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« En Suisse, je me sens valorisée et acceptée »

Source: pixabay.com

La culture de l’encouragement

Lorsqu’elle dépose sa demande d’asile en Suisse, il y a cinq ans, Zahra découvre progressivement ce qu’on pourrait définir comme la culture de l’encouragement. A son grand étonnement, plutôt que de relever son ignorance des us et coutumes locaux, ses différents interlocuteurs répondent à sa curiosité, la soutiennent dans ses démarches et la félicitent pour ses progrès. Malgré son statut précaire – elle est à l’aide d’urgence -, la jeune Kurde veut croire qu’elle a un avenir possible dans ce pays où elle se sent bien.

Elle a souhaité partager avec les lecteurs et lectrices de Voix d’Exils quelques expériences marquantes et dire sa reconnaissance aux personnes qui l’ont aidée depuis son arrivée sur le sol helvétique.

En Iran, on échange beaucoup de critiques et peu de compliments

« En 2016, j’habitais dans le foyer d’accueil des migrants de Sainte-Croix, dans le canton de Vaud. Grâce à l’aide d’un groupe de bénévoles qui venaient trois soirs par semaine nous donner des cours, j’ai appris le vocabulaire de base pour me débrouiller dans la vie quotidienne.

Un jour, j’ai reçu un courrier pour un rendez-vous médical mais sans précision de l’adresse. J’ai croisé mon assistante sociale dans les corridors et je lui ai demandé si elle pouvait m’aider. Pascal, le responsable du foyer qui passait par là, m’a entendue et il a pris la peine de s’arrêter pour me complimenter sur mes progrès en français.

J’ai été très surprise par la façon chaleureuse et encourageante dont il s’est adressé à moi. D’ailleurs, des années plus tard, je m’en souviens comme si c’était hier… Pour que vous compreniez ma réaction, je dois préciser que dans mon pays d’origine, ça ne se passe pas du tout comme ça. Les relations interpersonnelles sont plutôt rugueuses, et les compliments sont très rares contrairement aux critiques qui sont faites pour un oui ou pour un non.

En Suisse, mon handicap n’a pas été une barrière

Avant d’arriver à Sainte-Croix, j’avais été hébergée pendant deux semaines dans le foyer de Vallorbe. Je venais d’arriver en Suisse, et je découvrais une nourriture dont le goût, la préparation, les couleurs étaient très différents de la nourriture que j’avais l’habitude de manger en Iran. Comme le domaine culinaire m’a toujours beaucoup intéressée, j’ai cherché des informations sur Internet et j’ai aussi posé des questions aux cuisiniers du foyer pour connaître les recettes et les ingrédients des plats qui nous étaient proposés. Ils ont répondu à ma curiosité avec une patience et une gentillesse qui m’ont beaucoup touchée.

Par la suite, je me suis inscrite dans le Programme cuisine proposé aux migrant.e.s par l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (l’EVAM). J’avais peur de ne pas être acceptée, parce que j’ai une main handicapée à laquelle il manque des doigts. Mais j’ai été rapidement rassurée, mon handicap ne constituait pas une barrière pour la réalisation de mon projet qui était d’obtenir le certificat d’aide en cuisine. J’ai fait une semaine de stage préliminaire dans le self-service de l’EVAM à Lausanne et tout s’est très bien passée. Là encore, personne ne m’a fait de remarques désobligeantes, et personne n’a mis en doute mes capacités à travailler en cuisine.

A la fin de ma formation, avant d’obtenir mon certificat, j’ai fait un mois de stage à la Fondation Mère Sophia, à Lausanne. Avec une petite équipe de bénévoles, nous préparions la soupe que nous servions tous les soirs, dans la grande salle de la fondation, aux personnes dans le besoin. J’épluchais et je coupais les légumes, le travail était simple et se faisait dans une très bonne ambiance. Les bénévoles m’ont tout de suite adoptée et j’ai pu prolonger le stage d’un mois. J’aurais bien voulu continuer, mais l’expérience s’est ensuite arrêtée parce que mon statut – je suis à l’aide d’urgence -, ne me donne pas le droit de travailler.

J’ai été rassurée sur mes compétences

Je suis une jeune femme célibataire qui – comme beaucoup de migrant.e.s – vit seule, loin de sa famille. Mes parents et une de mes sœurs sont restés en Iran. Mon autre sœur habite en Suisse alémanique, dans le canton d’Argovie, mais je la vois seulement deux-trois fois par année, car le train coûte très cher et j’ai un tout petit budget.

Cet isolement est difficile à supporter. Comme tout le monde, j’ai besoin de contacts humains pour préserver mon équilibre, j’essaie aussi d’avoir des objectifs, un but à atteindre. J’ai l’espoir de voir ma demande d’asile évoluer. Je rêve d’obtenir le permis B et de pouvoir enfin travailler dans mon domaine de formation qui est la comptabilité.

En attendant, et pour ne pas rester les bras croisés après mon passage en cuisine, je me suis intéressée à une autre activité proposée par l’EVAM : le Programme Cybercafé. Ma mission consistait à gérer de façon presque autonome le relais internet destiné prioritairement aux migrants hébergés dans le foyer de Sainte-Croix. Malheureusement, un mois après mes débuts dans ce programme, le Cybercafé a été fermé pour cause de Covid…

Que faire ? J’ai alors été orientée vers le Programme Voix d’Exils. Omar, mon responsable, m’a proposé d’écrire des articles pour le site Voix d’Exils. Le premier jour, je n’avais aucun sujet d’article à proposer. Pour moi, qui vient de la comptabilité, c’était un exercice très difficile. J’étais très stressée et déçue, j’étais sûre que Omar allait me dire que je n’avais pas les compétences nécessaires et que je ne pouvais pas rester. Mais, à ma grande surprise, il m’a rassurée, il m’a dit qu’on allait en parler avec Afif, le deuxième responsable du programme. Les deux ont pris le temps de m’expliquer à nouveau quel était mon rôle et ce qu’ils attendaient de moi. Comme ils m’ont fait confiance et qu’ils m’ont encouragée, je n’ai pas voulu les décevoir, je me suis accrochée et maintenant, cinq mois après mes débuts, grâce à l’aide et au soutien de différents collaborateurs de ce média en ligne, j’ai écrit et publié plusieurs articles dont je suis très fière.

Ma situation n’est pas facile, mais j’essaie d’avancer, de ne pas perdre l’espoir. À toutes les personnes qui, depuis mon arrivée en Suisse, m’ont soutenue, à toutes celles et ceux qui m’ont redonné confiance et qui m’ont permis de grandir, je voudrais ici vous dire : MERCI !

Zahra Ahmadiyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Les situations de handicap diffèrent d’un pays à l’autre

Illustration graphique de Kristine Kostava / Voix d’Exils

« Mon handicap ne m’empêche pas de vivre librement »

Malgré ses déplacements en scooter électrique adapté, notre rédactrice, Kristine Kostava, essaye de vivre de façon la plus autonome possible. Originaire de Géorgie, elle compare la situation vécue par les personnes handicapées dans son pays et en Suisse. Son témoignage :

« Je n’ai jamais rêvé de vivre dans un autre pays, malgré beaucoup de problèmes et de misère. Je ne parle pas seulement de la condition matérielle. A ma naissance, en Géorgie, il y a eu des complications. Les erreurs médicales ont engendré ma situation de handicap qui me force à rester en fauteuil roulant pour toujours.

En grandissant, je prenais conscience de mon problème et ça me complexais. Je ne voulais plus sortir de la maison. J’avais honte de ne pas pouvoir marcher. Dans la rue, les personnes me regardaient avec pitié et d’autre m’insultaient à cause de mon handicap.

« En Géorgie, les espaces publics sont inadaptés »

A 20 ans, l’association « Education Development and Employment Center » m’a contacté et m’a proposé des cours pour développer des connaissances sur les différents handicaps.

En Géorgie, je ne pouvais pas traverser la rue en fauteuil roulant, car il n’y avait pas de rampes à proximité des bâtiments. Les ascenseurs, les bus, les trains n’étaient pas adaptés aux personnes handicapées. Je n’ai jamais voyagé en transports en commun. Alors, je devais prendre un taxi. Heureusement, mon père était chauffeur de taxi et il assurait mon transport. Je n’aurais jamais pu me le permettre avec ma pension de 200 GEL qui représentent 60 franc suisse.

À 27 ans, j’ai étudié le graphisme, puis j’ai commencé à travailler comme designer dans l’une des imprimeries de Kutaisi. En raison de conditions inadaptées et d’un salaire très bas, mon père m’emmenait au travail.  Sans son aide, tout mon salaire aurait été dépensé dans les frais de transport. J’étais toujours contente d’aller travailler.  Le personnel et les patrons étaient très gentils et chaleureux ! Mon métier me passionnait.

J’ai travaillé pendant environ un an. J’ai commencé à avoir des douleurs atroces aux jambes et à la colonne vertébrale en raison de la détérioration de ma santé.  J’avais besoin d’une chirurgie et d’une physiothérapie intensive. Les traitements dont j’avais besoin sont impossible à faire en Géorgie, à cause du manque d’assurance maladie et des faibles revenus. L’accès à la sante est difficile, car les coûts sont élevés et la population a peu de moyens financiers. Les bons médecins sont tous partis à l’étranger en raison du manque de salaire et de la sous-estimation de leur métier.

« En Suisse, je me déplace de manière autonome »

C’est à cause de ces problèmes que j’ai dû quitter mon pays et venir en Suisse ! En espérant qu’ils pourraient m’aider ici ! C’était très difficile de tout recommencer dans un pays étranger, mais l’humain s’habitue à tout. L’essentiel pour moi était d’améliorer ma santé et la Suisse a vraiment réussi! Je bénéficie d’exercices intensifs, de la physiothérapie, des soins médicaux. Aujourd’hui, je suis en attente d’une date pour une opération qui a été reportée deux fois à cause de la pandémie.

J’ai rencontré beaucoup de gentilles personnes en Suisse qui m’ont aidé. Une fondation orthodoxe m’a donné un scooter électrique ce dont je ne pouvais même pas rêver en Géorgie. Maintenant je peux me déplacer n’importe où de manière indépendante, sans aucun obstacle. En Suisse, toutes les conditions sont réunies pour qu’une personne handicapée vive de manière autonome. Je peux utiliser les transports publics et accéder à tous les bâtiments. Je vis librement sans complexe! Je n’ai plus honte de sortir dans la rue ou que quelqu’un me regarde avec pitié! Ici, tous les individus sont égaux, tous les droits de l’homme sont protégés !

« J’ai, enfin, trouvé ma part de bonheur »

C’est très difficile de se développer dans un pays étranger quand l’état ne vous permet pas de rester. Le Secrétariat d’Etat aux Migration (SEM) a refusé quatre fois ma demande d’asile mais je ne suis pas venue ici pour ce papier. L’essentiel pour moi est de retrouver la santé et le bonheur ! J’ai trouvé ma part de bonheur, ici, et mon objectif n’est pas de rester éternellement en Suisse.

Je souhaiterai apporter mon expérience de vie, une vision, un environnement, une réflexion, une liberté différente à mon pays. Mon objectif serait d’aider les gens qui sont déçus comme moi !  Peu importe comment nous sommes nés, qui nous sommes, quel genre de problèmes de santé nous avons, l’essentiel est de nous aimer tel que nous sommes et de ne permettre à personne de nous regarder comme une chose inutile ! Je me sens comme une personne à part entière en Suisse. Je respire ici, je suis libre, avec de grands espoirs. Bientôt, je serai en bonne santé ! Merci à la Suisse pour tout cela ! Maintenant, je peux dire: Il n’y a pas de limites ! Il y a un environnement handicapé ! »

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.




« Mon handicap est devenu une opportunité au lieu d’un obstacle »

Mamadi Diallo (au centre)sur scène. Photo: Grégoire Tafelmacher.

Participer à la création d’une pièce puis la jouer: la plus belle expérience de ma vie !

Mamadi Diallo, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils, a participé à la dernière création d’Angélica Liddell « Una costilla sabre la mesa : Madre » au théâtre de Vidy à Lausanne.

Depuis trois ans, je suis formateur bénévole à Palabres, une association lausannoise à but non lucratif qui œuvre auprès de personnes migrantes en situation de précarité économique et/ou psychosociale.

L’année dernière, La Marmite, qui se définit comme une université populaire et nomade de la culture, a pris contact avec Palabres. La Marmite collabore avec une association différente chaque année afin de réunir un groupe de personnes autour d’une thématique à développer ensemble. Ces groupes sont ensuite accompagnés dans leur travail par deux médiatrices. J’ai eu la chance de faire partie du groupe de Palabres et je suis resté en contact avec une des médiatrices, Anouk Schumacher, chargée de médiation culturelle au Théâtre Vidy-Lausanne.

« Una costilla sobre la mesa: Madre ». Une pièce d’Angélica Liddell. Photo: Théâtre de Vidy.

Etre acteur pour une grande metteuses en scène d’Europe

En janvier de cette année, Anouk m’appelle pour me dire que la compagnie de théâtre d’Angélica Liddell est à la recherche de figurants malvoyants pour sa dernière création : « Una costilla sabre la mesa : Madre ». Anouk me demande si je suis intéressé par cette expérience. Je ne connaissais pas Angélica Liddell, mais j’avais toujours eu envie de monter sur scène pour ressentir les émotions que peuvent connaître les acteurs face au public. Alors, j’ai tout de suite accepté la proposition et tenté ma chance.

Anouk m’a mis en contact avec Valentin Augsburger, l’attaché au développement des publics et à la communication du théâtre de Vidy. Valentin était chargé du recrutement des figurants pour la compagnie d’Angélica Liddell. C’est donc à lui que j’ai transmis une photo et un texte qui fais part de ma motivation à faire partie de cette aventure. En attendant la réponse, j’en ai profité pour parler à des amis qui connaissaient déjà Angélica Liddell et ses créations. J’ai alors compris qu’elle est une grande metteuse en scène européenne, connue pour ses œuvres fortes qui sont toujours en lien avec l’intime et le cosmique. Après quelques recherches, j’ai été stupéfait par ses œuvres et j’ai compris que le fait de jouer sur scène avec elle serait rien d’autre qu’un grand honneur, si je venais à être choisi.

Un mois plus tard, je reçois une décision me confirmant que je répondais au profil recherché. J’ai sauté de joie, c’était une occasion inespérée de monter sur scène.

« Una costilla sobre la mesa: Madre ». Une pièce d’Angélica Liddell. Photo: Théâtre de Vidy.

Jouer de son handicap

Une semaine avant les répétitions, tous les figurants et acteurs ont été invités à faire connaissance et à rencontrer Angélica qui nous a expliqué nos rôles respectifs.

Cette première rencontre, toutes les répétitions et les 7 représentations du spectacle ont eu lieu dans le nouveau Pavillon de Vidy, une magnifique structure en bois dont la salle est peinte en noir avec des gradins modulables en velours rouge et qui peut accueillir jusqu’à 250 spectateurs.

A notre entrée dans la salle, Angélica était présente, prête à nous accueillir ! Elle était remarquablement sympathique et admirable ! Connaissant un peu son vécu douloureux, j’avoue avoir été surpris par une personnalité si ouverte.

Une fois installée, Angélica nous raconte le pourquoi de ce spectacle et ce qu’il représente pour elle. Elle venait de perdre sa mère avec laquelle elle n’avait pas eu de bons rapports durant sa jeunesse. Mais avant le décès de sa mère, Angelica avait renoué des liens avec elle. Elle nous précise aussi que sa mère n’avait jamais vu aucun de ses spectacles et que pour lui rendre hommage : « je fais un spectacle auquel elle aurait voulu assister ». Comment ne pas admirer une telle intégrité ? Ensuite, elle explique à chacun des figurants son rôle respectif. C’est là que je me suis dit : « Enfin, mon handicap devient un atout ! ». Nous étions trois non-voyants à jouer le rôle de malvoyants qui voient au-delà du visible et qui sont les messagers des dieux de l’Olympe. On retrouve souvent de tels personnages dans les tragédies grecques et dans le théâtre classique.

« Una costilla sobre la mesa: Madre ». Une pièce d’Angélica Liddell. Photo: Théâtre de Vidy.

« Un grand défi et une certaine crainte »

Angélica nous explique que lors d’un des deux passages sur scène, nous devions symboliquement toucher le ventre d’une femme enceinte. Cette interprétation représentait un grand défi pour moi et une certaine crainte aussi, je dois le dire. Mais le contact avec la troupe a été immédiatement excellent. Grâce à cela, j’ai pu m’ouvrir aux autres figurants. J’avais une certaine réticence parce que je n’avais encore jamais touché le ventre d’une femme enceinte, je ne savais pas comment j’allais réagir sur scène. C’est vrai que pour ce rôle très particulier, les deux femmes enceintes, figurantes comme nous, nous ont donné en toute confiance la possibilité de toucher leur ventre et de transmettre ainsi une intense émotion aux spectateurs, puisqu’il s’agissait de parler de vie et de maternité qui sont des éléments essentiels dans toutes les mises en scène d’Angélica Liddell. Dans ce spectacle elle parle à la fois de sa mère, de la moitié de l’humanité, c’est-à-dire toutes les femmes mais aussi de sa souffrance intime, celle ne pas avoir pu vivre l’expérience de la maternité.

Malgré mes craintes devant les défis de cette mise en scène exigeante, j’avoue que je n’ai pas eu de difficulté à jouer mon rôle, grâce au respect et à la confiance dont la troupe d’Angelica Liddell qui nous entourait à chaque instant.

C’est une extraordinaire chance qui s’est offerte à moi, j’en avais rêvé si souvent et, de plus, mon handicap devenait une opportunité et non plus un obstacle. J’étais sur la scène du théâtre de Vidy, figurant dans la nouvelle création d’une importante metteuse en scène européenne et une incroyable actrice, oui c’est vraiment la plus belle expérience de ma vie!

 

Mamadi Diallo

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




« Je ne baisse jamais les bras car la vie est un éternel combat »

 

Nashwan Bamarné. Photo: Eddietaz.

 

Les 10 ans de l’EVAM – Interview de Hachim Nashwan

De son nom d’artiste Nashwan Bamarné et de son vrai nom Hachim Nashwan, Nashwan est un artiste peintre, sculpteur et dessinateur Kurde. Arrivé en Suisse en 2007, il est atteint d’un handicap physique qui le prive de l’usage de ses jambes.

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Hachim Nashwan, je viens du Kurdistan Irakien. Je parle arabe, anglais, Italien, Kurde et français. Je suis arrivé en Suisse dans le canton de Vaud en mars 2007.

S’agissant de mon parcours scolaire et académique, j’ai suivi une formation de cinq ans dans les beaux-arts dans la région de Bamarné, ma ville natale, qui se trouve dans le département de Dohuk au Kurdistan d’Irak. J’ai appris les techniques du dessin, de la sculpture sur bois et sur pierres, pour en faire des portraits et fabriquer des stèles commémoratives pour toute la région du Nord du Kurdistan irakien. Après cela, je me suis dirigé vers l’enseignement et j’ai intégré un centre dans la ville de Dohuk, un établissement pour jeune filles où j’ai enseigné l’art et le dessin, ce pendant deux ans et demi. J’ai un parcours de neuf ans dans le domaine de l’art et du dessin. De même, j’ai collaboré avec la radio et la télévision Kurde « AZADI » où j’étais directeur de programmes de trois émissions sur les thèmes : art et vie ; handicap ; et problèmes de société.

Malgré mon handicap moteur, j’ai beaucoup œuvré pour le développement de l’art dans mon pays et pour ma ville natale Bamarné. Autrement, en Suisse, je continue à travailler seul et je n’ai toujours pas intégrés le marché du travail. L’art ne fait pas vivre, surtout que maintenant je me trouve dans un pays étranger et en plus avec un handicap. Franchement, ce n’est pas facile pour moi mais je ne baisse jamais les bras car la vie est un éternel combat.

Je participe à des programmes d’intégration dans plusieurs associations de la région lausannoise en qualité de bénévole. Parmi ces occupations, la plus importante est un atelier d’arts visuels que j’ai développé et animé à l’EVAM.

Nashwan Bamarné. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

 

Comment s’est passé votre apprentissage de la langue française ?

Au début, ce n’était pas facile pour moi au niveau de l’apprentissage de la langue du pays. J’ai suivi un programme initié par l’EVAM. Ce cursus d’apprentissage de la langue française a duré un mois et demi. C’était à la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008. Je voulais continuer mon apprentissage, mais j’ai dû abandonner en raison de ma maladie. La langue, je l’ai apprise surtout à travers les nouvelles relations que j’ai nouées et les discussions avec les gens que je côtoie dans les associations caritatives et les cercles que je fréquente en ville de Lausanne. Je trouve la langue française facile et pas très compliquée. C’est une belle langue avec des sons et des airs qui donnent à chanter. En quelque sorte un chant et une mélodie se dégagent de cette langue. On dit: « quand on veut, on peut », et c’est tout à fait normal de souffrir au début pour apprendre.

Avez-vous participé aux programmes d’intégration de l’EVAM ?

Oui, j’ai participé à Voix d’Exils entre 2009 et 2011. Voix d’Exils était à l’époque un journal papier qu’on imprimait et distribuait. Ma venue dans ce journal coïncidait avec une transition dans la vie du média : le passage de la presse écrite à une nouvelle formule en ligne sous la forme d’un blog, qui est devenu aujourd’hui un site d’information. Ma participation à ce programme a été quelque chose de très bénéfique pour moi. Je suis d’ailleurs fier de ma contribution à la création de la formule en ligne du journal. J’ai également rédigé des articles et produit beaucoup de caricatures et de dessins, comme par exemple la série « les moutons noirs ». Après deux années passées à Voix d’Exils, j’ai reçu une réponse positive à ma demande d’asile et j’ai dû quitter mon journal pour voler de mes propres ailes.

Quel est votre parcours professionnels en Suisse ?

Ce n’est pas facile pour un homme comme moi en chaise roulante qui parlait au début très peu le français de trouver son chemin au milieu d’une population francophone, sachant parfaitement l’importance de la maîtrise d’une langue dans le monde du travail. Pouvoir trouver un emploi stable adapté à mon handicap, cela demande beaucoup d’énergie et beaucoup de sacrifices.

Dans l’état où je me trouve, il est préférable pour moi de trouver un emploi adapté à mon handicap physique et les employeurs doivent aussi faire un effort pour intégrer une personne en situation de handicap. Et pourtant, dans les structures pour lesquelles je participe bénévolement, il m’ai arrivé de donner plus que d’autres, juste dans l’espoir de faire reconnaître l’intérêt et le rôle que peut jouer une personne en situation de handicap dans le monde du travail. J’ai beaucoup donné pour des associations romandes telles que Point d’appui, Point d’eau etc…

C’est quoi pour vous l’intégration ?

L’intégration commence par : « acceptez-moi comme je suis ». En clair, cela implique de dépasser les préjugés qui freinent l’intégration et qui bloquent le chemin de la progression sociale de quiconque, en particulier en situation de handicap. Ceci dit, je suis bien intégré au sein de la société Suisse, je compte beaucoup d’amis d’origines et de nationalités différentes. Avoir un réseau d’amis là où l’on se trouve est une nécessité et une obligation pour s’émanciper et s’intégrer dans la société. Sortir et se faire des amis, c’est primordial lorsqu’on se retrouve seul et sans famille. Il faut aller de l’avant, ne pas baisser les bras en cours de route ou rester seul et isolé d’un monde grâce auquel on pourra apprendre très vite.

L’art facilite-t-il votre intégration ?

Parfois, en étant assis sur la terrasse d’un café ou dans un restaurant, il suffit que je prenne mon crayon pour faire un dessin quelconque et je me retrouve soudainement entouré de personnes qui me posent des questions sur mon parcours artistique et sur mes dessins. En moins d’une demi-heure, l’ambiance bascule en une série de questions-réponses puis d’échanges de numéros de téléphones et d’adresses. Cela me fait grand plaisir, parce que je reçois des encouragements et des discussions s’ouvrent instantanément avec des personnes que je viens de rencontrer il y a à peine une demi-heure.

Avez-vous gardé le contact avec votre pays d’origine ?

Pas trop. Comme refugié, je ne peux pas rentrer dans mon pays et de ce fait je ne pourrai pas revoir ma famille avec laquelle j’ai beaucoup d’attaches. Mon seul contact est le téléphone. Il est tout à fait normal d’avoir parfois le sentiment de se sentir seul et loin de sa petite famille, mais ici aussi, je veux dire ici en Suisse, j’ai pu constituer une autre famille faite d’amis et de proches.

Nous sommes en tout sept frères et sœurs, j’appartiens donc à une famille nombreuse. Le grand chagrin de ma vie est le décès de ma jeune sœur des suites d’un cancer puis celui de ma mère. C’est difficile de perdre des membres de sa famille sans pouvoir faire son deuil, mais la vie ne doit pas s’arrêter là. Nous devons continuer à vivre normalement, la vie est faite de bonnes et de mauvaises choses et il faut savoir s’adapter. Etant loin de ma propre famille, je vis beaucoup avec des souvenirs que j’ai emportés avec moi dans mes bagages en arrivant en Suisse.

Etes-vous solidaire des requérants d’asiles ?

En fait, je me sens toujours requérant d’asile et proche des anciens comme des nouveaux arrivants dans le monde migratoire en général. Je partage leurs peines et leurs soucis, comme je comprends aussi leur timide retrait de la société. Aller à la rencontre de ces gens et leur tendre la main, c’est peut être qu’un geste qui sans doute leur ferait plaisir et qui les aiderait à sortir de leur coquille pour aller de l’avant.

Un goût, une saveur qui vous manque particulièrement ?  

Ce qui me manque c’est la saveur de ma famille laissée au pays.

Un dernier mot ?

Mon message est destiné particulièrement à tous les requérants d’asiles. Je leur dit ceci : il ne faut jamais perdre espoir et baisser les bras, la vie est un éternel combat. Il faut apprendre coûte que coûte la langue française et connaître la culture suisse si on veut vraiment réussir à s’intégrer.

Je remercie Voix d’Exils, ses responsables, tous les rédacteurs et toutes les rédactrices qui nous font le bonheur de nous informer à travers leurs articles.

Propos recueillis par :

Arslan Zoheir Bouchemal

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Exposition : Heidi ou l’autre côté du miroir

 Maison de Quartier de la Pontaise, Lausanne – jusqu’au 12 juillet 2019.

Expo: Heidi ou l’autre côté du miroir de Nashwan Bamarné. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils

Nashwan Bamarné expose actuellement une sélection de caricatures et de dessins de presse à la Maison de Quartier de la Pontaise à Lausanne. Le thème est : son expérience de la Suisse après y avoir obtenu l’asile, comparativement à celle qu’il s’imaginait après avoir lu, à l’âge de six ans, l’histoire de Heidi, cette petite fille des Alpes suisses messagère d’amour et de paix.

Heidi ou l’autre côté du miroir, une exposition à voir à la Maison de Quartier de la Pontaise à Lausanne jusqu’au 12 juillet 2019.

Rue de la Pontaise 33, 1018 Lausanne

Horaires des permanences – informations:

– mardi de 10h à 12h30 et de 16h à 19h

– mercredi de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h

– jeudi de 10h à 12h30 et de 13h30 à 19h

– vendredi de 10h à 12h30 et de 13h30 à 19h

Audry-Clovis Miganda

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exil

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




C’est grâce à sa rage de réussir que Maître John a ouvert son atelier de confection

Maître John à l’œuvre. Photo: Paul KIESSE

Maître John à l’œuvre. Photo: Paul KIESSE

Couturier Congolais exilé en Suisse depuis huit ans, Jean Ndabi – Maître John – pour les intimes, a réalisé son rêve d’enfance: ouvrir sa maison de couture. Toujours souriant et de bonne humeur, Jean Ndabi affectionne la coupe et la couture depuis sa tendre enfance. Ce Congolais de 34 ans, père d’une fillette d’un mois, a contracté la poliomyélite à l’âge de 7 ans. Mais cela n’a nullement ébranlé sa détermination à devenir couturier.

A Kinshasa, la capitale du Congo, il passe trois ans dans une école de coupe et de couture, puis deux ans d’apprentissage dans un atelier. Lorsqu’il débarque en 2004 en Suisse, il est envoyé dans le canton de Neuchâtel, d’abord au centre d’accueil des Cernets, aux Verrières, et puis au centre d’accueil de Couvet.

Requérant d’asile, il cherche des petits boulots mais n’en trouve pas. « Beaucoup d’entreprises s’intéressaient à moi, mais à cause de ma mobilité réduite, elles étaient découragées. Mon handicap physique a été un sérieux frein pour trouver du travail », confesse-t-il.

« Ma clientèle est composée de gens de toutes nationalités »

Dans le centre d’accueil où il logeait, il y avait une salle de couture. Il décide alors de perfectionner son savoir-faire pour ne plus attendre un hypothétique emploi. Mais il lui faudra de la patience avant de voir son art reconnu. « En Suisse, je n’ai suivi aucune formation, mais j’ai beaucoup appris, surtout le sérieux suisse », déclare-t-il.

En 2010, il obtient son permis de séjour B et co-loue un espace à la rue de l’Ecluse à Neuchâtel.

L'atelier de confection de Maître John à Peseux. Photo: Paul KIESSE

L’atelier de confection de Maître John à Peseux. Photo: Paul KIESSE

Rapidement, la clientèle afflue, mais le lieu est trop exiguë et n’est pas adapté à ses ambitions. Il décide alors de voler de ses propres ailes et ouvre son atelier de confection à rue Ernest-Rouley 7, à Peseux. « Ma clientèle est composée de gens de toutes nationalités. Mais ici, à Peseux, ce sont davantage les Suisses qui viennent par rapport aux Africains », nous confie Me John, fier de ne pas dépendre de l’aide sociale.

« Je le voulais tellement que je l’ai réalisé »

Deux machines industrielles, une machine à ourlet, une machine de surfilage et une machine de boutonnière constituent l’équipement de la confection John Ndabi, ouverte depuis maintenant un mois et spécialisée dans la couture hommes, dames, enfants et les retouches. « Ce n’est pas facile d’ouvrir une maison de couture en Suisse, d’abord en tant qu’étranger, puis ensuite en tant que requérant d’asile sans fonds de démarrage. Mais je le voulais tellement que je l’ai réalisé », affirme-t-il.

Parlant de ses bons souvenirs, il souligne que « grâce à mon travail de couturier, les gens ont oublié mon handicap ». Avec l’ouverture de cette confection, Me John ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il ambitionne à présent d’ouvrir un magasin d’habillement, d’organiser des défilés de mode pour présenter la mode africaine et européenne. Mais, surtout, de recruter des stagiaires; car évoluant dans un premier temps seul, il compte engager trois à quatre personnes pour l’épauler dans cette lourde tâche.
Pour Me John, son exemple doit encourager d’autres requérants d’asile à s’intégrer et à valoriser leurs savoir-faire. Il se dit reconnaissant envers les autorités suisses, qui lui ont donné l’opportunité d’exprimer son talent; et envers du Centre social protestant (CSP), qui a mené les démarches pour l’obtention de son permis de séjour.
C’est grâce à sa pugnacité et sa rage de réussir que Me John a su faire reculer les limites de son handicap en misant sur ce qu’il sait faire le mieux à faire, à savoir : la coupe et la couture. Avec sa confection, il crée des emplois, paie les impôts et contribue à la prospérité de la Suisse qui l’a accueilli les bras ouverts.
Paul KIESSE

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils