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De requérant d’asile à conseiller général

Njo Moubiala. Photo: Voix d'Exils

Njo Moubiala. Photo: Voix d’Exils.

Originaire de La Chaux-de-Fonds, approchant la soixantaine, Njo Moubiala a échappé à la dictature du Maréchal Mobutu dans l’ex-Zaïre, en se réfugiant en Suisse, ce il y a près de trois décennies. D’abord requérant d’asile, cet électrotechnicien de formation est aujourd’hui Suisse, conseiller général  (membre du parlement communal) et membre de la commission de la naturalisation à Peseux, sa commune de résidence, dans le canton de Neuchâtel. Témoignage.

De 1965 à 1997, la République démocratique du Congo (RDC), alors Zaïre, était dirigé par le dictateur Mobutu Sese Seko. Dans les années 80, la dictature avait atteint son apogée en supprimant notamment le pluralisme politique et syndical et en ayant réduit les libertés individuelles. Trouvant sa situation de travailleur impayé «complètement inacceptable et admissible», Njo Moubiala a tout laissé derrière lui et a pris le chemin de l’exil. Arrivé en Suisse en 1986, il dépose sa demande d’asile et découvre les réalités de l’asile. Il est alors accueilli par deux religieux d’heureuse mémoire : l’Abbé Nicolas Desboeuf et le Père Cyrille Perrin.

Un parcours exemplaire

«Mon parcours en Suisse est élogieux, je remercie le ciel. J’ai eu le privilège d’être bien accueilli dans ce pays. L’Abbé Nicolas Desboeuf m’a présenté à un éminent professeur de droit de l’Université de Neuchâtel, M. Philippe Bois, très actif dans la défense du droit d’asile qui m’a défendu honorablement et avec qui j’ai tissé des liens d’amitié solides ainsi qu’avec sa famille. Avec mon ami Philippe, j’ai saisi cette opportunité, je me suis intégré et j’ai fait un effort pour apprendre, comprendre et respecter la manière de vivre des Suisses. Mon parcours de requérant d’asile m’a beaucoup marqué et m’a encore donné l’envie de me valoriser. J’ai fait «l’université de la rue», c’est-à-dire j’ai fait des travaux manuels que je n’avais pas l’habitude de faire dans mon pays d’origine. J’ai travaillé dans la restauration, les bâtiments, les travaux publics, dans le transport et cela m’a permis de connaître la vraie vie suisse dans la pratique. Aujourd’hui, je fais une formation de validation des acquis qui sera sanctionnée par une attestation dans les prochains mois.»

Naturalisé suisse, Njo Moubiala vit sa double nationalité comme une vraie richesse culturelle, et il s’en défend: «Je ne peux pas renier mes origines, je suis originaire de la RDC et je suis aussi fier d’être un citoyen suisse. Les Suisses m’ont accordé cette nationalité et je les remercie pour ce geste de cœur généreux au regard de la misère indescriptible que vit mon pays d’origine résultant de sa mauvaise gouvernance.»

Conseiller général socialiste

Électrotechnicien et diplômé cafetier formé en Suisse, Njo Moubiala est divorcé et père de deux enfants. Il est conseiller général du groupe socialiste de la commune de Peseux. «Je me suis engagé en politique dans la section de la Chaux-de-Fonds du Parti socialiste grâce au conseiller aux États neuchâtelois Didier Berberat et j’ai suivi une formation politique sur la démocratie directe dispensée par le conseiller national zurichois et politologue Andreas Gross», déclare Njo Moubiala, qui se bat pour l’intégration des Africains dans le monde professionnel. «Bon nombre d’Africains viennent de pays où il n’y a pas de démocratie ni d’État de droit et quand ils arrivent en Suisse, ils sont déboussolés, désemparés. C’est pour cela que je suis là pour les encourager à pouvoir s’intégrer et à comprendre non seulement qu’il faut vivre de façon indépendante en travaillant, mais aussi qu’il faut remplir certains devoirs et obligations que nous demande l’État. C’est pour tout le monde pareil, que l’on soit Suisse ou non. L’État est là pour nous garantir nos droits».

Regards d’un homme aux cultures plurielles

Parlant de l’Afrique, il estime que «c’est un continent formidable, potentiellement riche, non seulement en matières premières mais aussi à travers son peuple très hospitalier où la gentillesse est souvent mal interprétée par quelques profiteurs.»

Reconnaissant envers la Suisse, le député socialiste de Peseux affirme qu’il a trouvé dans la Confédération helvétique non seulement la tranquillité et le bien-être mais, aussi et surtout, la rigueur et l’amour du travail de qualité. «Ma plus grande réussite en Suisse est d’avoir appris de vraies valeurs, dans le travail, le respect, l’engagement et la foi. Car le Suisse est consciencieux, travailleur et patriote».

Jetant le regard sur la RDC, son pays d’origine, Njo Moubiala reconnait qu’«Au Zaïre, il y avait la dictature et aujourd’hui, on évolue encore dans la dictature, le chaos politique plus que celle de Mobutu et cela fait très mal de voir un pays potentiellement riche en personnes humaines, en sols et sous-sols, se retrouver en dernière position du classement mondial des pays les plus pauvres de la planète. Malgré le bon sens du soutien de la communauté internationale pour encourager et soutenir les dirigeants politiques afin d’établir un État de droit, les deux élections dites «démocratiques» qui ont été organisées en 2006 et 2011 ne sont qu’une mascarade. Force est de constater encore que la corruption est devenue monnaie courante en RDC.»

Son message aux requérants d’asile vivants en Suisse

Il conseille aux requérants d’asile d’approcher, de fréquenter et de discuter avec des citoyens Suisses qui sont là aussi pour partager avec eux leurs dures expériences de la vie. Il les exhorte, en outre, à s’intégrer politiquement et à s’imprégner des réalités politiques helvétiques, afin de comprendre le système politique suisse qui n’est pas si facile, ce même pour les Helvètes eux-mêmes.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




«Le fichage ADN des requérants d’asile serait une mesure stigmatisante voire discriminatoire»

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l'information du canton de Vaud.

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud.

S’appuyant sur les statistiques policières de huit cantons qui établissent une augmentation de la criminalité depuis le Printemps arabe sur le sol suisse, Christophe Darbellay – président du Parti démocrate-chrétien et conseiller national – a déposé une motion intitulée «Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité» qui a été adoptée par le Conseil national le 17 avril 2013. Cette motion permettrait d’établir des profils ADN de manière préventive et systématique de certaines catégories de personnes pouvant potentiellement commettre des délits. Si le Conseil des États valide la motion, le Conseil fédéral devra créer une loi pour la concrétiser. Voix d’Exils a souhaité mettre en perspective les enjeux d’une telle motion en donnant la parole à Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Interview.

Pouvez-vous commencer par présenter votre fonction et votre travail 

Je suis préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Nous sommes trois personnes à travailler dans l’équipe. Nous avons une double casquette : l’une porte sur la protection des données et l’autre sur la transparence. Du côté de la protection des données, il y a une loi cantonale qui s’applique aux administrations cantonales et communales, et des organismes comme l’EVAM par exemple. Nous sommes en étroite collaboration avec les autorités tout en veillant au respect de la loi ainsi qu’aux installations de vidéosurveillance exploitées par les communes ou le canton. Cependant, nos actions ne couvrent pas le traitement des données des établissements privés, comme par exemple l’installation d’une caméra par la Coop, ou encore la Migros avec la carte Cumulus. Ceci n’entre pas du tout dans notre champ de compétences, mais dans celui du préposé fédéral à la protection des données.

Nous sommes aussi l’instance de recours contre des décisions que pourraient prendre les autorités cantonales ou communales en matière de protection des données sur une tierce personne.

Comment l’utilisation de l’ADN est-elle encadrée juridiquement actuellement ?

Le Code de procédure pénale suisse autorise le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN pour élucider un crime ou un délit. Un tribunal peut aussi ordonner l’établissement d’un profil ADN lorsqu’une personne est condamnée pour des délits d’une certaine gravité. La loi sur les profils ADN impose des règles sur la manière de procéder; elle prévoit aussi la création d’une base de données centralisée. Les profils ADN des personnes mises hors de cause, acquittées ou bénéficiant d’un non-lieu sont retirés de la base de données. Il en va de même pour les personnes condamnées après des durées fixées par la loi. Seul l’Office fédéral de la police peut faire le lien entre un profil et une identité.

La motion de Monsieur Darbellay concernant le test ADN de certains  requérants d’asile, notamment à titre préventif, a été adoptée par le Conseil national en avril 2013. Quel est votre avis à ce sujet?

Il est à noter ici que prendre les empreintes digitales ou l’ADN de quelqu’un constitue, du point de vue de la construction juridique, une atteinte à la personnalité. Considérée comme une atteinte grave par certains et anodine par d’autres, elle constitue dans tous les cas une atteinte au droit de la personne, donc à un droit fondamental. C’est pourquoi on peut le faire, mais à certaines conditions, notamment des conditions de restrictions des droits fondamentaux. Cela nécessite une base légale, il faut aussi qu’il y ait un intérêt public qui justifie cette restriction et que la restriction du droit fondamental soit proportionnelle à l’intérêt public considéré. Après, il y a aussi des choix politiques qui sont faits par le législateur qui a un large pouvoir d’adopter ou pas ce type de mesures (la prise d’ADN), sachant aussi qu’en Suisse, il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois. Une des questions que soulève ce projet est la discrimination d’un groupe ciblé de la population. Un groupe évalué selon certains critères est jugé particulièrement à risques, et tous les membres de ce groupe sont considérés comme suspects potentiels, en tout cas plus suspects que le reste de la population. Donc, c’est clairement une mesure qui est stigmatisante voire discriminatoire. Avec une remise en cause d’un principe qui est fondamental dans l’Etat de droit : la présomption d’innocence. Après, ce sont des choix politiques qui doivent être faits. Et ces questions soulèvent aussi des problèmes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a une position plutôt restrictive s’agissant du fichage préventif. On admet le fichage ADN de manière générale pour les personnes qui ont été condamnées; mais il y aurait un pas de franchi si on l’autorisait a priori sur des personnes jugées à risques.

Selon l’article 33 de la loi fédérale sur l’analyse de la génétique humaine, le prélèvement nécessite notamment le consentement écrit de la personne. Au cas où la personne ne veut ou ne peut pas écrire ce consentement, que se passerait-il ?

Le prélèvement peut se baser soit sur une base légale, soit sur le consentement de la personne. Donc on peut tout à fait imaginer une base légale qui oblige les personnes à donner leur ADN par un frottis ou un autre procédé sans qu’elles aient la possibilité de s’y opposer. On peut passer outre le consentement si on a une base légale suffisamment claire qui le permet. Après, du point de vue de l’intérêt public, on peut considérer qu’on va lutter contre la criminalité et que cela constitue donc un intérêt public. On peut être d’accord que cet intérêt public existe, mais la question est celle de la proportionnalité d’une telle mesure. Donc, par rapport aux entorses que la mesure porte aux droits fondamentaux de la personne, cela pose problème. Est-ce que vraiment ça se justifie ? Est-ce que le but qu’on veut atteindre, à savoir résoudre un certains nombre de délits, dont la plupart sont mineurs et commis par des délinquants venus du Printemps arabe ? On n’est pas en règle générale dans le grand banditisme. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre, mais là on a un problème qu’on veut résoudre, et on propose un moyen pour le résoudre. Est-ce que ce moyen qu’est le fichage ADN est vraiment proportionnel par rapport au problème de criminalité qui se pose ? Là est la question.

Cette motion respecte-t-elle la Constitution suisse? Est-elle applicable ?

Elle ne doit pas impérativement respecter la Constitution suisse. Le système juridique suisse n’a pas de Cour constitutionnelle au niveau de la Confédération. Le Parlement peut adopter des lois qui constituent des entorses aux principes constitutionnels voire qui s’y opposent. Dans le canton de Vaud, on a une Cour constitutionnelle, mais au niveau de la Confédération non. Du coup, si cette motion poursuit son chemin parlementaire, il va y avoir d’innombrables débats pour savoir si la mesure est constitutionnelle ou non. Mais, même si elle ne l’était pas, on ne peut pas exclure qu’elle soit adoptée. Après, c’est un choix politique encore une fois qui, en Suisse, ne peut pas être remis en cause par un tribunal. Ce qui pourrait arriver c’est une remise en cause par une instance internationale comme, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme.

Les requérants d’asile doivent déjà donner leurs empreintes digitales lors de leur arrivée en Suisse. Comment cela est-il encadré ? Et en quoi la prise d’ADN serait-elle différente ?

Les empreintes digitales des requérants d’asile sont prises pour s’assurer que les requérants n’ont pas déjà déposé une demande ailleurs, c’est le cas avec l’accord Schengen et de Dublin. On est vraiment ici dans des finalités qui ne sont pas les mêmes que la finalité proposée par la motion Darbellay qui est policière et répressive.

Du coup, les empreintes digitales des requérants d’asile prises selon la législation Schengen pourraient être utilisées dans le cadre d’enquêtes policières ?

Les empreintes digitales sont stockées dans le système EURODAC dans le but de déterminer l’Etat qui est responsable de la demande d’asile. A l’origine, il n’était pas prévu de pouvoir utiliser ces données à des fins répressives. Toutefois, le Parlement européen vient sauf erreur d’adopter des modifications réglementaires qui permettront d’accéder à ces informations pour l’élucidation de crimes graves.

Concrètement, pensez-vous que le fichage ADN soit une mesure utile pour lutter contre la criminalité de certains requérants d’asile ?

Je précise évidemment que je ne suis pas policier. Après, j’ai de la peine à me rendre compte, mais rappelons par exemple que lorsqu’on a commencé à récolter les empreintes dans le cadre d’enquêtes policières, les criminels ont commencé à porter des gants. Maintenant, si on met l’ADN, qu’en sera-t-il ? J’imagine que dans un certain nombre d’enquêtes, cela peut-être utile. Après il y a des choix politiques qui doivent être faits. Donc, il y a aurait une certaine efficacité, c’est très probable, mais avec des effets négatifs, dont une inégalité de traitement entre certains ressortissants d’un pays qui seront soumis au fichage et d’autres non.

Où vont être rangés les fichiers s’il y a la prise d’ADN pour certains requérants d’asile ?

Cela dépend du niveau de la juridiction cantonale ou fédérale. Les deux étant envisageables. Mais j’imagine que ça serait plutôt au niveau fédéral, avec une possibilité d’accès pour les autorités cantonales. Après, pour l’accès, cela concernerait les normes usuelles : les données seraient très protégées dans des systèmes très sécurisés. Il faut rappeler que la sécurité absolue n’existe pas, et c’est un des problèmes avec l’informatisation croissante, mais les bases de données publiques sont en général très bien sécurisées. Après, la faiblesse est humaine. Les banques en savent quelque chose. Ce peut aussi être une défaillance au niveau de la sécurité des données. C’est pour cela aussi qu’au niveau de la collecte des données, un principe veut que l’on collecte le minimum de données nécessaires pour minimiser les risques. Sachant qu’une fois qu’une base de données existe, elle suscite, en général, un certain nombre de convoitises.

Si dans 10 ans toute la population devait donner ses empreintes ADN, comment qualifieriez-vous le monde dans lequel nous vivrions ?

La motion Darbellay pose une question de principe : si le législateur pense que c’est justifié de créer une base de données à titre préventif visant une partie de la population, on met alors le doigt dans un engrenage. Si on le fait pour ce type de population, pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas pour d’autres groupes de population ? Au hasard, les personnes de sexe masculin entre 18 et 25 ans qui sont célibataires, qui sont parmi les groupes de populations les plus criminogènes, les plus susceptibles de commettre des délits. On peut identifier un certain nombre de groupes, dont d’ailleurs vous (nous, les deux journalistes de Voix d’Exils) feriez partie. Alors après pourquoi pas vous ? Ou pourquoi pas tous les oncles ? Parce qu’on considère que c’est surtout les oncles qui commettent des abus sexuels sur les enfants, ou tous ceux qui travaillent avec la finance, et après on peut tout imaginer.

Personnellement, je préférerais la situation dans laquelle l’ensemble de la population serait fichée plutôt que des groupes cibles. Cela ne veut pas dire que je souhaiterais que l’ensemble de la population soit fichée. Mais, quitte à le faire, soyons cohérents et allons jusqu’au bout. Mais cela ne serait pas une société qui me réjouit particulièrement, où par principe on suspecte les personnes plutôt que de faire primer la présomption d’innocence. Mais là aussi, quels sont les intérêts que l’on considère comme étant prépondérants ? A ce propos, le débat autour des services secrets américains : la National Security Agency (NSA) avec l’affaire Snowden est intéressant. Beaucoup de personnes considèrent que l’atteinte à leur sphère privée se justifie vu le bien qu’on veut atteindre, c’est-à-dire une sécurité maximum. Et du coup certains disent «mais est-ce que les terroristes n’ont pas déjà gagné ?», vu que l’on remet en cause les acquis essentiels au sein de nos sociétés démocratiques. Donc, à titre personnel, je ne suis pas pour cette tendance de surveillance accrue. Mais cette tendance de placer l’aspect sécuritaire avant tout est là. Pour revenir aux caméras de vidéosurveillance, on peut mettre des caméras partout, et probablement que cela va résoudre un certain nombre de délits et d’infractions. Mais au vu des atteintes que cela constitue pour l’ensemble de la population, est-ce que ça se justifie ? A mon sens non.

On est ainsi face à des choix de société. Nous sommes dans une société démocratique, mais on ne sait pas comment sera la Suisse ou l’Europe dans 40 ou 50 ans. On peut se dire aussi que certains outils de surveillance sont acceptables quand ils sont dans les mains de dirigeants en démocratie, et qu’ils le sont moins dans des régimes non démocratiques. Là aussi, il y a un principe de prudence à respecter. Et qui peut prévoir l’évolution d’une société sur 50 ans ? Personne, je pense.

Propos recueillis par :

Cédric Dépraz et El Sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour consulter la motion de Christophe Darbellay « Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité » cliquez ici

 




Sommet de la Francophonie à Kinshasa: chronique d’une rencontre controversée

Le président français François Hollande. Photo: Jean-Marc Ayrault (CC BY 2.0)

Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), accueille du 12 au 14 octobre 2012 le 14ème Sommet de la Francophonie, qui réunit les chefs d’Etats et de gouvernements des 75 Etats membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) autour du thème : « Francophonie, enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale ».

Si cette rencontre est une grande opportunité pour la RDC – le plus grand pays francophone et le plus peuplé du globe – de présenter au monde l’état de son évolution politique, économique et sociale ; son organisation politique par un pouvoir contesté pose problème et suscite diverses interrogations. 

L’on se rappelle que le 28 novembre 2011, les Congolais étaient appelés à élire leur président et la Commission électorale nationale et indépendante (CENI) qui avait annoncé la victoire du président sortant Joseph Kabila, 41 ans, vainqueur de ce scrutin avec 49,95 % face à l’opposant historique Etienne Tshisekedi, 79 ans, qui n’aurait obtenu que 32,33%.

Élections truquées

Après la proclamation des résultats définitifs par la Cour suprême de justice, des observateurs nationaux et internationaux, y compris la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE), avaient déploré de nombreuses irrégularités lors du processus électoral et douté de la légalité et de la transparence du scrutin présidentiel.

Suite à des fraudes massives constatées à travers le pays, plusieurs associations de Congolais à travers le monde avaient demandé au nouveau président français François Hollande de ne pas se rendre en RDC lors du Sommet de la Francophonie pour ne pas cautionner la mauvaise situation des droits de l’homme dans le pays ainsi que le régime de Joseph Kabila au pouvoir depuis 2001, en soulignant que les élections de 2011 avaient suscité de nombreuses critiques.

L’association Convergence pour l’Emergence du Congo (CEC) a même engagé une action en référé (procédure d’urgence) devant le tribunal de grande instance de Paris dans le but d’empêcher la tenue de ce Sommet à Kinshasa. Pour la CEC, il serait « immoral » que le Sommet de l’OIF se tienne à Kinshasa alors que Kabila « n’a pas tenu ses promesses » d’organiser des élections « transparentes et démocratiques ». Mais la CEC a été déboutée.

Les conditions de Hollande

Le 9 juillet 2012, dans un communiqué, François Hollande demandait aux « autorités de la RDC de démontrer leur réelle volonté de promouvoir la démocratie et l’État de droit », tout en parlant de la réforme de la CENI et de la Justice afin d’assurer la transparence des prochains scrutins et le jugement des « vrais coupables » dans l’assassinat de Floribert Chebeya, un éminent défenseur des droits de l’homme congolais dont le corps sans vie a été retrouvé le 1er juin 2010 dans la périphérie de Kinshasa alors qu’il avait rendez-vous la veille avec le chef de la police, le général John Numbi.

Avant de se décider à se rendre à Kinshasa, le président français avait posé deux conditions: la réforme de la CENI et celle de la Justice. Et pour s’assurer que ces deux conditions soient remplies avant sa venue en RDC, il dépêcha fin juillet sa ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui. Une fois à Kinshasa, la ministre française déclara être venue sans à priori ni préjugé, et après avoir reçu plusieurs opposants au régime de Kabila, ainsi que des défenseurs des droits de l’homme, elle affirma que « très peu ne veulent pas que le Sommet ait lieu ». A l’arrivée mercredi 25 juillet à Kinshasa de la ministre française, l’Union pour le progrès et le progrès social (UDPS), principal parti d’opposition dirigé par Etienne Tshisekedi, avait demandé, dans une pétition à l’ambassade de France la délocalisation du Sommet qui confirmerait, selon elle, une victoire électorale « usurpée ».

 Changement de cap de Hollande

Un mois après la venue de son envoyée spéciale à Kinshasa, le lundi 27 août à Paris, le président François Hollande annonce, lors de son discours de politique étrangère inaugurant la traditionnelle conférence des ambassadeurs, qu’il participera au Sommet de la Francophonie.

« Je me rendrai dans quelques semaines au Sommet de la Francophonie à Kinshasa. J’y rencontrerai l’opposition politique, des membres de la société civile et des militants », a-t-il déclaré. En promettant de se rendre à Kinshasa, François Hollande a-t-il oublié ses conditions posées pour des avancées concrètes en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme ? A cette question, C’est Yamina Benguigui qui répond : « les élections de 2011 y ont été contestées mais validées par la communauté internationale. On ne pouvait pas pratiquer la politique de la chaise vide ».

Le 9 octobre, lors du passage à Paris du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, le président français a tenu une conférence de presse conjointe lors de laquelle il a tenu des propos durs envers le régime du président Kabila. « La situation dans ce pays est tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie, et de la reconnaissance de l’opposition », a fustigé le président français.

Kinshasa ne s’est pas fait prier pour répondre. « Nous sommes le pays le plus avancé dans les droits de l’opposition », a soutenu le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, pour qui les propos de François Hollande ne correspondent « à aucune réalité ». Et de suggérer au président français de « compléter son information » pour rendre son bref séjour à Kinshasa « très utile ».
Le prochain déplacement de François Hollande au Sommet de Kinshasa est considéré par la rébellion qui sévit dans l’est de la RDC comme une « légitimation du pouvoir de Kabila ». Pour le coordinateur politique de la rébellion M23, Jean-Marie Runiga, « François Hollande viendra à Kinshasa légitimer un pouvoir en difficulté. Un pouvoir illégitime, décrié par la majorité du peuple congolais qui risque même de se soulever pour barrer la route à la présence du président français sur son sol ».

Avis contrastés

Cet avis est aussi partagé par la majorité des Congolais vivant à l’extérieur des frontières nationales. « En décidant de fouler le sol congolais lors de ce Sommet, François Hollande a trahi nos attentes, il nous a déçu et je ne crois plus à ses promesses électorales » a déclaré, dépité et à la limite de la colère, Paul Ndombele, un Congolais vivant à Genève, en Suisse. Pour sa compatriote Armandine Luvuezo, mère au foyer vivant à Neuchâtel, « Que Hollande vienne ou pas à Kinshasa, il n’arrangera aucun problème, l’ennemi du Congolais  c’est le Congolais lui-même ». Cependant, Alfred Mbila, un Congolais de 42 ans, est d’avis que la tenue à Kinshasa du Sommet de la Francophonie « permettra à la RDC de se présenter sous un beau jour ». C’est aussi l’avis de Sara Kabongo, une Chaux-de-fonnière d’origine congolaise, qui soutient que « les élections sont désormais derrière nous, regardons l’avenir pour reconstruire la patrie de nos  ancêtres »

Samedi 6 octobre, les Congolais vivant en Suisse ont manifesté à Zurich pour dénoncer la tenue à Kinshasa du Sommet de la Francophonie.

Redorer le blason terni

Mais pour Kinshasa, ce Sommet aiderait à redorer le blason terni de la RDC. « Ce sera l’occasion d’attirer davantage l’attention des investisseurs congolais comme étrangers pour d’éventuels partenariats de type public-privé », confiait Augustin Matata Ponyo, premier ministre congolais, à notre consœur de Jeune Afrique. Évoquant la réforme de la Justice, souhaitée par François Hollande, Matata affirme en être conscient. « Des efforts doivent être consentis pour donner à la Justice de notre pays une image qui sécurise le citoyen aussi bien dans sa personne que dans ses biens, une image qui rassure les opérateurs économiques sur la sécurité de leurs investissements », conclut-il.

Un seul bémol, l’audience qui devait statuer sur la comparution ou non du général John Numbi dans le procès en appel des présumés assassins de Floribert Chebeya a été renvoyée par la Haute cour militaire après le Sommet de la Francophonie. Une décision avant tout politique, selon les défenseurs des droits de l’homme et une manœuvre visant à faire passer le Sommet et que les regards ne soient plus braqués sur la RDC.

Il faudra aussi souligner l’absence annoncée du premier ministre Elio Di Rupo de Belgique, ancienne puissance coloniale, car les dates du Sommet (du 12 au 14 octobre) coïncident avec les élections municipales en Belgique. Premier francophone à diriger un gouvernement en Belgique depuis les années 1970, Elio Di Rupo sera représenté par son ministre des Affaires étrangères Didier Reynders et le chef de la Fédération Wallonie-Bruxelles Rudy Demotte, précisent les services de Di Rupo.

Assuré du double fait que le Sommet ne sera pas délocalisé comme en 1991, à la suite d’un massacre d’étudiants à Lubumbashi, capitale de la riche province minière du Katanga, et de la présence de François Hollande, Kinshasa a accéléré les travaux pour porter sa plus belle robe aujourd’hui.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils