématiquement organisée autour d’une opposition entre « Eux » et « Nous », d’une conception anti-égalitaire et hiérarchique de la société, ainsi que d’un nationalisme exacerbé. Pour ce qui nous concerne ici, le « Eux », c’est évidemment les étrangers, les « races », les cultures différentes de « Nous », avec lesquels il ne faut pas se mélanger. Prenez le débat qu’il y a eu en Suisse sur les minarets à l’occasion de la votation populaire nationale de novembre 2009. Le « Eux », c’était les musulmans avec leurs pratiques supposées incompatibles avec nos institutions. Il faut savoir qu’au 19ème siècle, une initiative fédérale acceptée par le peuple visait à interdire aux Juifs l’abattage rituel. C’était déjà les mêmes mécanismes : « On n’a rien contre les Juifs, on prend la défense des animaux. » Cette initiative avait bien sûr permis un déferlement de discours antisémites.

Ce refus de l’autre est-il un phénomène que l’on observe dans toutes les sociétés ?

Dans toutes les sociétés, il y a des « Eux » et des « Nous ». Une différenciation se fait entre le groupe d’appartenance comme la nation, la culture, et les « Autres ». La question est de savoir ce qu’on fait de cette différence. Il y a, bien sûr, des différences entre « Eux » et « Nous », mais doit-on les conflictualiser pour renforcer le « Nous » contre les « Autres » ? Je pense qu’un des fonds de commerce de l’extrême droite, c’est de faire une lecture de la réalité sociale sur cette base-là.

Comment les partis d’extrême droite justifient-ils le rejet des étrangers ?

Ce n’est pas nécessairement des étrangers, c’est des « Eux » qui sont la plupart du temps des étrangers ou issus de l’immigration. L’extrême droite a été marginalisée après-guerre, parce que ses arguments pour exclure les « Eux » – en l’occurrence les Juifs ou les Tsiganes – étaient des arguments radicaux qui ont conduit à des extrêmes comme l’extermination. Maintenant, le discours pour justifier l’exclusion des « Eux », ou la séparation avec les « Eux », est en général beaucoup plus modéré, plus sophistiqué, et donc moins rapidement identifiable au racisme. Les gens qui se revendiquent explicitement du racisme ou qui revendiquent explicitement la supériorité des Blancs sur les Noirs ou des Suisses sur les étrangers sont minoritaires. De fait, les arguments qui circulent ne sont ni méprisants ni haineux, ils sont plus subtils. Le danger, c’est que ces arguments plus subtils sont davantage recevables pour la société.

Est-ce le seul danger ?

Non. L’autre danger, c’est la réappropriation tactique par ces courants d’extrême droite de thématiques ou de valeurs qui sont historiquement de gauche. Par exemple, la défense de la laïcité. On entend : « L’Islam est incompatible avec nos valeurs parce qu’il est contre la laïcité. » ; « On ne veut pas de musulmans ou d’immigrés venant du Tiers Monde parce qu’ils traitent différemment leurs femmes que nous. » Sous-entendu : « Ils traitent mal leurs femmes, nous on les traite bien. » L’extrême droite se réapproprie les valeurs de la défense du droit des femmes pour justifier des formes de racisme subtiles. On entend ainsi Marine Le Pen défendre le droit des homosexuels, les droits des femmes, la laïcité, la République, etc. Pour quelqu’un qui est à la tête d’un parti d’extrême droite, c’est quand même nouveau !

Que faire pour contrer ce brouillage politique ?

Il est difficile de combattre ces idéologies d’extrême droite parce que justement elles brouillent les clivages. En gros, elles se réapproprient et dévoient des valeurs de gauche, à tel point que ça fait éclater une partie de la gauche sur ces questions. Sur la question de la laïcité, sur la question du port du voile en France etc. La gauche vole en morceaux. Mais, une autre partie de la gauche a conscience que c’est très dangereux de raisonner ainsi, parce que c’est une manière de faire de la place à ce racisme nouveau.

Les discours apparemment modérés cachent les vraies valeurs de l’extrême droite. Peut-on parler de discours masqués?

Pour le Front National c’est une stratégie politique. Il faut moderniser le discours, être trop franc ça ne passe plus. Sans compter le risque d’avoir des procès, car il existe des normes pénales antiracisme. Donc, pour une partie des acteurs, c’est du maquillage, c’est du calcul. Mais une partie des journalistes ne se rend pas non plus compte de ce que cache ce type de discours. On l’avait vu lors de l’initiative populaire de l’UDC sur les étrangers criminels soumise au peuple en novembre 2010. Du côté de la presse, personne n’osait attaquer de front la logique raciste qu’il y avait là derrière, dans sa logique de double peine qui consiste à punir différemment en rapport à la nationalité.

Comment expliquer la recrudescence des mouvements d’extrême droite actuellement en Europe ?

Il y a plusieurs explications qui tendent à dire que c’est lié à la crise économique, à une situation socio-économique qui se dégrade. C’est en partie vrai. Mais l’Espagne et le Portugal sont des pays qui subissent des politiques d’austérité phénoménales qui dégradent les conditions de vie des populations, qui créent de la misère, sans qu’on n’observe pour autant une montée significative des partis d’extrême droite. Donc, la situation économique dégradée ne suffit pas à elle seule à expliquer la montée de ces partis. La meilleurs preuve c’est qu’en Suisse l’UDC fait de très bons scores, mobilise sur des thématiques de rejet des étrangers, alors que la situation économique est bonne en comparaison internationale.

L’autre argument pour expliquer l’avancée de l’extrême droite, l’idée que la gauche et la droite – au sens gouvernemental – c’est du pareil au même. Les partis politiques de gauche ou de droite ne seraient plus suffisamment différents pour offrir des alternatives politiques claires aux citoyens. Ces derniers iraient chercher ailleurs, on le voit en France avec le Front National. Mais cette explication n’est pas suffisante non plus. J’ai l’impression qu’il faut une combinaison de facteurs explicatifs. Il faut regarder dans chaque situation, dans chaque pays, les éléments d’histoire. Dans l’histoire suisse, on a une tradition politique et culturelle, depuis le 20ème siècle, qui désigne les étrangers comme un « problème ». Dans la loi sur les étrangers datant du début des années 30, on se souciait déjà de l’Überfremdung, c’est-à-dire de « la surpopulation étrangère ». L’État suisse – pas l’extrême droite -, l’État est préoccupé depuis le 20ème siècle par le danger que représenterait la « surpopulation étrangère ».

En Suisse, qu’est-ce qui a changé depuis que l’UDC est devenu le premier parti politique ?

Ce qu’il faut regarder, ce n’est pas seulement les scores d’un parti d’extrême droite au niveau électoral, c’est en quoi ce parti arrive à faire bouger l’ensemble de l’échiquier politique vers la droite, et notamment vers des positions hostiles aux étrangers. Depuis 20-30 ans, en Europe, la situation s’est durcie à tous les niveaux, dans tous les pays. Même si l’extrême droite reste minoritaire – avec des scores électoraux oscillant entre 8% et 10% –, il y a des situations où elle devient le pivot qui tire l’ensemble de l’échiquier politique sur la droite, contre les étrangers. En Suisse, c’est particulièrement clair. Depuis que l’UDC progresse, les autres partis s’emparent des thèmes de l’UDC et font soit de la surenchère – parfois en essayant de la prendre de vitesse – ce qu’a essayé de faire le Parti libéral-radical, avec son initiative sur la mendicité (qu’il a maintenant retirée) ; soit ils proposent des solutions qui vont dans le même sens, mais qui sont un peu plus modérées. Mais ça va quand même dans le sens d’une stigmatisation des étrangers ou d’un renforcement de l’idée que les étrangers sont un problème.

Comment ces courants propagent-ils leurs discours ?

Prenons l’exemple des délits. Dans le discours dominant, on se pose systématiquement la question de savoir si c’est un étranger ou si c’est un Suisse qui l’a commis. Si c’est un Suisse, on va se poser la question de savoir si c’est un « vrai Suisse » avec tous les guillemets qu’il faut, ou si c’est un Suisse naturalisé. Il y a une espèce d’obsession, qui n’est pas seulement le signe de l’extrême droite. L’extrême droite joue à fond sur cet impensé nationaliste partagé, elle ne fait que le radicaliser, le systématiser. Ce qui ressort finalement renforcé, c’est l’idée que le clivage les Suisses / les Autres est une grille de lecture pertinente pour analyser n’importe quoi.

A titre personnel, qu’est-ce qui vous frappe dans ce phénomène ?

Je dirais que la force de l’extrême droite c’est sa force stratégique, alors que la gauche critique est sur ce plan dans les cordes. C’est aussi plus facile d’agiter les peurs que de faire appel à la raison, c’est peut-être ça le problème aussi… Pour finir sur un dernier exemple, celui des dealers, on néglige dans le débat public la plupart du temps les consommateurs, surtout si ce sont des personnes de la bonne société qui leur achètent de la drogue. Lorsque vous dites : « S’il y a des dealers, c’est qu’il y a des consommateurs », vous apparaissez déjà comme suspect !

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils