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Les mots pour se dire

Auteur: rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils.

Auteur: rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils.

Le lundi 29 mai 15 personnes se sont réunies dans le centre d’accueil de Fontainemelon pour partager un atelier d’écriture avec l’écrivaine Marina Skalova dans le cadre de son projet « Silence de l’exil ». Un moment de partage, d’échange, d’écoute attentive et de résilience importante. L’espace de trouver sa place, de se dire, de se reconnaître dans les paroles des autres et d’être reconnu dans sa singularité. Le temps de mettre des mots sur des maux, des espoirs, des souvenirs. Nous partageons ici un exercice d’écriture collective sur le thème de la chambre.  

La chambre de mon enfance est bleue.

Notre chambre à Fontainemelon: D8.

Nous sommes au nombre de cinq dans notre chambre à Fontainemelon.

Ma nouvelle chambre, elle est parfois joyeuse, parfois triste mais en réalité, elle me fait surtout penser à la chambre que j’avais avant, dans mon pays.

Je me souviens toujours, au pays, dans ma chambre, j’accueillais cinq à six amis, des filles et des garçons; il y en a qui se couchent au lit et les autres par terre.

Mon ami de la chambre est effrayant.

La chambre à Couvet : numéro 26.

My room in Gambia : one salon, one bedroom. It’s fine. I miss my room very much.

Ma chambre est toute seule et très calme.

Dans mon village natal, j’ai toujours une case pour moi seul. Elle est en couleur blanche. Je révise toujours là-bas.

J’habite à Couvet. Ma chambre, elle est bleue.

A Fontainemelon, dans ma chambre, debout sur la chaise, je regarde les voitures, la ville, et je suis très content.

Je me rappelle de la chambre où j’étais, tout près de la frontière, elle était couverte de paille. Quand il pleuvait, j’avais toujours peur.

Notre chambre C6 est grande.

Ma chambre, maintenant, elle a une fenêtre sur le toit et ça me rappelle mon autre chambre, avant ; cette chambre, avant, elle donnait sur la mer… Il y avait la vie. Il y avait tout. Et c’était magnifique. Maintenant, dans ma chambre, je ne vois plus rien. Mais il y a les chants des oiseaux.

Avant, en Italie, quatre personnes dans la chambre. Ça va.

Chaque fois, j’observe la présence de la police à Fontainemelon, à cinq heures, depuis la fenêtre de ma chambre.

J’habitais à la Chaux-de-Fonds avant. La chambre était très, très propre.

Je me rappelle, la chambre dans mon pays, c’était formidable. Mais elle me manque beaucoup.

Trois mois à Vallorbe, dix-huit personnes dans ma chambre.

Au pays, j’habitais auprès de la route, dans ma chambre, quand je m’arrêtais auprès de l’armoire, je voyais par la petite fenêtre des voitures qui passent de gauche à droite et des enfants qui allaient à l’école et nos mamans qui part au marché et les enclos des moutons, et des chèvres, parfois même des vaches.

Avant, au Rochat : neuf personnes dans la chambre, trois petites fenêtres; je vois le cheval.

Quand j’étais petit, je me couchais très tôt dans ma toute petite chambre qui est un peu chaud à la saison sèche, mais je dormais toujours avec ma poupée.

Je manque ma fenêtre d’avant, avant, c’était mon confident.

La fenêtre de notre chambre nous facilite d’identifier toute entrée ou sortie clandestine dans le centre. J’ai rien à parler.
 

Rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

étudiants de Fontainemelon et de Couvet




Comment les requérants d’asile vivent-ils l’intégration et ses difficultés en Suisse ?

L’intégration est considérée, dans le domaine de la migration, comme un processus par lequel l’étranger arrivant dans un nouveau pays accède aux ressources économiques, culturelles, sociales et politiques du pays d’accueil. L’idée qui guide la rédaction de cet article est d’aider les requérants d’asile à comprendre l’intégration dans sa globalité et de soulever les difficultés qu’ils rencontrent à s’intégrer en Suisse, pays auquel ils ont demandé protection.

Le 5 juillet 2011, je réalise ma première interview avec Georges, 25 ans, Egyptien, requérant d’asile à Couvet (NE). Selon lui  « les requérants d’asile doivent respecter la société dans laquelle ils font une demande d’asile, même si leur demande est rejetée. Ils doivent s’intégrer dans le système et ne pas devenir un autre, ne pas changer de personnalité ». Dans ce même registre, un jeune homme de 27 ans, de nationalité togolaise, affirme que « de nos jours, l’intégration perd de sa valeur même chez les sujets nationaux. Je vois aussi des Suisses qui travaillent « au noir » pour ne pas payer d’impôts, qui n’achètent pas de billets avant de monter dans les transports publics, qui ne respectent pas les lieux communs, qui abusent de l’aide sociale.

Ce que nous demandons, déclare un requérant Ivoirien âgé de 30 ans vivant au centre d’accueil de Fontainemelon (NE), « c’est un esprit d’accueil de la part du canton dans lequel nous résidons. Nous sommes des êtres humains dans ce monde et devons nous adapter à toutes ces nouvelles choses qui nous sont étrangères. Cela prendra un certain temps, mais c’est pour mieux nous intégrer et espérer par la suite trouver un travail ».

Au centre des préoccupations des requérants d’asile : le travail

Le travail reste la grande préoccupation du requérant d’asile. L’Ivoirien trentenaire interviewé ci-dessus affirme ainsi qu’il a « l’impression que les employeurs des agences de placement du canton ne veulent plus engager de permis N et ne donnent pas de travail à ces derniers. Cela empire encore avec le chômage qui augmente et la crise actuelle qui touche toute l’Europe ». Cela a pour conséquence que les requérants qui, un classeur sous le bras, avec des documents, un CV, qui se rendent dans les entreprises, dans les bureaux de placement qui cherchent pendant des mois du travail finissent par se décourager et déprimer…Les seuls emplois a leur portée restent les travaux d’utilité publique proposés par le canton qui sont payés Frs. 30.- par journée de 8 heures de travail…

Une difficulté majeure que rencontre aussi les requérants d’asile est l’attente, parfois très longue, du développement de leur procédure d’asile. Ne trouvant pas de travail à cause de leur permis N, ils se sentent rejetés par la société. Par exemple, lors de la fête du 1er août 2011 (la fête nationale suisse), j’ai interviewé trois requérants d’asile de nationalités nigériane, congolaise et guinéenne sur des questions relatives au thème de l’intégration. Ma recherche de témoignages concernant l’intégration et le travail me conduit à penser aujourd’hui que ceux qui ont une activité lucrative sont au bénéfice d’une meilleure intégration. Les autres, qui n’ont pas cette chance, sont des proies faciles pour le travail au noir, le vol, le deal et peuvent tomber dans les filières interdites et dangereuses de l’argent facile.

Pour savoir ce qui pousse bon nombre de requérants à travailler au noir, j’ai interviewé l’un d’entre eux, Mamadou, Guinéen de 30 ans, qui affirme que « je n’ai rien à cacher et je vous dis la vérité! Je voulais travailler, je voulais être déclaré selon la loi, mais c’est comme si les autorités suisses avaient signé un accord avec les responsables des agences de placement afin qu’ils n’engagent plus de permis N. Je suis découragé! Ceux qui trouvent du travail, ce sont ceux qui sont en Suisse depuis plus de 5 ans et qui ont obtenu le permis B. Pour  moi, voilà ce qui m’a poussé à travailler au noir. Je gagne Frs. 2500 par mois, en plus des Frs 480.- de l’assistance financière, ce qui fait un total de Frs. 2980.-. En plus je ne paie pas d’impôts et je bénéficie d’un studio pendant 3 ans en Suisse. Je pose la question suivante à la Suisse : qui perd et qui gagne dans cette situation? A vous de juger, mais vos lois sont bloquantes ».

Dans ce même ordre d’idées, un Congolais, âgé de 35 ans, ne bénéficiant ni d’un permis de séjour ni d’un travail, depuis deux ans, déclare que les autorités « nous privent de nos droits à nous intégrer en Suisse pour que nous retournions dans nos pays ».

« Il ne faut pas mettre tous les requérants dans le même panier »

Voici le témoignage d’un requérant qui a la volonté  de travailler mais qui est contraint de prendre ce qui lui est proposé. Il suit actuellement un programme d’occupation du nom de « Neuchâtelroule »*. Il est très déçu car il a reçu une lettre du service de la main d’œuvre qui lui annonçait qu’il a le droit de travailler 10 jours par mois, ce qui lui permet de réunir la somme de Frs. 300.-. Somme qu’il ne doit pas dépasser, car il reçoit déjà l’assistance. C’est un dédommagement plus qu’un salaire. Pourquoi? Parce qu’il a un permis N.

Dans ces circonstances, un autre requérant m’a avoué avoir vendu de la drogue ce qui lui rapportait Frs. 2000.- par jour. Il m’a rétorqué, pour expliquer le motif de son trafic, que « j’ai une famille et je suis responsable, mais le système m’a poussé à faire ça ».

Encore un autre requérant, un nigérian âge de 32 ans me dit : « arrêtez de nous appeler « envahisseurs, profiteurs » : c’est la politique de la procédure de demande d’asile et le travail qui ne nous encourage pas et nous amènent dans l’illégalité pour avoir une meilleure vie… Écoutez-nous, certains de nous veulent garder une bonne réputation dans la société d’accueil, c’est pourquoi le permis B est la première condition pour nous pour trouver un emploi, faciliter notre intégration et pour que la population ne nous juge pas comme des « envahisseurs et des profiteurs ».

En effet, chaque jour, nous pensons au permis B. L’attente est très longue et décourageante. Nous sommes obligés de rester à l’assistance financière en gagnant Frs. 480.- par mois (dans le canton de Neuchâtel), ce qui ne couvre pas nos besoins journaliers. Ce que nous demandons, c’est que L’ODM accélère la procédure et améliore l’ouverture au marché du travail pour les requérants au bénéfice d’un permis N. Il ne faut pas mettre tous les requérants dans le même panier. Il faut ainsi cibler ceux qui ont la bonne volonté de s’intégrer au sens de la lois ».

Nous remercions certaines autorités suisses et associations qui luttent, défendent les réfugiés et qui crient haut et fort que déposer une demande d’asile en Suisse est un droit, malgré la forte pression de la politique de L’UDC quant à « l’immigration massive ».

Le fait de recueillir tous ces propos auprès des requérants d’asile m’a poussé à réaliser cet article sur le blog Voix d’Exils et me conduit, pour conclure, à poser la question suivante:

Que veulent les autorités suisses ? Pousser les étrangers hors de la Suisse ou trouver des solutions pour une meilleure intégration ?

Joseph

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Informations:

*Neuchâtelroule donne la possibilité d’emprunter des vélos, d’avril à octobre, en déposant une caution de 20 frs, pour une durée de 4h.




Le bonheur après la souffrance


 

En Afghanistan

Farzana et Rahmat se connaissent par lien familial depuis leur plus tendre enfance. Ils sont cousin et cousine. Selon les coutumes en vigueur dans certaines ethnies en Afghanistan, les familles, dès l’enfance, décident du futur époux ou de la future épouse de leurs enfants.

Quand l’enfant devient adulte, en âge de comprendre, peut survenir le problème de l’acceptation ou du refus de la décision paternelle.

Ce fût le cas pour Farzana et Rahmat qui s’étaient jurés de se marier un jour car ils s’aimaient depuis toujours.

Ils avaient respectivement 18 et 21 ans quand ils apprirent que le père de Farzana lui avait choisi un époux en la personne d’un homme de 50 ans son aîné mais très riche.

La date du mariage était déjà prévue. Quelques jours avant, Farzana dû se rendre au magasin avec son futur mari pour faire des achats. Elle réussit à lui fausser compagnie et appela Rahmat à son secours. Ce dernier est venu la chercher puis ils se sont cachés chez un ami pendant un mois et demi, tout en organisant leur fuite hors du pays. C’était en 2005.

Petite précision : le papa de Farzana étant décédé quand elle était petite, sa mère s’était remariée et c’est son beau-père qui avait organisé ce mariage propre à leurs coutumes.

Rahmat continue à vivre normalement, à travailler en tant que carrossier, à voir sa famille et rejoint chaque soir Farzana.

Après un mois et demi, ils quittent l’Afghanistan en voiture pour le Pakistan sans difficulté. Ils n’ont pas de passeports. Mais, avec un peu d’argent, ils réussissent à passer le contrôle de la frontière !

Au Pakistan

Rahmat s’était déjà rendu à Pechawar, ville du Pakistan, quelques années auparavant seul. Donc, il connaissait déjà un peu la région.

Ils se sont rendus dans une agence pour trouver un appartement. Beaucoup d’Afghans vivent dans ce pays. Ils ont rencontré quelques personnes dont un monsieur qui y vivait depuis longtemps. Parlant très bien leur langue et travaillant aussi comme carrossier, il a proposé à Rahmat de venir travailler avec lui pour le même patron.

Durant quatre ans, ils vivent tranquilles et fondent une famille. Ils ont deux enfants. Pourtant, un jour, tout bascule. La mère de Farzana étant décédée, son beau-père et le « mari abandonné » paient des individus pour se rendre au Pakistan. Ils surveillent Rahmat pour découvrir l’endroit où il travaille, mais surtout pour savoir où ils vivent. Il semblerait que parmi les Afghans qui vivaient autour d’eux, certains devaient connaître la famille de Rahmat et de Farzana et c’est ainsi qu’ils auraient retrouvé leur trace.

Ces hommes se sont présentés à la porte de leur appartement, à la nuit tombante, ont agressé Rahmat qui s’est défendu du mieux qu’il a pu. Pendant ce temps Farzana se cachait avec les enfants. Vu les cris qui résonnaient, les autres habitants de l’immeuble ont volé à leur secours et appelé la police. Du coup, ces hommes ont pris la fuite. Pour le reste de la nuit, une voisine a caché la famille chez elle. Elle leur conseillera de se rendre dans une autre ville où les passeports sont faciles à falsifier pour pouvoir quitter le pays au plus vite.

Ils pensent rejoindre la Suisse car ils ont de la famille qui vit là depuis plus de 10 ans, mais sans savoir dans quelle ville elle réside.

Afin de pouvoir fuir le Pakistan et surtout payer leur passage, ils vont se défaire de tous leurs biens : meubles, voiture et bijoux. Le prix de leur liberté s’élève à 30’000 dollars. Impressionnant !

La personne qui leur fait les faux documents d’identité leur conseille de ne pas voyager ensemble, et suggère que Farzana parte en premier avec les enfants.

Le voyage est organisé par « l’homme aux passeports » (le passeur). Toutes les informations leur sont données y compris quoi faire au moment d’éventuels contrôles policiers.

En Turquie et en Grèce

Première étape, la Turquie, pays de transit. Farzana y atterrira avec ses deux enfants. Suivra une marche de huit heures en direction de la frontière « Turquie-Grèce ». Durant le chemin, juste après la frontière, la police grecque les découvrira ainsi que toutes les personnes ayant fait le même voyage. On prendra leurs empreintes et au matin ils seront libres et en possession d’un document les autorisant à vivre en Grèce pendant un mois. Farzana y restera six mois et rejoindra la Suisse en voiture, passant par les Balkans. Après trois jours de voyage très pénibles, en particulier pour les enfants, ils arriveront au Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) de Vallorbe. Jusque là, Farzana n’aura aucune nouvelle de son mari.

Rahmat, quant à lui, quittera le Pakistan environ une semaine après Farzana. Il arrivera en Turquie, y restera un mois, puis passera la frontière et rejoindra la Grèce par bateau. Il continuera à pied puis en voiture lorsqu’il rencontrera, lui aussi, la police grecque…même scénario que pour Farzana. Il restera environ sept mois en Grèce et quittera ce pays à bord d’un camion avec d’autres personnes dans la même situation que lui.

Le voyage durera environ trois jours jusqu’en Italie, puis se poursuivra en voiture jusqu’à Vallorbe.

En Suisse

Après deux semaines à Vallorbe, Farzana sera transférée dans le canton de Neuchâtel, au centre de 1er accueil de Fontainemelon. Elle y arrivera complètement désespérée, n’ayant toujours aucune nouvelle de son mari, pensant qu’il a été tué par sa famille.

Rahmat devra attendre 14 jours pour sa première audition à Vallorbe et découvrir enfin que sa femme et leurs deux enfants se trouvent à Fontainemelon où il les rejoindra quelques jours plus tard.

Pour conclure, c’est avec une vive émotion que j’ai partagé la joie de leurs retrouvailles en compagnie de tout le personnel d’encadrement du centre de 1er accueil.

Ce bonheur qui ne tenait qu’à un fil…

Au milieu de tellement d’autres drames, une belle histoire qui se termine bien.

Arezu

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils