1

Le 1er août

Emilio Guzman / Unspash.com

Une nouvelle fête dans nos vies

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils réunit des représentants de différents pays : la coordinatrice est Suissesse, je viens d’Azerbaïdjan, mes autres collègues viennent du Cameroun, du Burundi, de Tchétchénie, du Togo, du Yémen, de Turquie, d’Iran et de RDC Congo. Nous formons une carte assez multicolore et surtout une vraie famille internationale!

Le point central dans notre vie de migrants est l’intégration. Tout est nouveau pour nous : nouveau pays, nouvelle langue, nouveau style de vie, nouvelle culture, nouvelle cuisine… Presque tout est réinitialisé et nous devons recommencer notre vie à partir de zéro.

Un mystérieux 1er août

Et, bien sûr, il y a des nouvelles fêtes, de nouveaux jours significatifs de cette nouvelle vie. Vous vous couchez un soir et le lendemain, au réveil, c’est le 1er août. C’est un jour férié en Suisse, on voit des drapeaux partout, il y a des pétards et des feux d’artifice. Pour comprendre ce qui se passe, vous devez vous adresser à quelqu’un. Et vous devez préalablement connaître la langue pour être capable de demander. Sinon, l’espoir réside dans le langage international: expressions faciales et gestes de la main. Dans tous les cas vous voulez savoir : quelle est la particularité du 1er août? Personnellement, j’ai appris cela de Wikipedia, que je cite :

« Cette fête fut célébrée pour la première fois en 1891, à l’occasion du 600e anniversaire du pacte de 1291, qui est alors choisi comme acte fondateur plutôt que le mythique Serment du Grütli qui était commémoré auparavant. La date du 1er août est déterminée ainsi car ce pacte, qui renouvelle une alliance, est daté du début du mois d’août sans mentionner le jour exact.

Depuis 1994, le 1er août est un jour férié officiel dans toute la Suisse. »

L’avis des migrants

Ainsi, le 1er août est la Fête nationale des Suisses. Mais que signifie pour nous, les migrants, le jour de la création de ce pays qui nous donne une nouvelle vie ? Pour répondre à cette question, j’ai mené ma petite enquête auprès de mes collègues rédacteurs et rédactrices:

«Mes amis, j’ai une question pour vous tous. Que signifie le 1er août pour vous ?»

Il y a un moment de silence.

«Le 1er août, c’est mon anniversaire!»

Après cette réponse inattendue, des rires emplissent l’air. Nous regardons tous notre ami avec une étincelle dans nos yeux.

Surpris par nos regards et nos rires, il reprend :

«Vous allez peut-être vous moquer de moi, et ne pas me comprendre, mais je suis sérieux. Symboliquement, le 1er août est vraiment mon anniversaire!»

Il lève son verre de jus d’abricot bien valaisan.

«Santé! La Suisse et moi fêtons notre anniversaire le même jour. Et j’ai beaucoup de chance, car j’ai un deuxième anniversaire le 1er janvier !»

Cette fois, il éclate de rire!

Nous l’avons applaudi : «Joyeux anniversaire!»

Je me suis tourné vers un autre ami :

«Et pour toi ?»

«Le 1er août reste gravé dans ma mémoire grâce aux feux d’artifice.»

Tout le monde approuve.

«Pour moi, le 1er août est une journée ordinaire, comme toutes les autres» dit un autre ami.

«C’est la fête nationale en Suisse.»

«Et encore ?» Ai-je demandé.

«C’est la fête des drapeaux volants et des feux d’artifice!»

Curieusement, aucun de mes amis ne s’est intéressé à ma réponse… La voici:

«Le 28 mai est la fête de la République en Azerbaïdjan. «Le Jour de la République  est le jour de 1918 où la République démocratique d’Azerbaïdjan – le premier État démocratique laïque de l’Est musulman – a été établie. Depuis 1990, le Jour de la République est célébré comme une fête nationale. Le 1er août signifie le 28 mai pour moi. La Suisse est devenue ma Patrie. Mon ami a probablement raison, c’est notre anniversaire symbolique. Si nous n’étions pas en Suisse aujourd’hui, qui sait où nous serions, et dans quelles circonstances…»

Oui, le 1er août est une nouvelle et formidable fête dans nos vies. Et notre cœur veut, si fort que le monde s’en arrête presque, en l’honneur et pour le bien de la Suisse, pour le bien de notre nouvelle vie. Que les drapeaux volent dans le ciel et qu’il y ait des feux d’artifice!

Je pense qu’il est tout à fait possible de sauver le monde avec un enthousiasme aussi grand!

Samir Murad

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




« C’est la première fois que je vois les bombes et les explosions apporter la joie et le plaisir »

Photo: le fils de Khaldoon Hawaley lors de la fête du 1er août 2017 à Neuchâtel

Photo: le fils de Khaldoon Hawaley lors de la fête du 1er août 2017 à Neuchâtel

La fête nationale suisse vue par une famille syrienne 

Nous sommes sortis de la maison le premier août et nous nous sommes rendus au bord du lac de Neuchâtel. Ma femme a donné des instructions aux enfants : « restez près de nous, ne vous approchez pas du lieu des célébrations afin de ne pas vous blesser. »

Nous nous sommes assis au bord du lac. Mon fils à côté de moi et ma fille sur les genoux de sa mère, serrée dans ses bras. Après dix minutes de lumières éteintes le feu d’artifice a commencé et a illuminé le ciel. Entre les sifflements et applaudissements, les mains étaient jointes et les cœurs palpitaient comme ceux des amoureux.

Pendant que la caméra était dans les mains de mon fils, il fut le plus rapide à prendre la photo de cette soirée, avec son cœur et son esprit jeune. Quand je regardais le visage de ma femme j’ai vu l’éclat dans ses yeux que je ne voyais pas depuis des années. Son sourire était plus fort que des lettres ou des mots.

Et comme d’habitude, ma fille a éparpillé ses mots comme les papillons du printemps : « Mon père, c’est la première fois que je vois les bombes et les explosions ne pas apporter avec eux la mort et la destruction, mais la joie et le plaisir. ». Elle m’a donné un câlin et a dit : « Je n’ai plus peur, mon père ».

Khaldoon Hawaley

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




« Le Temps de vivre »

 

Photo: rédaction valaisanne de Voix d'Exils

Photo: rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Un magnifique exemple d’intégration valaisan !

À l’annonce de l’ouverture du centre pour requérants d’asile « le Temps de vivre » aux Mayens-de-Chamoson, en 2015, beaucoup de craintes et d’interrogations ont été émises par la population. Pour répondre à ces doutes, des actes permettant le contact entre les indigènes et les requérants d’asile ont été posés. La peur de l’autre s’est alors dissipée et l’entente ainsi que la cohabitation entre les deux communautés sont, aujourd’hui, au beau fixe. 

Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette intégration réussie, la rédaction valaisanne de Voix d’Exils est allée à la rencontre de Claude Crittin, président de la commune de Chamoson qui le confirme: « l’anecdote la plus sympathique, c’est la joie qu’ont les gens de prendre des requérants d’asile en autostop. » La rédaction valaisanne a également recueilli les propos de Frédéric Thomas, directeur du Centre le Temps de vivre et de quelques-uns des résidants.

Une implantation tumultueuse

Au courant du mois de février 2015, la commune de Chamoson a connu un événement qui a mobilisé ses citoyens: le Département de la santé, des affaires sociales et de la culture du canton du Valais a décidé – sans consultation – d’implanter un centre de requérants d’asile dans une ancienne colonie dénommé « le Temps de vivre » qui servait de camp de ski pour des jeunes Belges aux Mayens-de-Chamoson. Ce passage en force n’a guère plu aux Chamosards qui se sont fait entendre: « La colère gronde » a d’ailleurs titré le Nouvelliste du 27 février 2015.

Répondre à la peur par des actes

« Face à une telle situation, que faire en tant qu’élu du peuple ? » s’est alors demandé Claude Crittin. Pour ce quinquagénaire, encaveur, marié et père de trois enfants, il était légitime que les Chamosards s’interrogent. Cela a suscité une réflexion sur la meilleure manière de réagir « pour aider au mieux ses citoyens face à cette obligation ». Il a donc choisi de s’informer auprès des présidents des communes où de pareils centres avaient déjà été implantés, pour savoir comment cela se passait. D’abord, à titre personnel et, ensuite, avec ses collaborateurs. De retour, il écoute les doléances de tous les citoyens, chacun dans ce qui le préoccupe par rapport à l’ouverture de ce centre (vol, violence, insécurité…). Etant convaincu qu’à « une peur, il faut répondre par des actes », il ne tarde pas à mettre en pratique l’idée de compensation qu’il avait retenue lors de ses visites chez ses collègues présidents d’autres communes.

C’est ainsi que Salaree Abdul Khaliq et Sultani Ahmad Reza, tous deux requérants d’asile originaires d’Afghanistan, ont été intégrés à l’équipe communale pour effectuer des travaux d’utilité publique. « La population les voit au travail et l’équipe est contente de travailler avec des personnes qui viennent d’ailleurs », souligne le président de la commune. A leur tour, les deux requérants expriment leur joie de travailler au sein de cette équipe qu’ils trouvent « aimable et amicale ». Ils sont contents de leur contribution au pays d’accueil. Abdul Khaliq est heureux de voir ses enfants apprendre la langue et s’intégrer. Le président a pu prendre à cœur les inquiétudes de ses citoyens et choisir une démarche appropriée pour un mieux vivre ensemble. Il en est satisfait et il le dit: « le fait d’être reconduit dans mes fonctions par la population chamosarde me donne le sentiment d’avoir fait pas mal de choses justes ». Il entend approfondir cette notion de compensation pendant son deuxième mandat, en développant les travaux d’utilité publique afin que le passage des migrants laisse une emprunte positive sur la commune ; pourquoi pas un symbole, à l’instar du pont construit pour célébrer le bicentenaire de l’entrée du Valais dans la Confédération. « Il faudrait que les requérants d’asile aient l’occasion de bâtir quelque chose sur la commune pour qu’il y ait une marque visible un beau souvenir ». Un vœu réalisable en étroite collaboration avec le service social de l’asile.

Un directeur ouvert et accueillant

Après le tumulte politico-médiatique, le centre de premier accueil « Le Temps de vivre » a démarré ses activités, certes lentement mais sûrement. Frédéric Thomas, directeur du centre et fort de ses 15 ans d’expérience dans le domaine de l’asile, a été épaulé par une équipe de six collaborateurs pour mettre en place la structure. Le centre certes est un peu isolé, car situé à 1300 mètres d’altitude. Lorsqu’ils arrivent sur place, les requérants d’asile ont l’impression d’être perdus. Mais, au bout de quelques temps, quand ils se rendent compte de « l’accueil chaleureux et de l’ambiance familiale qui y règne, cela les sécurise », remarque le directeur.

Photo: rédaction valaisanne de Voix d'Exils

Photo: rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Du tajine au cœur du Valais

C’est dans cet esprit d’accueil et d’ouverture qu’un restaurant du même nom que le centre a vu le jour le 1er août 2016 – soit un an après l’ouverture – pour favoriser l’intégration sociale et professionnelle des requérants d’asile. Ces derniers, encadrés par une équipe expérimentée, se mettent aux fourneaux pour concocter des plats d’ici et d’ailleurs, pour le plus grand plaisir de la population de Chamoson, d’Ovronnaz et des vacanciers. L’un des mets les plus appréciés est « le tajine ». Une reconnaissance et un épanouissement pour une jeune Marocaine qui se sent fière, valorisée et utile à travers la cuisine de son pays.

Tous ces apports des requérants ne font que réjouir le maître des lieux : « l’accueil est excellent, la nourriture est bonne et tous sont enchantés. Ils adhèrent à notre philosophie d’ouverture à l’étranger et ça plaît beaucoup » conclut-il. Dzeljalj, un collègue de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, qui a séjourné au centre avec sa famille pendant six semaines partage cet avis. A relever aussi que le menu du restaurant est le même pour les requérants d’asile et les clients, ce qui montre le caractère singulier de ce centre.

Pourvu que le Temps de vivre dure !

Dans le cadre de la collaboration entre la commune et le centre, la fête nationale du 1er aout a été organisée en partie par les requérants d’asile et a eu lieu dans les enceintes du centre permettant ainsi le contact avec les Chamosards, ce qui a été apprécié et qui mérite de continuer. Un très bon témoignage du vivre ensemble qui nous laisse quand même une interrogation. Ce centre est loué pour une durée de trois ans et fonctionne maintenant à  merveille. Mais que deviendra-t-il à l’avenir?

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




La fête nationale à travers les yeux d’un réfugié

Le 1er août: la fête nationale suisse.

Le 1er août: la fête nationale suisse.

Le premier août 2016 l’Association des Amis du Mont-Racine a organisé un 1er août multiculturel au sommet du Mont-Racine à Neuchâtel. Avec l’association Bel-Horizon, association qui soutient les migrants, ils ont mis sur pied une fête qui était sous les signes du partage et d’échange. J’ai reçu une invitation pour témoigner comme médecin réfugié irakien, membre de la rédaction de Voix d’Exils et bénévole de l’Alarme Croix-Rouge de Neuchâtel et de l’association Partage.

A l’occasion de la journée nationale de la Suisse qui commémore la réunion de tous les cantons sous le drapeau de la Suisse, 40 à 50 personnes sont montées sur le sommet du Mont-Racine pour partager le même repas, de la musique, des chansons, des joies ensemble. Tout le monde, les réfugiés et les suisses, se sont sentis comme si c’était leur fête. Chacun était désireux de célébrer et de s’amuser. C’était amusant de regarder les réfugiés partager tout avec les suisses et se comporter comme des citoyens de ce pays.

Après le repas, au moment des discours, j’ai témoigné devant les personnes présentes. J’ai raconté mon histoire, à partir de mon départ d’Irak jusqu’à ce jour-là. Les difficultés que j’ai affrontées et comment je les ai surmontées. La guerre en Irak, l’habituation à la mort chaque jour et mon arrivée en Suisse. Comment j’ai reçu une réponse négative à cause de mes empreintes dans l’Ambassade de France en Irak. Mon séjour de 8 mois au centre d’accueil de Couvet dans le canton de Neuchâtel. Et finalement une réponse positive à la fin du processus Dublin, puis mon permis B. J’ai aussi parlé de mon travail comme bénévole dans trois associations suisses et donné des conseils pour les requérants d’asile et les réfugiés, les personnes déçues, pour surmonter les obstacles et ne jamais perdre espoir. J’ai insisté sur la solution pour tous : lire, lire lire !

A 22 heures, quelle surprise ! Des feux ont été allumés sur chaque sommet des montagnes, en même temps le feu d’artifice a illuminé le lac de Neuchâtel…la nuit est devenue plus belle que le jour et ça a continué pendant une heure et demi ! J’avais déjà vu ça à la télévision, mais je ne l’avais jamais vécu en vrai. Quand j’ai vu la Suisse de haut pour la première fois, j’ai cru voir le paradis… c’est magnifique…la nature, la verdure et le lac. De notre côté, les réfugiés ont été étonnés parce que la fête et l’organisation étaient formidables.

Jour après jour je suis plus convaincu que ce pays, la Suisse, désire le respect de tout le monde parce que tous les citoyens partagent les mêmes moments de délice sans demander à l’autre en quelle religion croyez-vous, ou de quel pays venez-vous, ou quelles couleurs portez-vous…. A mon avis c’est le sentiment de patriotisme, de liberté et de démocratie. J’ai appris beaucoup de leçons ce jour-là, j’ai vu comment les citoyens mettent la priorité sur l’intérêt commun avant l’intérêt personnel et l’importance de protéger son pays avant de se protéger soi-même.

Merci la Suisse… Vraiment vous me donnez une nouvelle belle vie !

Haider Alsaadi

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils