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Personnes réfugiées d’Ukraine : Bilan et Perspectives

Invitation à la Table Ronde d’Expert.e.s : Personnes Réfugiées d’Ukraine en Suisse // nccr – on the move ; UNHCR

Les enjeux qui entourent les titulaires d’un permis S à la lumière de trois thématiques

En mars 2022, après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, un instrument de protection temporaire – le statut S – a été activé pour la première fois en Suisse. Plus de deux ans après, 66’000 personnes réfugiées venant d’Ukraine bénéficient toujours de ce statut de protection. Aujourd’hui, il est temps de dresser un bilan. Comment s’est passée l’intégration de ces personnes dans le marché du travail ? Comment s’est déroulé leur hébergement en famille d‘accueil ? Et plus généralement, quel bilan peut-on tirer de l’activation du statut S ?

Pour répondre à ces questions, Le Pôle de Recherche National (PRN) consacré aux études sur la migration et la mobilité « nccr – on the move » et le Bureau du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) pour la Suisse et le Liechtenstein, ont organisé le vendredi 15 mars à Berne un dialogue autour du thème des personnes réfugiées en Suisse ayant fui l’Ukraine.

Des expertes et experts issus du Parlement fédéral, de l‘administration fédérale, de gouvernements cantonaux, d‘œuvres d‘entraide, de la communauté ukrainienne, d’associations patronales, d’organisations internationales, ainsi que des chercheurs et des milieux intéressés ont échangé leurs points de vue sur les différents aspects de ce sujet. Nous vous présentons ci-dessous un compte-rendu de cette journée riche en propositions concernant les enjeux actuels et futurs du permis S. Voix d’Exils était présent à la conférence et les propos ont été rapportés par Liana Grybanova rédactrice, titulaire d’un permis S et Malcolm Bohnet, civiliste à la rédaction. 

 

L’intégration dans le marché du travail

Isabelle Moret, Conseillère d’Etat vaudoise, cheffe du Département de l‘économie, de l‘innovation, de l‘emploi et du patrimoine a souligné l’importance de l’intégration professionnelle des Ukrainiens et Ukrainiennes. Toutefois, elle a déploré que l’objectif visant à ce que 40% des personnes détentrices d’un permis S en Suisse soient insérées sur le marché du travail ait été fixé par le Conseil fédéral sans consulter plus d’experts du domaine.

Selon elle, il est nécessaire de continuer à collecter des informations sur les compétences professionnelles de ces personnes. Elle souhaite également être fixée sur le nombre d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes qui sont actuellement occupés à apprendre une langue nationale et qui commenceront donc à travailler plus tard, qui élèvent des enfants en bas âge ou qui ont des problèmes de santé.

Finalement, Madame Moret a noté qu’il fallait faciliter la reconnaissance des diplômes, de médecine notamment. Rien que dans le canton de Vaud, alors qu’il y a d’importants besoins dans le domaine de la santé, ce sont près de 80 médecins qui ne peuvent pas travailler en Suisse malgré leurs compétences. A ses yeux, il est nécessaire de trouver une solution à ce problème. Pour la Conseillère d’Etat vaudoise, il est impératif d’inciter les employeurs à engager ces personnes ukrainiennes.

Andrej Lushnycky, Consul honoraire d‘Ukraine en Suisse, a lui aussi appuyé l’idée de reconnaissance des diplômes et proposé la mise en place d’un système de validation des acquis. Cela permettrait de faciliter le lien entre les employeurs et les personnes en recherche de travail. Monsieur Lushnycky rappelle l’importance que les détenteurs et détentrices d’un permis S s’intègrent et a souligné qu’il est dommageable si après deux ans, certains ne fassent pas d’efforts pour s’intégrer.

Il a également souligné l’idée d’avoir une sorte d’incubateur avec un système de formation clair. Les compétences alors acquises seront de toute manières utiles même si les Ukrainiens et les Ukrainiennes finissent par rentrer au pays. D’après Monsieur Lushnycky, il faut également voir tous les aspects positifs et bénéfiques à ce que des liens entre la Suisse, les Suisses et les Ukrainiens se créent.

Selon Daniella Lützelschwab, Responsable du secteur Marché du travail au sein de l’Union Patronale Suisse, il  existe un manque d’informations dans la manière dont les employeurs peuvent trouver les personnes dont ils ont besoin. Madame Lützelschwab propose donc le développement d’un système de « matching ».

Philipp Berger, Responsable de la division d’admission au marché de travail auprès du Secrétariat d‘État aux Migrations (SEM) a également évoqué l’importance du « matching ». La communication est centrale dans le but que les Ukrainiens soient joignables. Monsieur Berger a aussi partagé l’idée que se développent aussi des médias ukrainiens pour faciliter la communication.

 

L’hébergement privé

Bianca Schenk, Responsable du domaine de direction « Familles d‘Accueil » auprès de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR), a noté que l’hébergement est une relation qui permet d’établir un lien.  L’Etat et les institutions peuvent vraiment jouer un rôle clé dans ce processus.

Selon Madame Schenk, l’hébergement privé doit être vu comme un outil d’intégration et non seulement comme une offre de logement. Malheureusement, cette vision n’est pas partagée par plusieurs établissements ainsi que beaucoup de cantons et de communes. Il faudrait donc changer notre perception des choses.

A Genève, Caritas propose un programme d’accompagnement des personnes et familles hébergeant des réfugiés à domicile. Selon Sophie Buchs, Directrice de Caritas Genève, le « matching » entre personnes ukrainiennes et familles d’accueil se faisait au départ à travers la plateforme de l’OSAR, qui prenait en compte les chambres disponibles, le temps disponible et la situation géographique des personnes. Puis le système a été affiné avec des informations plus précises comme les langues parlées, les domaines d’intérêts, l’âge et plus encore. Désormais, le matching est directement effectué par l’équipe de Caritas en collaboration avec l’Hospice général, une fois les réfugiés arrivés à Genève. Cette méthode fonctionne mieux et débouche sur un hébergement plus durable.

De surcroit, Madame Buchs a exprimé le besoin que redémarre « l’élan de générosité » présent au début de la guerre lors de l’accueil en hébergement privé des Ukrainiens et Ukrainiennes. Malheureusement, au fil du temps, le nombre de volontaires a beaucoup diminué. Caritas Genève propose une période d’hébergement minimale de trois mois, qui peut déboucher sur l’accueil d’une personne à plus long terme.

Dominik Hangartner, Co-directeur de l’Immigration Policy Lab à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zürich a relevé que dans l’élaboration de leur projet de « matching », le but est de trouver un algorithme efficace qui aligne les besoins d’employeurs et les compétences de personnes réfugiées.

Oleksandra Tarkhanova, chercheuse à l’Institut de sociologie à l’Université de Neuchâtel a pointé que l’accueil de personnes Ukrainiennes peut présenter certaines complexités, particulièrement les premières semaines. Pour remédier à cela, elle propose l’établissement d’une forme de médiation. Madame Tarkhanova a rappelé que l’hébergement est un acte de solidarité, qu’il est un geste important qui permet de créer des relations et des liens précieux dans la société.

 

Liana Grybanova. Photo prise par Malcolm Bohnet lors de la conférence. / Voix d’Exils.

 

L’activation du statut S

Le permis S qui a été créé en 1998 dans le contexte de la guerre des Balkans n’a en réalité jamais été utilisé avant mars 2022 qui marque le début de l’invasion Russe en Ukraine.

Selon Claudio Martelli, Directeur suppléant du Secrétariat d’Etat aux migrations, au moment où les chiffres des flux migratoires ont commencé à se profiler il n’y avait, selon lui, pas vraiment le choix. La situation dépassait toute proportion imaginable et le permis S permettait de ne pas surcharger le domaine de l’asile.

Anja Klug, Cheffe du Bureau du Haut-Commissariat pour les réfugiés pour la Suisse et le Liechtenstein a aussi rappelé le moment de tensions que représentait le début de la guerre pour son organisation. En effet, dans plusieurs pays qui comptaient que peu de bureaux du HCR, comme la Pologne par exemple, les effectifs ont dû être rapidement augmentés pour répondre à la situation. En Suisse également, les effectifs du bureau du HCR ont été augmentés.

Cesla Amarelle, Professeure à la Faculté de droit à l’Université de Neuchâtel a rappelé que le permis S est un statut hybride qui a des zones d’ombre au niveau juridique et qui pose la question de la discrimination par rapport à d’autres statuts. Par ailleurs, elle a également souligné le fait que les outils de crise comme le statut S ne doivent pas péjorer les instruments de protection durables. Au contraire, il faut que des ponts se créent entre ces outils de crise et de protection durable et que ces derniers soient même consolidés.

Madame Amarelle a encore avancé l’idée qu’il faut voir une cohérence entre l’intégration dans la société d’accueil et l’idée de retour dans le pays d’origine. Ces dimensions sont complémentaires et, selon elle, freinent les processus d’intégration sous prétexte qu’un éventuel retour peut être vraiment négatif pour la Suisse à long terme. Surtout qu’il y a aujourd’hui une part non négligeable de personnes détentrices d’un permis S pensant s’établir en Suisse même si la situation en Ukraine se stabilise. Pour Madame Amarelle, le statut S rentre donc dans une nouvelle phase qui demande à penser l’intégration et éventuellement des alternatives à ce statut dans la perspective d’un établissement en Suisse.

 

Liana Grybanova

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Flash Infos #191

Sous la loupe : La palme du FIFDH pour un film sur l’exil et le handicap / L’intégration des personnes immigrées et de leurs enfants reste difficile sur le marché du travail / L’Allemagne mise sur des mesures dissuasives pour diminuer le nombre de personnes demandeuses d’asile

La palme du FIFDH de Genève pour un film sur l’exil et le handicap

Blick, Le 16 Mars, 2024

L’intégration des immigrés et de leurs enfants reste difficile sur le marché du travail

7sur7, le 18 mars 2024

L’Allemagne mise sur des mesures dissuasives pour diminuer le nombre de demandeurs d’asile

Infomigrants, Le 15 Mars 2024

Ce podcast a été réalisé par :

Alix Kaneza et Zana Mohammed, membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils et Malcolm Bohnet, civiliste à la rédaction.




« Si je ne fais pas d’erreurs, comment je vais apprendre ? »

L’intégration professionnelle des personnes migrantes en Suisse #1

Bienvenue dans cette nouvelle rubrique consacrée à l’intégration professionnelle des personnes migrantes en Suisse. Les histoires des personnes en quête de protection en Suisse sont variées et peuvent prendre des formes multiples. Chaque expérience est riche d’enseignements, ce qui peut nous aider à trouver notre propre voie.

Nous débutons cette série avec plusieurs interviews de femmes réfugiées ukrainienne. Les personnes venues d’Ukraine sont détentrices d’un statut S. La question de l’intégration professionnelle des personnes ayant un permis S est au centre des débats politiques en Suisse. En effet, les autorités ont fixé comme objectif national que 40% des personnes titulaires d’un permis S en Suisse soient intégrées sur le marché du travail d’ici fin 2024. Ces engagements ont de grandes implications pour tous les acteurs et actrices du milieu de l’asile en Suisse et avant tout pour les personnes réfugiées ukrainiennes elles-mêmes. 

Notre première invitée est Kateryna qui a 21 ans et qui est originaire d’Ukraine. Elle a fui Kiev il y a 2 ans, au début de la guerre. Elle est aujourd’hui stagiaire dans un bureau d’architecture à Lausanne.

Photos prises par Kateryna sur son lieu de travail : 




Bevel ON

Anna Bielientsova / Bevel On

Une association qui favorise l’intégration des personnes réfugiées ukrainiennes en Suisse

Avec le début de la guerre en Ukraine en février 2022, près de 8 millions de personnes réfugiées ukrainiennes ont demandé l’asile dans le monde entier. En réponse à cet appel, l’association suisse Bevel ON a pris l’initiative d’aider l’intégration et le placement professionnel de cette population en situation de vulnérabilité.

Suite à la prolongation du statut S des personnes ukrainiennes, le Conseil fédéral a également précisé que 40 % des personnes réfugiées ukrainiennes devraient être employées d’ici fin 2024. Ainsi, les valeurs de l’association Bevel ON ont pour but de coïncider avec la vision étatique de l’intégration continue des professionnels déplacés en Suisse.

Éducation et accompagnement professionnel

Bevel ON affirme son rôle dans l’intégration en proposant des programmes éducatifs novateurs pour les professionnels ukrainiens. Les séminaires, axés sur le rétablissement de la confiance en soi, de la motivation professionnelle, le développement de l’employabilité, de l’entrepreneuriat et de la maîtrise du réseautage, sont des éléments fondamentaux du programme. La participation des Ukrainiens et des Ukrainiennes à ces formations est gratuite, avec un encadrement assuré par des mentors et des coachs de haut niveau.

 

Interview d’Inna Malaia

Présidente de Bevel ON, Directrice du programme et formatrice en leadership

 

Voix d’Exils : En quoi le travail contribue au processus d’intégration des personnes réfugiées ?

Le travail constitue un élément essentiel pour aider les personnes réfugiées à s’adapter à une nouvelle vie. Chaque personne employée devient le fondement d’une intégration réussie dans une nouvelle société d’accueil. C’est pourquoi Bevel ON encourage fortement le renforcement des efforts de soutien à l’éducation et à l’intégration professionnelle, croyant en la puissance transformative du travail pour créer des opportunités, promouvoir une vie épanouissante, alléger les systèmes sociaux et valoriser le rôle des stages et du bénévolat dans la facilitation de l’intégration et de l’emploi.

Pouvez-vous nous donner un aperçu du programme Bevel ON et de son impact sur l’intégration des personnes réfugiées ukrainiennes en Suisse ?

Inna Malaia : Depuis le printemps 2022, notre programme de formation a déjà connu trois éditions couronnées de succès et nous sommes actuellement à la fin de la quatrième. Plus de 180 participants et participantes ont réussi à le terminer et les résultats sont encourageants. Plus de la moitié d’entre eux ont trouvé un emploi, un stage, ont participé à des activités de bénévolat ou ont entamé des études en Suisse.

Comment le programme Bevel ON fait pour garantir le succès de l’intégration de ses participant.e.s ?

Bevel ON a établi des partenariats avec de nombreuses organisations, associations communautaires et établissements éducatifs afin de trouver de nouvelles voies d’intégration et de formation pour les professionnels déplacés de l’Ukraine. Nous organisons également des forums et des rencontres en collaboration avec des entreprises internationales, favorisant ainsi l’échange d’informations, l’expansion de notre réseau et la recherche de solutions collaboratives. Nos coaches et mentors sont des professionnels avec beaucoup d’expérience qui partagent des connaissances exceptionnelles sur la Suisse et qui fournissent une assistance dans la planification de carrières et la réorientation professionnelle.

Enfin, comment Bevel ON envisage l’avenir et quel message souhaitez-vous transmettre à celles et ceux qui cherchent un soutien et un nouveau départ ?

Bevel ON n’est pas simplement une initiative éducative, c’est une force motrice pour le changement et de nouvelles opportunités. Aujourd’hui, avec environ 66’000 personnes réfugiées ukrainiennes en Suisse, nous percevons en chaque individu un nouveau potentiel pour une histoire réussie. De plus, nous adoptons une approche unique dans notre collaboration avec des professionnels déplacés anglophones à travers toute la Suisse et certains pays voisins tels que la France, l’Allemagne, l’Autriche et Malte. Nous regardons l’avenir avec optimisme, rempli de perspectives lumineuses et d’unité. Notre message est simple : le soutien est là et chaque personne a le potentiel de créer un nouvel espace pour elle-même et de contribuer positivement à la société.

Natalia Gorbachenko

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Plus d’informations:

Visiter le site internet de Bevel ON




« Malgré mon expérience et mes compétences, je ne peux pas entrer dans le marché du travail »

Tsering, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils

Le projet Opinions! de Voix d’Exils #2 : le thème du travail

En Suisse depuis 10 ans, Tsering est apatride avec un permis F ce qui lui donne le droit de travailler. Il a réalisé le 14 juin dernier une intervention de 7 minutes sur les difficultés qu’il rencontre pour trouver un emploi, ce malgré son niveau de français B2 avancé, ses compétences, son expérience et sa grande motivation. Dans un second temps, il répond à trois questions de Tegisti Gebrezghi, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

 « Le projet Opinion! » est un projet collaboratif qui vise à faire entendre la voix des personnes migrantes sur un sujet d’actualité. Le thème de l’intégration a été traité sous différents angles par les membres de la rédaction de Voix d’Exils. Pour en savoir plus sur ce projet cliquez ici.

Articles publiés sur ce sujet précédemment:

« Faire des vacances imaginaires », article publié le 01.12.2023

Le projet « OPINIONS ! », article publié le 24.11.2023