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A la pêche aux âmes perdues

Auteur: Özgür Mülazımoğlu (CC BY-NC-SA 2.0)

Auteur: Özgür Mülazımoğlu
(CC BY-NC-SA 2.0)

Fragilisés par l’exil et les difficultés rencontrées dans leur parcours de requérants d’asile, des hommes et des femmes tombent parfois dans les filets de sectes peu scrupuleuses qui leur promettent monts et merveilles… à condition qu’ils changent de religion.

Lorsque les requérants sont dans l’attente d’une décision concernant leur demande d’asile ou qu’ils ont perdu l’espoir de vivre légalement et paisiblement en Suisse, ils vivent une grande tension mentale. Ils deviennent alors des proies faciles pour les profiteurs de toutes sortes. Profitant de l’ambiance tendue qui prévaut dans les foyers d’accueil, où logent plus de la moitié des requérants d’asile, des porteurs de bonnes paroles sévissent avec des techniques de recrutement peu orthodoxes. A coup de promesses irréalistes et mensongères, ces illusionnistes tablent sur la précarité des conditions de vie et la fragilité mentale des requérants pour remplir leurs lieux de culte.

Francis, Amélie et Khalil témoignent de l’emprise de certaines sectes qui sillonnent les abords des lieux d’hébergement des requérants en Suisse romande en quête de nouveaux fidèles.

Remplir les lieux de cultes

Francis, de confession protestante, confie que des prêcheurs lui ont demandé de quitter sa religion et de devenir Mormon. Ils lui ont fait croire que leur congrégation avait les faveurs des autorités suisses et ont prétendu que la régularisation de sa situation aurait davantage de chances de se réaliser s’il adhérait à leur église.

Amélie, de confession évangélique, a été déboutée alors qu’elle pensait recevoir un permis F ou B, suite aux promesses de prêcheurs d’un groupe de l’église évangélique à tendance sectaire qui lui ont fait croire qu’ils connaissaient «des personnes importantes à l’Office fédéral des migrations».

Khalil, de confession musulmane, vit dans l’angoisse : celle de l’attente d’une décision quant à sa demande d’asile en cours depuis trois ans. Il se dit «choqué» par les techniques de persuasion utilisées par les Témoins de Jéhovah, à qui il a ouvert la porte de son domicile. Ces derniers lui ont fait savoir que sa religion «posait problème» et qu’il avait peu de chances d’obtenir l’asile. Ils lui ont demandé de quitter sa religion et d’adhérer à la leur, en lui assurant qu’elle était connue et respectée en Suisse. De plus, ils prétendaient entretenir «une étroite et excellente collaboration avec les associations engagées dans la défense des droits des migrants en Suisse».

Selon Amélie, Francis et Khalil, ce qui est regrettable et dangereux, c’est que des sectes profitent de l’ignorance, de la précarité et du désarroi des requérants pour les faire adhérer à leur congrégation, en utilisant des moyens de persuasion basés sur le mensonge. Sachant que plus de la moitié des requérants sont condamnés à l’oisiveté, on comprend qu’ils représentent une cible facile à courtiser et susceptible de remplir les lieux de culte ou de prière !

Les prêcheurs sont des comptables

Si ces prêcheurs mentent sans vergogne, c’est parce que les migrants ne sont pas seulement comptabilisés comme des fidèles supplémentaires, mais aussi et surtout comme des sources de revenus en contribuant à payer la dîme et en faisant des offrandes. Car les prêcheurs sont aussi des comptables. En additionnant dix francs suisses par requérant et par dimanche, il suffit de dix requérants contribuables pour atteindre la coquette somme de CHF 100.- par semaine! Sans compter les diverses subventions et les dons que reçoivent certaines congrégations pour le financement de leurs activités et dont le volume dépend du nombre de fidèles.

En définitive, ces sectes qui sillonnent les lieux d’hébergement sont davantage à l’affût de nouvelles entrées financières que de nouvelles âmes à sauver.

Bamba

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Perspectives post-formation au Botza: entre espoirs et désillusions des requérants d’asile

Dramane k en train de souder. Photo: CDM

Animés par l’envie se prendre en charge, de nombreux requérants d’asile se forment au centre valaisan de formation le Botza. Mais, au final, ils se heurtent à des difficultés d’accès au marché du travail entraînant souvent chez eux incompréhension et déceptions ; ce que tente de dissiper, sans relâche, le personnel des foyers d’accueil.

Courbé sur une machine, lunettes de soudeur sur les yeux, Dramane k* a l’air bien concentré. « La moindre erreur de découpage des barres de fer risque de compromettre les marches d’escaliers métalliques que je fabrique », lance-t-il. Cela fait plus de huit mois que ce requérant d’asile d’origine africaine est en formation en serrurerie au Botza, centre valaisan de formation pour requérants d’asile. L’homme, d’une vingtaine d’années, accorde beaucoup d’importance à cet apprentissage car « j’espère vivement que l’attestation que je recevrai à la fin me permettra de trouver facilement un emploi et de gagner ma vie » confie-t-il.

Cette phrase semble ne pas faire l’unanimité parmi ses camarades d’atelier. « Il faut arrêter de rêver, les attestations du Botza ne sont pas reconnues par les entreprises. J’ai beaucoup d’amis qui sont passés par ici. Ils sont tous à la maison aujourd’hui », réplique le requérant d’asile Babel F*. Notre enquête nous a permis de rencontrer Lawal W*., requérant africain qui a suivi, neuf mois durant, une formation en peinture dans ce centre. « Depuis un an que j’ai fini mon apprentissage, je cherche en vain du boulot. Je suis réduit à cueillir occasionnellement de la vigne. Une activité qui n’a rien à voir avec la peinture que j’ai apprise. Ça fait mal de rester à ne rien faire alors qu’on a l’envie de travailler ». Ces propos mitigés, mêlant espoir et désillusion résume l’état d’âme de nombreux requérants qui s’interrogent sur l’opportunité que leur offrent les formations qu’ils reçoivent au Botza. A en croire leurs propos, cette interrogation s’accompagne souvent d’une dose de déception. « On ne comprend pas pourquoi on nous forme si on ne peut pas trouver du travail avec nos attestations », déclare Babel F., l’air visiblement dépité.

« Ça fait mal de rester à rien faire »

Pour Roger Fontannaz, directeur du Botza,« C’est une erreur d’assimiler l’attestation de fin de formation que nous délivrons à des diplômes reconnus par les entreprises à l’embauche ». « Nos formations », explique-t-il, « ont pour objectif d’occuper les requérants en les mettant à l’abri des effets pervers de l’inactivité. Elles visent aussi à leur permettre d’organiser leur vie en fonction de l’issue de leur demande d’asile ». Selon lui, les connaissances dispensées visent à éviter à ceux qui n’obtiendront pas l’asile de retourner dans leur pays sans aucune capacité, mais au contraire avec des connaissances qu’ils pourront développer pour vivre chez eux en travaillant pour se réinsérer. Quant à ceux qui auront l’asile, cela leur permettra une meilleure adaptation au marché suisse de l’emploi.

C’est d’ailleurs le cas de l’Irakien, Rafik D.* qui, au bénéfice d’un permis F, a pu décrocher son premier emploi d’aide-cuisinier grâce à la formation reçue au Botza. « Ce travail se déroulait en montagne et il fallait avoir, au préalable, des connaissances en cuisine », se rappelle-t-il. « J’ai pu convaincre mon employeur grâce à l’attestation que j’ai eue après mes douze mois de formation ».

Il faut souligner que la législation reste l’un des obstacles majeurs qui empêche les requérants d’asile d’accéder aisément au marché du travail. L’emploi des détenteurs de permis N (autorisation provisoire de séjour pour requérants d’asile, ndlr) étant géré par le Service des populations et des migrations, la pratique a montré que les requérants sont plus souvent autorisés à travailler en montagne qu’en plaine. Très souvent, il y a peu de possibilités de décrocher son premier emploi sans passer par le secteur de l’agriculture ou des activités ayant trait avec la montagne.

« Les requérants refusent d’accepter la réalité »

Jusque-là, le Botza dispense aux requérants une panoplie de formations allant des métiers du bâtiment à la restauration en passant par la maçonnerie, la menuiserie et la peinture. Des cours de couture, de coiffure, de langue française, d’informatique et même d’initiation au métier de journaliste y sont également disponibles. Loin de s’arrêter là, le centre envisage de diversifier davantage ses offres avec un programme d’agriculture – précisément l’horticulture – qui sera mis en route d’ici quelques mois.

Mais en même temps, il importe de prendre des mesures pour éviter aux requérants d’asile des désillusions sur les perspectives après leur formation. « Nos collègues qui administrent les foyers d’accueil ne cessent et ne cesseront de répéter aux requérants la faiblesse des possibilités d’accès au marché de l’emploi avec un permis N », déclare Roger Fontannaz. Et de conclure : « La vérité, c’est que les requérants croient tellement à un futur en Suisse qu’ils refusent d’accepter la réalité qu’on a beau leur expliquer. Néanmoins, leur faire accepter cela est l’un des défis que tente de relever au quotidien tout le personnel travaillant dans l’asile. C’est un travail de longue haleine ».

Constant Couadjio et CDM

Membres de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

*Noms d’emprunt