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LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE DE L’EUROPE

Photo du marché aux esclaves de Zanzibar, deuxième tiers XIXe. Bojan Brecelj/Corbis. {{PD-US-expired}}

Le cas de la migration issue de l’Afrique

 

Pendant les siècles d’esclavage et de la traite négrière, en passant par les colonisations jusqu’à nos jours, l’Afrique est victime d’un épuisement intensif de ses ressources, tant humaines que naturelles, promu surtout par des pays de l’Occident qui s’en nourrissent.

De nos jours, le pillage systématique des ressources naturelles de l’Afrique se fait dans le cadre d’une politique agressive néo-coloniale encouragée par le silence complice des pays soi-disant neutres et sans passé colonial – comme la Suisse – qui en profitent quand même eux aussi.

C’est déjà conventionnel de parler de la « malédiction des ressources » quand on fait référence à l’Afrique et au paradoxe entre son grand potentiel qui va de la faune, des ressources forestières, maritimes, hydrographiques, des terres arables aux minéraux dont regorge ses sols, desquels dépendent dans une large mesure de l’industrie, du commerce et de l’économie en générale de l’Europe qui s’enrichit au détriment du sous-développement de l’Afrique, ainsi que de la pauvreté et de la misère de ses peuples.

Depuis les indépendances – il y a de cela plus d’un demi-siècle – dans le but de maintenir l’accès illimité à ses ressources, au prix de bananes, sans aucun souci d’ordre éthique ou moral, des pays tels que les États-Unis d’Amérique, la France, le Royaume-Uni et le Portugal, que ce soit au travers de leurs gouvernements, et très souvent à travers leurs multinationales et grandes corporations, participent de façon très active à la corruption des élites politiques et militaires à la tête des régimes autoritaires.

En effet, la corruption a toujours deux acteurs, à savoir: Le corrupteur et le corrompu. Dans ce cas précis, les dictateurs africains ne sont que des corrompus. C’est d’ailleurs avec la complaisance des gouvernements occidentaux, qui les reçoivent avec tous les honneurs, qu’ils détournent les miettes encaissées par leur pays – une espèce de cadeaux – vu les prix dérisoires payés pour les ressources pillées et gardent les fortunes mal acquises dans les banques pour qu’ils s’achètent des villas; comme dans le cas du défunt dictateur zaïrois Mobutu Sessesseko, à Savigny dans le canton de Vaud. En gros, ils investissent dans les économies européennes qui semblent n’avoir aucun souci ni sur la provenance et ni sur la nature sale de cet argent.

Incapables d’investir dans leurs propres pays en créant des conditions qui pourraient bénéficier à leurs populations, c’est en Europe – où  ils sont toujours les bienvenus – qu’ils éduquent leurs enfants, où ils passent leurs vacances, font des achats et très souvent se rendent pour recevoir des soins médicaux. Comme le cas le plus emblématique du dictateur camerounais Paul Biya, au pouvoir depuis 40 ans dont 5 ans à l’étranger, officiellement pour des « visites privées », la Suisse étant sa destination favorite et l’Hôtel Intercontinental de Genève comme son « habitat » de prédilection. C’est là que pendant ses habituels et longs séjours, payant environ 40’000 dollars par nuit pour sa suite présidentielle qui occupe au moins deux dizaines de chambres pour l’accommodation de ses nombreux convives.

Dans des conditions normales, ce devrait être honteux que de tels pays qui devraient promouvoir des valeurs dites « universelles » comme le respect des droits de l’homme, le respect des libertés individuelles, la transparence et la bonne gouvernance soient les premiers à les bafouer, niant aux africains à la fois la possibilité de jouir des bénéfices qui émanent de la démocratie, mais aussi d’en tirer les avantages des revenus des ressources – qui leurs appartiennent – et qui pourraient servir à leur épanouissement et à leur bien-être.

Ça reste donc une contradiction majeure des pays occidentaux qui se vantent d’être les hérauts de la démocratie et qui sont les mêmes qui promeuvent, soutiennent et protègent des régimes anti-démocratiques et des dictateurs qui n’hésitent pas à persécuter, terroriser, voir même empoisonner et exécuter toutes celles et ceux qui osent exercer leurs droits fondamentaux – comme penser et s’exprimer librement – et qui sont, paradoxalement, consacrés par des Constitutions.

Le résultat de la combinaison de ces facteurs ne peuvent qu’être désastreux, donc voilà l’une des raisons de fond qui explique, en particulier, les grandes vagues d’émigrants qui viennent d’Afrique vers « la forteresse de l’Europe », s’exposant à des périls inimaginables, notamment durant les traversées du désert du Sahara et de la mer Méditerranée, où des centaines des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants perdent leur vie ou disparaissent simplement.

Dans tout cela l’Europe, n’étant point une victime, a une part majeure de responsabilité à la fois historique, politique et morale qu’elle doit assumer au lieu de durcir encore davantage sa stratégie anti-migratoire déjà assez agressive envers les personnes migrantes.

L’Europe doit aussi cesser tout sorte de violences de masse qu’elle commet à l’encontre des personnes migrantes, qui sont déjà persécutées par des régimes dictatoriaux et qui fuient ces pays pour sauver leur vie, ou encore celles et ceux qui sont contraints de quitter leur pays à la recherche e d’une vie meilleure, dans le cadre de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

En effet, on ne résout pas la question de la migration en érigeant encore plus de murs ou en accroissant davantage la violence de masse contre eux à travers des mécanismes de répression comme l’Agence Européenne de garde- frontières et de gardes-côtes Frontex. 

Par contre, l’Europe devrait s’engager dans la construction de relations politiques avec l’Afrique non teintées de paternalisme et fondées sur les principes de la démocratie, du respect des droits de l’homme, du respect mutuel, qui promouvraient des relations économiques plus justes et équitables basées sur le principe gagnant-gagnant en vue de tisser et développer un partenariat fort capable de créer des solutions soutenables et durables à la migrations.

Alcibiades Kopumi

Ancien rédacteur de Voix d’Exils




Édito. Monde civilisé ? Du n’importe quoi !

l’Édito est une nouvelle rubrique qui fait aujourd’hui son apparition dans Voix d’Exils.

On vit dans un monde où les pays dits « civilisés » dictent ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Ils nous dictent aussi ce qui est politiquement correct de dire/faire et même de penser en société et au nom de leur civilisation. Dans ce monde on assassine même en direct des prisonniers de guerre et on sourit quand on voit ces choses horribles.

Le monde civilisé est champion de la politique deux poids deux mesures. Capable de diaboliser Mugabe du Zimbabwe. De chasser Gbagbo de la Côte d’ivoire et de l’incarcérer à la Haye. D’organiser l’assassinat de Kadhafi en direct et en mondovision. Pour quelles raisons? Au nom de la démocratie? De la civilisation? Au nom d’intérêts économiques inavoués ? Allez savoir.

Ce qui est sûr, c’est que les réels motifs de ces acharnements n’ont rien à voir avec l’envie des pays civilisés de restaurer la démocratie et le bien-être dans ces pays. Sinon, comment expliquer que les dictateurs les plus féroces et les plus sanguinaires comme Paul Biya du Cameroun, Teodoro Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale, Sassou Nguesso du Congo, Joseph Kabila de la République Démocratique du Congo, continuent à séjourner en Occident et sont reçus en grandes pompes par les pays dits « civilisés » et sans la moindre gêne? « On va vous aider avec une coopération policière ». Propos de Michèle Alliot-Marie, alors ministre français des Affaires étrangères, tenus pendant que le printemps arabe battait son plein en Tunisie et que les morts se comptaient par dizaines déjà. Cela avait montré aux yeux du monde entier une insensibilité incroyable de ce pays dit « civilisé ». Le dictateur Ben Ali était un « ami » (leur ami). Réveillez-vous ! Le monde est déjà un enfer ou des humains dansent autour des cadavres et où des gens se considérant comme « civilisés » fêtent avec un grand sourire la mort. Pourquoi ferment-ils les yeux sur ce qui se passe dans les autres pays comme le Gabon, l’Ethiopie, l’Erythrée, la Guinée équatoriale, le Maroc, le Swaziland, la République centrafricaine, l’Ouganda, le Soudan, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, le Congo, le Burkina Faso ou le Togo? Et pourtant, nombre de ces régimes dictatoriaux (en Afrique, au Moyen-Orient, au Sri Lanka, à Cuba…) pourraient être renversés sans difficultés majeures si les occidentaux (monde civilisé) fournissaient les moyens adéquats comme la mise en place de sanctions diplomatiques, politiques et économiques contre ces dictatures ; grâce auxquelles les populations et les institutions indépendantes pourraient, au nom de la démocratie, restreindre les sources de pouvoir des dirigeants en place et, ainsi, endiguer leur nuisance. Ce qui n’est pas le cas. Pourquoi ?

Il y a vingt ans, la jeunesse africaine de la plupart des pays susmentionnés était déjà descendue dans la rue pour manifester son exaspération contre les dictateurs. Malheureusement, à l’époque, cette jeunesse africaine connaissait moins de succès. En fait, la jeunesse africaine avait été sacrifiée sur l’autel de la « realpolitik », autrement dit, par le cynisme des Occidentaux (le monde civilisé) en terre africaine. Les despotes africains, ayant eu plus de soutiens de la part des pays occidentaux (le monde civilisé) qui défendirent dans les années 90 leurs intérêts impérialistes, y compris à coups d’interventions militaires. Ils se sont offerts le luxe de ne pas céder à la pression de la rue. En lieu et place, il y a eu des milliers de meurtres perpétrés en plein jour par des forces armées.

On a organisé des conférences nationales dites souveraines par ici, composées des gouvernements de transition démocratique par là. Malgré tout cela, le changement espéré est demeuré une utopie. Pire, lorsque les tensions ont baissé, les dictateurs sont revenus au-devant de la scène, en force. Certains sont même morts de vieillesse au pouvoir comme Omar Bongo Ondimba du Gabon après… 42 années de règne sans partage ou encore Gnassingbé Eyadema du Togo après… 38 années de dictature. Et ils se sont faits remplacer à la tête de ces Républiques par leurs fils avec la bienveillance et la bénédiction des pays dits civilisés !

Ces régimes sont notoirement imperméables au changement, à l’alternance et ils répriment lourdement la dissidence. La corruption (y compris le détournement de l’argent du fond mondial destiné aux interventions contre la pauvreté et les maladies) et les atteintes massives aux droits humains sont le lot quotidien de millions de citoyens dans ces pays qui sont à la peine économiquement et qui, pourtant, recèlent d’immenses richesses naturelles, comme des gisements de diamants, de pétrole, d’or, ou la culture du cacao, du café etc. En parlant de la corruption, elle est si répandue que les conditions de vie dans ces pays, pour la majorité de la population, sont révoltantes. Le prix abordable des produits de première nécessité, l’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux services de santé, de l’éducation, à l’emploi et à la sécurité sont de véritables gageures.

Face à ça, l’extravagance du train de vie de la classe dirigeante. Par exemple, le dictateur Paul Barthelemy Biya Bi Mvondo du Cameroun vit trois quarts de l’année à l’Hôtel InterContinental de Genève en Suisse, l’un des hôtels les plus chers du monde. Les ressortissants camerounais établis en Europe organisent d’ailleurs régulièrement des marches de protestation devant cet hôtel. La facture exorbitante que dégage ses séjours prolongés là-bas (plusieurs millions de francs suisses par… mois) est bien entendu assurée par le contribuable camerounais. Rien que ça. Il n’est ni Kadhafi, ni Gbagbo. Il n’a pas tenu tête aux Occidentaux (monde civilisé). On ferme les yeux tant qu’il protège nos intérêts en Afrique. On s’en fout, même s’il massacre les siens.

Monde civilisé ? Du n’importe quoi !

Edito signé :

Fbradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils