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« Il faut profiter des compétences et des savoir-faire différents qui peuvent amener une richesse aux entreprises »

Photo: rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils.

Interview de Monsieur Jean-Nathanaël Karakash, conseiller d’Etat en charge du département de l’économie et de l’action sociale du canton de Neuchâtel.

Le 20 octobre dernier, la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils est allée à la rencontre de Monsieur Jean-Nathanaël Karakash afin de mieux comprendre la politique d’intégration des personnes migrantes vivant dans le canton de Neuchâtel.

Voix d’Exils: Dans le mémento statistique neuchâtelois 2017, nous avons trouvé qu’il y a 7,2 % des personnes à l’aide sociale dans le canton de Neuchâtel, alors qu’il y en a 3,2 % au niveau Suisse. Pouvez-vous nous expliquer cette différence importante ? Comment gérez-vous cela ?

Monsieur Jean-Nathanaël Karakash: Une partie de cette différence s’explique par l’organisation de notre système social et une autre partie traduit une réalité sociale. A Neuchâtel, il y a un système simple qui ne comprend que l’aide sociale et pas d’autres aides préalables comme l’aide au logement ou des prestations complémentaires pour les familles qui existent dans les autres cantons. Des personnes se retrouvent donc dans les statistiques de l’aide sociale même quand elles ne touchent qu’un très petit montant.

Après, il est vrai que les cantons romands ont une situation moins bonne que la moyenne suisse. Plusieurs facteurs expliquent cela : les difficultés sociales se concentrent dans les villes et le canton de Neuchâtel est le plus urbain derrière Bâle-Ville et Genève. De plus, en Suisse romande, on a une consommation plus importante des prestations qui existent et moins recours par exemple à la famille en cas de problème.

Avez-vous des projets pour améliorer cette différence ?

Améliorer les statistiques ne m’intéresse pas. Il faut changer la situation en profondeur. Eviter par exemple qu’un assistant social soit mobilisé automatiquement quand une personne a besoin d’aide financière sans avoir d’autre problème. Mais la vraie amélioration vient par l’accès au travail. D’ailleurs, le chômage a diminué depuis une année et il y a une reprise économique dans le secteur de l’industrie de notre canton.

Comment favoriser l’emploi des réfugiés pour les rendre plus autonomes et mieux valoriser leurs compétences ? Comment leur donner cette place en Suisse ?

C’est une question qu’on se pose tous les jours parce que c’est un véritable enjeu. En Suisse, l’intégration passe avant tout par le travail. Le marché du travail comme il est organisé est malheureusement peu favorable aux réfugiés. Les employeurs publient une annonce et reçoivent de nombreuses postulations. Ils recherchent un profil particulier et éliminent les dossiers qui ne comportent pas le bon titre ou le bon diplôme. Les compétences des personnes qui arrivent dans le cadre de l’asile sont rarement bien documentées. A moins de réussir à créer un contact direct avec un employeur, les personnes sont donc en difficultés avec ce système.

C’est paradoxal, parce que j’entends beaucoup d’employeurs qui me disent qu’ils ne trouvent pas certaines compétences chez les jeunes ici comme la persévérance, la débrouillardise ou la capacité de se projeter dans quelque chose de différent. Les gens venus dans le cadre de l’asile en Suisse ont toutes ces compétences pour arriver jusqu’ici. On réfléchit à comment valoriser des expériences qui ne sont pas certifiées par des diplômes. Ici, après 11 années d’études, on est non qualifié et on commence à se former pour travailler. On doit arrêter de penser que les personnes arrivées dans le cadre de l’asile vont rattraper ces 11 années d’études et ensuite faire une formation et un diplôme suisse avant de trouver un travail. Il faut, au contraire, profiter des compétences et des savoir-faire différents qui peuvent amener une richesse aux entreprises. On va essayer de changer le monde du travail ici plutôt que de changer chaque personne qui arrive ici. Il faut faire un bout de chemin dans les deux sens. Mais cela prend du temps.

Nous avons deux propositions à vous faire. La première est que le Service de la cohésion multiculturelle (COSM) axe davantage son offre de services sur des cours professionnels et l’aide à la recherche de places d’apprentissage. Qu’en pensez-vous ? 

Ce n’est pas une bonne idée de réserver des places d’apprentissage pour un public cible comme les requérants d’asile ou les personnes qui ont des problèmes de santé et qui sont à l’assurance-invalidité etc. La stratégie d’intégration professionnelle du canton est la suivante : avoir une phase de préparation à l’intégration professionnelle dans les différents secteurs qui accompagnent les publics dans les domaines de l’aide sociale, de la migration, du pénitentiaire etc. Et que tout converge vers une documentation des compétences et des besoins de la personne. Ensuite, il y a un accompagnement par le Service de l’emploi qui lui est en contact avec les employeurs. C’est la transformation qu’on est en train de mener.

Ensuite, on a un problème de moyens au COSM. La Confédération verse un forfait unique de 6000 francs pour une personne qui reçoit un permis F ou B pour l’aide à l’intégration. Tous les cantons se battent pour tripler ce montant, ce qui sera encore assez limité. Ce que nous souhaiterions, c’est combiner l’apprentissage de la langue à un stage professionnel préparatoire pour permettre une intégration plus rapide dans le monde du travail.

Notre deuxième proposition : soutenir un programme comme Voix d’Exils qui permet de connaître les idées, les pensées des réfugiés. Qu’en pensez-vous ?

Le programme existe avec notre soutien intégral.

Comment faire pour que les employeurs engagent davantage de permis N, permis F et permis B et pas seulement les permis C ?

Il y a un débat aujourd’hui au niveau national sur l’existence du statut d’admis provisoire qui est perçu comme précaire par les employeurs à cause de son nom. Pour eux, c’est un défi d’accueillir quelqu’un qui va peut-être repartir. Mais aujourd’hui, les procédures s’accélèrent ce qui va aider. Le principal problème est vraiment d’arriver à changer la façon dont les postes de travail sont ouverts et valoriser les compétences différentes des gens qui arrivent dans le cadre de l’asile. Il y a un grand travail de sensibilisation à faire.

On parle peu des personnes qui réussissent à s’intégrer dans un emploi et qui aident leur entreprise à apporter plus d’ouverture à ces démarches. Il faudrait creuser cette piste. Dans le cadre de l’asile, on ne doit pas travailler dans une logique d’origine mais dans une solidarité interculturelle pour ouvrir les employeurs à engager des personnes avec un statut différent.

On va terminer avec notre dernière préoccupation : pourquoi les réponses aux demandes d’asile prennent-elles autant de temps? Serait-il possible d’accélérer les procédures ? De les raccourcir ?

Oui, c’est possible d’avoir une procédure d’examen accélérée et c’est ce qui se passe avec la réorganisation du domaine de l’asile. Maintenant, j’espère qu’on accélérera autant les décisions positives que les décisions négatives. Ce qui fait durer les procédures c’est aussi les recours déposés, parfois pour des dossiers qui n’ont plus aucune chance. C’est une perte de temps pour tout le monde, même si on comprend que chacun cherche à saisir sa chance jusqu’au bout.

Vous avez répondu bien clairement à nos questions, merci. Mais surtout Neuchâtel a une politique très positive en matière d’asile, les requérants sont heureux de vivre ici.

C’est vrai qu’on a une belle politique dans le canton de Neuchâtel, ce qui ne nous empêche pas de chercher à continuer à nous améliorer et à vivre le plus positivement possible quelque chose qui est difficile pour vous. Si on peut être une terre d’accueil et que vous vous sentez accueillis et bien j’en suis heureux.

Propos recueillis par :

La rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

L’interview du conseiller d’Etat M. Karakash vue de l’intérieur

Photo: rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Immersion dans les coulisses de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils peu avant et pendant l’interview de M. Jean-Nathanaël Karakash, conseiller d’Etat en charge du département de l’économie et de l’action sociale du canton de Neuchâtel

Nous sommes fiers, tous les sept membres de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils. Nous nous sommes donnés rendez-vous, en ce jour du 20 octobre 2017 à 15h précises, pour aller interviewer M. Karakash,  « notre »  conseiller d’Etat, car c’est lui qui est en charge de l’asile dans le canton de Neuchâtel.

Tout le monde est à l’heure. Il pleut, mais nous ne le sentons pas. Nous marchons jusqu’au Château du Conseil d’Etat, un peu excités. Comme avant un examen, nous sentons une certaine tension monter.

Serons-nous à la hauteur ? Khaldoon répète ses questions à voix basse. Cismacil nous montre son appareil photo, il est prêt. Revan articule à haute voix ses paroles d’introduction. Leana vérifie encore une fois l’enregistreur. Rafika et Marie-France chuchotent, plaisantent, ça détend…

Le lien se tisse

Dans le Château du Conseil d’Etat c’est beau, ça impressionne. Nous sommes accueillis par une secrétaire qui nous fait patienter quelques minutes. Monsieur Karakash arrive, le sourire aux lèvres en nous serrant la main.

Nous sommes dans son bureau, vaste, magnifique. Nos yeux se promènent du plafond aux fenêtres en se régalant de la hauteur et de la beauté du lieu.

Il nous propose à boire, il plaisante, sourit, nous met à l’aise.

Nous nous présentons. Nous sommes : avocat, étudiant, journaliste, enseignant, venant de Syrie, de Somalie, d’Irak, d’Algérie et de Suisse.

Très attentif, il raconte spontanément d’où il vient. Il nous décrit le chemin de son père, Grec de Turquie qui à l’âge de dix ans migre avec sa famille à Genève pour finalement devenir pasteur au Val de Travers ! Il connaît de l’intérieur le chemin de vie de la migration. Le lien est tissé.

« Le coût des mots »

L’interview se passe très bien. Il trouve que nos questions sont pertinentes, documentées, il apprécie.

Un de nos rédacteurs voulait lui transmettre quelque chose de plus personnel à la fin de notre rencontre. M. Karakash accepte, écoute très concentré.

« Je suis venu de Syrie en Suisse. Tous mes amis et les personnes que je connaissais avant me posent la même question : pourquoi est-ce que je ne parle pas assez ? Parce que pour moi, les mots m’ont coûté très cher.

J’ai passé 17 ans de ma vie en prison. Je ne parlais plus. Voix d’Exils m’a redonné confiance pour pouvoir à nouveau m’exprimer. C’est la première fois que je réussis à dire ce que j’ai dans le cœur et dans la tête librement, sans avoir peur d’être puni. Le fait d’être assis ici à côté de vous est presque un miracle, quelque chose d’impossible en Syrie. Là-bas, un responsable de votre niveau est comme un dieu, inaccessible. Merci de tout cœur. »

Nous sommes tous émus.

Nous prenons congé de M. Karakash chaleureusement.

En sortant du château, nous sommes encore plus fiers. Nous nous félicitons tous. Nous rions, nous sommes complétement détendus !

La rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 

 




Débat à l’Université de Neuchâtel autour du renvoi des criminels étrangers

De gauche à droite

Les intervenants et intervenantes du débat. Photo: Voix d’Exils.

A l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme, le Centre Suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) a organisé à l’Université de Neuchâtel une conférence-débat sur la question du renvoi des criminels étrangers en lien avec le droit au respect de la vie familiale et le respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le mercredi 11 décembre dernier, sous la modération de la journaliste Valérie Kernen, les conseillers d’État neuchâtelois en charge de l’Économie et de l’Action sociale, Jean-Nathanaël Karakash, et vaudois en charge de l’Economie et du Sport, Philippe Leuba, ainsi que la politologue Nicole Wirchmann ont décortiqué ce thème, tout en revenant sur la question de faire cohabiter la sécurité intérieure et le respect des droits fondamentaux. Relevons tout de suite que le Service des migrations (SMIG) de Neuchâtel et l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) dépendent des départements dirigés par Messieurs Karakash et Leuba.

Plus de 2000 étrangers expulsés de Suisse depuis 2008

La politologue Nicole Wirchmann est revenue sur les différents instruments juridiques suisses qui prévoient le renvoi des criminels étrangers et qui protègent les droits de l’enfant. Selon les statistiques qu’elle a fournies, depuis 2008, plus de 2000 criminels étrangers sur le 1,2 million d’étrangers vivant en Suisse ont été expulsés et le pic a été atteint en 2010 avec 550 expulsions. Elle a par ailleurs souligné qu’«un étranger non Européen condamné à une peine privative de liberté de longue durée (12 mois au minimum), ou qui a fait l’objet d’une mesure pénale, peut voir son permis de séjour révoqué et être expulsé de la Suisse. Les Européens, pour être expulsés, doivent constituer une menace réelle et porter une atteinte d’une certaine gravité sur la sécurité de la société ou en cas de récidive». Donc, les Européens jouissent d’une protection très importante. Ensuite viennent les détenteurs d’une autorisation d’établissement (permis C) et les personnes mariées avec des Suisses ou des Suissesses ou ayant des enfants suisses et, enfin, les personnes détentrices d’autorisation de séjour (permis B). En définitive, conclura-t-elle, «plus votre droit de séjourner en Suisse est consolidé, plus votre durée de séjour en Suisse est longue, plus vous êtes protégé contre un renvoi». La politologue a terminé son exposé en précisant que la décision de renvoi d’un étranger criminel est prise par l’autorité cantonale en charge des questions relatives à la migration à la suite d’une action juridique où les cours et tribunaux décident si le renvoi de la personne est légitime ou non. Toutefois, a-t-elle indiqué, la Cour européenne des droits de l’homme n’accepte pas le renvoi des personnes mineures.

Aucun mineur étranger vivant en famille expulsé dans le canton de Vaud

Parlant de la pratique du renvoi des criminels étrangers dans le canton de Vaud, «canton réputé répressif et dur en matière de renvoi des étrangers criminels», selon les termes de la journaliste Valérie Kernen, le Conseiller d’État vaudois Philippe Leuba, en fonction depuis 2007, soutient que «lorsque les conditions légales permettent une révocation d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement, j’ai demandé à mes services d’analyser systématiquement les situations. Pour les détenteurs de permis C, c’est moi personnellement qui assume la révocation et c’est une décision très lourde à prendre, parce que vous touchez de très près la vie humaine dans ce qu’elle a de chair et d’os. Et j’estime qu’il appartient au politique de l’assumer et pas à l’administration. Pour les permis B et N, c’est l’administration qui est compétente en la matière, sous réserve évidemment d’une voie de recours au Tribunal Fédéral. Le taux de validation de nos décisions par le Tribunal Fédéral est très important et on a très peu d’échecs. Nos décisions sont rarement cassées, rendant le renvoi effectif lorsque le pays d’origine de la personne à expulser a signé un accord de réadmission avec la Suisse». S’agissant du renvoi des mineurs, M. Leuba a indiqué qu’il ne connaît pas dans le canton de Vaud de cas d’expulsion de mineurs ayant une famille en Suisse, sauf le cas d’un mineur Africain non accompagné venant d’Italie, renvoyé dans le cadre des accords de Dublin.

S’agissant de «l’amalgame qui assimile les requérants d’asile à des délinquants en puissance», le conseiller d’État Leuba affirme qu’il condamne cet amalgame à travers une politique expliquée, assumée et démontrée et lutte, par ailleurs, contre les politiques de «yakafokon» (ndlr : le yakafokon est une expression qui s’emploie pour critiquer et se moquer des personnes qui proposent à d’autres des solutions simplistes et irréalistes car négligeant des obstacles majeurs), dont l’initiative de l’Union démocratique du centre (UDC) sur le renvoi des criminels étrangers est l’illustration. Pour M. Leuba, «si l’initiative de l’UDC a été acceptée par une majorité de Suisses, c’est parce qu’elle a profité d’un sentiment populaire», relevant tout de même que «lorsqu’on expulse un étranger qui refuse délibérément de respecter notre ordre juridique, c’est comme ça qu’on démontrera qu’on a une politique cohérente et équilibrée».

Approche prudente sur le renvoi des criminels étrangers dans le canton de Neuchâtel

Intervenant en dernier lieu, le conseiller d’État neuchâtelois Jean-Nathanaël Karakash, en fonction depuis mai 2013, a relevé que dans le canton de Neuchâtel, les recours contre les décisions de révocation des autorisations de séjour et d’établissement sont traités par lui. «A Neuchâtel, on applique le droit, en tenant compte de la pesée des intérêts, de l’examen de la proportionnalité au cas par cas, du risque de récidive, de la prise de conscience, de la durée de séjour en Suisse, de la solidité des liens sociaux, de la situation familiale, de la nationalité, de la possibilité du retour au pays, de l’état de santé, de la connaissance de l’infraction, de l’existence des liens de mariage, de l’intérêt des enfants, autant de facteurs qui sont analysés», a-t-il dit, avant de poursuivre : «A Neuchâtel, on est plutôt dans une approche prudente, et si on considère qu’il y a risque de récidive assez faible et un danger limité pour la société d’accueil, on a une possibilité de réexaminer le dossier, plutôt que de voir nos décisions être révoquées. Neuchâtel se trouve dans un arbitrage constant d’allocations de moyens, l’opportunité de déployer un arsenal pour rendre des décisions de recours et pour exécuter les renvois lorsqu’ils sont possibles». Selon M. Karakash, «il est aberrant de gaspiller les fonds publics lorsque la personne qu’on a renvoyé de la Suisse y retourne au même moment que les personnes qui ont exécuté son renvoi». Il s’interroge aussi sur la pertinence des lenteurs de dispositifs qu’on met en place pour forcer les renvois.

Quid du renvoi d’un père de famille ?

Au cours du débat, répondant à une question de l’avenir de la famille en cas de révocation du permis de séjour et d’expulsion du père, M. Leuba a noté que dans le canton de Vaud, «si c’est le père qui est expulsé, la famille a la possibilité de le suivre, mais ce n’est pas parce qu’on révoque le permis B ou C de Monsieur Dupont, que celui de Madame Dupont doit aussi tomber. Le traitement est individualisé et ne concerne pas les autres membres de la famille». Cependant, a-t-il précisé, «pour une personne mineure, la procédure d’expulsion est collective car un mineur ne peut être séparé de ses parents».

Évoquant la mise en œuvre de l’initiative de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers, votée le 28 novembre 2010 et adoptée par 53% des citoyens ayant participé au scrutin, les trois orateurs ont unanimement reconnu des difficultés d’application, car l’initiative entre en conflit avec le droit international, surtout sur les points qui contreviennent à des principes fondamentaux comme ceux de la proportionnalité et des droits de l’homme. Il y a également le problème des ressortissants des pays dont la Suisse n’a pas signé d’accords de réadmission.

Pour la politologue Wirchmann, le débat sur le renvoi des criminels étrangers fait apparaître un conflit entre le renvoi, les considérations de la famille et l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle souligne qu’il y a globalement un conflit entre les droits de l’homme et la démocratie et entre le droit national et le droit international.

Pour M. Karakash, «on ne peut pas appliquer l’initiative UDC comme telle. La population l’a votée en connaissance de cause en sachant qu’elle ne serait pas applicable». Pour M. Leuba, «le peuple était informé mais n’en a pas tenu compte, il faut que la population ait la conviction qu’une politique normale est possible ».

Position du Tribunal fédéral

En fin de débat, la position du Tribunal fédéral (TF), qui refuse l’application de l’initiative de l’UDC parce qu’elle viole le droit international, a été expliquée. Dans sa jurisprudence du 12 octobre 2012, le TF affirme que le droit international impératif prime sur le droit national, qu’il soit constitutionnel ou légal. Or, le droit international parle de la proportionnalité en cas de renvoi, tandis que la Constitution suisse parle de l’automaticité du renvoi des criminels étrangers. D’où la nécessité, pour les autorités cantonales en charge des questions relatives à la migration, d’appliquer la Constitution et le droit pénal suisses avec le risque de voir en cas de recours leurs décisions cassées par le TF ou la Cour européenne des droits de l’homme.

Fin novembre 2013, le Conseil fédéral prévoyait de revoir le texte de l’initiative afin de le conformer au droit international impératif et mi-février 2014, la Commission des institutions politiques du Conseil des États a décidé de reprendre la grande majorité des propositions de l’UDC pour mettre en œuvre le renvoi des criminels étrangers.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




«Le débat public sur l’asile et la migration doit cesser d’être envenimé par des campagnes populistes»

M. Jean-Nathanaël Karakash, Conseiller d’État neuchâtelois. Auteur: canton de Neuchâtel

M. Jean-Nathanaël Karakash, Conseiller d’État neuchâtelois, chef du département de l’Économie et de l’Action sociale .

Jean-Nathanaël Karakash est conseiller d’État et chef du département de l’Économie et de l’Action sociale du canton de Neuchâtel depuis le 19 mai 2013. Le Service des Migrations (SMIG) du canton de Neuchâtel dépend de son département et, avec Voix d’Exils, il évoque les différents sujets concernant l’asile dans son canton. Entretien.

Le centre d’accueil de requérants d’asile de Perreux (CAPE) a été ouvert fin janvier 2012 pour désengorger les centres d’accueil de Couvet et Fontainemelon et, surtout, recevoir des requérants d’asile récalcitrants. Moins de deux ans après son ouverture, le CAPE est fermé par le canton de Neuchâtel pour être transformé en un centre fédéral géré par la Confédération. Peut-on connaître la raison de cette fermeture?

Jean-Nathanaël Karakash: Le centre de Perreux a été ouvert alors que le premier accueil était totalement débordé. Il s’agissait d’offrir des conditions d’accueil décentes aux personnes qui étaient précédemment placées dans des abris communaux. Dès le départ, le centre devait être temporaire. Les problèmes sont venus du fait que le canton n’avait pas d’expérience récente dans la gestion d’un centre de cette taille. Les moyens nécessaires n’ont pas été correctement évalués et le centre s’est rapidement retrouvé en situation de crise. Après que les moyens d’encadrement ont été adaptés aux besoins, le centre a fonctionné normalement.

Cependant, en 2013, la Confédération a lancé un grand projet de réorganisation du domaine de l’asile visant l’accélération des procédures et prévoyant, qu’à terme, 60% des requérants seraient accueillis dans des centres fédéraux. Pour le canton, cela signifie qu’il faut se préparer à une diminution progressive des places de premier accueil. Parallèlement, la Confédération doit augmenter ses propres capacités d’accueil et recherche donc des lieux pour installer ses nouveaux centres. L’idée est donc venue de faire de Perreux un centre fédéral. Si, actuellement, les centres de Couvet et Fontainemelon sont pleinement occupés, le déploiement de la réorganisation fédérale devrait en principe permettre au canton de fonctionner durablement dans de bonnes conditions, avec ces deux seuls centres.

Quant à la question des requérants dits « récalcitrants », le Conseil d’État ne croit pas que la réponse se trouve dans la création de structures spécifiques mais, plutôt, dans un accompagnement et un dialogue renforcés.

Avec la fermeture du CAPE, Neuchâtel ne dispose plus que de deux centres cantonaux de requérants d’asile avec une capacité cumulée de 160 requérants d’asile et ce chiffre va encore être revu à la baisse, en fonction du nombre de personnes qui seront placées sous la responsabilité de la Confédération à Perreux. Peut-on dire que Neuchâtel évite les requérants d’asile ?

La conduite de la politique d’asile relève de la Confédération en premier lieu. Ce n’est pas le canton de Neuchâtel qui a décidé de la réorganisation de la politique fédérale! Il n’y a donc aucune volonté de l’État d’éviter les requérants, mais, au contraire, d’offrir un accueil décent à toutes les personnes qui sont placées sous la responsabilité du canton.

Le canton de Neuchâtel accueille aujourd’hui environ 900 personnes en procédure d’asile. Quelle politique mettez-vous en place pour faciliter leur intégration dans la société neuchâteloise et éviter que leur état mental ne se détériore ? Comme le cas d’un requérant d’asile algérien qui s’est suicidé fin juillet 2013 à Fontainemelon, en attendant une décision de l’Office fédéral des migrations (ODM).

Les mesures déployées en matière de soutien à l’intégration sont déjà nombreuses et elles seront encore renforcées à l’avenir. Que ce soit avec l’augmentation du nombre de travaux d’utilité publique organisés dans le cadre du premier accueil, ou de l’optimisation de l’utilisation des forfaits d’intégration au travers du Programme d’intégration et de connaissances civiques (PIC), le nouveau programme d’intégration cantonal. En outre, l’enseignement du français sera renforcé, aussi bien au profit des personnes en premier accueil qu’en second accueil, avec les enseignants qui travaillaient précédemment au centre de Perreux.

Quant au tragique cas du suicide évoqué, il n’a pas été déclenché par une décision négative qui aurait été rendue. L’encadrement et l’ambiance à l’intérieur du centre de Fontainemelon ne sont pas non plus en cause. Mais, il est clair que les traumatismes vécus par les requérants dans leur pays laissent des traces parfois insurmontables, malgré les efforts déployés pour offrir un accompagnement à chacun.

Au début du mois de février 2013, trois mois avant votre entrée en fonction, le canton de Neuchâtel cherchait des fonds pour mieux gérer l’asile. Ces fonds ont-ils été trouvés ?

C’est un travail permanent auquel s’attachent les services concernés. Nous tentons constamment de nous adapter pour faire face à des situations qui changent rapidement en fonction des situations de conflits et des crises humanitaires qui éclatent tout autour de la planète. Ce processus d’amélioration continue ne sera jamais terminé.

Trois mois après leur demande d’asile en Suisse, les requérants d’asile, au bénéfice d’un permis N, ont le droit de travailler pour devenir autonomes financièrement. Mais leurs demandes d’emplois sont souvent refusées par les employeurs. Les requérants d’asile ont l’impression que l’autorité cantonale ne fournit pas assez d’efforts pour inciter les employeurs à engager des requérants d’asile. Qu’en dites-vous ?

Le canton souffre du taux de chômage le plus élevé de Suisse. Il est donc difficile pour tout le monde de trouver du travail et la concurrence est forte pour chaque poste proposé. L’État fait ce qu’il peut pour appuyer toutes les personnes qui recherchent un emploi et promouvoir l’intégration des migrants. Or, même si c’est difficile, c’est d’abord aux personnes concernées qu’il appartient de rechercher du travail.

Une quarantaine de requérants d’asile non- francophones viennent de suivre, pendant cinq mois, des cours de français dispensés par des étudiants bénévoles et le personnel administratif de l’Université de Neuchâtel (UniNE) dans le cadre du projet « Français pour tous ». Comment appréciez-vous cette initiative de l’UniNE, surtout que les requérants d’asile en second accueil n’ont pas de programme de formation pour leur intégration.

De telles démarches citoyennes sont évidemment positives et doivent être saluées. Cela dit, le renforcement de l’accompagnement en deuxième accueil est envisagé actuellement.

Que pensez-vous de Voix d’Exils ?

C’est un blog très bien fait et aussi je suis très intéressé de découvrir certaines des interviews qui avaient déjà été publiées. Félicitations, belle réussite et j’espère que ça puisse se poursuivre.

Votre mot de la fin

Je souhaite que le débat public sur la migration et, en particulier, sur l’asile cesse d’être envenimé par des campagnes populistes dictées par des intérêts politiques partisans indignes d’un pays démocratique. Sans se voiler la face quant aux difficultés objectives posées par la migration et l’intégration, il est urgent de replacer la promotion des droits humains au cœur des priorités de l’État, aussi bien en Suisse qu’à l’échelle européenne.

Paul Kiesse

Journaliste, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils