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« Je dois ma survie au décès d’un Nigérian »

Fatmir Krasniqi

Fatmir Krasniqi, Albanais célibataire de 42 ans, revient sur son arrestation et son passage par Frambois : l’établissement de détention administrative genevois qui héberge les requérants d’asile déboutés avant leur expulsion dans leur pays d’origine.

Du 5 au 30 mars 2010, Fatmir Krasniqi va vivre un des épisodes les plus sombre de sa vie. Après s’être fait arrêter à son domicile, il est d’abord conduit à Frambois, puis emmené à l’aéroport de Cointrin à Genève d’où il devait retourner en Albanie. Il refuse, se voit ramené à Frambois, puis est finalement relâché. Mais pour combien de temps ? Fatmir, qui a retrouvé depuis sa modeste vie de débouté, se sait en sursis aujourd’hui. La prochaine fois que la police viendra le chercher, il n’aura pas le choix : il devra se soumettre à la décision de Berne et quitter la Suisse. Interview d’un homme fragile qui a déposé sa demande d’asile il y a 14 années et qui, depuis,  n’a cessé de multiplier les efforts pour s’intégrer. En vain.

Pour vous, le 5 mars 2010 est une date de sinistre mémoire ?

Oui, ce jour-là je dormais chez moi, à Rolle. J’ai été brutalement surpris dans mon sommeil à 7 heures du matin par l’arrivée de policiers. Ils m’ont conduit chez un juge de paix, à Lausanne, qui a essayé une fois de plus d’établir ma nationalité.

Pour quelle raison ?

A mon arrivée en Suisse, j’ai fait une erreur : je me suis présenté comme Kosovar. Résultat : ça fait des années que les milieux officiels de l’asile s’interrogent sur ma nationalité. Ils se demandent : « Krasniqi, il est Kosovar, Macédonien ou Albanais ? » En fait, je suis Albanais à 100% !

Après cette mise au point, on vous a relâché ?

Non. Le juge m’a demandé de retourner en Albanie, mais j’ai refusé. Alors, j’ai été conduit à la prison de Frambois.

A quoi ressemblait votre quotidien ?

On était vingt-cinq prisonniers. Il y avait beaucoup de Nigérians qui étaient là depuis quatre à six mois et un Equato-Guinéen qui y séjournait depuis un an. On vivait comme dans une famille, sans accrochages. Mais j’étais stressé car les débuts ont été durs. On se préparait à manger, il y avait des règles à respecter, on faisait les nettoyages ce qui nous rapportait 3 fr. de l’heure. Il y avait aussi d’autres occupations entre codétenus comme, par exemple, jouer aux cartes.

Quel souvenir en avez-vous gardé?

Pour moi, c’était le couloir de la mort. Trois jours après mon arrivée, des policiers en civil sont venus me chercher pour une fois de plus me contraindre à rentrer en Albanie. Ils m’ont emmené à l’aéroport sans que je puisse prendre mes affaires personnelles. Ils m’ont dit : « C’est fini pour toi la Suisse ! ». Je suis resté a l’aéroport dans une cellule d’attente toute une journée, puis ils m’ont dit : « Monsieur Fatmir vous devrez partir. Rentrez comme un touriste. La police albanaise ne peut pas vous arrêter si vous prenez un vol de ligne ». Je leur ai répondu : « Je ne suis pas en bonne santé. Je fais des efforts pour travailler et je n’ai jamais demandé l’Assurance Invalidité ». Comme je refusais de partir, ils m’ont ramené à Frambois. Il faut savoir que la première fois, on vous propose un vol de ligne. La deuxième fois, on vous force à partir et vous voyagez dans un vol spécial. Si nécessaire, ligoté et sous la surveillance de la police.

Cela rappelle un vol tragique…

Oui, celui de ce Nigérian qui est mort le 17 mars 2010 à l’aéroport de Zurich alors qu’on voulait le renvoyer chez lui sous la contrainte. Les policiers à qui j’ai dit : « Vous allez payer pour tout ça ! » m’ont répondu que le Nigérian était un dealer. Pour moi, c’était avant tout un être humain. Après le décès du Nigérian il y a eu une révolte à Frambois. Puis le cinéaste suisse Fernand Melgar est venu tourner un film documentaire sur Frambois : « Vol spécial ». On était tous très en colère. Il y avait deux Nigérians qui auraient dû aussi être expulsés et qui avaient vécu le décès de leur compatriote. Ils étaient fragilisés. Le Directeur de Frambois a alors tenu une réunion d’urgence. Il a dit : « dans ce genre de situation, j’ai honte d’être Suisse. On va tout faire pour comprendre ».

Comment avez-vous surmonté le stress lié à ce « faux départ » ?

Ce n’était pas une partie de plaisir, je n’étais pas bien. Je suis resté cinq jours sur mon lit. J’avais très mal au ventre et des vomissements. Malgré tout il y avait une grande solidarité entre les détenus et on a eu de la chance puisque quatorze d’entre nous ont été libérés. Je crois bien que c’est à cause de la mort du Nigérian, même si certains ne partagent pas mon avis.

Vous avez retrouvé votre vie d’avant l’arrestation ?

Le jour avant ma sortie de prison, ils m’ont dit : « Monsieur Krasniqi, vous êtes libre ! ». Le 30 mars, je me suis présenté au Service de la population. Et là, une dame me demande : « pourquoi vous n’avez pas accepté de rentrer ? On est en train de préparer un vol spécial pour vous. Dès qu’il sera prêt, vous rentrerez dans votre pays ».

Aujourd’hui, quelle est votre situation ?

Mon statut n’a pas changé, je suis toujours à l’aide d’urgence. A cause de mes problèmes de santé, j’ai dû interrompre à la fin de l’année passée le Programme d’occupation traduction  de l’EVAM que j’avais commencé à ma sortie de prison. C’est une activité que j’aimais beaucoup. En avril dernier, j’ai commencé le Programme d’occupation à Lausanne Roule, où je m’occupe de location de vélos. Aujourd’hui ma situation administrative reste toujours incertaine…

Propos recueillis par

Niangu NGINAMAU et Gervais NJIONGO DONGMO

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Des révolutions à coups de clics

Une victime du régime Ben Ali

Une victime du régime de Ben Ali

Facebook, Twitter et les blogs ont joués un rôle incontestable dans les révolutions tunisienne et égyptienne. Alors que les manifestations étaient interdites et que la blogosphère était surveillée, ceci n’a pas empêché la jeunesse de s’organiser sur les réseaux sociaux. Chaouki Darouaoui, ancien requérant s’asile tunisien et ex rédacteur de Voix d’Exils, habitant Prilly, nous raconte son épopée de « cyberrévolutionnaire ».

Simplement inimaginable. Tout commence à Sidi Bouzid, une petite ville située au centre de la Tunisie, lorsque les agents communaux saisissent la marchandise de Mohamed Bouazizi, ce jeune vendeur de légumes et de fruits qui, par un acte mêlant à la fois révolte extrême et désespoir, s’immole par le feu ce qui provoque le ras-le-bol de toute une jeunesse. A défaut d’être sur place, certains écrivent leur désespoir sur le mur virtuel de Facebook pour exiger le départ du tyran Ben Ali et en finir, par la même, avec l’hégémonie de son régime dictatorial après vingt trois ans de colères contenues, de libertés bâillonnées et d’opposants censurés.

C’est ainsi que, Chaouki Daraoui, en Suisse depuis trois ans, et ses confrères de la diaspora tunisienne ont créés un réseau Facebook. Il se remémore les premiers jours de la révolution qui ont été déterminants dans son engagement : « J’ai réactivé, dès début des manifestations, mon compte Facebook que je n’avais pas utilisé depuis deux ans et j’ai créé avec des amis résidant en France, en Italie, en Allemagne et au Canada.  Notre réseau travaillait 24 heures sur 24. Chaque heure, quelqu’un prenait la relève. Cette personne devait publier sur le compte lorsqu’il était informé que des personnes étaient décédées lors de manifestations par exemple en illustrant les publications avec des photos. Je préparais aussi des vidéos avec des chansons et de la musique révolutionnaires ».

Quand des objets virtuels défient la réalité

A l’heure ou les grandes nations du monde commencent à s’atteler à la guerre technologique, l’éclatement fin décembre 2010 du scandale WikiLeaks et la découverte par le peuple tunisien de certains commentaires acerbes des diplomates américains décrivant leur pays comme « gangrené » par la corruption et partagé entre deux clans change quelque peu la donne. Le président Ben Ali, qui avait bien compris le pouvoir des nouveaux médias, menait d’ailleurs une guerre de plus en plus ouverte contre Internet. Dès lors, l’accès a été bloqué vers les sites de partage de vidéos et photos comme Youtube, Viméo, Flickr et Dailymotion. Or, les tunisiens étaient déjà si familiers avec la censure qu’ils appelaient ironiquement  « Ammar 404 » en référence à la fameuse « Erreur 404 » qui apparaissait dès qu’ils voulaient accéder à un site bloqué.

Revenons maintenant en début janvier 2011, période lors de laquelle il y a eu une avalanche d’événements. La « révolution 2.0 », comme certains la désignent, ou encore  l’appellation « révolution du jasmin » (qui a d’ailleurs été inventée par un jeune bloggeur), n’a certes pas été déclenchée par Internet mais bien par l’acte exaspéré de Mohanmed Bouazizi face à l’arbitraire dont il était victime. C’est alors que la nouvelle s’est propagée comme l’éclair au sein de la population et a fini par mettre le feu aux poudres en Tunisie. Le canal de circulation de cette information était Internet, et plus précisément Facebook, avec près de deux millions de comptes en Tunisie, devenu la seule plate-forme d’échanges d’informations non censurée du pays. Un « territoire virtuel » au sein duquel se disait et se montrait tout ce qui pouvait déplaire au régime de Ben Ali, ce malgré le fait que plusieurs bloggeurs tunisiens avaient été arrêtés.

On assistait en parallèle à l’attaque des sites institutionnels tunisiens par les « Anonymous », un collectif de pirates informatiques, en signe de soutien aux manifestants de Sidi Bouzid.

Une Cyberguerre contre la censure 

Les échanges en ligne grâce aux réseaux sociaux ont alors commencé à alimenter les manifestations. Et si, selon Reporteurs Sans Frontières, plus de cent pages relatives à la récente contestation avaient été bloquées, des vidéos et des informations avaient néanmoins pu circuler. Car sur Facebook, il suffit qu’un « ami » poste un film pour que ses amis et les amis de ses amis puissent y avoir accès. Une fois lancé, ce tourbillon a du mal à être arrêté, puisque tout le monde a accès à l’information qui devient incontrôlable dès sa publication. C’est ainsi que la contestation se généralise lorsque les premières images choquantes des manifestations et de la répression qui s’en est suivie ont commencé à circuler. Elles ont ainsi trouvé sur Facebook le vecteur idéal. Particulièrement lorsque sont apparues les vidéos tournées à l’hôpital de Kasserine, la ville située à l’ouest de la Tunisie qui a connu le plus de victimes, avec des corps atteints par balles à la tête, et la panique dans l’établissement débordé par l’afflux de victimes. Ces images ont sans doute représenté le point de non-retour pour cette crise sociale devenue révolution politique, qui est incontestablement la résultante d’un « effet Facebook ». Ici encore, l’infatigable cyberrévolutionnaire de Prilly raconte : « C’est moi qui ai publié les images choquantes du massacre de Kasserine que j’ai reçu via la page Tunis-Tunisia. J’ai ainsi monté des dizaines de vidéos qui révélaient les crimes de ce régime, parfois mixées avec de la musique et accompagnées de textes ». 

L’impossible « black out numérique »

Internet a non seulement contribué à mobiliser ces jeunes plus rapidement, mais a aussi permis de contourner la censure par la diffusion d’informations parallèles, non officielles, qui ne pouvaient circuler autrement. De fil en aiguille, des espaces d’échanges et de nombreuses pages ont été créées sur Facebook pour réunir, non seulement les tunisiens de Tunisie et des tunisiens issus de la diaspora, mais plus généralement les jeunesses maghrébines et internationales. « Tunisia Today », « Printemps du Jasmin tunisien », « Liberté Tunisie », « Tunisien de France et d’ailleurs », « Pour la liberté en Tunisie », « A nos héros tunisiens tombés pour notre liberté »… sont quelques exemples parmi tant d’autres. Notre héros de la révolution tunisienne de Suisse souligne toutefois que son engagement n’était pas uniquement sur le front virtuel : « En plus ma participation à l’organisation des manifestations à Lausanne, à Genève et à Berne, j’ai assisté aux réunions de sensibilisation et de mobilisation, j’ai participé par téléphone aux contestations dans mon pays la Tunisie et j’ai activement soutenu l’Union générale des travailleurs Tunisiens (UGTT), un syndicat qui a joué un rôle très important dans la blogosphère ».

L’effet domino des réseaux sociaux

Tout le monde se rappelle des « Boteillòn », ces apéros géants organisés notamment en France via Facebook, dont les rassemblements de masse posaient de sérieux problèmes aux forces de police. Dans le cadre de la révolte Tunisienne, Twitter et Facebook ont cette fois-ci servi à l’organisation des manifestations politiques. Ce sont des outils gratuits, rapides, interactifs, à la portée de tout le monde car simples d’utilisation et efficaces étant donné qu’ils ciblent le plus grand nombre et, en majorité, les jeunes générations. Twitter en particulier était devenu la principale source d’information via laquelle on pouvait suivre tous les événements tunisiens en direct grâce aux liens vers des photos, vidéos, articles dans toutes les langues et aussi les cartes qui relayaient les informations sur les zones de tirs et de pillages. Une efficacité qui a même pris de cours la plupart des médias traditionnels qui ont, pour ainsi dire, été dépassés par la vitesse des événements ; ce à l’exception de quelques grands medias comme : Al Jazeera, Le Monde, ou The Guardian, qui ont su « surfer sur la vague ».

Inspirée par la révolution du jasmin en Tunisie, la jeunesse égyptienne s’est lancée à son tour dans la chasse aux vieux démons. Or, le régime d’Hosni Moubarak, fort de l’expérience de son prédécesseur, a totalement coupé l’accès au réseau social Facebook, qui comptait alors cinq millions d’inscrits en Egypte dans l’espoir d’endiguer le mouvement de révolte. Google avait alors lancé la possibilité de « tweetter » par téléphone, ce qui permettait de contourner le blocage en question. Il suffisait aux opposants d’appeler un numéro de téléphone pour laisser des messages vocaux qui étaient aussitôt retransmis sur Tweetter. Et c’est ainsi que le « black out numérique » du régime égyptien sur les évènements a été contourné. A cela s’ajoute encore l’arrestation de Wael Ghonim, le responsable marketing de Google au Proche-Orient (qui sera porté en triomphe sur la place Tahrir après sa libération) qui se révéla alors totalement inadaptée à la situation.

Malgré les multiples tentatives du régime de Moubarak de passer sous silence les événements en cherchant à se débarrasser des témoins gênants, en persécutant les journalistes qui couvraient les manifestations et en essayant de couper l’accès à internet là encore, le web semble par nature incontrôlable car cette coupure n’a pas pu empêcher la chute du « rais » despote.

Aujourd’hui, le reste des pays du Maghreb et les monarchies moyen-orientales semblent connaître le début d’un compte à rebours et les appels à faire disparaître les régimes autocratiques doivent pousser les dinosaures à se mettre sur leurs gardes et à se poser la question « à qui le tour ? ». Et si le processus révolutionnaire est de prime à bord l’œuvre du peuple et en particulier de la jeunesse, sans oublier les martyrs, les exilés, les journalistes et les prisonniers politiques ; il ne faut pas oublier que ces nouveaux médias ont incontestablement joués un rôle majeur, car Facebook et Tweetter se sont avérés être des outils déterminants pour permettre à ces pays de tourner les pages sanglantes de leurs histoires pour enfin aspirer à un avenir meilleur.

Gervais NJIONGO DONGMO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Violences à Nyon, la parole aux requérants

Dans l'abri PC de Nyon

Débat à propos de l’altercation à Nyon. Photo: Gervais NJIONGO DONGMO

Une altercation s’est produite le mardi 4 janvier entre les requérants de l’abri PC (Protection Civile) de Nyon faisant un blessé. La police, venue en nombre, a été la cible de jets de pierres et d’extincteurs. Un rédacteur de Voix d’Exils s’est rendu sur place et revient sur ces événements à travers les témoignages des requérants.

Ce mercredi 5 janvier, le ciel est très couvert sur Nyon et le thermomètre affiche des températures négatives au lendemain d’une sanglante bagarre qui s’est déroulée dans l’abri PC où séjournent des requérants d’asile. Des requérants qui n’ont jamais suscité autant d’intérêt auprès de la population, des autorités et des médias. Si certains pensent que les catastrophes sont les fêtes des pauvres alors ils ont trouvé, peut être, la formule idéale. A notre arrivée, l’entrée de l’abri PC, qui abrite le centre nyonnais, ressemble à l’entrée du tombeau de Jésus de Nazareth – pour ceux qui ont vu le film – ou simplement à un tunnel. Les requérants du lieu prennent l’air en petits groupes aux alentours et sont sollicités par des journalistes de télévisions, de radios et de journaux, pour témoigner de la nuit agitée qui a secoué le centre. Tous parlent de l’argent qui à disparu du casier d’un résident et de la situation qui s’est très vite envenimée : des Nigérians ont accusé un Algérien du vol. Ils se sont dirigés vers sa chambre, et c’est alors que le surveillant du foyer a tenté de les repousser. Au cours de la bousculade, un des protagonistes a planté a plusieurs reprises un couteau dans la cuisse gauche de l’Algérien. S’en est suivi une bagarre générale impliquant environ 90 résidents sur les 130 qui habitent dans le centre. Alertée, la police a identifié l’auteur des coups de couteau mais, lorsqu’elle a voulu l’emmener, ses camarades ont fait bloc pour le défendre en lançant des pierres et des extincteurs sur les agents. L’affrontement a fait trois blessés chez les policiers.

Le ras le bol des noirs Africains

Pour comprendre ces violences, nous avons choisi de donner la parole aux résidents. Un requérant Ghanéen, au centre depuis cinq mois, confie : « Nous n’avons pas de problèmes avec la population, ni avec le personnel de l’EVAM (Etablissement Vaudois d’accueil des Migrants), mais nous en avons avec les agents de la sécurité présents dans le centre 24 heures sur 24. Ils sont partiaux dans leur travail et ils écrivent des rapports arbitraires. Quant à la police, lorsqu’il y a un problème entre les requérants noirs Africains et les autres, les noirs sont coupables d’avance ! » Les requérants de l’abri PC de Nyon pointent du doigt les agents de sécurité et s’interrogent sur la formation des policiers : « Sont-ils formés pour éviter les réflexes xénophobes ? ». Echaudés, les requérants font la liste de leurs griefs : « les dérapages à répétitions », « les investigations intempestives » « l’amalgame entre Africains et dealers, Africains et violences ». Tous demandent un traitement équitable.

Un requérant Nigérian, au centre depuis quatre mois, demande à être entendu. Il a la voix grave, la respiration saccadée: « La fois dernière, lors d’une de leurs multiples visites ici, les policiers ont vu un noir assis à l’extérieur. Ils ont exigé de lui qu’il rentre. Mais il a répliqué qu’il se sentait mieux dehors. Alors les policiers l’ont brutalement jeté dans la neige. C’était horrible ! C’est vrai qu’il y a du trafic de drogue, mais nous ne sommes pas tous des dealers et nous aimerions être traités avec humanité ». A ces propos, un Monsieur de couleur blanche à la barbe grisonnante secoue la tête comme pour reconnaître les souffrances de ses compagnons de misères.

Les acteurs de l’ombre

Des membres de l’Association EDEA (Europe Development Entertainment Association), constituée en majorité de Nigérians bien intégrés socialement et professionnellement, est également sur place ce mercredi 5 janvier. Ils ont pour but de porter une aide concrète et un enseignement aux immigrés en détresse, délaissés, et surtout à ceux en contact avec le milieu de la drogue ou de la prostitution. Vêtus de tee-shirt jaunes, ils discutent avec les requérants Nigérians et tentent ensemble de trouver une solution. C’est ainsi que la colère redescend d’un cran. Vincent Ofamchiks, président de l’association, tient aussi à témoigner: «Il ressort que le vol est une réalité dans cette histoire, mais les Africains ont l’impression que la police s’acharne sur les requérants noirs et ne fait pas la différence entre ce problème de vol et les problèmes de drogue. Je les encourage à dialoguer et non a recourir à la violence afin d’éviter la récidive ».

Entrée de l'abri PC de Nyon en Suisse

Un membre de l’association EDEA devant l’entrée de l’abri de Nyon.

L’EDEA a conclu un contrat avec la Municipalité de Nyon, afin d’exercer ses activités au sein de l’abri PC de Nyon, qui a supplanté celui conclu avec l’EVAM qui est arrivé à terme le 31 décembre dernier. Maintenant, l’association compte rencontrer la Municipalité pour lui faire part des ressentiments des requérants. Néanmoins, Vincent Ofamchiks fait aussi passer ce message auprès des requérants : « Les Nigérians doivent s’intégrer, notamment en apprenant le français. Celui qui ne fait pas cet effort, n’a pas sa place en Suisse. Notre Association propose des places de bénévoles dans des magasins africains et des rôles d’acteur dans des films ».

Reprise des renvois à destination du Nigéria en vue

 

Le Nigéria, ce géant africain présidé depuis février dernier par Jonathan Goodluck, a du pain sur la planche avec la gestion de la crise dans le Delta du Niger et les affrontements ethniques et religieux. De plus, le pays semble avoir perdu sa couronne en Suisse et en Europe, où ses ressortissants sont considérés comme des dealers. Sans oublier le décès d’un requérant Nigérian le 17 mars 2010 à l’aéroport de Zurich Kloten. Ce drame a entraîné un blocus des opérations de rapatriements. Aujourd’hui, malgré le laxisme des autorités nigérianes, il semblerait que des vols de retour soient en train de s’organiser, ce qui pourrait constituer une source de tension supplémentaire selon certains requérants de l’abri PC de Nyon.

La fermeture de l’abri PC de Nyon est-elle vraiment imminente ?

Prévu comme une solution provisoire, l’abri PC nyonnais accueille actuellement quelques 130 âmes. 354 résidents y ont transités depuis son ouverture le 16 février 2009. Des résidents qui affichent toujours le même profil : des hommes seuls en bonne santé physique et psychique, en dépit de la fragilité de certains. Des hommes qui vivent une jeunesse sans perspective professionnelle et qui seront refoulés, le moment venu, comme une balle de ping-pong dans leur premier pays de transit, pour les cas Dublin, et dans leur pays d’origine pour les déboutés. L’essentiel restant, selon les personnes que nous avons rencontré, que malgré tous les problèmes évoqués précédemment, la cohabitation avec la population nyonnsaise reste bonne.

Gervais NJIONGO DONGMO

Membre de la rédaction de Voix d’Exils




Les « étrangers » sont parmi « nous »

Le cors des Alpes est un instrument initialement utilisé pour communiquer d'une montagne à l'autre

Le cor des Alpes, instrument initialement utilisé pour communiquer entre les montagnes.

A l’heure ou certains se font appelés « citoyens du monde », ou simplement « enfants de Dieu », et rêvent d’un univers sans barrières, d’autres semblent cependant avoir oublié d’où ils viennent, mais croient savoir où ils vont.

Suisse, Etat de l’Europe alpine créé en 1291, situé entre la France à l’ouest, l’Italie au sud, l’Autriche à l’est et l’Allemagne au nord. Plus varié que sa forte ossature montagneuse alpine et jurassienne, carrefour européen d’une superficie réduite d’environ 41,290 km2. Ce pays offre une belle diversité, non seulement géographique, mais aussi économique, culturelle avec quatre langues officielles. Une diversité également politique avec un Conseil Fédéral, d’ailleurs l’unique au monde, et bien sûr des partis politiques, dont l’un se fondant principalement sur les égoïsmes nationaux.

Qui sont les « étrangers »?

Très peu de citoyens suisses ont encore en mémoire le souvenir du 17e siècle, lorsque de nombreux helvètes avaient pris le chemin de l’aventure pour l’Amérique latine et celle du Nord pour y fonder des villes aux consonances très helvétiques comme « Vevay » dans l’État de l’Indiana ou « New Berne » qui se trouve dans le nord de la Californie. Peu de citoyens savent qu’actuellement 10% de la population suisse vit à l’étranger. Aujourd’hui, les citoyens et citoyennes suisses sont comme frappés d’une amnésie collective et ont oubliés qu’ils appartiennent à une population de migrants. Mais qui est donc cet « étranger » ? Un requérant d’asile ? Un homosexuel ? Est-il celui qui à un parent venu d’ailleurs ? Celui qui ne parle pas notre langue ? Celui qui ne s’adapte pas à la fondue ? Ou tout simplement celui qui à une couleur de peau foncée ? En date du 1er janvier 2010, la Suisse comptait 7’783’000 habitants, dont 1’711’000 âmes étrangères. Après une décennie de quasi-stagnation, la courbe des natalités a repris une tendance ascendante, et cet accroissement est dû désormais à l’arrivée des étrangers. Mais le regard est davantage pathétique chez les requérants d’asile déboutés et NEM, qui enregistrent l’un des taux de natalité des plus élevés, surtout qu’il s’agit là d’enfants innocents qui arrivent au monde avec un destin scellé de « bébés déboutés ». Selon L’OIM (Organisation International des Migrations), sur quatre personnes qui gagnent leur vie en Suisse, une est étrangère. Rappelons ici que sans cette main d’œuvre étrangère, l’économie suisse ne fonctionnerait tout simplement pas. La Suisse emploie surtout cette population dans le personnel d’appoint : la construction, la restauration et l’hôtellerie ; des secteurs d’activités qui intéressent peu les autochtones. Notons cependant que depuis 2002, les travailleurs européens peuvent venir voir si l’herbe est plus verte en Suisse grâce à l’accord sur la libre circulation des personnes, alors qu’à l’époque, les égoïstes nationaux craignaient les effets de cette décision politique. Pourtant, en 2005, l’impact de cette ouverture du marché de l’emploi sur l’Europe s’est révélé finalement très faible, ce qui nous rappelle un adage bien connu « s’il y a pour un, il y a pour tous ».

Les « étrangers intégrés »… sont-ils intégrateurs ?

Est-ce que les étrangers intégrés, qui sont au bénéfice d’un permis de séjour stable et qui vivent depuis des décennies en Suisse rendent pour autant plus facile la tâche aux nouveaux venus ? Je ne crois pas vraiment, dans la mesure ou le statut de chacun divise très souvent la population étrangère elle-même. Les déboutés se retrouvent trop souvent sans frères ni amis. Plongés dans la solitude, ils n’ont plus que les bénévoles pour leur tenir la main. Selon un adage africain : « certains mangent et cassent ensuite la marmite » et c’est bien ce qui semble être le cas entre les étrangers intégrés et les nouveaux venus. En effet, certains étrangers intégrés dissimulent leur identité pour s’avouer suisse. Or, ce n’est qu’une histoire de nationalité acquise et quelques-uns vont même jusqu’à devenir les ténors d’un parti politique réputé hostile aux étrangers. Ceci est perceptible dans certains milieux étrangers où se conjuguent trahison et jalousie. Une tendance parmi les étrangers en possession d’un titre de séjour valable est de déserter ceux qui vivent dans la précarité. Preuve en est qu’on trouve très peu d’étrangers naturalisés ou intégrés s’investissant de manière bénévole en faveur de ceux qui ne le sont pas. Comment le processus d’intégration peut-il se faire si les portes se ferment à toi ? Est-il suffisant de s’adapter ?

Une intégration réussie est-elle suffisante?

Kader Zoumana Dosso photographié par Gervais Njiongo Dongmo

Kader Zoumana Dosso. Photo: Gervais Njiongo Dongmo

Personne n’a encore oublié le 1er août à Sainte-Croix lors duquel un requérant d’asile ivoirien du nom de  Kader Zoumana Dosso, érigé comme modèle d’intégration, a pour la première fois de l’histoire helvétique tenu une allocution officielle lors de la fête nationale. Le quotidien 24 heures lui avait même consacré la première page de son édition en raison de son intégration réussie sur tous les plans : pompier bénévole, emploi rémunéré, appartement à ses frais, impôts payés et surtout pas connu des services de police. Une intégration tellement réussie que certains disent de lui qu’il s’y connaît mieux qu’un suisse en matière de fondue et de raclette ! Seul bémol, comme il semble être de coutume pour les personnes ayant ce profil,… L’ODM exige de lui qu’il quitte la Suisse. Entre-temps, soutenu par pléthore de personnalités suisses, dont Paul Schneider, chirurgien à la retraite et président de Café contact, une association de bénévoles auprès des requérants d’asile, Blaise Fatterbert,  syndic socialiste de Sainte-Croix, ou encore Thierry Blaser, président du groupe Ouverture. Un élan qui à même reçu l’adhésion des partis politiques, dont L’UDC de Nicolas Warren, président de la section UDC du balcon du Jura. Tous reconnaissent le parcours exemplaire de Kader Zoumana et ils se sont engagés dans une course contre la montre pour la  collectes de signatures de soutien. Comment les nouveaux venus vivent-ils cette situation et celle-ci les incitera-elle vraiment à «s’intégrer » ?

Les « étrangers » ne sont pas des dossiers

Dans ce grand débat que représente l’asile, beaucoup oublient qu’ils ont affaire à des êtres humains en chair et en os et non pas à des piles de dossiers qu’on élimine sans conséquences. Un jour viendra peut-être le moment d’assumer les répercussions dramatiques de ces décisions et actions. S’agirait-il d’une volonté délibérée de dissuader les requérants d’asiles à s’intégrer ? Toujours est-il que des personnes se retrouvent dans cette situation qui est souvent due à la longueur et à la complexité des procédures rallongeant à tel point la durée du séjour qu’ils finissent par ne jamais repartir. Ils se retrouvent alors dans la précarité et nul n’ignore que celle-ci est à l’origine de l’alcoolisme, de la dépression, de la délinquance. Maux de notre temps qui n’est pas exclusivement l’apanage des étrangers, mais susceptibles d’atteindre toute personne en situation d’instabilité ou marginalisée.

Gervais NJIONGO DONGMO