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Collaboration renforcée entre les autorités suisses et celles des pays d’Afrique de l’Ouest

Photo: Daniels Danyels CC BY-NC-SA 2.0

Les requérants d’asile déboutés en provenance d’Afrique de l’Ouest vivent dans des conditions difficiles sur le territoire suisse. Parmi ceux qui sont à l’aide d’urgence, certains sont convoqués par l’Office fédéral des migrations (ODM) pour localiser leur pays d’origine et tenter de les renvoyer. Ceux qui refusent de s’y rendre disparaissent parfois dans la nature.

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Auparavant, la procédure de renvoi était la suivante : des policiers arrivaient vers trois 3-4 heures du matin au foyer dans lequel vivait le débouté concerné. Puis, ils l’emmenaient au centre de détention administrative de Frambois, où il restait jusqu’à son expulsion.

A présent, l’on observe de nouvelles pratiques qui s’ajoutent aux précédentes: les autorités suisses collaborent avec certains pays d’Afrique de l’Ouest dans la procédure d’expulsion. Ces pays sont la Guinée Konakri, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Sur demande de l’ODM, des spécialistes africains font le voyage en Suisse pour enquêter sur l’origine de certains déboutés supposés appartenir à l’ethnie peule – ethnie majoritaire en Afrique de l’Ouest. Ensuite, avec l’aide de l’ambassadeur du pays concerné, ils délivrent un laisser-passer afin que les déboutés soient rapatriés vers leur pays d’origine.

« Savez-vous pourquoi ces rapatriements se focalisent sur la Guinée Konakri ? Parce que, si l’on trouve des Peuls dans tous les pays frontaliers, la majorité d’entre eux vivent en Guinée Konakri. Donc, leur retour ne se fera que vers ce pays », affirme Jeckson, 31 ans, requérant de Sierra-Leone, arrivé en Suisse en 2001 et vivant depuis 2007 dans un foyer d’aide d’urgence lausannois. «Personnellement, on m’a convoqué trois fois. Comme je parle le peul, ils en ont déduit que j’étais Guinéen. En fait, je suis le fils d’un père Bambara d’origine sierra leonaise et d’une mère Peule d’origine guinéenne qui se sont mariés en Sierra Leone. On m’a adressé plusieurs fois des documents à signer afin que je rentre en Guinée Konakri alors que moi, je demande de pouvoir rentrer en Sierra Leone, mais cela n’est pas pris en considération ». Selon Jeckson, ses origines sierra leonaises auraient été confirmées par l’ambassade de Sierra Leone en Allemagne. « Hélas, j’ai souffert de tuberculose et je présente des problèmes psychiques pour lesquels je suis traité ici, alors qu’en Afrique je n’aurais pas les moyens de me soigner. Je ne suis pas aujourd’hui en état de retourner dans mon pays mais je garde l’espoir ».

Dans l’impasse

Quand les spécialistes africains sont arrivés en Suisse, en février dernier, plusieurs requérants à l’aide d’urgence ont été convoqués à Berne par l’Office des migrations. Par peur d’être rapatriés de force, certains ont quitté les foyers où ils vivaient et se sont retrouvés sans savoir où se loger et quoi manger. «Pour éviter un renvoi qui mettrait en péril notre vie », confie un Guinéen de 28 ans. Certains ont même quitté le territoire suisse pour tenter leur chance dans d’autres pays.

A ceux qui refusent de répondre à la convocation de l’ODM, le Service de la population (SPOP) confisque le « papier blanc » (document d’identité qui précise le statut à l’aide d’urgence) qui leur permet de bénéficier du droit au logement et à la nourriture. Ceux qui n’ont plus leur papier blanc s’évanouissent généralement dans la nature. «J’ai perdu mon toit dans un pays où la valeur de l’humanité devrait être protégée », regrette un Sénégalais débouté.

Parmi ceux qui ont été convoqués, une minorité n’a pas eu d’autre choix que de se présenter à Berne auprès des délégués guinéens. «  Il est quand même difficile humainement d’aller se rendre alors qu’on s’est enfui, relève un débouté. Dans un monde où la vie est toujours plus difficile, il y a peu de gens qui te tendent la main. Si nous quittons les foyers d’aide d’urgence, nous ne trouverons pas où nous loger et de quoi manger d’une façon régulière. Si nous allons dans un autre pays d’Europe, on nous renverra en Suisse à cause des accords Dublin…»

Kidha, 27 ans, fait partie de ceux qui ont rencontré les délégués. Ce Guinéen a quitté son pays pour éviter le mariage forcé avec la veuve de son frère aîné. Après un voyage très risqué, il est arrivé en Suisse en 2010 et a déposé sa demande d’asile. Il y a quelques mois, sa demande a été rejetée et il est maintenant à l’aide d’urgence. « Je me suis rendu à Berne car c’était pour moi la seule option pour ne pas perdre la place que j’occupe dans un centre d’aide d’urgence actuellement. A l’ODM, j’ai dit que j’étais Guinéen et fier de l’être. Mais tant que la raison pour laquelle je suis ici existe, je ne retournerai pas dans mon pays. En fait, les délégués savent très bien ce qui se passe dans mon pays. Malgré tout ça, ils masquent les problèmes de la société, car ce qui les intéresse c’est que le pouvoir reste aux mains de la communauté mandingue et d’assurer sa pérennité. C’est vraiment inadmissible !».

Hodan-Bilan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 




Les requérants d’asile déboutés sont dans une impasse

Mme Christiane Jaquet-Berger, députée au Grand Conseil vaudois et Mme Christine Morerod, membre de l’église St-Paul à Lausanne. Photo: Niangu NGINAMAU

Le collectif Droit de rester et la Coordination Asile-Migration Vaud  font pression sur le canton de Vaud pour demander « plus de diligence et d’humanité » dans le traitement des demandes de régularisation des requérants d’asile déboutés. Pour l’heure, ce statut conduit généralement à une impasse.

M. Bernard Borel, ancien député au Grand Conseil vaudois et M. Jean-Michel Dolivo, député au Grand Conseil vaudois. Photo: Niangu Nginamau

Jeudi 3 novembre dernier, le collectif Droit de rester a convoqué la presse à Lausanne pour une conférence de soutien à M. Fatmir Krasniqi. Ce requérant d’asile débouté avait été interviewé par  Voix d’Exils en mai 2011. Emprisonné au Centre administratif de Frambois, à Genève, M. Fatmir Krasniqi avait été libéré en mars 2010. Plus d’une année plus tard, sa situation administrative n’a toujours pas évolué et il est actuellement menacé d’expulsion par le Service de la population du canton de Vaud. Droit de rester a dénoncé « l’arbitraire » du traitement des dossiers des requérants d’asile déboutés, et dit craindre « un effet Vol spécial » qui pousserait les autorités à multiplier les expulsions.

En juin dernier, des députés, des artistes et des intellectuels s’étaient également réunis à Lausanne à l’appel de la Coordination Asile-Migration Vaud (CAMIV) pour exprimer leur soutien en parrainant des requérants d’asile déboutés et pour demander leur régularisation. A cette occasion, ils avaient transmis un manifeste à M. Philippe Leuba, conseiller d’Etat vaudois qui était alors en charge du département de l’Intérieur. Dans ce document, il était fait mention de 35 requérants déboutés qui habitent depuis au moins cinq ans dans le canton et qui avaient fait une demande de régularisation comme les y autorise l’article 14 de la Loi sur l’asile. Mais leur demande avait pourtant été rejetée « sans autre précision ».

M. Jacques Neirynck, conseillé national PDC et Mme Graziella de Coulon, membre de Droit de Rester. Photo: Niangu Nginamau

L’un des signataires, l’avocat Christophe Tafelmacher n’avait pas mâché ses mots : « La situation faite aux personnes déboutées m’apparaît inacceptable et contraire aux droits humains. D’un côté, les autorités les confinent à l’aide d’urgence, qui représente en réalité une forme de contrainte étatique, et de l’autre côté, elles leur interdisent de travailler. Cette voie est à la fois indigne et inhumaine, mais aussi inefficace : le renvoi de nombreuses personnes ne peut être exécuté et elles restent donc des années durant dans cette voie sans issue ». Comment dès lors sortir de cette impasse ? A M. Christophe Tafelmacher d’ajouter qu’à ses yeux « la seule solution pour redonner une dignité tant à ces personnes qu’au droit d’asile en Suisse serait de les régulariser ».

M. Claude Calame, philosophe et professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris. Photo: Niangu NGINAMAU

En demandant à des personnalités d’intervenir dans le débat, la Coordination Asile souhaitait relancer la question de la légitimité de la loi sur l’asile et de son application « au vu des nombreuses violations des droits humains qu’elle génère ».

De fait, la question de la régularisation des migrants qui vivent ici depuis des années, certains avec des enfants, concerne tout le monde et le soutien apporté par des personnalités en vue démontre qu’il serait temps d’ouvrir un débat public sur l’application cantonale de la Loi sur l’asile avant de le porter au niveau fédéral auprès des services de Mme Simonetta Sommaruga, Conseillère fédérale, cheffe du Département de Justice et Police.

Niangu NGINAMAU

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Commentaire

Il est plus que jamais nécessaire de repenser l’évaluation des demandes de régularisation dans une perspective constructive. Actuellement, les critères inclus dans la loi sont mal définis et constituent des obstacles le plus souvent insurmontables au vu des conditions de vie imposées aux requérants d’asile. Si un grand nombre de personnes déboutées restent dans le canton, c’est qu’elles n’ont pas la possibilité de repartir dignement et en toute sécurité. Leur vie est désormais ici et il est nécessaire de prendre acte de cette réalité en reconsidérant leur demande de régularisation  sur la base de l’article 14 de la Loi sur l’asile.

N.G.

 




« Dans l’attente du vol spécial, l’angoisse est perpétuelle »

Pitchou Kitima Maliya Mungu. Photo Niangu Nginamau

Requérant d’asile débouté, Pitchou Kitima Maliya Mungu a passé quatre mois dans le centre genevois de détention de Frambois. On peut le voir dans le documentaire « Vol spécial », du cinéaste romand Fernand Melgar, sorti en salles le 21 septembre dernier. Aujourd’hui libre, Pitchou Kitima Maliya Mungu nous raconte le quotidien d’un condamné à l’expulsion.

Voix d’Exils : D’où venez-vous?

Pitchou Kitima Maliya Mungu : Je viens de la République Démocratique du Congo. Je suis né à Kinshasa, la capitale, le 9 mai 1975. Je suis en Suisse depuis 13 ans.

Pourquoi avez-vous été conduit au centre de détention de Frambois ?

J’ai été amené à Frambois parce que j’ai été débouté en 2008. Je me suis donc retrouvé « sans papiers » lorsque la loi sur les étrangers est entrée en vigueur. C’est arrivé un mois et demi après la naissance de mon fils. J’avais alors commencé les démarches pour le reconnaître, mais j’avais échoué par manque de documents. La suite de la reconnaissance a été effectuée durant mon incarcération.

Racontez-nous votre quotidien à Frambois.

J’y suis resté d’octobre 2009 à mars 2010, soit quatre mois et demi. Le matin à 8 heures, c’était l’ouverture des cellules et à 9 heures on prenait le petit déjeuner. A 9h30, c’était l’ouverture de l’atelier d’occupation pour ceux qui travaillent. A 11h45, nous commencions à préparer le repas de midi après avoir été à la cantine pour chercher les denrées alimentaires où on nous proposait de la nourriture à la carte. Nous avions une promenade de deux heures durant l’après midi.

Quel était votre état d’esprit ?

C’était la première fois que j’étais emprisonné. J’étais déprimé, j’avais des compatriotes avec lesquels je partageais ma peine. Frambois n’est pas une prison comme une autre, on y vit dans l’attente du départ, l’angoisse est perpétuelle.

Comment avez-vous vécu la peur d’être expulsé ?

On vivait dans la peur du vol spécial, justement. C’était une grâce de se retrouver durant la journée avec les amis. On regardait si tout le monde était là ou s’il manquait quelqu’un. A chaque jour suffisait sa peine…

Qu’est-ce qui a finalement annulé votre renvoi?

Mon vol spécial était prévu pour le mercredi 3 mars 2010 et j’ai été libéré la veille. Pour vous dire franchement, je ne sais pas ce qui s’est passé au niveau de l’Office fédéral des migrations (ODM) qui m’a accordé cette libération. Etant chrétien croyant, je pense que c’est Dieu qui a empêché mon renvoi. En Suisse, j’ai travaillé, payé mes impôts, mon casier judiciaire est vierge et j’ai un enfant qui vit ici. Cette paternité a pesé lourd dans ma libération. Des démarches ont été entreprises par la Ligue des droits de l’homme de Genève, la Coordination asile Vaud, le collectif Droit de rester. J’ai aussi eu le soutien de la communauté congolaise du canton de Vaud et de mes amis journalistes du quotidien Le Courrier.

Quelle est votre situation actuellement ?

Depuis ma sortie, ma situation a changé : j’ai obtenu un permis F, qui est un permis d’admission provisoire, et j’ai le droit de travailler. En ce moment, je suis une formation d’auxiliaire de santé qui va déboucher certainement sur un emploi. Je vis avec ma famille à Aigle.

Comment avez-vous rencontré Fernand Melgar ?

Je l’ai rencontré pendant mon séjour à Frambois. Il est venu nous exposer sa démarche par rapport au documentaire qu’il voulait réaliser pour montrer à la population suisse la réalité de l’application de certaines lois, en particulier l’expulsion des requérants sans papiers.

Pourquoi Melgar vous a-t-il choisi ?

Il ne m’a pas choisi, c’est par hasard qu’il s’est intéressé à moi. Nous nous sommes croisés un jour lors de sa visite quotidienne et je lui ai expliqué mes problèmes par rapport à mon incarcération. Au début, j’étais méfiant. Ce n’est qu’après quelques jours, lorsqu’il a expliqué à tout le monde son projet, que j’ai commencé à le trouver intéressant et que j’ai voulu pouvoir m’exprimer dans son documentaire.

Quel rôle jouez-vous dans le film ?

Je ne joue pas de rôle. C’est la réalité de notre quotidien tel que nous le vivons à Frambois qui est filmé.

Comment s’est passé le tournage ?

Il y a eu environ trois ou quatre mois de tournage. Fernand venait nous voir tous les jours avec son équipe. Nous jouions au football ou aux cartes et il passait tout son temps avec nous. Il s’est vraiment mis dans notre peau pour vivre notre réalité au quotidien. Pour moi Fernand, c’est quelqu’un de bien, d’humain.

Quel à été l’impact du film sur votre vie ?

Le film a été tourné pendant mon séjour à Frambois. A ma sortie, le tournage a continué. Puis j’ai découvert le film au Festival de Locarno. Pour moi, c’était l’émotion totale, il fallait voir l’enthousiasme que ce film a suscité. Personnellement, je dis merci à Fernand d’avoir réalisé ce documentaire, merci de m’avoir ouvert l’esprit pour voir la vie dans une autre dimension et toujours garder l’espoir.

Selon vous quel impact aura ce film?

Je pense qu’il va permettre à la population suisse de découvrir la réalité du renvoi des immigrés.

Avez-vous lu la réaction du producteur portugais Paolo Branco, qui considère « Vol Spécial » comme un film obscène et fasciste… ?

Nous sommes dans un pays démocratique, chacun a le droit d’avoir son opinion et de l’exprimer. Moi ce qui m’intéresse c’est la réalité vécue. Les gens peuvent critiquer le film ou la personne, peu importe… Mais eux, qu’est-ce qu’ils proposent ?

Quels sont vos projets?

Mon souhait serait d’être autonome financièrement et de mener ma vie comme il se doit.

Qu’est ce que ça vous fait que tout le monde connaisse votre situation, alors qu’avant le film vous étiez tout seul avec votre problème?

Ça m’a fait du bien de partager le monde de la prison avec d’autres personnes. C’est grâce au soutien des autres qu’on peut se ressourcer et garder le moral. Je profite de l’occasion pour remercier le bon Dieu de m’avoir donné la chance d’être un homme libre. Je remercie toutes les organisations humanitaires qui m’ont soutenu durant mon incarcération à Frambois. Je remercie Mme Graziella De Coulon du Collectif Droit de rester, Madame Geneviève du Service de Protection des mineurs de Genève, Monsieur Michael Rodriguez, journaliste au Courrier, et toute l’équipe du Service d’aide juridique aux exilés, la communauté de la République Démocratique du Congo du canton de Vaud, Mme Burnier de l’état civil de Vevey qui m’a donné l’opportunité de reconnaître mon fils. Merci aussi à toute l’équipe de « Vol spécial ». Le combat n’est pas fini, je reste positif. Mais les gens qui votent les lois dans leur salon ne se rendent pas toujours compte de leurs conséquences sur des êtres humains.

Le cinéma lausannois Capitole a présenté, le 15 septembre dernier, l’avant première de « Vol Spécial », un vrai succès…

La salle du Capitole était archicomble ! Pourtant, le sujet du film n’est pas facile puisque le réalisateur montre la vie carcérale des migrants déboutés, ce qui est le résultat de l’application de la loi votée par le peuple suisse en 2008. Ces requérants, qui sont parfois séparés de leur famille, ressentent de la colère, de la tristesse, de l’amertume et ne comprennent pas cette loi. Quand on voit les « pensionnaires » – comme on les appelle – renvoyés, mains liées, parfois le visage cagoulé, on se croirait au Moyen Âge… Mais j’aimerais terminer sur une note positive et rappeler que l’espoir fait vivre !

Propos recueillis par :

Niangu NGINAMAU

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Je dois ma survie au décès d’un Nigérian »

Fatmir Krasniqi

Fatmir Krasniqi, Albanais célibataire de 42 ans, revient sur son arrestation et son passage par Frambois : l’établissement de détention administrative genevois qui héberge les requérants d’asile déboutés avant leur expulsion dans leur pays d’origine.

Du 5 au 30 mars 2010, Fatmir Krasniqi va vivre un des épisodes les plus sombre de sa vie. Après s’être fait arrêter à son domicile, il est d’abord conduit à Frambois, puis emmené à l’aéroport de Cointrin à Genève d’où il devait retourner en Albanie. Il refuse, se voit ramené à Frambois, puis est finalement relâché. Mais pour combien de temps ? Fatmir, qui a retrouvé depuis sa modeste vie de débouté, se sait en sursis aujourd’hui. La prochaine fois que la police viendra le chercher, il n’aura pas le choix : il devra se soumettre à la décision de Berne et quitter la Suisse. Interview d’un homme fragile qui a déposé sa demande d’asile il y a 14 années et qui, depuis,  n’a cessé de multiplier les efforts pour s’intégrer. En vain.

Pour vous, le 5 mars 2010 est une date de sinistre mémoire ?

Oui, ce jour-là je dormais chez moi, à Rolle. J’ai été brutalement surpris dans mon sommeil à 7 heures du matin par l’arrivée de policiers. Ils m’ont conduit chez un juge de paix, à Lausanne, qui a essayé une fois de plus d’établir ma nationalité.

Pour quelle raison ?

A mon arrivée en Suisse, j’ai fait une erreur : je me suis présenté comme Kosovar. Résultat : ça fait des années que les milieux officiels de l’asile s’interrogent sur ma nationalité. Ils se demandent : « Krasniqi, il est Kosovar, Macédonien ou Albanais ? » En fait, je suis Albanais à 100% !

Après cette mise au point, on vous a relâché ?

Non. Le juge m’a demandé de retourner en Albanie, mais j’ai refusé. Alors, j’ai été conduit à la prison de Frambois.

A quoi ressemblait votre quotidien ?

On était vingt-cinq prisonniers. Il y avait beaucoup de Nigérians qui étaient là depuis quatre à six mois et un Equato-Guinéen qui y séjournait depuis un an. On vivait comme dans une famille, sans accrochages. Mais j’étais stressé car les débuts ont été durs. On se préparait à manger, il y avait des règles à respecter, on faisait les nettoyages ce qui nous rapportait 3 fr. de l’heure. Il y avait aussi d’autres occupations entre codétenus comme, par exemple, jouer aux cartes.

Quel souvenir en avez-vous gardé?

Pour moi, c’était le couloir de la mort. Trois jours après mon arrivée, des policiers en civil sont venus me chercher pour une fois de plus me contraindre à rentrer en Albanie. Ils m’ont emmené à l’aéroport sans que je puisse prendre mes affaires personnelles. Ils m’ont dit : « C’est fini pour toi la Suisse ! ». Je suis resté a l’aéroport dans une cellule d’attente toute une journée, puis ils m’ont dit : « Monsieur Fatmir vous devrez partir. Rentrez comme un touriste. La police albanaise ne peut pas vous arrêter si vous prenez un vol de ligne ». Je leur ai répondu : « Je ne suis pas en bonne santé. Je fais des efforts pour travailler et je n’ai jamais demandé l’Assurance Invalidité ». Comme je refusais de partir, ils m’ont ramené à Frambois. Il faut savoir que la première fois, on vous propose un vol de ligne. La deuxième fois, on vous force à partir et vous voyagez dans un vol spécial. Si nécessaire, ligoté et sous la surveillance de la police.

Cela rappelle un vol tragique…

Oui, celui de ce Nigérian qui est mort le 17 mars 2010 à l’aéroport de Zurich alors qu’on voulait le renvoyer chez lui sous la contrainte. Les policiers à qui j’ai dit : « Vous allez payer pour tout ça ! » m’ont répondu que le Nigérian était un dealer. Pour moi, c’était avant tout un être humain. Après le décès du Nigérian il y a eu une révolte à Frambois. Puis le cinéaste suisse Fernand Melgar est venu tourner un film documentaire sur Frambois : « Vol spécial ». On était tous très en colère. Il y avait deux Nigérians qui auraient dû aussi être expulsés et qui avaient vécu le décès de leur compatriote. Ils étaient fragilisés. Le Directeur de Frambois a alors tenu une réunion d’urgence. Il a dit : « dans ce genre de situation, j’ai honte d’être Suisse. On va tout faire pour comprendre ».

Comment avez-vous surmonté le stress lié à ce « faux départ » ?

Ce n’était pas une partie de plaisir, je n’étais pas bien. Je suis resté cinq jours sur mon lit. J’avais très mal au ventre et des vomissements. Malgré tout il y avait une grande solidarité entre les détenus et on a eu de la chance puisque quatorze d’entre nous ont été libérés. Je crois bien que c’est à cause de la mort du Nigérian, même si certains ne partagent pas mon avis.

Vous avez retrouvé votre vie d’avant l’arrestation ?

Le jour avant ma sortie de prison, ils m’ont dit : « Monsieur Krasniqi, vous êtes libre ! ». Le 30 mars, je me suis présenté au Service de la population. Et là, une dame me demande : « pourquoi vous n’avez pas accepté de rentrer ? On est en train de préparer un vol spécial pour vous. Dès qu’il sera prêt, vous rentrerez dans votre pays ».

Aujourd’hui, quelle est votre situation ?

Mon statut n’a pas changé, je suis toujours à l’aide d’urgence. A cause de mes problèmes de santé, j’ai dû interrompre à la fin de l’année passée le Programme d’occupation traduction  de l’EVAM que j’avais commencé à ma sortie de prison. C’est une activité que j’aimais beaucoup. En avril dernier, j’ai commencé le Programme d’occupation à Lausanne Roule, où je m’occupe de location de vélos. Aujourd’hui ma situation administrative reste toujours incertaine…

Propos recueillis par

Niangu NGINAMAU et Gervais NJIONGO DONGMO

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils