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Revue de presse #24

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : La traite des Noirs s’expose au Bénin / Le séparatisme ethnique fait un étonnant retour / Le nombre des demandes d’asile s’envole en Suisse

Le Bénin expose et interroge la période esclavagiste

VOA Afrique, le 04.08.2020

Alors qu’à travers le monde on déboulonne les statues des anciens esclavagistes, le Bénin a décidé de restaurer ses musées pour mieux raconter ce douloureux pan de son histoire – depuis la traite des noirs jusqu’à la colonisation – aux intéressés et en particulier aux nouvelles générations.

Le grand Fort portugais de la petite ville côtière de Ouidah qui accueille le musée d’histoire, présente à ses visiteurs des objets en lien avec l’esclavage comme par exemple une cloche amenée par les missionnaires catholiques européens ainsi que des entraves et des chaînes utilisées pour attacher les esclaves. Car c’est à Ouidah qu’ont été rassemblés plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants entre les 17ème et 19ème siècles, avant d’être embarqués pour traverser l’océan Atlantique.

Pour mieux mettre en valeur ses collections, le musée est en travaux jusqu’à la fin de l’année. En attendant sa réouverture, une partie de ses trésors ont été délocalisés à la Maison du Brésil pour y proposer l’exposition temporaire « Et si Ouidah m’était conté ».

Ouidah se prépare à accueillir le Musée international de la mémoire et de l’esclavage (MIME) qui est actuellement en construction, ainsi qu’un grand complexe touristique de 130 chambres orienté vers le même thème, avec des « jardins du souvenir », une zone de recueillement, et « la reconstruction historique d’un bateau négrier », amarré au large dans l’océan. « Nous avons besoin d’actions fortes, au-delà des mouvements de revendication des causes noires », défend un guide touristique, natif du lieu. « Nous voulons illustrer la trame de l’histoire pour la transmettre aux générations futures. »

Développement de nouvelles formes de séparatisme ethnique

Le Figaro, le 03.08.2020 

La décision de Google de signaler par militantisme, aux États-Unis, les commerces tenus par des Noirs ne convainc pas tout le monde. Pour Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, qui réfléchit aux évolutions de la société, et professeur à l’université de Bordeaux, cette proposition aggraverait le séparatisme ethnique et ruinerait l’idée d’universalité.

Le chercheur français s’étonne que ce retour de la discrimination ethnique ne rencontre aucune opposition apparente. Selon lui, les propositions militantes de Google promeuvent en réalité une conception antagoniste des rapports sociaux qui enfonce les États-Unis dans une spirale de séparatisme ethnique dont le résultat ne peut être que l’aggravation des violences et des fractures sociales.

Dans l’idéologie des mouvements progressistes, la société se réduit à n’être qu’une juxtaposition de «communautés» où des individus sont irrémédiablement classés selon leur ethnie, leur genre ou leur préférence sexuelle, explique Olivier Babeau. Les militants de cette nouvelle «justice sociale» sont radicalement opposés à la réponse universaliste fondée sur le principe d’indistinction. Dans leur logique, il ne doit pas être question de choisir un restaurant pour la qualité de sa cuisine, ou un employé pour ses compétences puisque des critères ethniques, sexuels ou de sexe doivent être posés en priorité.

« Étrange époque que la nôtre, où les choses les plus évidentes sont frappées du sceau de l’infamie », regrette Olivier Barbeau qui donne quelques exemples … Un fabricant de glace au Danemark qui renonce à parler d’esquimau car le terme est jugé offensant ; une dirigeante d’entreprise (chief executive officer en anglais) qui ôte le mot « chief » car cela constituerait selon elle un manque de respect vis-à-vis des tribus amérindiennes ; une annonce concernant le cancer du col de l’utérus qui n’ose plus mentionner le terme de « femmes » mais le remplace par « personnes avec un utérus » pour ne pas commettre d’impair ; en France une association annonce qu’elle recrute des infirmières à domicile «racisées», ou des personnes proposant sur les réseaux sociaux des listes de médecins noirs…

D’où la conclusion du chercheur français « Nous voilà sommés de voir partout la marque de structures de domination qu’il faudrait dénoncer et dont nous devons nous repentir. »

 

Demandes d’asile en forte augmentation en Suisse

La Tribune de Genève, le 20.08.2020

La levée progressive des restrictions aux frontières liées à la crise sanitaire du Covid-19 provoque une augmentation importante du nombre de demandes d’asile en juillet, indique le Secrétariat d’État aux migrations (SEM).

La Suisse a enregistré 1055 demandes d’asile en juillet, soit 449 de plus qu’au mois précédent. Mais malgré cette augmentation, le nombre de demandes est en baisse de 19,5% (-256 demandes) par rapport à juillet 2019.

En juillet toujours, 309 personnes ont quitté la Suisse sous le contrôle des autorités ou ont été rapatriées. La Suisse a demandé la prise en charge de 362 requérants à d’autres États Dublin, et 89 ont été transférés dans l’État compétent pour traiter leur demande d’asile. La Suisse a quant à elle reçu 313 demandes de prise en charge émanant d’autres États Dublin, et 134 personnes y ont été transférées.

Les principaux pays de provenance des requérants d’asile dont les demandes ont été enregistrées en juillet sont: l’Afghanistan (170 demandes; +52 en comparaison avec le mois de juin), l’Érythrée (165 demandes; +16), l’Algérie (115 demandes; +65), la Turquie (100 demandes; +61) et la Syrie (89 demandes; +40).

Oumalkaire / Voix d’Exils




Des révolutions à coups de clics

Une victime du régime Ben Ali

Une victime du régime de Ben Ali

Facebook, Twitter et les blogs ont joués un rôle incontestable dans les révolutions tunisienne et égyptienne. Alors que les manifestations étaient interdites et que la blogosphère était surveillée, ceci n’a pas empêché la jeunesse de s’organiser sur les réseaux sociaux. Chaouki Darouaoui, ancien requérant s’asile tunisien et ex rédacteur de Voix d’Exils, habitant Prilly, nous raconte son épopée de « cyberrévolutionnaire ».

Simplement inimaginable. Tout commence à Sidi Bouzid, une petite ville située au centre de la Tunisie, lorsque les agents communaux saisissent la marchandise de Mohamed Bouazizi, ce jeune vendeur de légumes et de fruits qui, par un acte mêlant à la fois révolte extrême et désespoir, s’immole par le feu ce qui provoque le ras-le-bol de toute une jeunesse. A défaut d’être sur place, certains écrivent leur désespoir sur le mur virtuel de Facebook pour exiger le départ du tyran Ben Ali et en finir, par la même, avec l’hégémonie de son régime dictatorial après vingt trois ans de colères contenues, de libertés bâillonnées et d’opposants censurés.

C’est ainsi que, Chaouki Daraoui, en Suisse depuis trois ans, et ses confrères de la diaspora tunisienne ont créés un réseau Facebook. Il se remémore les premiers jours de la révolution qui ont été déterminants dans son engagement : « J’ai réactivé, dès début des manifestations, mon compte Facebook que je n’avais pas utilisé depuis deux ans et j’ai créé avec des amis résidant en France, en Italie, en Allemagne et au Canada.  Notre réseau travaillait 24 heures sur 24. Chaque heure, quelqu’un prenait la relève. Cette personne devait publier sur le compte lorsqu’il était informé que des personnes étaient décédées lors de manifestations par exemple en illustrant les publications avec des photos. Je préparais aussi des vidéos avec des chansons et de la musique révolutionnaires ».

Quand des objets virtuels défient la réalité

A l’heure ou les grandes nations du monde commencent à s’atteler à la guerre technologique, l’éclatement fin décembre 2010 du scandale WikiLeaks et la découverte par le peuple tunisien de certains commentaires acerbes des diplomates américains décrivant leur pays comme « gangrené » par la corruption et partagé entre deux clans change quelque peu la donne. Le président Ben Ali, qui avait bien compris le pouvoir des nouveaux médias, menait d’ailleurs une guerre de plus en plus ouverte contre Internet. Dès lors, l’accès a été bloqué vers les sites de partage de vidéos et photos comme Youtube, Viméo, Flickr et Dailymotion. Or, les tunisiens étaient déjà si familiers avec la censure qu’ils appelaient ironiquement  « Ammar 404 » en référence à la fameuse « Erreur 404 » qui apparaissait dès qu’ils voulaient accéder à un site bloqué.

Revenons maintenant en début janvier 2011, période lors de laquelle il y a eu une avalanche d’événements. La « révolution 2.0 », comme certains la désignent, ou encore  l’appellation « révolution du jasmin » (qui a d’ailleurs été inventée par un jeune bloggeur), n’a certes pas été déclenchée par Internet mais bien par l’acte exaspéré de Mohanmed Bouazizi face à l’arbitraire dont il était victime. C’est alors que la nouvelle s’est propagée comme l’éclair au sein de la population et a fini par mettre le feu aux poudres en Tunisie. Le canal de circulation de cette information était Internet, et plus précisément Facebook, avec près de deux millions de comptes en Tunisie, devenu la seule plate-forme d’échanges d’informations non censurée du pays. Un « territoire virtuel » au sein duquel se disait et se montrait tout ce qui pouvait déplaire au régime de Ben Ali, ce malgré le fait que plusieurs bloggeurs tunisiens avaient été arrêtés.

On assistait en parallèle à l’attaque des sites institutionnels tunisiens par les « Anonymous », un collectif de pirates informatiques, en signe de soutien aux manifestants de Sidi Bouzid.

Une Cyberguerre contre la censure 

Les échanges en ligne grâce aux réseaux sociaux ont alors commencé à alimenter les manifestations. Et si, selon Reporteurs Sans Frontières, plus de cent pages relatives à la récente contestation avaient été bloquées, des vidéos et des informations avaient néanmoins pu circuler. Car sur Facebook, il suffit qu’un « ami » poste un film pour que ses amis et les amis de ses amis puissent y avoir accès. Une fois lancé, ce tourbillon a du mal à être arrêté, puisque tout le monde a accès à l’information qui devient incontrôlable dès sa publication. C’est ainsi que la contestation se généralise lorsque les premières images choquantes des manifestations et de la répression qui s’en est suivie ont commencé à circuler. Elles ont ainsi trouvé sur Facebook le vecteur idéal. Particulièrement lorsque sont apparues les vidéos tournées à l’hôpital de Kasserine, la ville située à l’ouest de la Tunisie qui a connu le plus de victimes, avec des corps atteints par balles à la tête, et la panique dans l’établissement débordé par l’afflux de victimes. Ces images ont sans doute représenté le point de non-retour pour cette crise sociale devenue révolution politique, qui est incontestablement la résultante d’un « effet Facebook ». Ici encore, l’infatigable cyberrévolutionnaire de Prilly raconte : « C’est moi qui ai publié les images choquantes du massacre de Kasserine que j’ai reçu via la page Tunis-Tunisia. J’ai ainsi monté des dizaines de vidéos qui révélaient les crimes de ce régime, parfois mixées avec de la musique et accompagnées de textes ». 

L’impossible « black out numérique »

Internet a non seulement contribué à mobiliser ces jeunes plus rapidement, mais a aussi permis de contourner la censure par la diffusion d’informations parallèles, non officielles, qui ne pouvaient circuler autrement. De fil en aiguille, des espaces d’échanges et de nombreuses pages ont été créées sur Facebook pour réunir, non seulement les tunisiens de Tunisie et des tunisiens issus de la diaspora, mais plus généralement les jeunesses maghrébines et internationales. « Tunisia Today », « Printemps du Jasmin tunisien », « Liberté Tunisie », « Tunisien de France et d’ailleurs », « Pour la liberté en Tunisie », « A nos héros tunisiens tombés pour notre liberté »… sont quelques exemples parmi tant d’autres. Notre héros de la révolution tunisienne de Suisse souligne toutefois que son engagement n’était pas uniquement sur le front virtuel : « En plus ma participation à l’organisation des manifestations à Lausanne, à Genève et à Berne, j’ai assisté aux réunions de sensibilisation et de mobilisation, j’ai participé par téléphone aux contestations dans mon pays la Tunisie et j’ai activement soutenu l’Union générale des travailleurs Tunisiens (UGTT), un syndicat qui a joué un rôle très important dans la blogosphère ».

L’effet domino des réseaux sociaux

Tout le monde se rappelle des « Boteillòn », ces apéros géants organisés notamment en France via Facebook, dont les rassemblements de masse posaient de sérieux problèmes aux forces de police. Dans le cadre de la révolte Tunisienne, Twitter et Facebook ont cette fois-ci servi à l’organisation des manifestations politiques. Ce sont des outils gratuits, rapides, interactifs, à la portée de tout le monde car simples d’utilisation et efficaces étant donné qu’ils ciblent le plus grand nombre et, en majorité, les jeunes générations. Twitter en particulier était devenu la principale source d’information via laquelle on pouvait suivre tous les événements tunisiens en direct grâce aux liens vers des photos, vidéos, articles dans toutes les langues et aussi les cartes qui relayaient les informations sur les zones de tirs et de pillages. Une efficacité qui a même pris de cours la plupart des médias traditionnels qui ont, pour ainsi dire, été dépassés par la vitesse des événements ; ce à l’exception de quelques grands medias comme : Al Jazeera, Le Monde, ou The Guardian, qui ont su « surfer sur la vague ».

Inspirée par la révolution du jasmin en Tunisie, la jeunesse égyptienne s’est lancée à son tour dans la chasse aux vieux démons. Or, le régime d’Hosni Moubarak, fort de l’expérience de son prédécesseur, a totalement coupé l’accès au réseau social Facebook, qui comptait alors cinq millions d’inscrits en Egypte dans l’espoir d’endiguer le mouvement de révolte. Google avait alors lancé la possibilité de « tweetter » par téléphone, ce qui permettait de contourner le blocage en question. Il suffisait aux opposants d’appeler un numéro de téléphone pour laisser des messages vocaux qui étaient aussitôt retransmis sur Tweetter. Et c’est ainsi que le « black out numérique » du régime égyptien sur les évènements a été contourné. A cela s’ajoute encore l’arrestation de Wael Ghonim, le responsable marketing de Google au Proche-Orient (qui sera porté en triomphe sur la place Tahrir après sa libération) qui se révéla alors totalement inadaptée à la situation.

Malgré les multiples tentatives du régime de Moubarak de passer sous silence les événements en cherchant à se débarrasser des témoins gênants, en persécutant les journalistes qui couvraient les manifestations et en essayant de couper l’accès à internet là encore, le web semble par nature incontrôlable car cette coupure n’a pas pu empêcher la chute du « rais » despote.

Aujourd’hui, le reste des pays du Maghreb et les monarchies moyen-orientales semblent connaître le début d’un compte à rebours et les appels à faire disparaître les régimes autocratiques doivent pousser les dinosaures à se mettre sur leurs gardes et à se poser la question « à qui le tour ? ». Et si le processus révolutionnaire est de prime à bord l’œuvre du peuple et en particulier de la jeunesse, sans oublier les martyrs, les exilés, les journalistes et les prisonniers politiques ; il ne faut pas oublier que ces nouveaux médias ont incontestablement joués un rôle majeur, car Facebook et Tweetter se sont avérés être des outils déterminants pour permettre à ces pays de tourner les pages sanglantes de leurs histoires pour enfin aspirer à un avenir meilleur.

Gervais NJIONGO DONGMO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils