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Exclues du monde du travail à cause d’un voile

Table-ronde organisée à l'occasion de la journée mondiale de la femme du 8 mars par l'UVAM et le le CCML. Photo: Voix d'Exils

Table-ronde organisée à l’occasion de la journée mondiale de la femme du 8 mars par l’UVAM et le le CCML. Photo: Voix d’Exils.

Le 8 mars dernier – journée internationale de la femme – a été pour les musulmanes de Lausanne une journée particulièrement importante. Elles étaient invitées à participer à une table-ronde organisée par le Complexe Culturel des Musulmans de Lausanne (le CCML) et l’Union Vaudoise des Associations Musulmanes l’UVAM, à la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne, sur le thème : « Femmes musulmanes et vie professionnelle ». Compte-rendu des échanges qui ont eu lieu à cette occasion.

Des discussions entre les six intervenantes et le public sur le thème des discriminations subies par les femmes musulmanes qui portent le foulard, il ressort que celles-ci sont discriminées dans leurs recherches d’emploi et sur leur lieu de travail. Souvent, elles doivent renoncer à leurs projets professionnels. Il en est d’ailleurs de même pour les femmes nées en Suisse qui décident de porter le voile après s’être converties à l’islam et qui, de ce fait, doivent arrêter de travailler ou se voient obligées d’enlever leur voile sur leur lieu de travail.

Selon une étude menée par Patricia Roux, Professeure en Études genre à l’Université de Lausanne, et intervenante lors de la table-ronde, l’Islam est perçu comme une religion rétrograde et sexiste. Seul 44% des Suisses sont favorables au port du foulard. 70% des Suisses pensent que les musulmans ne peuvent pas s’intégrer culturellement car 65% des musulmanes sont voilées et considérées comme moins émancipées que les Suissesses. D’une façon générale, les musulmanes voilées sont la cible d’un regard particulier qui frôle l’exclusion sociale. Le port du foulard est considéré comme une atteinte aux normes sociales.

Cependant, la question n’est pas de s’interroger seulement sur l’islam ou sur les musulmans et les musulmanes, mais plutôt sur les pratiques de ces femmes dans les milieux urbain, social et professionnel. Certaines d’entre elles ont pris des initiatives, elles ont mis en place un collectif qui a pour objectifs la visibilité religieuse, la lutte contre la stigmatisation, la mobilisation contre le racisme et le sexisme.

El Sam et Samir

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 « Le port du foulard m’a carrément isolée de la société » Témoignage

Safwa Aïssa, Vice-présidente de l’UVAM. Photo: Voix d'Exils

Safwa Aïssa, Vice-présidente de l’UVAM. Photo: Voix d’Exils

Originaire de Tunisie, Safwa Aïssa est la Vice-présidente de l’UVAM et formatrice en communication interculturelle. Elle témoigne de son vécu en tant que femme voilée.

« Après avoir suivi une formation en journalisme, j’ai travaillé dans ce domaine pendant plusieurs années en Tunisie. Suite à des circonstances privées, j’ai dû quitter mon pays. Je suis arrivée en Suisse en 1999, où j’ai cru pouvoir continuer dans le journalisme, je comptais sur mes diplômes et mes compétences acquises dans l’exercice de ce métier. J’ai vite renoncé à ce rêve, car la Suisse n’était pas ce à quoi je m’attendais. Le port du foulard m’a conduit à tirer trois pistes de réflexion : Comment les gens perçoivent-ils le foulard ? Quel est le rapport entre la différence et la normalité ? Quel est l’impact du foulard sur le travail ?

J’ai postulé dans plusieurs entreprises et sociétés de la place, mais c’était du temps perdu. Les remarques qui m’ont été faites étaient presque toutes focalisées sur mon foulard. Je me suis alors redirigée dans le secrétariat. J’ai travaillé dans la migration interculturelle dans le canton de Vaud. Dans l’un des services, où j’ai par ailleurs été bien accueillie, quelques collègues me tenaient des propos racistes et contestaient ma présence. Ce qui m’a le plus marquée tout au long de ma vie est cette phrase d’un collègue qui disait : « Pourquoi engage-t-on des femmes qui nous rappellent le Moyen Âge ? ». Au fil des années j’ai développé un comportement qui m’a permis de me libérer de la peur des critiques, de ce que peuvent penser les gens sur mon foulard. Pour moi, le foulard c’est le témoignage de ma foi en Dieu. Mes collèges ont fini par comprendre que je suis une femme ordinaire. Au final, j’ai fait un Master en communication interculturelle à l’Université de Lugano pour renforcer mes compétences dans le domaine de la santé. Bref, grâce à ma persévérance, je suis parvenue à mon but. Aujourd’hui, je suis fière d’être musulmane, de porter le foulard et déterminée à lutter pour promouvoir l’égalité des musulmanes voilées par rapport aux autres femmes. »

Propos recueillis par El Sam et Samir




« Comprendre les trajectoires individuelles et la régulation politique des problèmes d’exclusion »

Une famille vivant dans le squat. Photo: Nasser Tafferant

Des chercheurs du Pôle de recherche national suisse LIVES ont analysé et retracé l’histoire d’un squat urbain peuplé de migrants situé dans la région lausannoise. Cette recherche a donné lieu en parallèle à une exposition. Pour mieux comprendre les enjeux sociaux et politiques du phénomène étudié, nous avons interviewé M. Nasser Tafferant, chercheur au Pôle national de recherche LIVES et membre de l’équipe ayant investigué sur le squat.

Au plus fort de l’hiver, durant les premiers mois de l’année 2012 jusqu’à l’expulsion de ses habitants par les autorités en avril, une équipe du Pôle de recherche LIVES « surmonter la vulnérabilité : Perspective du parcours de vie » a mené une enquête en investiguant sur les cercles de relations amicales, familiales et de couples des habitants du squat des jardins familiaux de Vidy à Lausanne en Suisse. Cette recherche avait pour objectif de mieux comprendre les trajectoires des migrants vivant dans ces cabanons de fortune et les modes de régulation politique des problèmes d’exclusion sociale. L’enquête a, en parallèle, donné lieu à une exposition intitulée « LIVING THE SQUAT, Countdown of an Expulsion », qui s’est tenue à l’Université de Genève du 15 au 29 juin 2012 et à la Haute école de travail social et de santé de Lausanne du 1er octobre au 1er novembre 2012. Elle visait à montrer au public la vie matérielle et sociale du squat à l’approche de son évacuation, tout en retraçant les parcours de vie de ses habitants à la croisée de deux regards : celui du chercheur et celui du photographe.

Voix d’Exils : Vous avez présenté une exposition intitulée « Living the squat » à Lausanne, en octobre dernier. Son sujet était la vie des migrants qui ont squatté les jardins familiaux de Vidy de janvier à avril 2012. Pouvez-vous nous dire quel était l’objectif de cette exposition ?

M. Nasser Tafferant : L’objectif de cette exposition a été de rapporter des éléments d’information concernant l’expérience vécue par certains migrants d’un squat à ciel ouvert, sous le regard des passants ordinaires, à proximité du quartier de la Bourdonnette. Il importe de signaler que nos observations ne portaient pas exclusivement sur les Roms, mais aussi sur d’autres individus en provenance de pays d’Europe et d’Amérique latine et du Sud (ces derniers migrants ayant d’abord transité par l’Espagne). Cela a son importance, puisque la stigmatisation des Roms était, entre autres formes, consécutive aux effets d’annonce de certains médias locaux qui associaient systématiquement les mots « squat » et « Roms » dans quelques articles, encourageant, par-là, certains lecteurs anonymes à rendre public un discours anti-Roms.

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La récupération. Photo: Nasser Tafferant

L’exposition rend compte de hétérogénéité des parcours de vie et de l’épreuve commune d’un squat urbain. Nous avons passé quatre mois – de janvier à avril 2012 – sur le terrain parmi les migrants et quelques suisses cohabitant dans les jardins familiaux de Vidy – du collectif de la Bourdache – jusqu’à leur expulsion définitive. Notre approche se voulait compréhensive, c’est-à-dire que nous voulions saisir les interprétations personnelles et collectives des (més)aventures au quotidien dans et hors du squat. Nous avons mobilisé des techniques sociologiques de recueil d’information en procédant, avec leur accord, à l’enregistrement de témoignages, à des observations distancées et en situation de vie dans les jardins. Nous avons, en outre, pris plusieurs photos témoignant des modalités d’ancrage dans le squat, d’une part, par la façon d’occuper et d’aménager les cabanons, d’autre part, par les formes de sociabilité (liens de famille, de couple, de camaraderie propices à l’entraide, mais aussi rapports de méfiance et, parfois, de tension virulente).

Enfin, l’affaire des jardins familiaux de Vidy ayant fait grand bruit au gré des circonstances liées aux mesures d’expulsion, nous avons porté notre attention sur la manière dont le squat des jardins familiaux de Vidy a été traité politiquement, médiatiquement et perçu par quelques riverains.

Pour quelle raison vous êtes-vous intéressé à ce mode de vie ?

Avant tout, je ferai preuve de prudence avec l’expression « mode de vie », qui ne colle pas du tout à la réalité des destinées individuelles et familiales des migrants que nous avons rencontrés dans le squat. Autrement dit, les habitants des cabanons ne mènent pas une vie de squatteur. C’est le squat qui s’est imposé à eux, par chance d’abord, puisque les cabanons étaient inhabités, par stratégie de survie ensuite, à l’approche des saisons d’automne et d’hiver qui furent rigoureuses. Il a fallu aux habitants beaucoup d’audace, d’inventivité, de confiance en soi et d’entraide pour faire l’expérience du squat dans ces conditions. Certains ont enduré cette épreuve jusqu’à leur expulsion définitive (soit presque une année passée dans les jardins familiaux), d’autres ont pris la route un matin, sans jamais revenir sur leurs pas, en quête d’une situation moins inconfortable ailleurs en Suisse ou à l’étranger. Comprendre leur sensibilité, la manière dont se dessinent les trajectoires, la régulation politique des problèmes d’exclusion sociale…, ce sont là des thèmes qui intéressent chacun des membres de l’équipe ayant participé à cette étude (Raul Burgos Paredes, Emmanuelle Marendaz Colle, et moi-même*) et, par extension, les équipes du Pôle de recherche nationale Lives – « Surmonter la vulnérabilité : perspective du parcours de vie » dont nous sommes membres.

L’exposition a-t-elle suscité une prise de conscience auprès du public et auprès des politiques qui l’ont vue ?

Si nous nous intéressons aux personnes ayant effectué le déplacement pour voir l’exposition – les riverains, les anciens occupants des jardins familiaux, les chercheurs et les étudiants intéressés par la question –, alors je réponds oui. Car l’exposition montre clairement comment, à plusieurs reprises, le traitement politique de l’expulsion du squat a été dysfonctionnel. Concernant la réception de l’exposition par les acteurs politiques, je ne peux faire de commentaires, ne les ayant pas rencontrés, aussi bien dans les moments de vernissage que lors des visites guidées. Il faut aussi dire que l’exposition n’a pas fait l’objet d’une grande visibilité. En 2012 il y a eu deux installations, une à l’Université de Genève, une autre à l’EESP de Lausanne. Nous espérons que 2013 sera propice à une plus grande visibilité.

Que sont devenus les migrants avec lesquels vous avez été en contact pour votre étude ?

La destruction du squat. Photo: Hugues Siegenthaler

La destruction du squat. Photo: Nasser Tafferant.

Entre janvier et avril 2012, nous avions tissé des liens étroits avec une quinzaine d’individus. Au cours de cette période, certains ont pris la route vers l’étranger soit pour retrouver leur ville d’origine ainsi que leur famille – Roumanie, Espagne –, soit pour bénéficier d’un dispositif d’accueil plus efficace, des actions de solidarité (notamment associatives) et nourrir l’espoir de gagner plus d’argent – dans ce cas la France était une piste privilégiée. S’agissant des personnes qui sont restées jusqu’au terme de l’avis d’expulsion, la perspective de certains a été de se maintenir à Lausanne sans qu’aucune mesure tangible de relogement ne leur soit proposée. Nous avons donc perdu leur trace pour l’ensemble, et avons croisé une personne en situation d’errance urbaine et de mendicité au centre ville.

Parmi les migrants, il y a une majorité de Roms. Quelles sont les structures d’accueil officielles accueillant les Roms pendant la saison hivernale ?

Les structures d’accueil officielles renvoient à celles déjà existantes, lesquelles proposent leurs services aux plus démunis. On peut citer le Sleep-in qui offre un gîte pour la nuit, la Soupe populaire qui offre le repas du soir et le Point d’eau qui permet de laver son linge et de faire sa toilette. Au cours de l’hiver 2012, les occupants des jardins familiaux ont notamment eu recours à la Soupe populaire et au Point d’eau. Ils ont cependant affiché une réticence à se rendre au Sleep-in, préférant le confort relatif des cabanons et un entre soi plus rassurant. Il existe, enfin, l’association de solidarité Opre Rrom, dont le siège se trouve à Lausanne, et qui œuvre à assister les Roms dans leurs combats quotidien contre l’exclusion et leur quête de reconnaissance. Ces acteurs associatifs ont suivi de près l’affaire des jardins familiaux de Vidy, manifestant un soutien indéfectible.

En tant que chercheur, avez-vous des pistes à suggérer pour améliorer les conditions de vie des Roms, améliorer leur image au sein de la population et permettre ainsi d’éviter leur exclusion ?

Aussi modeste que fut notre travail de terrain, notre objectif a été de sensibiliser les citoyens à la question du traitement politique des Roms et des migrants qui ont occupé les jardins familiaux de Vidy. Porter un regard différent, tendre l’oreille, se rendre sur place, s’informer auprès d’associations vouées à accompagner ces communautés laissées pour compte, ce sont là des touches d’attention qui contribuent à briser les jugements de valeur et à faire un grand pas. Je peux citer le cas d’un riverain qui m’avait accueilli à son domicile pour témoigner de la situation du squat dans les jardins familiaux de Vidy. La vue de son balcon donnait sur les cabanons. La proximité des occupants le dérangeait et, comme bon nombre de ses voisins, il perdait patience face à l’expulsion qui tardait à venir. Les choses prirent une nouvelle tournure lorsque la municipalité autorisa les occupants du squat à y passer l’hiver. La personne décida alors de changer de perspective sur la situation de ces voisins d’en bas. Depuis sa fenêtre, il prit le temps de bien les observer. La présence d’enfants dans le froid cinglant de l’hiver le heurta péniblement. Il prit alors la décision d’aller à la rencontre d’une famille et de leur faire don de vêtements chauds, de couvertures et de denrées alimentaires. La famille le remercia chaleureusement et ils finirent par tisser des liens, multipliant les rencontres, les deux parties pouvant communiquer en espagnol. Son jugement devint ainsi plus objectif au fil des semaines. Ce n’était plus la présence des squatteurs qui le gênait, mais les conditions dans lesquelles ils étaient maintenus ici, livrés à eux-mêmes, dans l’indifférence de tous. Il tint alors les décideurs politiques pour responsables de cette situation, il ne fut pas le seul d’ailleurs, d’autres riverains ont manifesté leur désarroi. Certes, l’homme en question souhaitait voir les occupants des cabanons quitter les lieux à la venue du printemps, mais dans le respect de leur dignité. C’est sans doute là un exemple manifeste de compréhension et de sagesse, dans la limite de moyens d’action de chacun.

*Au sein du pôle de recherche NCCR LIVES, Raul Burgos est doctorant, Emmanuelle Marendaz Colle est conseillère en communication, tandis que Nasser Tafferant est post-doc senior.

Lamin

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Un cycle de conférences sur le thème de la vulnérabilité dans les parcours de vie est organisé par le Pôle de recherche national LIVES et l’Institut d’études démographiques et du parcours de vie de l’Université de Genève les jeudis du 21 février au 23 mai 2013.

Ces conférences sont ouvertes au public et l’entrée libre.

Pour en savoir plus, cliquez ici




« On part toujours de l’expérience professionnelle, car elle est la richesse de la personne »

Table ronde organisée par Mode d'emploi le 16.11.12 à l'Université de Lausanne pour célébrer ses 20 ans d'existence. Photo: Pastodelou.

Table ronde organisée par Mode d’emploi le 16.11.12 à l’Université de Lausanne dans le cadre d’un événement à l’occasion de son 20 ème anniversaire. Photo: Pastodelou.

Au service de l’insertion professionnelle et sociale depuis 20 ans, la fondation Mode d’emploi a pour principale mission d’œuvrer contre l’exclusion sociale et professionnelle. Elle s’occupe, en Suisse romande, des personnes en difficultés sur le marché du travail.

 

Voix d’Exils s’est donc penché sur les activités de cette fondation, étant donné que les requérants d’asile sont confrontés à l’exclusion professionnelle. Plus particulièrement, nous avons tenté d’éclairer le cas de ceux qui ont le droit de travailler, mais qui parviennent trop rarement à décrocher un emploi. Patricia Hurzeler, responsable de prestations et membre du comité de direction de la fondation Mode d’emploi a répondu à nos questions.

Voix d’Exils : Mode d’emploi propose aux migrants des cours de mise à niveau et des cours de techniques de recherche d’emploi. Quand tout se déroule bien, le migrant trouve un stage en entreprise dans l’économie privée et reçoit ensuite un certificat qui contribue à son intégration.

Patricia Hurzeler : Quand cela se passe mieux encore, la personne est engagée ! On a eu plusieurs fois des personnes qui ont fait des stages et l’employeur nous a dit «  sur dossier, on ne l’aurait pas engagé mais, par contre, maintenant qu’on l’a vu travailler, on peut l’engager. »

Tenez-vous compte de l’expérience professionnelle acquise à l’étranger par les personnes migrantes?

Oui bien sûr. Je peux vous donner l’exemple d’un monsieur d’origine vietnamienne qui nous avait été adressé par l’Office Régional de Placement avec un projet professionnel de nettoyeur. En essayant de discuter avec lui pour élaborer un CV, j’apprends qu’il était professeur d’université et journaliste au Vietnam, mais qu’il ne l’avait jamais mentionné car quelqu’un lui avait dit que ça ne comptait pas. Nous avons discuté à ce sujet et, le lendemain, il m’a amené sa carte de journaliste ; il écrivait encore dans une revue vietnamienne située au Canada. Nous avons alors pu orienter la recherche d’une place de travail sous un autre angle, d’autant que ce monsieur savait bien lire et écrire en français. Par contre, sa prononciation rendait la compréhension difficile, ce qui ne nous a pas permis d’envisager un projet professionnel dans l’enseignement. En revanche, il a pu réaliser un stage dans une bibliothèque et bénéficier d’un excellent certificat de travail validant ses compétences dans ce domaine.

Les exigences des entreprises sont-elles différentes en Suisse ?

Le niveau exigé dans le pays d’origine des migrants n’est pas forcément le même qu’en Suisse, ce dont nous devons tenir compte. Dans certains cas, le stage permet de valider auprès d’un employeur suisse l’employabilité de la personne dans un domaine, voire d’identifier les formations possibles qui lui permettrait de postuler pour un poste similaire. Mais on part toujours de l’expérience professionnelle, car elle est la richesse de la personne.

Les diplômes étrangers sont-ils reconnus par Mode d’emploi ?

On aide les migrants à faire une demande d’équivalence à Berne, cela nous permet de savoir à quoi correspondent leurs diplômes en Suisse. Mais, la plupart des requérants arrivent sans leurs diplômes et cela pour différentes raisons. C’est le cas, par exemple, des réfugiés politiques qui sont partis précipitamment et qui n’ont pas pu prendre leurs papiers avec eux.

Quels sont les éléments qui maximisent les chances d’un migrant d’obtenir du travail grâce à l’aide de Mode d’emploi ?

Premièrement, la langue française. Un bon nombre des gens que nous avons reçus l’année passée avaient un niveau de français insuffisant. Ils avaient juste bénéficié d’un cours qui les a amenés à un niveau A2. Ils ont fait, pour certains, de très bons stages dans des professions qui n’exigent pas beaucoup de qualifications, mais souvent l’employeur nous disait : « Si son français était meilleur on pourrait envisager de l’engager, mais pas aujourd’hui, il y a trop de choses qu’il ne comprend pas… » Deuxièmement, le permis de travail. Pour une personne titulaire d’un permis F ou N, par exemple, deux éléments font souvent hésiter l’employeur : le risque de départ précipité et les démarches à entreprendre même si, pour ces dernières, nous sommes prêts à apporter notre aide à l’employeur.

Propos recueillis par :

Pastodelou et Chulio

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Le khat, obstacle à l’intégration

Le khat drogue à mâcherLe khat est une herbe qui se mâche dans tout l’Afrique de l’Est et une partie de la péninsule arabique. Quel impact a la consommation de cette drogue sur la population immigrée de ces régions en Suisse ? L’exemple de Zahra et de Tefreh est à cet égard édifiant.
Zahra*, une mère somalie, se lamente auprès de son ami et voisin Tefreh, qui est lui d’origine éthiopienne.

Elle prétend ne pas comprendre ce qui lui arrive cette année : « J’ai de plus en plus de problèmes d’argent, la situation scolaire de mes enfants chemine vers l’échec, une dette qui ne fait qu’augmenter et mon caractère qui devient insupportable pour les autres. »

Son ami lui répond : « Nous aussi, on est dans les mêmes draps. Oublions tout ça, la vie continue et fais vite ton petit plat de pâtes aux enfants, parce qu’il est déjà l’heure. »

Ils vont alors passer des coups de fil pour s’assurer de l’arrivage de la « nourriture des anges » : le khat. Il s’agit de feuilles tendres d’un arbuste qui pousse en Afrique de l’Est et dans une partie de la péninsule arabique. Le khat contient de l’alcaloïde, un stimulant qui provoque l’euphorie. Dès 1980 l’Organisation mondiale de la santé a classé le khat dans la liste des drogues du fait qu’il provoque une dépendance psychologique. Cette substance est illégale en Suisse comme dans beaucoup de pays.

Après avoir fait une dizaine de téléphones et siroté du thé pendant une heure et demie, ils réussissent à localiser la réceptrice d’aujourd’hui. Tous les jours, des personnes introduisent illégalement le khat sur le marché suisse, la marchandise étant ensuite acheminée à différentes adresses du réseau de vente : ce sont les récepteurs et les réceptrices.

Les préludes du rituel peuvent alors commencer : plusieurs va-et-vient sur l’avenue qui longe le bâtiment où réside la réceptrice pour être sûrs que la police n’a pas suivi la marchandise.

Une fois rassurés sur la sécurité du lieu, ils se présentent chez la réceptrice. N’ayant que 30 francs suisses chacun, ils ne peuvent s’acheter que deux bouquets, soit une vingtaine de petites branches d’environ 10 centimètres. Mais comme c’est le début du week-end, ils veulent consommer au minimum cinq bouquets par personne pour veiller toute la nuit du samedi, comme ils en ont l’habitude chaque semaine.

La réceptrice rejette leur demande en leur rappelant qu’ils ont déjà une ardoise sacrément débitrice qui ne fait qu’augmenter chaque jour.

Pour arriver à leurs fins, ils font la louange de la réceptrice et du « patron », le propriétaire de la marchandise, au point de brader leur âme.

De retour à la maison avec les doses espérées, ils préparent le lieu de broutage et dès qu’ils ont mis la feuille sous les dents, ils se rappellent de leurs enfants.

Zahra demande à sa fille : « A la rentrée, tu seras en 5ème ou en 6ème année? » « Mais non, lui répond sa fille, je serais en 7ème année. » Tefreh rétorque : « Ah, tu seras au même niveau que ma fille ! » La petite, exaspérée par ces propos, répliques : « Oncle Tefreh, ta fille sera en 6ème année et moi en 7ème année ! »

Le samedi et le dimanche, nos deux khateurs ont passé leur temps à résoudre tous les problèmes auquel l’ONU ne trouve pas de solution, et fait beaucoup de promesses de chercher du travail, etc.

Le lundi matin, Zahra se réveille à une lenteur qui mettrait en colère le paresseux. Les enfants, surpris, lui disent : « C’est étonnant, aujourd’hui tu t’es réveillée tôt. Tu va nous préparer des omelettes. » La réponse est à la mesure de son humeur : « Je ne m’occupe pas de vous, préparez-vous des popcorns avec du lait, moi je dois aller à l’hôpital pour une transfusion de fer, je me sens très fatiguée. »

La fille de Tefreh revient à la maison vers 15 heures avec une pénalité de 80 francs pour absence de titre de transport. Le père s’énerve, la gronde et l’accuse d’être fautive parce qu’elle a oublié d’amener son abonnement.

La petite, d’un air normal, comme si elle était habituée à ce genre d’histoire, lui répond : « Mais papa, ça fait trois mois que tu me dis chaque fois demain pour me payer l’abonnement du bus. »
Le père : « Je n’ai pas d’argent, je vais dire à Zahra de nous trouver un peu de crédit auprès des voisins pour payer les bouquets de khat d’aujourd’hui, et si possible ton abonnement bus. »

S’ensuivent la quête d’un crédit, la localisation du lieu d’arrivage de la marchandise, la mendicité auprès des vendeurs, l’évocation perpétuelle de tous les problèmes du monde et des promesses sans lendemain, tels un mécanisme infernal qui se répète jour après jour.

Hassan Cher Hared