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Fortuna

Photo: Voix d'Exils

Interview de Germinal Roaux par la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils.

« Fortuna » est le nouveau film du cinéaste franco-suisse Germinal Roaux qui sortira en salle en 2017. Rencontre avec le réalisateur sur le plateau du tournage.

Depuis plusieurs années, le monde du cinéma s’intéresse à la problématique de l’asile. Après La forteresse, Vol spécial ou encore l’Abri de Fernand Melgar qui documente les parcours semés d’embuches des requérants d’asile en Suisse; « Fortuna », du photographe et cinéaste franco-suisse Germinal Roaux, est un long métrage qui interroge notamment la valeur helvétique de l’accueil: « Ouvrir les portes pour accueillir les réfugiés qu’est-ce que cela signifie ? »

Qui est cet artiste dont l’observation et la sensibilité portent aujourd’hui sur la question de la migration ? Germinal Roaux est né le 8 août 1975 à Lausanne, d’un père français et d’une mère suissesse. Il a un frère ainsi que deux sœurs adoptive d’origine africaine. Prenant de la graine chez son oncle photographe, il devient autodidacte en photographie noir/blanc et en cinéma. À 17 ans, il se rend au Burkina Faso avec l’association Nouvelle Planète pour son travail de fin d’étude qui porte sur le problème de la désertification dans ce pays du Sahel. Il réalise alors son premier documentaire intitulé « Une pluie et des hommes ». Il y reviendra une année après, avec un ami, à bord d’une vieille Land Rover et ils profiteront de leur périple pour visiter plusieurs pays du Nord-Ouest africain. « […] c’est en traversant ainsi l’Afrique que j’ai rencontré pour la première fois les problèmes de l’exil, en écoutant des jeunes qui voulaient partir pour l’Europe, la tête pleine de rêves. Mais moi, je mesurais le décalage avec la réalité d’ici ».

C’est par l’intermédiaire de Claudia, sa compagne, qui travaille avec des réfugiés à Lausanne, qu’il rencontre des mineurs non accompagnés et qu’il aura l’occasion de partager leur quotidien; et de ces échanges éclot l’idée d’écrire une histoire qui relate de leur drame existentiel. « Mon idée était alors d’écrire une histoire sur une jeune Erythréenne ou Ethiopienne qui passerait son premier hiver en Suisse avec en arrière-plan la question de l’accueil ». Finalement, son choix se portera sur une Ethiopienne pour plusieurs raisons, notamment le fait que l’Éthiopie est considérée comme le berceau de l’humanité avec la découverte du plus vieux squelette humain «Lucy ».

Photo: Voix d'Exils

Interview de Germinal Roaux par Etienne de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils

À travers son film Fortuna, Germinal essaie de montrer la difficulté que l’être humain éprouve à faire le pas vers l’autre. Il fait aussi remarquer la résilience du peuple africain car « […] malgré les difficultés de l’existence ici, il y a cette force de vie que nous perdons souvent. C’est comme le sourire, on voit des africains qui ont traversé les difficultés du monde et […] qui arrivent ici avec un sourire qui illumine. J’ai eu envie de montrer cette énergie, cette force, cette connexion au réel ainsi que ce lien à la nature et au monde qui permet aussi de se ressourcer».

Le tournage s’est déroulé à l’Hospice du Simplon en Valais. pendant 37 jours, les claps et les scènes se sont succédés faisant jouer environ 40 acteurs et figurants à 2000 mètres d’altitude. Tourner un film n’est jamais facile car, selon Germinal, « pour le réalisateur, c’est du deuil quotidien et, en même temps, une invention permanente pour rebondir et trouver des choses. C’est dur et gratifiant à la fois, parce que la vie nous amène toujours quelque chose de nouveau qu’on n’avait pas imaginé au départ et qui peut être très beau aussi, souvent plus beau que ce qu’on a pu écrire… ». En définitive, l’artiste est satisfait de son travail et il espère que son film permettra au public d’avoir une meilleure compréhension des problèmes liés à l’asile. Quel est le message du cinéaste à travers Fortuna? « ce qui m’intéresse le plus, c’est le parcours singulier des hommes, qui est une école du vivre ensemble. Si cela peut nous apprendre à nous tendre la main, c’est une bonne chose ». Et quelle est la valeur à laquelle le cinéaste tient le plus ? « La valeur la plus chère pour moi ? C’est évidement l’amour! Si on peut s’aimer les uns les autres, si on peut travailler ensemble, […], le partage vient de fait et puis la paix aussi ».

Le film met donc en valeur la rencontre spirituelle et humaine. Fortuna n’est pas seulement une requérante d’asile, elle est aussi en quête de foi, d’amour, de paix et de partage. Finalement, ses aspirations rejoignent celles des chanoines de l’Hospice du Simplon car pour eux: accueillir c’est aimer.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




«On ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur»

Mouhamed Basse. Photo: Voix d'Exils
Mouhamed Basse. Photo: Voix d’Exils.

Portrait

Suisse d’origine sénégalaise, Mouhamed Basse est installé dans le canton de Neuchâtel depuis 25 ans. Venu en Suisse comme étudiant, il s’est marié à une Suissesse et est père de deux enfants de 19 ans et 16 ans. Professeur de mathématiques et de sciences, il est le représentant des Africains qui vivent dans la partie basse du canton, par opposition aux villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle, situées sur les montagnes neuchâteloises. Avec Voix d’Exils, il parle de son intégration dans son canton d’adoption et de son engagement en faveur de la communauté africaine. Interview.

Voix d’Exils: Que faites-vous concrètement pour les Africains du bas du canton de Neuchâtel?

Mouhamed Basse: C’est toujours complexe de dire ce que je fais concrètement. Je dirais que j’ai été nommé, il y a une année seulement, comme représentant des Africains du bas. Concrètement, on se réunit avec le bureau du Service de la cohésion multiculturelle (le COSM) quatre fois dans l’année et on discute des sujets qui concernent les communautés migrantes d’origine africaine et, suivant ce que l’on dit, je prends position sur certains thèmes. Dans la rue, il m’arrive d’avoir des discussions avec des migrants et de donner des conseils sur différents sujets.

Y a-t-il des problèmes qui sont spécifiques aux Africains?

Ce sont des problèmes qui, de manière générale, concernent l’ensemble des migrants. Ça peut être des problèmes liés à l’intégration, à l’emploi, à la xénophobie et au racisme. Ce sont des obstacles qu’un migrant peut rencontrer en arrivant en Suisse.

Parmi ces Africains, il y a aussi des requérants d’asile. Leur rendez-vous visite ou parlez-vous avec eux?

Pas du tout. On a un représentant des requérants d’asile, M. Luul Sebhatu, et c’est lui qui est en contact avec les requérants d’asile. Moi, je suis plutôt en contact avec des Africains établis à Neuchâtel et qui ont une autorisation de séjour de longue durée. Malgré tout, je suis très à l’écoute et surtout je suis très vigilant à ce qui se passe dans le milieu des requérants d’asile.

Vous disiez, il y a quelques années de cela, que «Neuchâtel est exemplaire dans sa politique d’ouverture envers les étrangers». Sur quoi fondez-vous cette affirmation?

Avec la présence du bureau du délégué aux étrangers, qui est le premier bureau du genre en Suisse, je dirais que ce n’est pas moi qui ai inventé ces propos. D’autres l’ont dit avant moi et d’autres le diront après moi aussi. Dans les années 90, quand on a mis en place ce bureau du délégué aux étrangers, d’autres cantons n’y pensaient pas. Beaucoup d’efforts sont faits pour aider les étrangers qui vivent ici à se sentir bien, comme s’ils étaient chez eux. Avec ce bureau, il y a une certaine écoute. Comme représentant des communautés africaines, c’est claire que s’il n’y avait pas ce service de la cohésion multiculturelle, il y aurait eu plutôt des regroupements purement informels et mon rôle ne serait pas officiel.

Vous disiez aussi que «quand on vous croise dans la rue, rien ne vous distingue de l’immigré fraîchement débarqué et que dans votre for intérieur, vous vous considérez comme un immigré qui a su s’intégrer sans difficultés». Peut-on savoir ce qui a facilité votre intégration?

Je pense que le fait de suivre des études m’a permis d’avoir du recul par rapport à certains aspects de l’immigration. Je suis fier d’être ce que je suis : Africain. Je me suis toujours déplacé en été avec des boubous sénégalais et des gens me regardaient souvent dans la rue comme ça. Et puis, je me suis rendu compte que ce n’était pas des regards de méfiance, mais plutôt des regards d’admiration par rapport à ce que je portais. Le fait de montrer que j’avais cette identité-là et que je n’avais pas le complexe de m’habiller en Africain dans les rues de Neuchâtel, pour moi, c’est quelque chose d’hyper important.

25 ans de vie en Suisse, comptez-vous un jour retourner au Sénégal pour finir vos jours?

Le rêve de tout immigré, c’est ça. Moi, je ne sais pas si on doit en faire un rêve. Pourquoi on décide qu’il faut retourner? Retourner, c’est revivre sur une longue durée dans son pays d’origine. Je suis marié à une Européenne, une Suissesse. Ayant des enfants métis, est-ce que je vais prendre mes cliques et mes claques et décider un jour de m’établir définitivement au Sénégal ? Je dirais plutôt que le jour ou j’arrive à la retraite et que je peux vivre entre la Suisse et le Sénégal, je n’hésiterai pas, parce qu’à ce moment-là, mes enfants auront probablement à leur tour des enfants. Je ne dirai pas que la Suisse est le pays où je vais vivre toute ma vie, mais quand j’aurai la possibilité d’avoir des séjours beaucoup plus longs au Sénégal, je n’hésiterai pas. Actuellement, chaque année, je pars à Dakar un mois pendant l’été.

Avec le recul, 25 ans après, si votre chemin était à refaire, le referiez-vous?

Le fait d’avoir quitté le Sénégal et de décider de vivre en Suisse n’a jamais été mon objectif de départ. Quand on vient en tant qu’étudiant, on laisse toute sa famille. Pour moi, les choses ont  toujours été claires : étudier et repartir. Mais, la situation a fait que je suis resté dans le pays. Je n’ai aucun regret. S’il fallait refaire la même chose, je l’aurai refait parce qu’à présent, je vis cet exil très bien. J’ai gardé mes racines et le fait de revoir chaque année ma famille ou quand c’est la famille qui vient me voir en Suisse, c’est quand même réjouissant.

Vous vous considérez Suisse, Sénégalais, ou les deux à la fois?

Je me considère d’abord Sénégalais et si je devais renoncer à la nationalité sénégalaise pour devenir Suisse, j’aurais gardé ma nationalité sénégalaise. Pour moi, c’est logique. Même si je me déplace avec le passeport suisse pour des raisons de commodités, mais j’ai encore mes papiers sénégalais sur moi. Au Sénégal, la double nationalité est acceptée.

On vous attribue ces propos: «je n’aime pas subir les décisions des autres». Pourquoi?

Ne pas subir les décisions des autres, je veux dire que, pour moi, il faut participer là où les décisions se prennent. C’est par un concours de circonstances que je me suis retrouvé au Parti socialiste. Je me reconnais comme étant de gauche, raison pour laquelle, je suis fier d’être dans le Parti socialiste. J’entre ces prochains jours au Conseil général de la ville de Neuchâtel.

Votre parcours peut être considéré de modèle, avez-vous un mot à dire aux requérants d’asile?

Être requérant d’asile, c’est quelque chose d’extrêmement difficile. J’ai regardé le film Vol spécial de Fernand Melgar et c’est vraiment difficile. On ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur pour arriver dans un autre pays. Quand on est requérant d’asile, il faut tout faire pour qu’on ne colle pas à votre étiquette quelqu’un qui est là pour créer la pagaille. La plupart des requérants d’asile vivent une situation difficile, de par ce statut-là. Ce sont des gens qui vivent avec dignité et qui espèrent un jour avoir les papiers en ordre pour pouvoir rester ici et je pense que, parmi les requérants d’asile, il y en a beaucoup qui, demain, si dans leurs pays d’origine la situation redevient tout à fait normale, voudraient repartir. J’encourage les requérants d’asile à rester vigilants et, surtout, à ne pas fréquenter les milieux où ils peuvent se retrouver dans les ennuis.

Que pensez-vous de Voix d’Exils?

J’ai découvert Voix d’Exils récemment, j’ai jeté un coup d’œil et il y a des articles intéressants et très diversifiés. C’est toujours difficile d’entretenir  un journal en ligne, mais j’espère que ce blog va continuer à toucher le maximum de personnes au niveau de la population, parce que quand je vois des requérants d’asile écrire dans ce blog et dire qu’ils sont bien et se sentent utiles et qu’on voit qu’ils ont des compétences, je vous dis chapeau! En espérant que ce blog sera de plus en plus connu et que ça serve d’exemple, surtout pour donner une image positive de la présence des migrants d’origine africaine sur le sol neuchâtelois et sur le sol suisse.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Informations

lire à ce sujet un autre article de Voix d’Exils: «Au COSM, nous offrons un service d’accompagnement et de soutien aux requérants d’asile»




Impitoyable Convention de Dublin

Lucia et Emilie

Il y a vingt ans, la forte croissance du nombre des demandeurs d’asile en Europe a été accompagnée d’une transformation de la question de la défense des droits humains en problème migratoire. Depuis, au fil des ans, la question de l’asile est progressivement devenue centrale dans la politique migratoire européenne et elle a fortement contribué à la judiciarisation croissante de la gestion des migrations et des frontières. Ainsi, le 15 Juin 1990, les accords Dublin étaient signés et sont entrés en vigueur en Suisse le 12 décembre 2008. Etait-ce une mise en question de l’alternative entre la fin de l’asile en Europe et la liberté de choix de son pays d’asile ? La question est plus que d’actualité. Notre enquête.

Une Africaine est obligée de dormir dans la foret avec son bébé de cinq mois pour échapper à une expulsion forcée

« No condition is permanent in this world » (Aucune situation n’est permanent dans ce monde). Ainsi se résume l’histoire de Lucia*, originaire de Guinée-Bissau. Cette jeune mère d’un enfant de cinq mois n’avait jamais imaginé même dans son plus pire cauchemar qu’elle allait un jour être obligée de se refugier dans une forêt. Issue d’une famille aisée, fille d’un célèbre médecin assassiné depuis, Lucia quitte son pays pour poursuivre ses études universitaires au Portugal. Elle rêve alors d’une carrière d’économiste, mais voit son destin basculer le jour ou elle fait la connaissance d’un compatriote et croit naïvement à une belle histoire d’amour. Mais l’histoire va vite la rattraper car « l’homme de sa vie » va vite devenir la bête noire de ses pires cauchemars ! En effet, cet homme mystérieux donc elle a même du mal à prononcer son nom aujourd’hui, entretenait des activités louches et avait des fréquentations peu recommandables. Ainsi, après une affaire qui tourne mal, l’homme prends aussitôt la poudre d’escampette, avant d’appeler Lucia et de l’intimer de quitter les lieux.

Paniquée, elle quitte le Portugal en catastrophe et regagne sa Guinée natale, mais est facilement rattrapée par les malfaiteurs qui, à défaut de mettre la main sur son compagnon, prennent en otage Lucia et sa maman.

Lucia, alors enceinte, est kidnappée et menacée de mort. Elle et toute sa famille n’ont que Dieu pour leur venir en aide. Et le miracle arriva. Un de criminels se rend compte qu’elle est enceinte et au courant du funeste sort qui lui est réservé, prend pitié d’elle. C’est alors qu’à l’insu de ses camarades jusqu’au-boutistes, ce dernier la libère elle et sa maman et va même leur venir en aide pour regagner la frontière du Sénégal. Lucia et sa maman quittent ainsi la Guinée pour le Sénégal où vit son oncle maternel. N’étant pas en sécurité en Afrique, elles sollicitent l’aide d’un « passeur » pour regagner l’Europe moyennant une forte somme d’argent. Leur dévolu est jeté sur la Suisse, selon Lucia parce que la « Suisse est un pays libre, humanitaire et neutre! ». C’est sans compter avec la fameuse Convention de Dublin. La demande d’asile de Lucia, déposée au Centre d’Enregistrement et de Procédure (CEP) de Vallorbe, reçoit une décision de non-entrée en matière (NEM) avec renvoi sur le Portugal suite à l’application mécanique et rigide de l’accord de Dublin par la Suisse! Entre-temps, Lucia a mis au monde une fille – Emilie* – née le 26 Mars 2011 au centre hospitalier du CHUV de Lausanne en Suisse.

Le 21 Septembre dernier, Lucia, mise au courant auparavant d’un éventuel renvoi forcé vers le Portugal et apparemment désespérée n’hésite pas à mettre en danger la vie de la petite Emilie! En effet, craignant pour sa vie et le sort qui lui est réservé au Portugal par ses bourreaux, elle se cache dans la forêt de Crissier bravant des conditions météorologiques très hostiles : le froid et le vent. Emilie, qui a déjà subit deux hospitalisations depuis sa naissance en soins intensifs, présente encore aujourd’hui un choc hypodermique suite à cette fameuse nuit passée en foret avec sa maman.

D’autres « destinées Dublin »

Lucia n’est cependant pas l’unique personne à subir les foudres de ladite convention comme l’atteste les cas suivants :

Marouane* est Soudanais et a fuit la guerre qui a coûté la vie de ses proches au Darfour. Il entre en Europe par Malte où il arrive un jour en bateau. Il y est détenu pendant plus de huit mois dans des conditions inhumaines (surpopulation carcérale, hygiène déplorable, assistance sanitaire inexistante). Il parvient finalement à fuir en passant par l’Italie pour atteindre finalement la Suisse. Selon une source anonyme, les autorités sont intransigeantes et décident de le renvoyer vers Malte en application de la Convention Dublin, même s’il n’y a connu que la détention.

Maza*, une jeune Ethiopienne, demande l’asile en Suisse. Elle est renvoyée en Italie en application de la Convention de Dublin. Sans aucuns moyens de subsistance dans ce pays, elle revient en Suisse. Selon une source proche de Maza, les autorités suisses, bien qu’informées de sa fragilité psychique, décident quand même de la renvoyer à nouveau. La police arrive au centre des requérants d’asile pour l’expulser une seconde fois. Désespérée elle saute depuis un balcon se situant au troisième étage de l’immeuble. La chute provoque diverses fractures aux lombaires et au bassin.


De graves atteintes au droit d’asile suisse ? 

Le règlement de Dublin supplante-t-il aux yeux des autorités helvétiques l’article 7 de Constitution Suisse qui prône le respect et la protection de la dignité humaine entre autres ?

La persistance de la Suisse à vouloir appliquer le « système Dublin » coûte que coûte, ne génère-t-elle pas de graves atteintes au droit d’asile Suisse ? 

– Par l’impossibilité de déposer une demande d’asile dans le pays de son choix ?

– Par l’imposition de procédures de réadmission opaques privant de droits les personnes concernées ?

– Par la négation de leur humanité ?

– Par le renvoi vers des pays européens aux formes d’asile très dégradées?

– Par l’utilisation de méthodes policières coercitives pour gérer des flux de populations comme on gère des flux de marchandises ?

– Par la multiplication du phénomène des refugiés en « orbite » renvoyés d’un pays à l’autre sans parvenir à déposer leur demande d’asile ?

On en vient à se demander comment la Suisse réputée être un pays humanitaire, neutre, accueillant, qui plus est signataire d’une « certaine » Convention de… Genève peut s’obstiner à gérer des populations de refugiés comme l’on déplace des pions sur un échiquier.


En Suisse, le requérants d’asile est-il synonyme de délinquant ?

Et pourquoi parvenir à cet objectif – quelque peu totalitaire – de contrôle absolu des demandeurs d’asile en déployant des moyens policiers incompatibles avec les valeurs démocratiques que la Suisse affiche ?

La Suisse, qui n’est pas une dictature psychopathe, la Suisse des droits de l’homme ne craint-elle pas d’être de moins en moins perçue de cette manière par les populations des pays du Sud et singulièrement dans ceux où règnent des dictateurs ou des potentats ?

Est-il normal que certains arrivent à des actes extrêmes pour attirer l’attention sur eux ?

J’en viens à citer M. Fernand Melgar, célèbre, – réalisateur Suisse et lauréat du Léopard d’or du festival de Locarno en 2008 qui dit : « j’ai en effet été très inquiet de constater que, pour une majorité d’adolescents, le terme de « requérant d’asile » est synonyme de « délinquant » et celui « d’asile » synonyme d’une forme d’abus social ».

C’est vrai qu’il y a aussi des individus peu recommandables parmi les requérants d’asile, mais faut-il pour autant utiliser des procédures générales pour traiter des cas particuliers ?

Les amalgames sont toujours à la fois faciles et confortables pour celles et ceux qui défendent une Suisse repliée sur elle-même !

Et pourtant, ce fameux règlement Dublin détient une clause humanitaire prévue par l’article 15-1 du règlement, ou encore la clause de souveraineté (Règlement Dublin, Article 3, alinéa 2) qui permettent à la Suisse dans n’importe quel cas de ne pas renvoyer certaines personnes si elle estime, par exemple, qu’elles sont manifestement des refugiés ou qu’un renvoi serait inhumain en raison de leur grande vulnérabilité. 

Ce système, en tant que tel, ne doit-il pas être révisé et remplacé par des politiques équitables et efficaces, conformes au principe de solidarité, fondées sur des principes et des valeurs communes en introduisant par exemple la possibilité de suspendre les transferts et de dégager à court terme les Etats particulièrement sollicités des responsabilités qui leur incombent au titre du règlement de Dublin ?

*Noms d’emprunts.

Fbradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Informations : résumé du Règlement de Dublin

Le règlement Dublin II (auparavant convention de Dublin) est un règlement européen qui détermine l’État membre de l’Union européenne responsable d’examiner une demande d’asile en vertu de la Convention de Genève (art.51) dans l’Union européenne.

Il est la pierre angulaire du système de Dublin, inclusif du règlement de Dublin et du règlement EURODAC, qui établit une base de données à l’échelle européenne des données biométriques (empreintes digitales) des requérants déjà enregistrés de tous les pays membres et permettant de détecter ceux ayant déjà déposé une demande.

Le règlement Dublin II vise à «déterminer rapidement l’État membre responsable [pour une demande d’asile]» [1] et prévoit le transfert d’un demandant asile vers cet État membre. Habituellement, l’État membre responsable sera l’état par lequel le demandeur d’asile a premièrement fait son entrée dans l’Union Européenne.




« Dans l’attente du vol spécial, l’angoisse est perpétuelle »

Pitchou Kitima Maliya Mungu. Photo Niangu Nginamau

Requérant d’asile débouté, Pitchou Kitima Maliya Mungu a passé quatre mois dans le centre genevois de détention de Frambois. On peut le voir dans le documentaire « Vol spécial », du cinéaste romand Fernand Melgar, sorti en salles le 21 septembre dernier. Aujourd’hui libre, Pitchou Kitima Maliya Mungu nous raconte le quotidien d’un condamné à l’expulsion.

Voix d’Exils : D’où venez-vous?

Pitchou Kitima Maliya Mungu : Je viens de la République Démocratique du Congo. Je suis né à Kinshasa, la capitale, le 9 mai 1975. Je suis en Suisse depuis 13 ans.

Pourquoi avez-vous été conduit au centre de détention de Frambois ?

J’ai été amené à Frambois parce que j’ai été débouté en 2008. Je me suis donc retrouvé « sans papiers » lorsque la loi sur les étrangers est entrée en vigueur. C’est arrivé un mois et demi après la naissance de mon fils. J’avais alors commencé les démarches pour le reconnaître, mais j’avais échoué par manque de documents. La suite de la reconnaissance a été effectuée durant mon incarcération.

Racontez-nous votre quotidien à Frambois.

J’y suis resté d’octobre 2009 à mars 2010, soit quatre mois et demi. Le matin à 8 heures, c’était l’ouverture des cellules et à 9 heures on prenait le petit déjeuner. A 9h30, c’était l’ouverture de l’atelier d’occupation pour ceux qui travaillent. A 11h45, nous commencions à préparer le repas de midi après avoir été à la cantine pour chercher les denrées alimentaires où on nous proposait de la nourriture à la carte. Nous avions une promenade de deux heures durant l’après midi.

Quel était votre état d’esprit ?

C’était la première fois que j’étais emprisonné. J’étais déprimé, j’avais des compatriotes avec lesquels je partageais ma peine. Frambois n’est pas une prison comme une autre, on y vit dans l’attente du départ, l’angoisse est perpétuelle.

Comment avez-vous vécu la peur d’être expulsé ?

On vivait dans la peur du vol spécial, justement. C’était une grâce de se retrouver durant la journée avec les amis. On regardait si tout le monde était là ou s’il manquait quelqu’un. A chaque jour suffisait sa peine…

Qu’est-ce qui a finalement annulé votre renvoi?

Mon vol spécial était prévu pour le mercredi 3 mars 2010 et j’ai été libéré la veille. Pour vous dire franchement, je ne sais pas ce qui s’est passé au niveau de l’Office fédéral des migrations (ODM) qui m’a accordé cette libération. Etant chrétien croyant, je pense que c’est Dieu qui a empêché mon renvoi. En Suisse, j’ai travaillé, payé mes impôts, mon casier judiciaire est vierge et j’ai un enfant qui vit ici. Cette paternité a pesé lourd dans ma libération. Des démarches ont été entreprises par la Ligue des droits de l’homme de Genève, la Coordination asile Vaud, le collectif Droit de rester. J’ai aussi eu le soutien de la communauté congolaise du canton de Vaud et de mes amis journalistes du quotidien Le Courrier.

Quelle est votre situation actuellement ?

Depuis ma sortie, ma situation a changé : j’ai obtenu un permis F, qui est un permis d’admission provisoire, et j’ai le droit de travailler. En ce moment, je suis une formation d’auxiliaire de santé qui va déboucher certainement sur un emploi. Je vis avec ma famille à Aigle.

Comment avez-vous rencontré Fernand Melgar ?

Je l’ai rencontré pendant mon séjour à Frambois. Il est venu nous exposer sa démarche par rapport au documentaire qu’il voulait réaliser pour montrer à la population suisse la réalité de l’application de certaines lois, en particulier l’expulsion des requérants sans papiers.

Pourquoi Melgar vous a-t-il choisi ?

Il ne m’a pas choisi, c’est par hasard qu’il s’est intéressé à moi. Nous nous sommes croisés un jour lors de sa visite quotidienne et je lui ai expliqué mes problèmes par rapport à mon incarcération. Au début, j’étais méfiant. Ce n’est qu’après quelques jours, lorsqu’il a expliqué à tout le monde son projet, que j’ai commencé à le trouver intéressant et que j’ai voulu pouvoir m’exprimer dans son documentaire.

Quel rôle jouez-vous dans le film ?

Je ne joue pas de rôle. C’est la réalité de notre quotidien tel que nous le vivons à Frambois qui est filmé.

Comment s’est passé le tournage ?

Il y a eu environ trois ou quatre mois de tournage. Fernand venait nous voir tous les jours avec son équipe. Nous jouions au football ou aux cartes et il passait tout son temps avec nous. Il s’est vraiment mis dans notre peau pour vivre notre réalité au quotidien. Pour moi Fernand, c’est quelqu’un de bien, d’humain.

Quel à été l’impact du film sur votre vie ?

Le film a été tourné pendant mon séjour à Frambois. A ma sortie, le tournage a continué. Puis j’ai découvert le film au Festival de Locarno. Pour moi, c’était l’émotion totale, il fallait voir l’enthousiasme que ce film a suscité. Personnellement, je dis merci à Fernand d’avoir réalisé ce documentaire, merci de m’avoir ouvert l’esprit pour voir la vie dans une autre dimension et toujours garder l’espoir.

Selon vous quel impact aura ce film?

Je pense qu’il va permettre à la population suisse de découvrir la réalité du renvoi des immigrés.

Avez-vous lu la réaction du producteur portugais Paolo Branco, qui considère « Vol Spécial » comme un film obscène et fasciste… ?

Nous sommes dans un pays démocratique, chacun a le droit d’avoir son opinion et de l’exprimer. Moi ce qui m’intéresse c’est la réalité vécue. Les gens peuvent critiquer le film ou la personne, peu importe… Mais eux, qu’est-ce qu’ils proposent ?

Quels sont vos projets?

Mon souhait serait d’être autonome financièrement et de mener ma vie comme il se doit.

Qu’est ce que ça vous fait que tout le monde connaisse votre situation, alors qu’avant le film vous étiez tout seul avec votre problème?

Ça m’a fait du bien de partager le monde de la prison avec d’autres personnes. C’est grâce au soutien des autres qu’on peut se ressourcer et garder le moral. Je profite de l’occasion pour remercier le bon Dieu de m’avoir donné la chance d’être un homme libre. Je remercie toutes les organisations humanitaires qui m’ont soutenu durant mon incarcération à Frambois. Je remercie Mme Graziella De Coulon du Collectif Droit de rester, Madame Geneviève du Service de Protection des mineurs de Genève, Monsieur Michael Rodriguez, journaliste au Courrier, et toute l’équipe du Service d’aide juridique aux exilés, la communauté de la République Démocratique du Congo du canton de Vaud, Mme Burnier de l’état civil de Vevey qui m’a donné l’opportunité de reconnaître mon fils. Merci aussi à toute l’équipe de « Vol spécial ». Le combat n’est pas fini, je reste positif. Mais les gens qui votent les lois dans leur salon ne se rendent pas toujours compte de leurs conséquences sur des êtres humains.

Le cinéma lausannois Capitole a présenté, le 15 septembre dernier, l’avant première de « Vol Spécial », un vrai succès…

La salle du Capitole était archicomble ! Pourtant, le sujet du film n’est pas facile puisque le réalisateur montre la vie carcérale des migrants déboutés, ce qui est le résultat de l’application de la loi votée par le peuple suisse en 2008. Ces requérants, qui sont parfois séparés de leur famille, ressentent de la colère, de la tristesse, de l’amertume et ne comprennent pas cette loi. Quand on voit les « pensionnaires » – comme on les appelle – renvoyés, mains liées, parfois le visage cagoulé, on se croirait au Moyen Âge… Mais j’aimerais terminer sur une note positive et rappeler que l’espoir fait vivre !

Propos recueillis par :

Niangu NGINAMAU

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils