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Une hirondelle au printemps

Loin, au-delà des frontières

La Suisse est le pays où – hormis la Géorgie – j’aurais voulu naître et je suis reconnaissante pour tout ce qu’elle m’apporte. Mais je suis ici comme une hirondelle aux ailes brisées qui s’envolera sûrement un jour vers sa Géorgie et emportera avec elle un grand amour pour la Suisse.

Je suis au bord du lac et j’ai des larmes aux yeux. Je pense à ma patrie, ma Géorgie. J’erre quelque part au loin, là où le soleil couchant épouse les rayons des vagues. Je murmure aux rayons l’amour indicible que je porte pour mon pays et ma famille.

Qu’est-ce que c’est la patrie ?

Pour moi, la patrie c’est le soleil, la mer, la lune, les étoiles, les montagnes, l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, l’amour que nous ressentons. C’est la joie, la douleur, le désir, c’est un mélange de tous ces sentiments.

Je suis arrivée en Suisse il y a 6 ans et depuis je n’ai même pas mis les pieds sur ma terre natale. Je vis dans un pays où j’ai tout ce dont j’ai besoin, dans un pays où beaucoup de personnes rêvent de vivre. Je devrais être très heureuse n’est-ce pas ? Je suis heureuse d’être ici mais il me manque un bout de bonheur, ce qu’on appelle la nostalgie de la patrie. Ici, c’est le paradis en enfer pour moi, et ma pauvre Géorgie est l’enfer au paradis !

Le soleil se lève ici aussi, mais il n’est pas aussi brillant et chaud que dans mon pays natal. Ce beau lac Léman ne peut pas me calmer comme ma mer Noire déchaînée là-bas. Et ces fabuleuses Alpes ne peuvent me remplir d’énergie et me donner un sentiment de liberté comme les immenses montagnes du Caucase de ma Géorgie le ferait.

Je n’avais jamais imaginé qu’après tant d’années, je ne pourrai pas y retourner au moins quelques jours pour voir ma famille, mes amis et le village où j’ai passé les plus belles années de ma vie, où j’ai beaucoup de beaux souvenirs, où était mon grand-père le plus cher qui m’attend toujours. Chaque printemps, il se réjouissait de m’accueillir avec impatience et que vole sa première hirondelle. Je passais toutes mes vacances avec lui. Cela fait déjà plusieurs printemps que je ne peux même pas me rendre au cimetière dans lequel il repose pour fêter l’arrivée du printemps.

On dit qu’il n’y a pas d’immigré plus triste sur Terre qu’un Géorgien, que les Géorgiens aiment leur patrie d’une manière fusionnelle. Je pensais c’était exagéré jusqu’à ce que je devienne moi-même une immigrée et que j’éprouve le même sentiment.

Aujourd’hui, je peux sincèrement dire que nous, les Géorgiens, nous portons l’amour de notre pays dans le cœur. Pour nous, la patrie est partout et en tout. Les Géorgiens prient, travaillent, chantent, dansent pour leur patrie. La table géorgienne commence toujours par un toast à la Géorgie et à ses racines. Pour nous, nos racines, nos ancêtres et nos traditions sont très importants et c’est probablement pourquoi les Géorgiens – peu importe où ils vont – reviennent toujours à leurs racines.

Depuis le jour où je suis arrivée ici, je peux dire que la Suisse est le pays où – hormis la Géorgie – j’aurais voulu naître. C’est un pays parfait et je suis reconnaissante pour tout ce qu’il a fait pour moi. Mais je suis ici qu’en étant une hôte temporaire, comme une hirondelle au printemps qui s’envolera sûrement un jour vers sa Géorgie et emportera avec elle le plus grand amour pour la Suisse.

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Niko Nikoladze

Niko Nikoladze. Source: Wikimedia commons

Portrait d’un homme qui a traversé son temps

Célèbre publiciste, critique, personnalité publique et politique géorgienne, Niko Nikoladze a vécu dans quatre réalités bien différentes : il est né pendant la dictature en Russie, il a vécu et travaillé en Géorgie, alors qu’elle était encore une province russe, il a participé au développement de la première république démocratique de Géorgie, et il est mort sous le régime soviétique. Niko Nikoladze était progressiste et engagé pour le succès de son pays durant toutes les étapes de sa vie. Il est également l’arrière-grand-père de l’actuelle présidente de la Géorgie: Salome Zurabishvili. Dans cet article, Kristine Kostava, rédactrice géorgienne de Voix d’Exils, présente le travail de cette icône nationale et son chemin en Europe.

Niko Nikoladze est né en Géorgie le 27 septembre 1843, dans ma ville natale de Kutaisi et il a également vécu dans mon village Didi Jikhaishi. Il a étudié au gymnase de Kutaisi dans le domaine de l’enseignement technique, mais il a ensuite décidé d’étudier le droit. Il s’est donc rendu en Russie, dans la ville de Saint-Pétersbourg, car à cette époque il n’y avait pas de faculté de droit en Géorgie.

En septembre 1861, des conflits éclatent à Saint-Pétersbourg. Les étudiants protestent contre le durcissement de l’accès aux formations universitaires. Niko Nikoladze est alors arrêté avec 12 autres étudiants géorgiens après une manifestation de trois jours. Mais, sur ordre de l’empereur russe Alexandre II, tous les étudiants sont rapidement libérés.

Rencontre avec la modernité européenne

En 1863, Niko Nikoladze retourne en Géorgie, mais il repart aussitôt en France et continue ses études à l’Université de la Sorbonne. Il collabore avec de nombreuses célébrités comme Giuseppe Garibaldi, Victor Hugo, Alphonse Daudet, Émile Zola et Karl Marx. Ce dernier lui propose d’être le représentant de la Première Internationale dans le Caucase. Cette proposition est délicatement refusée par Niko Nikoladze qui pense que ce ne serait pas bon pour son pays. À Paris, il contribue à développer l’éclairage public.

Niko Nikoladze était un leader d’opinion de son temps qui, avec son éducation, son talent et sa perspicacité a étudié les meilleurs exemples des styles de vie et compétences techniques européens afin de les ramener en Géorgie et les développer autant que possible. Mais il ne s’intéressait qu’aux exemples qui étaient progressistes et qu’il estimait bénéfiques pour son pays.

Plus tard, Niko Nikoladze quitte la France pour la Suisse. Il déclare : « Je suis plus intéressé par la Suisse. Comment un pays avec aussi peu de ressources primaires comme la Suisse peut-il être plus riche que la Géorgie qui elle est très riche en ressources ? ». Pendant son séjour en Suisse, en 1868, il obtient un diplôme de l’Université de Zurich et soutient sa thèse de doctorat intitulée « Le désarmement et ses conséquences économiques et sociales » (publiée dans un livre séparé en français à Genève). En 1866, Nikoladze publie son premier livre en français: « Le gouvernement et la nouvelle génération », puis il fonde en 1868 la revue Sovremennost à Genève. De manière générale, Niko Nikoladze estime que la presse peut faire une grande différence dans l’éducation et le développement de la société. Lorsqu’il devient un publiciste et un activiste bien connu, il déclare : « J’aime le journalisme de tout mon cœur et de toute mon âme, mais personne n’a besoin de ce métier aujourd’hui. Il semble que je sois né trop tôt ou trop tard. »

De retour en Géorgie

Dans les années 1870, il retourne en Géorgie où il est alors actif dans les activités municipales et publiques de la capitale. Il met en œuvre des projets importants qui provoqueront plus tard un tournant pour la Géorgie. Il fonde notamment la première banque du pays. En vivant en Europe, il a pu évaluer le rôle de la banque et du commerce dans le développement et le progrès du pays. C’est pourquoi il souhaite que les jeunes soient impliqués dans ce travail et que la Géorgie se développe de cette manière. Niko Nikoladze voyait également l’avenir du pays dans le développement de l’industrie et de l’agriculture. Il pensait qu’un pays où presque tout est importé et qui ne crée pas de produits lui-même ne peut pas se développer. Niko Nikoladze était un générateur d’idées. Il n’y a pas eu un seul projet municipal qui n’ait été rédigé par lui durant cette période.

À titre d’exemple, en 1883, il n’y avait pas de transports municipaux en Géorgie. Sur son insistance, un tramway à chevaux a été introduit. Il fonctionnait à l’aide deux chevaux et le véhicule se déplaçait sur des rails. Il a également élaboré le plus grand port dans la ville de Poti. D’ailleurs, il a voyagé à huit reprises en Europe pour voir les ports en construction, ou récemment construits, afin d’ensuite les reproduire en Géorgie. Avec le port, il construit aussi un mur spécial qui absorbe les vagues de la mer pendant les tempêtes et résout ainsi le problème de protéger les gros navires sur le rivage. Il a été le premier à importer d’Europe une machine à laver, un réfrigérateur, un séparateur de lait, un vélo à deux roues, un appareil photo Kodak, une machine à écrire américaine qui imprime en plusieurs langues, un cadran solaire et bien d’autres nouveauté technologiques.

Pour l’indépendance de la Géorgie

Le nom de Niko Nikoladze est lié à la déclaration d’indépendance de la Géorgie en 1918 et à la création de la République démocratique de Géorgie. En 1917, il fonde le Parti national-démocrate géorgien, dont il a été le président. Il avait déjà le soutien de l’Allemagne et seule une trêve avec la Turquie était nécessaire. La trêve a été signée avec la Turquie le 26 mai, après quoi la Géorgie a été déclarée république indépendante.

En 1920, Niko Nikoladze se rend à Londres en tant que chef de la délégation de la Manganese Export Society et membre de la Georgian Economic Mission. Il est cependant contraint de quitter le mandat de l’Assemblée constituante lors de déplacements professionnels car il ne peut pas participer aux activités de la congrégation. Pendant son séjour à l’étranger, il apprend l’occupation soviétique et continue à travailler contre l’occupation en Europe. Il participe aux négociations des partis politiques géorgiens à l’étranger. En 1924, il retourne légalement en URSS de Géorgie.

Niko Nikoladze meurt le 5 avril 1928 à l’âge de 85 ans, ce qui a engendré un cri de deuil dans toutes les églises orthodoxes de Géorgie ce jour-là. Il est enterré au Panthéon des écrivains et personnalités géorgiennes. Sur la base de l’éducation polyvalente, des connaissances théoriques et des activités pratiques de Niko Nikoladze, les spécialistes ont décidé d’étudier son cerveau dans une institution médicale.

En faisant revivre le portrait de Niko Nikoladze, je voulais faire mieux connaître la Géorgie et cette grande figure publique qu’est Niko Nikoladze. Je me souviendrai de lui comme de l’un des Géorgiens exemplaires après tant d’années et j’espère avoir ravivé son nom en Suisse à travers Voix d’Exils.

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Sources:




« Les racines » ou la nostalgie du pays natal

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Un film culte du cinéma géorgien

A travers la trajectoire de Georgi, un jeune Géorgien qui quitte sa terre pour échapper à la misère, le film « Les racines » raconte avec beaucoup de finesse la nostalgie du pays natal ressentie par les émigrés. La première fois que je l’ai vu, j’avais huit ans et il m’a fait beaucoup pleurer. Par la suite, je l’ai revu à plusieurs reprises, toujours avec émotion. C’est pourquoi, je souhaite partager avec les lectrices et lecteurs de Voix d’Exils ce chef d’œuvre qui a joué un grand rôle dans l’amour que je porte à mon pays, la Géorgie.

A sa sortie, en 1987, le film « Les racines », tourné par le grand réalisateur Guguli Mgeladze, a connu un énorme succès populaire. Il a aussi récolté de très bonnes critiques et il est resté depuis un film de référence pour les Géorgiennes et les Géorgiens dont beaucoup vivent en exil.

« Les racines » raconte l’histoire de Georgi Zaqariadze. Orphelin de père, il se voit contraint à l’émigration et laisse derrière lui sa mère, son petit frère et sa petite sœur. La famille vit dans la misère et Georgi espère trouver du travail en France pour pouvoir leur envoyer de l’argent. Son départ coïncide avec le début de la Première Guerre mondiale et la fermeture des frontières. Grâce aux quelques notions de langue française apprises à l’école, le jeune homme obtient de se faire engager comme homme à tout faire sur un navire français. A bord, il se lie d’amitié avec Henry, un jeune matelot de nationalité française.

Chauffeur de taxi à Paris

Georgi va passer trois ans à bord du navire avec l’espoir d’atteindre la côte de la mer Noire, qui borde son pays natal. Malheureusement, il contracte une fièvre tropicale et il est débarqué sur la côte marseillaise. Affamé, il arpente les rues et rencontre un riche homme d’affaires qui lui propose une jolie somme d’argent s’il le ramène à son domicile en le portant sur ses épaules. Malgré la faim, Georgi refuse cette proposition humiliante et lui répond fièrement: « Vous vous trompez Monsieur, je ne suis pas un mendiant ! »

Le jeune homme vivote tant bien que mal lorsque, quelques mois plus tard, il rencontre Henry, le matelot, qui cherche aussi du travail. Pour gagner un peu d’argent, les deux amis décident de fabriquer de la crème aigre selon une recette traditionnelle géorgienne et de la vendre dans la rue. Le propriétaire d’un restaurant, qui apprécie les produits géorgiens, leur offre une jolie somme d’argent en échange de la recette.

Les deux amis vont pouvoir réaliser leur rêve : s’acheter une voiture et monter à Paris pour y exercer le métier de chauffeur de taxi. C’est dans ce taxi que Georgi va faire connaissance avec Madeleine, une charmante cliente française, qui deviendra sa femme. De leur union, naîtront deux garçons, dont un mourra en soldat lors de la Seconde Guerre mondiale.

L’importance des racines

La vie en France est difficile, et avec les années qui passent, Georgi a la nostalgie de son pays natal. Heureusement, il a un petit-fils qu’il adore et à qui il transmet la langue, les traditions et l’histoire géorgienne. La femme de Georgi, qui souhaite voir son mari heureux, décide alors de tout vendre en France et de déménager en Géorgie avec toute la famille. Mais il est très difficile d’obtenir des visas et le voyage tant espéré est retardé.

Georgi, qui désespère de revoir son pays natal, fait un terrible accident vasculaire cérébral et oublie toutes les langues qu’il a apprises, sauf sa langue maternelle. Dorénavant, seul son petit-fils, qui a une vingtaine d’années, peut comprendre ce qu’il dit. Quand Georgi sent la mort approcher, il l’appelle et lui dit: « Souviens-toi, la taille de l’arbre ne se mesure pas depuis le sol, elle se mesure depuis les racines !» Puis, il confie à ce petit-fils, qu’il chérit par-dessus tout, la mission d’aller en Géorgie pour disperser ses cendres sur la terre du cimetière de son village d’origine. Ensuite, le vieil homme pose sur son cœur une poignée de terre géorgienne qu’il avait emportée avec lui lors de son exil, et meurt.

Le jeune homme, qui s’appelle aussi Georgi, décide d’exaucer le dernier souhait de son grand-père. Il emporte ses cendres en Géorgie, en se disant qu’après tant d’années personne ne se souviendra de son aïeul. Mais la nouvelle de sa venue se répand et, à sa grande surprise, les villageois l’accueillent à son arrivée à la gare. Tout le monde s’embrasse sous la pluie. Le film se termine sur ces images de joie populaire.

« Les racines » démontre que pour les Géorgiennes et les Géorgiens, la priorité est leur pays et tout ce qui se rattache à leur patrie. On ne peut pas être considéré comme Géorgien si l’on oublie la langue, l’histoire, la culture, la religion qui définissent notre identité. Malgré les grandes épreuves et la vie difficile au pays, les Géorgiennes et Géorgiens en exil n’oublient jamais leurs racines natales!

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

Lien pour visionner le film sur Youtube : ფესვები [Full Movie] 1987

 

 

 




L’Ostri

Kristin Kostava / Voix d’Exils

Un délice de la cuisine géorgienne

Kristine Kostava partage avec nous sa recette de l’Ostri, un succulent ragoût de bœuf épicé très populaire dans son pays d’origine: la Géorgie. Testé et approuvé par la rédaction Voix d’Exils!

Ingrédients pour 4 personnes :

  • 1 kg de jarret de bœuf
  • 3 oignons
  • 600 g de tomates fraîches
  • 5 gousses d’ail
  • 1 bouquet de persil
  • 1 bouquet de coriandre
  • 1 feuille de laurier
  • Sel
  • Piment rouge en poudre

Préparation :

  1. Émincer la viande.
  2. Chauffer une casserole et y faire revenir la viande dans un peu de corps gras. Ajouter le laurier, couvrir et laisser mijoter à feu doux environ 30 minutes. Si nécessaire, rajouter un peu d’eau.
  3. Une fois la viande cuite, mettre de côté son jus.
  4. Ajouter à la préparation les oignons finement coupés et l’ail pressé. Garder en réserve quelques lamelles d’oignons pour la décoration du plat.
  5. Râper les tomates par dessus.
  6. Napper la viande avec le jus mis de côté.
  7. Ajouter du sel, le persil, la coriandre effeuillés et le piment selon votre convenance.
  8. Laisser mijoter 30 minutes à feu doux.
  9. Le plat est prêt à être servi. Vous pouvez le décorer avec les oignons en réserve et quelques feuilles de coriandre.

En Géorgie, nous dégustons ce plat avec des tranches de pain blanc.

L’Ostri est prête ! Bon appétit !

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils